Posté le 17 septembre 2021 - par dbclosc
Lens/Lille 1946 : le LOSC se prend une remontada
En ouverture de la saison 1946/1947, Lens et Lille s’affrontent au stade Bollaert. Le LOSC semble partir sur des bases similaires à celles qui l’ont mené à son premier doublé coupe/championnat au printemps : il reste 10 minutes et les Dogues mènent 3-0. Et pourtant, ils ne repartiront de Lens qu’avec un point.
On ne change pas une équipe qui gagne, mais tout de même : après avoir brillamment remporté la coupe puis le championnat au printemps 1946, le LOSC change tout d’abord d’entraîneur. George Berry, qui avait eu quelques frictions avec son président Henno lors d’un match à Rennes (le président se mêlait de la composition de l’équipe) a négocié son départ vers Courtrai, sans avoir pris part aux festivités du doublé. Pour le remplacer, le président ne va pas chercher bien loin : il trouve à Marcq-en-Baroeul un ancien de l’Iris Club Lillois, de l’Olympique Lillois et du Sporting Club de Fives : André Cheuva.
Également, changement majeur en attaque avec le départ de René Bihel, le meilleur buteur des Dogues lors des deux dernières saisons. Souhaitant rejoindre son frère André au Havre (et quelque peu ombragé par l’éclosion de Jean Baratte), il est transféré pour la somme de 2,1 millions de francs, un montant considérable pour l’époque. Pour le remplacer, le LOSC fait confiance au meilleur buteur de la D2 avec 28 buts en 1945/1946 : Guy Campiglia, arrivant d’Angers pour 1 MF. Selon la Voix des Sports, « Campi » (c’est son surnom) se distingue par « sa puissance de shot particulière (…) Il se distingue par un football qui tient un peu de l’acrobatie. Ses interventions sont toujours opportunes. Bien servi, il est capable de tout. Son seul défaut : attendre trop la balle et ne décider que bien difficilement à l’aller chercher » (1er juillet 1946).
Dans les buts, Georges Hatz rejoint Rennes ; il est remplacé par Robert Germain, le gardien du Red Star (qui en a pris 4 en finale contre Lille en mai, bienvenue). Enfin, Henri Tessier rejoint Metz.
Lens et Lille se retrouvent donc 6 mois après leur dernière confrontation, mémorable : le 17 février, pour ce match au sommet de la 22e journée de championnat, une partie du toit d’une tribune du stade Henri-Jooris s’est effondrée à la 19e minute du match, qui s’est poursuivi pendant que les blessés étaient soignés à-même la touche. Le LOSC s’est imposé 3-1, malgré les réserves posées par Lens. On connaît la suite : Lens, ni personne, n’a jamais rattrapé le LOSC.
Nous voici en août ; or, traditionnellement, le championnat reprenait plutôt en septembre. Dans la presse, on s’interroge sur les risques de jouer au football à une période où pourraient se manifester de grosses chaleurs. L’inquiétude est vite levée, non pas parce que la question n’est pas légitime, mais tout simplement parce qu’il fait assez frais sur la France lors de ce week-end des 17 et 18 août 1946. Après le match Lens/Lille, un éditorial de la Voix des Sports revient sur cette préoccupation, remise à l’année suivante :
« On avait dit :
« Le football en août, quelle hérésie ! Le championnat par un mois caniculaire, quelle folie ! Non, vraiment, ils sont « cinglés ». Ces gens là n’ont plus le sens commun ».
Que n’avait-on ajouté ? Rien que des mots déplaisants à l’égard de ces « piques ». Et le 18 août, date de l’ouverture officielle de la saison, approchait.
C’est arrivé ce dimanche.
Je m’étais promis, au risque d’être rangé dans la catégorie des sus-indiqués, d’assister aux premières évolutions des équipes. Je n’étais pas seul. Que de monde ! Quelle foule !
Je me suis faufilé parmi la cohue des sportifs. Vous le dirai-je ? J’ai vainement cherché, émergeant, un canotier ou un panama. Je n’ai vu personne en bras de chemise. Nul n’avait envie de « tomber la veste ». On boutonnait imperméables et gabardines. On se serrait frileusement contre son voisin.
Les joueurs qui venaient de pénétrer sur le terrain, sautillaient en se frottant vigoureusement les paumes pour se réchauffer. Non, il n’était plus question de torrents de sueur, d’insolation, de coups de bambou.
Où était-il l’astre flamboyant, ce soleil d’août qui devait liquéfier acteurs et spectateurs ?
Allons, il faudra bien qu’on en convienne : on peut jouer au football en toutes saisons. Et puis, vous l’avez bien entendu dire vous aussi : il n’y a plus de saisons ».
(La Voix des Sports, 19 août)
Vandooren au stade Jules-Lemaire en octobre 1946 (Sports-Eclair, 28 octobre 1946)
Quel visage présenteront les deux équipes pour cette nouvelle saison ? Pour l’hebdomadaire nordiste Sports-Eclair, il est tout à fait inutile de tirer des enseignements des matches amicaux et des opérations de transferts de l’été : « le Stade Français a battu X… Metz et Y ont fait match nul ! La belle affaire ! Qu’est-ce que cela prouve ? En football, les considérations les mieux étayées, les possibilités les plus étudiées, la logique, en un mot, se révèlent le plus souvent inexactes. Qui est écrasé aujourd’hui triomphera demain. Certes, ce n’est pas non plus une règle (…) Nous nous garderons bien aujourd’hui d’émettre le pronostic le plus timide. C’est vers l’inconnu que vont se lancer les vingt clubs de première division. Si certains ont réduit au minimum leurs opérations de transfert, d’autres ont fait ample moisson de vedettes. Quel sera le rendement de ces assemblages parfois hétéroclites ? » (Sports-Eclair, 17 août).
Après cet exposé théorique sur l’inutilité des pronostics, Sports-Eclair y va de ses pronostics, voyant un LOSC favori car il « n’a modifié qu’imperceptiblement l’équipe qui lui valut coupe et championnat », tandis que les Lensois ont rajeuni leur équipe avec des amateurs, si bien que, contrairement à l’an passé, ils ne pourront probablement pas prétendre au titre : « les Lensois ont transformé leur ligne d’attaque. C’est maintenant sur un quintette jeune, agressif, que peuvent compter les « mineurs ». On dit le plus grand bien de la nouvelle formation des « gueules noires », mais il faudra néanmoins attendre de la voir à l’oeuvre pour porter un jugement. Sans vouloir critiquer les méthodes lensoises, il est pourtant permis de douter de sa valeur. Une incorporation massive de jeunes amateurs peut valoir de nombreux mécomptes ». Dès lors, « la logique voudrait que la formation lilloise, en raison de son homogénéité plus grande, s’assurât un premier succès, mais Campiglia reste le X. Et il est douteux qu’il parvienne d’emblée, malgré la valeur de ses partenaires, à faire oublier Bihel ».
Voici les compositions des deux équipes :
Racing Club de Lens :
Mielczareck ; Gouillard, Melul ; Ourdouillie, Dramez, Chopin ; Mankowski Marek, Stanis, Troisième, Gauthier.
Lille Olympique Sporting Club :
Germain ; Jadrejak ; Sommerlinck ; Bourbotte, Prévost, Carré ; Vandooren, Baratte, Campiglia, Tempowski, Lechantre
Le Lensois Anton Marek en novembre 1946, avec Auguste Lecoeur, maire de Lens et sous-secrétaire d’Etat à la production industrielle (Sports-Eclair, 12 novembre 1946)
Dans les tribunes, la Voix des Sports note une « foule considérable » dans le « coquet stade Félix Bollaert », estimée à 12 000 personnes. Du côté de L’Équipe, on table même sur 13 700 spectateurs, dont 3 000 supporters lillois.
Sur un terrain en bon état, rendu glissant à cause de la pluie matinale, le coup d’envoi est donné par M. Delsalle à 15h.
D’entrée, les Dogues semblent imposer leur supériorité, avec des percées de Campiglia et de Vandooren dans une défense lensoise « assez nerveuse » (VDS, 19 août). Lens réagit toutefois avec une frappe de Stanis, au-dessus. Mais la tendance est claire : « les Lillois, plus rapides, sont aussi meilleurs constructeurs » et, à la 14e minute, après une attaque de Tempowski, « la défense lensoise s’affole et Baratte, surgissant, marque le premier but du match ». Les Lensois, pas découragés, tentent de réagir, mais Stanis et Troisième sont maladroits. Au contraire, « l’attaque lilloise est en verve » : à gauche, d’un retourné, Campiglia sert Tempowski qui s’y reprend à deux fois pour tromper Mielczareck (0-2, 22e). L’avantage est clair : Lille brille par « l’habileté de ses attaquants, mieux inspirés, plus précis dans leurs shots et plus astucieux dans leurs déplacements » alors que Lens gâche trop, notamment par Troisième qui, seul, place dans les gants de Germain. À la pause, le LOSC mène 2-0.
Prise de balle du gardien lillois Germain, tandis que Prévost et Stanis sont à la lutte (Photo La Voix des Sports)
En seconde période, même configuration : c’est plutôt équilibré dans le jeu, mais les attaques font la différence. Tandis que Lens ne profite pas d’une succession de corners, Lille, très réaliste, marque un troisième but : une mauvaise relance de Dramez est interceptée par Baratte, qui dribble facilement le gardien adverse et conclut (0-3, 57e).
Lens intervertit alors des joueurs, notamment Dramez, fautif sur le troisième but, qui échange avec Gouillard. Mais, dans un premier temps, cela ne change pas la physionomie du match, et c’est même Campiglia qui, vers la 70e, manque le 0-4 à cause d’une belle parade de Mielczareck. Les Lensois semblent résignés et on s’achemine vers une tranquille victoire des Lillois : « les joueurs lillois opèrent avec sûreté et leurs passent précises déconcertent les Lensois fatigués » note la Voix des Sports.
« Le marquage serré était abandonné. En arrière, Gouillard permutait avec Dramez, en avant Stanis cédait son poste au jeune Manko et passait à l’aile droite. Des bas tombaient le long des mollets sur les souliers et n’étaient pas relevés. Les avants lillois amenaient dans de bonnes conditions le ballon devant les buts lensois ; Campiglia et Vandooren se trouvaient tour à tour absolument seuls devant le gardien Mielzareck, désemparé. Bref, le match était joué et tournait en agréable leçon de football dans un stade. Du moins, le croyait-on. La défense lilloise allait nous détromper ».
Gabriel Hanot dans L’Équipe, 19 août
A posteriori, Gabriel Hanot souligne la « surprenante faiblesse de Sommerlinck, Jadrejak et Carré » car après 50 minutes, Lens mène par 4 corners à 1, « ce qui prouve la maladresse des interventions et dégagements des défenseurs lillois » (une stat qui nous semble assez peu pertinente aujourd’hui, mais qui a l’air d’avoir une grande importance). En revanche, on loue Jean-Marie Prévost « froid et intraitable comme le Roland sauveur du petit roi de Galice »… jusqu’à ce que « Prévost le dominateur de mêlée, Prévost le briseur d’attaques et le pourvoyeur d’offensives, manqua une interception, perdit pied et équilibre, et le néo Lensois Troisième qui, comme son nom l’indique, n’est pas un joueur de première grandeur, marqua un premier but pour sauver l’honneur » (1-3, 81e). Une minute plus tard, Troisième dribble dans la défense lilloise et sert Mankowski qui marque de nouveau pour Lens (2-3, 82e). Et à la 88e minute :
« La partie devient passionnante. Bourbotte et Carré font face à l’orage qui secoue leur équipe fatiguée. Et c’est dans un tonnerre d’acclamations que les Lensois, littéralement déchaînés, égalisent sur un shot puissant de Stanis » (La Voix des Sports, 19 août) ; « La débandade s’était emparée du camp lillois », « Lille terminait groggy, voyant anéantis les efforts d’une attaque qui n’a pas paru inférieure à celle de la dernière saison, et qui souffrira peut-être à nouveau de la friabilité de ses lignes arrières » (L’Équipe, 19 août)
C’est même à se demander quand cela va s’arrêter tant l’enthousiasme des Lensois semble inarrêtable. Ainsi, « Lille a presque été sauvé par le temps » d’après L’Équipe !
Pour la Voix des Sports, c’est « un draw miraculeux » ; « le match nul obtenu par les Lensois tient davantage du miracle que de la réalité, après avoir subi pendant 80 minutes l’ascendant technique et tactique de leurs adversaires, mieux équilibrés dans leurs lignes, plus cohérents dans leurs actions et plus subtils dans leurs conceptions offensives ». Il n’empêche : le 3-3 est bien réel et les Lillois ont eu un énorme trou d’air. « À quoi attribuer ce renversement de situation ? Fatigue ou peut-être simplement excès de confiance des Lillois ? ». Sports-Eclair pointe une confiance trop grande du côté du LOSC : « « Quelle bonne leçon pour tous que ce match nul ! nous disait peu après la rencotnre Lens/Lille un dirigeant lillois. Nous devions gagner, nous étions sûrs de vaincre, la victoire ne pouvait nous échapper et puis patatras ! Notre beau château de carte par terre ». Quelle bonne leçon pour les Lillois qui avaient trop facilement cru que c’était arrivé. S’il est bon d’avoir confiance en soi, il est toujours nuisible de mésestimer l’adversaire » (Sports-Eclair, 24 août).
Gabriel Hanot résume : « Lille joue en champion… 80 minutes (…) Il n’est pas permis à une défense d’équipe tenante du championnat et gagnante de la coupe de jeter bas, en huit minutes, les huit dernières de la partie, un édifice élégamment et harmonieusement construit par ses partenaires de l’avant ». Le match a ainsi, de façon caricaturale, exposé les atouts et les faiblesses du LOSC. Ses atouts, bien entendu, sont ses avants : la voix des Sports salue un Baratte « en forme, et toujours aussi efficace » et un « Campiglia [qui] n’a certes pas le métier de Bihel mais il est très actif, joue bien de la tête et sert bien ses partenaires ». Idem du côté de L’Équipe : « Baratte et Lechantre ont doit à la gratitude de leurs dirigeants et le nouveau venu Campiglia mérite qu’on lui fasse confiance car il alla en s’améliorant du début au milieu de la partie ». à l’avenir, il s’agira donc surtout de reserrer les lignes arrières.
Quant aux Lensois, « ce match nul inespéré ne doit pas leur faire prdre de vue qu’ils ont encore beaucoup à travailler pour acquérir cohésion et fini. L’équipe peut cependant bien faire lorsqu’elle aura résolu le problème du demi-centre et que ses jeunes « amateurs » auront pris plus de métier » (la Voix des Sports). Là aussi, constat similaire chez Gabriel Hanot qui souligne que « les anciens à Lens ont tenu bon (Mielzareck, Gouillard, Melul, Ourdouillé, Stanis), malheureusement encadrés par 6 nouveaux qui en sont encore au stade expérimental ». Et il conviendra surtout de régler le problème de l’arrière central : « Dramez est en effet si peu décisif et si lent qu’il ne peut occuper le poste-clé de l’équipe, réservé au joueur le plus mobile, je dirai même le plus rapide ». C’est en effet lorsque Gouillard a tenu autoritairement le poste dans le dernier quart d’heure que le Racing a retrouvé une colonne vertébrale.
L’équipe lensoise contre Lille (Sports-Eclair, 24 août)
Par la suite, les Lillois ne conservent pas leur titre : ils terminent quatrièmes en dépit d’une attaque aux performances similaires à celles de la saison précédente (89 buts marqués) et avec une défense effectivement moins sûre (52 buts encaissés contre 44 en 45/46). En revanche, Lille conserve la coupe de France.
Mais le trophée de champion reste dans le Nord, puisque Roubaix-Tourcoing, à la surprise générale, remporte le titre. Quant au Racing Club de Lens, 17e, il est relégué. Faire une remontada pour finalement descendre…
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