Posté le 3 juin 2021 - par dbclosc
Agathe Ollivier : « Continuer à allier football et vie professionnelle »
5 matches officiels pour nos Lilloises en septembre et en octobre, et c’est tout : la gestion de la situation sanitaire aura de nouveau eu raison des espoirs de montée de l’équipe première de la section féminine. Après une saison 2019/2020 terminée alors que les filles arrivaient en trombe sur Saint-Etienne et Le Havre, le championnat est cette fois arrêté très précocement alors que les Lilloises se classaient 5e, mais avec un match en moins et potentiellement premières. Pendant de nombreux mois, l’espoir d’une reprise a été maintenu ; l’annonce de la reprise a même été annoncée en février avant qu’elle ne soit finalement annulée. Pour beaucoup, ces tergiversations révèlent le manque d’ambition de la FFF à l’égard du football féminin, d’autant que les raisons avancées pour justifier l’arrêt n’ont pas paru très convaincantes, puisque des divisions inférieures de football chez les hommes, ou d’autres sports chez les femmes, ont été autorisés à reprendre, certes dans des conditions strictes, mais au moins sportifs et sportives ont pu maintenir leurs compétitions. Patrick Robert, président de LOSC-Association, a plusieurs fois souligné ironiquement dans la presse qu’il ne comprenait pas que les joueuses de deuxième division soient plus sensibles au virus que le reste de la population, et cela résume bien une situation dans laquelle la FFF semble se contenter que la part la plus visible du football féminin (l’équipe de France et Lyon et Paris en ligue des Champions) fonctionne à peu près, sans s’intéresser à ce qui l’alimente, à commencer par les autres divisions.
Hormis les 4 comptes-rendus du début d’année, pas de compétition à relater pour nous donc, mais la section féminine est bien sûr restée active.
Nous proposons ici d’en voir un aperçu, à travers un entretien avec Agathe Ollivier, arrière latérale gauche arrivée chez les Dogues en 2019, en provenance de Saint-Malo.
Outre le fait qu’on aime beaucoup la joueuse, nous souhaitions particulièrement mettre en exergue les nombreuses facettes de la vie de « footballeuse » aujourd’hui. En effet, l’économie du football féminin est telle que les joueuses ne sont que très rarement (à part dans les plus gros clubs de D1) « que » des footballeuses, du point de vue du statut professionnel.
Agathe Ollivier est une de ces footballeuse-travailleuse-étudiante, et est loin d’être dans une situation isolée : arrière gauche du LOSC, elle est aussi étudiante en Master 2 STAPS-Mention Management du Sport et travaille au sein du Pôle Communication du LOSC Association. La rencontre a donc été l’occasion de comprendre comment concilier de front plusieurs objectifs (ou plusieurs incertitudes si on est pessimiste), et d’ainsi évoquer ce qui est presque la norme dans le milieu. Nous sommes également revenus sur le parcours d’Agathe, débuté en Bretagne, et sur les événements qui scandent sa trajectoire : faire sa place dans un milieu masculin, quitter précocement le foyer familial, investir le foot et la scolarité. En raison des deux saisons particulières qu’on vient de vivre, nous nous sommes particulièrement arrêtés sur la manière dont le club a réagi, en tentant de garder ses joueuses connectées en cas de reprise. Comme évoqué en début de présentation, les derniers mois ont généré beaucoup de frustration et de colère chez les joueuses, notamment créées par les atermoiements de la fédération, dont Agathe pointe le décalage entre les ambitions affichées pour le football féminin et les réalisations, insuffisantes. Une parole qu’on croit avoir beaucoup entendu ces derniers temps, mais qui n’a été que peu écoutée…
Agathe, comment en es-tu venue au football ?
Au début, je jouais beaucoup avec mon frère au foot, car lui-même le pratiquait. Mais je ne voulais pas me lancer en club car j’avais peur d’avoir des bleus ! Alors je me suis mise au patinage artistique, mais du coup c’était pire (rires) ! Alors après un an de patinage, j’ai finalement commencé le foot à 8 ans dans le club de ma commune, à Bréhand, dans les Côtes d’Armor. Ce qui m’attirait, c’est l’esprit de compétition, dans un sport d’équipe. J’ai évolué avec les gars jusqu’à mes 15 ans, parce qu’après on n’a plus le droit de jouer en mixité.
Quand tu as commencé, as-tu entendu le discours selon lequel le foot serait un « sport de garçons » ?
Oui, bien sûr ! Et de fait, j’étais la seule fille de mon équipe. À partir de là, on peut se demander si les filles sont des pratiquantes légitimes. J’entendais des remarques « oh, il y a une fille dans l’équipe », et donc je sentais qu’il était surprenant d’avoir une fille dans son équipe, et qu’on me regardait différemment. Mais je me suis vite intégrée, les gars étaient cools avec moi, d’autant que c’étaient aussi mes potes de l’école. Et au fur et à mesure, on se fait notre propre place : on a quand même des qualités ! Au sein de mon équipe, j’ai toujours été acceptée, j’étais même un peu la chouchoute, et j’étais la capitaine. Je le dis avec humilité : je pense que j’étais capitaine parce que je le méritais, et pas parce que j’étais une fille. Je jouais dans un petit club d’une ville de 1500 habitants donc forcément on jouait à un petit niveau. Si j’avais été dans un club qui joue en régionale, peut-être que les choses auraient été différentes mais, dans mon équipe ça s’est très bien passé. Et les adversaires me connaissaient tous, parce qu’on joue contre les mêmes. Au final, j’étais celle qu’ils redoutaient le plus !
Et du côté de ton entourage, de ta famille, comment a été perçu le fait que tu te lances dans le football ?
Je sais que beaucoup de filles ont connu les réticences de leurs parents, qui ont mis du temps à inscrire leur fille dans un club de foot. Mais de mon côté, ça n’a pas été le cas ! Ça correspondait à mes envies : je regardais déjà beaucoup le foot à la télé, tout ce qu’il y avait autour. Ma mère, mes frères, les gens de ma famille étaient à fond derrière moi : c’étaient mes premiers supporters.
Est-ce que tu as eu des modèles de footballeurs ou de footballeuses ?
J’aimais beaucoup Eugénie Le Sommer, car elle est bretonne. Et du coup, elle est passée par la section sportive par laquelle je suis également passée ensuite, à Vannes, et donc je me suis identifiée à elle, d’autant plus que j’ai commencé attaquante aussi. Elle m’inspirait beaucoup. Au niveau des gars, je n’avais pas spécialement de référence, tout en étant supportrice de Guingamp.
Puisque tu me parles de la section sportive, parlons de ta scolarité, parallèlement au foot : comment tu jongles entre les deux, et à quel moment tu sens que le foot prend une grande importance ?
À 13 ans, je suis partie en section sportive, à Vannes, pendant 2 ans, donc les années de 4e et de 3e. Au début ça a été compliqué… À cet âge-là, c’est dur de quitter le foyer familial. Quand je revenais à la maison, je n’avais plus envie d’en repartir. Mais l’internat permet aussi de nouer rapidement des liens, et je me suis vite senti bien avec mes copines.
À cette période-là, je jouais encore avec des garçons, en mixité, et je considérais que le football n’était qu’un loisir. Mais en intégrant la section sportive, on se retrouve dans les mains de coachs qui sont aussi coachs aussi de l’équipe de France féminine. Je pense à Françoise Le Hazif qui nous a inculqué des valeurs autour du sport de haut niveau. Ça veut dire qu’on avait tout de même beaucoup de pression, déjà à 14 ans, et c’est à partir de là que j’ai compris que le foot n’allait plus être qu’un loisir.
À l’issue de ces deux ans en section sportive à Vannes, tu as 15 ans, et donc c’est la fin de la mixité footballistique. Comment tu vis le passage de la mixité à un football avec uniquement des jeunes femmes ?
Comme je le disais précédemment, avec les gars, je ne jouais pas à un niveau très haut. Je n’ai donc pas connu l’expérience de certaines filles qui, quand la mixité s’arrête, ont l’impression de jouer à un niveau moindre. Alors c’est vrai qu’il y avait des différences entre filles et garçons, surtout physiques : ça allait forcément moins vite chez les filles. Mais à l’inverse, en termes techniques, j’ai trouvé que le niveau était supérieur chez les filles que dans l’équipe dans laquelle je jouais. À 15 ans, je rejoins Guingamp, et je suis accompagnée de quelques filles que j’avais connues à la section sportive de Vannes. Je retrouvais donc des copines, et j’étais contente de jouer avec les filles. Et pour ce qui concerne la scolarité, lors de mon cursus lycéen, j’étais au Pôle Espoir de Rennes. Donc durant 3 ans, j’ai été lycéenne au Pôle Espoirs de Rennes et parallèlement joueuse en U19 à Guingamp. Après mon bac en 2016, j’ai alterné entre U19 et D1 (2016/2017), puis la saison suivante (2017/2018), j’étais complètement en D1. Mais je n’avais pas beaucoup de temps de jeu. J’avais envie de progresser, et le meilleur moyen d’y parvenir, c’était de jouer. J’ai alors rejoint Saint-Malo, qui était en D2, en 2018, et qui jouait les premières places. C’était un beau projet, dans un club amateur, donc avec un fonctionnement un peu différent qu’ici. On s’est classées 2e.
« J’aime apporter offensivement »
Sur ton poste, tu as un peu anticipé : j’allais te demander comment on devient arrière gauche, mais tu me dis que tu as été attaquante au début, alors comment ça a évolué ?
Avec les gars, j’étais attaquante en 9, ou milieu gauche, ou milieu droit. Jusqu’à mon arrivée à Guingamp, car j’étais sélectionnée en équipe de France et, à ce moment-là, il y avait beaucoup de concurrence en attaque. Alors ma coach du Pôle, qui était aussi coach des sélections U16, m’a repositionnée à un poste arrière gauche en sélection, et c’est vrai que j’avais été plutôt performante. En revanche, en club, à Guingamp, on ne voulait pas me faire jouer à ce poste car on considérait que j’étais plus performante plus haut. Donc c’était un peu compliqué parce que dès que j’allais en sélection, j’avais un peu perdu mes repères !
Est-ce que ça pose problème entre les entraîneurs, où l’un tente de former une attaquante, et l’autre une arrière ?
Non, ça ne posait pas problème parce que les sélections, c’était une fois par mois, ou une fois tous les deux mois. Au pôle, où j’étais la plupart du temps, je m’entraînais en tant que milieu gauche ou attaquante, mais finalement l’évolution récente des postes me fait dire que les qualités demandées sont assez similaires. Aujourd’hui, un poste d’arrière latérale équivaut presque à poste de milieu d’auparavant : on fait des allers/retours et on déborde. Donc il n’y avait pas tellement de contradictions dans la formation entre ces deux postes. C’est à Saint-Malo que je me suis fixée en tant qu’arrière latérale gauche.
Et alors précisément, quelles sont pour toi les qualités d’une bonne arrière gauche ?
Avant tout, bien défendre. Et le plus, c’est d’apporter offensivement, de combiner avec sa milieu gauche, de provoquer, de centrer. Aujourd’hui, ce sont davantage les latéraux que les milieux qui font les passes décisives. J’aime apporter offensivement. Et il s’agit d’être intelligente dans le jeu, c’est à dire bien se placer et anticiper les pertes de balle.
« Progressivement, j’ai vu que les filles
avaient une place dans le foot »
Toi qui as aussi une vie universitaire, tu connais sans doute le débat épistémologique pour savoir s’il faut parler de football « féminin » ou de football « tout court », l’idée étant qu’en ajoutant le qualificatif « féminin », on laisse entendre que c’est une arène masculine dont les filles ne seraient qu’une déclinaison. Est-ce que selon toi, indépendamment des moyens, il y a une spécificité du football féminin, au niveau du jeu ?
Il y a des différences physiques, athlétiques, mais c’est le corps qui veut ça : on n’a pas les mêmes aptitudes que les garçons. Mais au niveau technique, au niveau tactique, ou au niveau de l’intelligence de jeu comme je le disais tout à l’heure, on a les mêmes capacités que les gars, donc sur ces plans, certaines sont plus douées que les garçons. Certains parlent du fait qu’il y aurait moins de simulation chez les filles, mais je ne sais pas… Comme on ne voit pas le foot féminin à la télé, forcément on ne voit pas les simulations ! Mais y a autant de filles vicieuses que de gars vicieux !
Peut-être que l’état d’esprit est différent dans la mesure où il y a moins de business chez nous. Mais on est toutes compétitrices comment peuvent l’être les gars ! Peut-être que les filles ont plus de facilités à parler entre elles sur leur vie privée. Je pense aussi que c’est différent en termes de management, parce qu’y a plein de critères à prendre en compte. Peut-être qu’on est un peu plus sensibles que les gars. C’est un point pour les coaches à prendre en compte.
Puisque vous êtes en mixité jusque 15 ans et que les filles sont peu médiatisées, est-ce que tu as eu tendance à t’identifier à des garçons ?
À l’adolescence, j’étais assez « garçon manqué », je me disais : dans le milieu du foot, peut-être que pour se faire accepter, il faut ressembler à un gars. Je me suis même coiffée « garçonne » à une époque mais je ne saurais pas vraiment te dire pourquoi. Je m’habillais aussi un peu comme un gars. Je me sentais peut-être mieux comme ça. Après j’ai changé, j’ai plus aimé ma façon de m’habiller là, comme ça, mais ouais je me sentais comme un petit gars (rires) !
Finalement, quand j’ai intégré la section sportive, j’ai vu qu’il y avait des filles qui faisaient du foot, et qui avaient un très bon niveau ! Moi quand j’ai commencé, je ne savais même pas qu’il y avait une équipe de France féminine ! C’est progressivement que j’ai vu que les filles avaient une place dans le foot.
Sur la pelouse du stade Bollaert, où les Lilloises ont écrasé leurs adversaires 2-1 en novembre 2019
« Forcément, on anticipe une autre carrière »
Revenons sur tes études. En 2016, tu es bachelière : quelles études as-tu faites ensuite ?
Je suis partie en STAPS, pendant 3 ans. Je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire après le bac, et je savais que les filles qui étaient au Pôle et joueuses à Guingamp étaient toutes en STAPS car c’était le moyen facile d’allier le foot et les études. J’ai donc choisi un peu par défaut, mais au final ça m’a vraiment plu, donc j’ai poursuivi avec option management du sport. La première année, j’étais à Saint-Brieuc, (c’est là où on s’entraînait avec Guingamp), et les deux années d’après, je faisais les allers/retours à Rennes, donc une heure de route aller, une heure de route retour… Avec les entraînements le matin, je ratais beaucoup de cours, donc c’était difficile et fatigant de gérer. Heureusement, j’ai eu la chance d’avoir de bons camarades de fac avec moi qui m’envoyaient les cours que je manquais.
Et en fac il n’est pas possible d’avoir des horaires aménagés en tant que sportive de haut niveau…
Non. Au Pôle, tout était mis en œuvre pour qu’on fasse le foot et les études. On avait cours de 8h jusque 16h, puis entraînement 16h-18h, et après on avait des temps d’étude pour faire nos cours. Mais en fac, si tu viens c’est bien, si tu viens pas tant pis ! Finalement j’ai toujours eu moins de temps que les autres étudiants et élèves « normaux ». Il faut s’adapter et trouver un rythme.
Dans quelle mesure, sachant le côté incertain d’une carrière de footballeuse, tu anticipes une autre carrière ? Est-ce que c’est quelque chose que tu as eu en tête tout de suite, ou que tu n’as pas anticipé ?
J’ai toujours eu conscience que l’argent dans le foot féminin est moins important que dans celui des gars, donc forcément, on anticipe. Ma mère m’a toujours encouragé à continuer mes études. Au début, je prenais ça comme une contrainte car je ne suis pas une première de classe. Les études, j’étais pas à fond dedans, j’étais assez dilettante. Après, au fur et à mesure, j’ai grandi, j’ai compris que c’était important, probablement à partir de ma 2e année de STAPS.
Imaginons qu’aujourd’hui tu rencontres un ou une inconnu.e : tu te présentes comme étudiante, footballeuse… ?
Ce qui est certain, c’est que je suis identifiée comme footballeuse. Quand on me voit c’est « alors, le foot… ? ». Et pour le moment, j’ai plutôt tendance à me présenter premièrement comme footballeuse. Après forcément, quand on me demande « et tu fais que du foot ? », je dis que je suis étudiante, que je travaille un petit peu au LOSC. Parfois, j’aimerais être perçue autrement que comme « la footballeuse ». Un jour, ça arrivera. Alors quand j’arrêterai le foot, comment les gens m’identifieront…?
Depuis que tu es arrivée ici à Lille, en 2019, tu as travaillé au service communication, avec Frédéric Coudrais. Qu’y fais-tu ? On voit parfois des articles signés de ton nom sur le site du LOSC…
J’ai un contrat GEIQPSALavec le LOSC, et ça me fait aussi office de stage pour mon master. Je m’occupe des contenus vidéos, je fais des interviews, des articles, des visuels pour la section féminine, les newsletters internes au club, et des missions avec les partenaires. Cette année, avec le COVID, tout cela a été plus difficile à mettre en œuvre.
C’est une demande que tu as négociée en amont de ton arrivée au LOSC ?
J’avais fait part que j’étais étudiante, que j’aimais le secteur de la communication, et donc ça s’est fait naturellement. Le contrat GEIQPSAL était une belle opportunité au regard de ma situation d’étudiante. Ça me permet de concilier le côté sportif et le côté professionnel. Ce que ne proposent pas tous les clubs !
Et alors cette année, avec un mémoire de Master 2 en plus à faire, ça ressemblait à quoi une journée d’Agathe Ollivier ?
Je fais mon master en alternance : j’ai 3 semaines à faire en entreprise, et une semaine de cours. La première année de master, j’assistais au cours, et cette année c’était en visio. Donc toute la journée, avec des horaires variables, mais encore une fois je rate des cours pour aller à l’entraînement. Et quand je suis en stage ici, on travaille de la même façon, toute la journée, puis entraînement, et après l’entraînement j’essaie de travailler un peu mon mémoire, comme l’an dernier. C’est très prenant. Sans compter les partiels… Donc les journées sont assez intensives.
Tes mémoires portaient sur quels sujets ?
Le premier mémoire portait sur les effets de la coupe du monde 2019, dans les clubs, sur l’intérêt porté par les médias. En résumé, on peut dire qu’il y a eu des effets immédiats en termes d’intérêt et de curiosité, mais qui ne se sont pas pérennisés. Bref, contrairement à ce qu’on peut croire, ça n’a pas été une rupture totale, ça n’a pas révolutionné les choses.
Et cette année, le mémoire porte sur l’usage des réseaux sociaux dans le sport de haut niveau. Sur une base de 275 réponses de sportifs de haut niveau et d’interviews d’agents d’image, j’ai exposé que les usages des réseaux sociaux variaient entre hommes et femmes, selon les niveaux, entre les sports… Il y a beaucoup de divergences entre divers types d’usager.es.
Photo Marc Van Ceunebroeck/LOSC
Et alors là, très concrètement, tu es footballeuse, tu es bac + 5, comment tu te construis ton horizon ?
Je suis encore focus sur le foot. Je me dis que j’ai encore le temps d’allier le foot et le professionnel, comme je le fais au LOSC. Mon objectif, c’est vraiment d’être joueuse et de travailler dans le club dans lequel j’évolue, car j’aimerais être Community Manager d’un club, ou agent d’image pour les sportifs. Donc je pense que je peux continuer à allier le foot et la vie professionnelle.
« On avait toutes les armes pour monter… »
Quels sont tes sentiments sur ces deux saisons depuis ton arrivée à Lille ? La première saison a été interrompue alors que l’équipe pouvait encore espérer monter…
C’est frustrant de se dire que l’année dernière, on aurait pu aussi monter, puisqu’il nous restait 5 ou 6 matches, dont ceux contre nos concurrentes directes. On parle beaucoup de Saint-Etienne qui a été un peu victime de cette histoire1, mais c’est aussi notre cas. Sur cette première année, sur le plan individuel, j’ai senti une grosse progression, avec Rachel [Saïdi] qui nous aide à devenir des joueuses intelligentes comme je le disais tout à l’heure. Je pense que c’est là-dessus que j’ai le plus progressé, sur la lecture du jeu notamment.
Lors du premier confinement à partir de mars 2020, tu es repartie en Bretagne. Est-ce que tu peux revenir sur la manière dont tu t’es occupée ?
On a continué de s’entretenir physiquement parce qu’on ne savait pas si ça allait reprendre ou non. On avait donc un programmes avec des séances vidéos préparées par Hicham, qui est préparateur physique au club. On a eu ces séances jusqu’à juin. Régulièrement, le club a publié des petites pastilles vidéos sur twitter pour montrer comment on s’entretenait. Puis un mois de vacances complet. Et en effet, je suis retournée en Bretagne en mars, et c’était la première fois que je passais autant de temps avec ma famille. Pour beaucoup, ce confinement a été compliqué, mais pour ma part j’étais vraiment contente de retrouver ma famille.
Que dire sur la saison écoulée ?
C’était compliqué. On avait toutes les armes pour monter, on avait un bel effectif, on avait bien débuté la saison. Mais on ne peut pas, avec 5 matches, se dire qu’on peut monter en D1.
On a toujours travaillé tactiquement et physiquement, donc je pense avoir progressé malgré tout mais, quand il n’y a pas de compétition, on progresse moins vite. On a toujours eu espoir que la compétition reprenne, ce qui nous a permis de rester connectées.
Comment vous maintenir en éveil et concernées malgré le manque de compétition ?
Le staff a mis en place un système pour qu’on garde l’esprit de compétition. Aux entraînements, chaque mois, la « joueuse de l’entraînement » était élue. À chaque petit jeu, il y avait une compétition entre nous et un système de points, donc ça nous permettait de rester connectées et compétitrices… et même parfois trop compétitrices, parce qu’on n’était plus coéquipières, on était adversaires (rires) ! Ça a permis quand même d’être connectées.
Sur le plan individuel, on est des sportives de haut niveau et on a envie de progresser, donc ce n’est pas parce qu’il n’y a plus de compétition qu’on veut tout arrêter. L’absence de compétition a aussi été un moyen de travailler sur des aspects qu’on ne peut pas travailler en semaine de match, où là on va travailler tactiquement. Par exemple, on a fait beaucoup de travail au poste. L’idée est de travailler sur des points individuels, sur les difficultés de chacune. J’ai trouvé ça intéressant. Je pense qu’il y a des clubs pour qui ça devait être long, parce que le staff n’y croyait plus, alors que nous ce n’était vraiment pas le cas.
Sur le compte twitter du LOSC Féminines, le 5 février : le classement des « joueuses les plus influentes à l’entraînement »
« On aimerait avoir la reconnaissance de notre fédération »
Sur cette année, tu dis que vous avez gardé l’espoir, mais finalement ça a soufflé le chaud et le froid toute l’année, avec des périodes d’espoir de reprise, mais à d’autres moments de désespoir !
C’est ça. Franchement, on a toujours gardé espoir donc c’est un point positif. Si on nous avait dit directement qu’on n’allait pas reprendre, je pense que ça aurait été compliqué de nous garder connectées pour le staff. Rachel a entretenu l’espoir chez nous, elle nous disait « on va reprendre, on va reprendre ! », et on était motivées. Mais on a souvent été dans l’attente, suspendues à des décisions qui n’arrivaient pas. Par comparaison avec les gars, on a l’impression d’être rien. Il y a eu une coupe du monde en France il y a deux ans, mais derrière la vitrine on se rend compte que notre place… elle est nulle part quoi. Et ça fait reculer le foot féminin, parce que si la D2 produit des joueuses pour la D1, nous on stagne. Aujourd’hui, les clubs s’intéressent moins à nous parce qu’on ne joue pas. Donc je suis venue ici pour jouer, je suis à 5 heures de chez moi, et finalement je ne joue même pas.
À la suite des décision de la fédération (arrêt de la D2 et possibilité du passage d’un D1 à 10 clubs) il y a eu beaucoup de réactions dans les médias : Patrick Robert ici, Eugénie Le Sommer… ça rejoint sans doute ton mémoire de l’an dernier sur la place, la considération du football féminin. De manière générale, tu as l’impression que ça reste une préoccupation marginale ?
Oui. Je remarque qu’on n’a pas eu du tout de soutien quand la D2 était à l’arrêt. En revanche, quand il a été question d’une D1 à 10 clubs, là oui, il y a eu beaucoup de réactions, comme tu le disais, de Le Sommer, de Hegerberg… Très bien, mais on aurait aimé entendre les joueuses de D1 quand nous on était à l’arrêt. Quant à la place des femmes, la fédération dit vouloir promouvoir le football féminin, mais on ne nous a pas prêté attention : on était presque toujours le dernier point abordé en Comex2, et même parfois on n’avait pas le temps d’y parler de foot féminin ! Alors je me demande si l’ambition est vraiment de développer le football féminin. Quand on voit que, chez les garçons, le National joue, que la Ligue 2 joue, et que nous, qui sommes le deuxième niveau de foot féminin, on ne joue pas… Avant de penser à avoir des supporters dans nos tribunes, on aimerait déjà avoir la reconnaissance de notre fédération. Et c’est d’autant plus frustrant qu’on voit que des clubs misent aujourd’hui sur le football féminin. Si Lyon perd sa domination, c’est parce qu’il y a Paris, Bordeaux… Au niveau des clubs, il y a beaucoup d’intérêt pour les filles, comme à Lille. Ça veut malgré tout dire que la place de la femme a évolué. Reste à se donner les moyens de ses ambitions.
Est-ce ce manque de soutien institutionnel t’a fait réfléchir sur l’opportunité de poursuivre en D2, au cas où la situation sanitaire entraînerait les mêmes conséquences ?
Oui, je me suis posé la question, car au final seule la D1 est reconnue. Après ça ne tient pas qu’à moi. Mais c’est embêtant de se dire que la D2 représente si peu aux yeux de la fédération.
Merci de nous avoir accordé un peu de temps. On souhaite terminer en te montrant la vidéo d’un but que tu as marqué quand tu jouais à Guingamp.
On dirait le but de Basile Boli contre le PSG en 1993 !
Oui, on m’a beaucoup fait la comparaison !
Quand est-ce que tu nous fait ça ici ?
(rires) Bonne question ! Il faudrait déjà que je me retrouve attaquante ! Sur ce match, je devais être milieu, mais on combinait beaucoup avec les autres attaquantes. On pourrait croire en voyant ça que j’ai déjà marqué 50 buts dans l’année, mais non, c’était mon premier but en D1 ! Franchement, même moi je n’ai pas compris comment j’ai fait ! Et pas contre n’importe quelle équipe, car c’était contre Juvisy, c’était un gros match. J’avais été classée parmi les plus beaux buts de la saison de D1. J’ai été surprise parce que je suis pas du tout une joueuse de tête, je ne monte pas sur les corners. C’était de la détermination ! Bon, j’aimerais bien le refaire ici…
Merci à Agathe Ollivier et à Frédéric Coudrais pour leur disponibilité.
Notes :
1 L’an dernier, la saison de la D2 s’est arrêtée avec Le Havre en tête (40 points), suivi de Saint-Etienne (37 points), mais qui comptait un match en moins. La FFF a alors calculé le nombre de points pris par match, ce qui donne : Le Havre 2,5 et Saint-Etienne 2,47. Mais la logique mathématique indique qu’avec ce mode de calcul, Le Havre est avantagé (car le rapport entre le nombre de points et le nombre de matches joués ne se fait pas sur la même base pour les deux clubs, et en gros il y a un avantage pour ceux qui ont plus de matches). Bref, c’est compliqué mais retenez que c’est injuste. Le recours de Saint-Etienne n’a pas été entendu.
2 Comex : COMité EXécutif de la FFF, qui se réunit une à deux fois par mois, et qui « dirige, gère, administre, supervise l’ensemble des activités de la Fédération Française de Football et du football français » selon le site de la Fédé.
Laisser un commentaire
Vous pouvez vous exprimer.
0 commentaire
Nous aimerions connaître la vôtre!