Posté le 15 décembre 2021 - par dbclosc
André en coup de vent
Jeudi 30 janvier 2003. À quelques heures de la fin du mercato hivernal, le LOSC annonce l’arrivée du Nantais Pierre-Yves André : un renfort bienvenu pour une équipe qui dérive dangereusement vers le bas du classement. Mais André file à l’anglaise. Le LOSC est-il devenu un paillasson ?
Les changements d’hommes illustrent le changement d’époque : au printemps 2002, au revoir Dayan, Graille, Dréossi, Halilhodzic ; bonjour Seydoux, Tirloit, Thuilot, Puel. Ces changements majeurs dans l’organigramme ont inévitablement des conséquences très visibles : après quelques années d’euphorie sportive, retour à l’ordinaire pour le LOSC. Et l’ordinaire du LOSC, c’est une histoire régulièrement scandée par des déceptions, des maladresses, et quelques loupés. Le mercato hivernal de la saison 2002/2003 en apporte une belle illustration.
On se le rappelle : les débuts de Claude Puel en championnat sont marqués par deux cinglantes défaites à domicile, sur le même score : 0-3. Après un été compliqué, bien que marqué par une finale en coupe Intertoto, l’équipe redresse la tête et se positionne tranquillement en milieu de tableau. À la trêve hivernale, avec 28 points, le LOSC n’est même qu’à 7 points du leader marseillais (qu’il a balayé 3-0 en octobre). D’un point de vue comptable, il n’y a rien d’infamant. Mais au-delà des résultats, la « patte Puel » a du mal à imprimer. Les deux 0-3 du mois d’août à Grimonprez ont d’emblée fragilisé un entraîneur dont on peut supposer que, quel que fût l’identité, il aurait de toute façon durant un moment souffert de la comparaison avec Halilhodzic : difficile de succéder à un type qui a emmené le club au-delà de toute espérance. Et du côté des recrues, on ne peut pas dire que les nouveaux attaquants soulèvent l’enthousiasme de la foule, de moins en moins nombreuse d’ailleurs. Si le Bulgare Manchev ne laisse guère de doute sur son identité de footballeur, on reste encore circonspects devant les performances de Fortuné et de Tapia. Moussilou apparaît de temps à autre, il marque même, mais il est encore un peu tendre. Sterjovski et Boutoille n’ont pas l’air de trop intéresser Puel. En ajoutant à cela le fait que Beck est plus proche de l’amputation que des terrains, et que Tapia se blesse aux adducteurs à Noël et ne reviendra pas avant le printemps, la décision est prise : le LOSC va prendre un renfort offensif durant le mercato hivernal.
En janvier, il y a d’abord l’idée de recruter le parisien Laurent Leroy. Alors que l’on croit proche de signer dans le Nord, l’opération ne se fait pas et le joueur préfère s’engager avec la lanterne rouge, Troyes. Pas grave : il reste trois semaines de mercato.
Le nom de Todi Jónsson est ensuite avancé. Doukisor ? 29 ans, international Féroïen, joueur au FC Copenhague, son contrat expire dans 5 mois. Il est recommandé par Jakob Friis-Hansen, et aurait séduit Claude Puel. Des négociations sont entamées. Mais comme souvent, le marché ne se débloque que dans les dernières heures.
Pendant ce temps, le LOSC, en janvier 2003, joue 3 matches de championnat, en perd 3, et marque zéro but. La zone de relégation est deux points derrière ! Il faut attendre les tirs aux buts pour sortir Nîmes (National) en coupe de la Ligue, à domicile (0-0 ; 3-1). Heureusement, la victoire 2-0 à Agde (CFA) en coupe de France est acquise après seulement 90 minutes. Bref, il est temps de marquer.
Nous sommes le jeudi 30 janvier. Jónsson passe une série de tests médicaux en vue de son engagement. En sens inverse, Saint-Etienne fait la cour à Boutoille et à Sterjovski. C’est quasiment sûr : le premier, au moins, va partir. Ainsi, Puel va se séparer d’au moins un joueur sur lequel il ne compte pas, tout en récupérant un joueur de son choix. Mais le LOSC, qui a plus d’une corde à son arc, a négocié en même temps une autre affaire qui jusque là n’a pas été ébruitée. C’est donc à la surprise générale que le club annonce la venue de Pierre-Yves André dans la soirée. Il est prêté par Nantes pour une durée de 6 mois.
Belle affaire : ancien international espoirs, révélé à Rennes, confirmé à Bastia, André a pris en 2001 la direction du champion en titre, Nantes, où il joue la Ligue des Champions et marque notamment le but vainqueur contre la Lazio Rome.
Mais si les Canaris ne s’en sortent pas trop mal en coupe d’Europe, un catastrophique départ en championnat aboutit au remplacement de Reynald Denoueix par Angel Marcos. André joue moins. Et encore moins quand arrive la saison 2002/2003. Quelques années après, le joueur explique : « dès le début de la saison 2002/03, je ne rentre plus dans ses plans. Quand il fait sortir Viorel Moldovan, il fait entrer des milieux offensifs alors que moi je suis avant-centre et je reste sur le banc. Je lui ai demandé des comptes et j’ai peut-être été un peu trop virulent. C’est comme ça que j’ai scellé mon avenir au FC Nantes. Après j’ai été à la cave pendant six mois. Moi, je voulais jouer au football, je m’en foutais d’être bien payé et de vivre dans une belle ville. Je ne voulais pas être malheureux. J’ai donc demandé à être prêté ». Pas vénal, revanchard : le profil idéal. Ainsi, Lille, qui avait deux solutions, a d’abord misé sur la sécurité en optant pour « un joueur tout de suite opérationnel » selon la Voix du Nord (31 janvier), et avec qui la communication devrait être fluide (il parle français). Et Lille n’écarte toutefois définitivement pas la piste Jónsson.
Mais le lendemain, coup de théâtre : au cours du dernier jour du mercato, André a signé à Bolton. Cerise sur l’Hitoto : la piste de repli du LOSC, Jónsson, n’a pas signé non plus. On a échappé à la catastrophe : voyant que ça tournait vinaigre, les dirigeants du LOSC ont empêché in extremis les départs de Boutoille et de Sterjovski. On souffle presque : le LOSC va pouvoir poursuivre sa dégringolade avec le même effectif.
Mais que s’est-il donc passé le 31 janvier ?
Dans son édition du 1er février, la Voix du Nord revient sur ce qu’elle qualifie de « demi-tour » et de « volte-face », en interrogeant le directeur sportif du LOSC, Alain Tirloit : « [Jeudi 30] Pierre-Yves André m’a téléphone à 22h42 pour me dire que c’était OK et que c’était super pour lui. Et il nous avait fixé rendez-vous, à Xavier Thuilot, directeur général du club, et à moi à la gare Montparnasse en fin de matinée, ce vendredi. Nous avions négocié son salaire : à Nantes, c’est 83 850€ mensuels, nous nous étions engagés pour investir 30 500€ par mois. Pour accélérer le processus administratif, nous avions pris une procuration signée par Michel Seydoux. Tout semblait ficelé. Comme personne n’arrivait, j’ai appelé son agent sur les coups de 13h30. Et il m’a annoncé que son joueur avait signé à Bolton ». Il semblerait que Bolton ait fait de la surenchère en dernière minute, ce qui a convaincu André. Mais pour Tirloit, ce n’est pas l’explication (d’ailleurs, on l’a lu plus haut, André « s’en fout d’être bien payé ») : « je ne suis pas convaincu que les conditions financières aient changé. Mais Bolton, c’est la Premier League… ».
La solution André évaporée, reste à ce moment l’option Jónsson où, là aussi, tout semble avoir été bien ficelé : un transfert de 75 000€, et un salaire mensuel de 12 000€ (ce qui semble montrer que ce n’est pas un attaquant du même calibre). Oui mais : avertis des difficultés lilloises et de l’urgence de la situation après le refus d’André, les dirigeants de Copenhague font monter les enchères : « ils nous ont réclamé 100 000€ de plus sur le transfert ! Pour un joueur libre dans peu de temps, ça devenait insupportable. En accord avec le président et avec Claude Puel, nous avons donc dit non ».
Le Mikkel bec dans l’eau, Tirloit se hâte d’interrompre les discussions entre Saint-Etienne et Djezon Boutoille qui, d’abord surpris, semblait avoir donné son accord pour partir chez les Verts, tandis que Sterjovski aurait confié au directeur sportif du LOSC : « je veux rester ici pour m’imposer ». Dès lors, Tirloit fait contre mauvaise fortune bon cœur et déclare : « cela m’incite à penser que nous avons peut-être chez nous le ou les joueurs capables d’apporter un plus au groupe ». Dommage qu’on ne s’en soit pas rendu compte tout de suite !
Que retenir de cet épisode ?
Pour la Voix du Nord, les coupables sont tout trouvés. Il s’agit, d’abord de l’appât du gain qu’ont développé les footballeurs : « les dirigeants lillois ne devraient pourtant pas l’ignorer : c’est l’argent qui est le seul moteur et l’unique motivation des footballeurs professionnels, dans leur immense majorité ». Le quotidien révèle ainsi que si Laurent Leroy a préféré « s’enterrer » à Troyes, c’est parce qu’un miraculeux mécène s’est manifesté au dernier moment. Or, Michel Seydoux, à son arrivée, a promis d’être « raisonnable ». Et c’est précisément, ensuite, ce que reproche aussi la Voix du Nord au président ! Donc d’un côté, on déplore que les footballeurs fassent monter les enchères, mais de l’autre on déplore aussi que les clubs ne jouent pas le jeu et ne surenchérissent pas. Dans un éditorial (c’est dire si la situation est grave) sobrement intitulé « Encore raté », Pierre-Yves Grenu pointe : « pour André comme pour Leroy, le LOSC a choisi d’être raisonnable, d’éviter les surenchères inconsidérées. De ne pas vivre au-dessus de ses moyens. Louable attitude… qui risque de désarçonner son public, alléché par l’effet d’annonce et, finalement, privé de transfert ». On ne sait pas si ça désarçonne le public, mais apparemment ça désarçonne beaucoup Pierre-Yves Grenu qui, entre les lignes, se demande pourquoi Seydoux n’utilise pas son « trésor de guerre » (c’est lui-même qui a utilisé cette expression durant l’été 2002) issu de la campagne UEFA 2001/2002 et des transferts de Bakari, Cheyrou et Cygan.
De son côté, Michel Seydoux dénonce « les mœurs du football » : « je viens d’un milieu où quand on se serre la main après s’être dit oui, les choses sont acquises. Ensuite, on ne se rétracte plus. En revanche, le football pro, c’est vraiment le Far West. Et il va bien falloir que je m’y habitue ».
Bien sûr, on peut souscrire aux interprétations de la Voix du Nord et à celles de Michel Seydoux : dans un milieu qui en est tant imprégné, il est sans doute vrai qu’on ne peut rien expliquer sans l’argent. Il semble toutefois difficile de soutenir que tout s’expliquerait, à l’inverse, par l’argent. Dès lors, la posture de chevalier blanc du foot, aux louables intentions morales et éthiques, dans laquelle s’enferme Seydoux, ne suffit pas. En dépit de quatre années de rédemption, les Dogues ont encore du chemin à parcourir : les hommes du LOSC semblent avoir clairement manqué de crédibilité durant ce mercato, au point qu’on croit voir ressurgir l’image du club-repoussoir que le LOSC a patiemment construite durant les années 1990. Dans le même temps, le RC Lens, avec un staff élargi et expérimenté (Lamarche, Collado, Bergues, sans compter l’apport de Gervais Martel qui, à cette époque, sait encore convaincre de tout son poids un joueur) a réglé dans les dernières heures du mercato le départ de Stéphane Pédron (au PSG), et le retour de Tony Vairelles. Le contraste est saisissant.
Dès lors, cet épisode apparaît aussi comme l’illustration que Seydoux et son équipe sont en apprentissage, et qu’on ne peut attendre d’une nouvelle direction qu’elle fonctionne immédiatement avec les automatismes et la force de conviction d’un staff plus rôdé, d’autant plus quand elle est largement novice à ce niveau. Si les « ratés » du mercato de l’été 2002 peuvent apparaître comme un mal nécessaire (on ne les y reprendra pas la prochaine fois), ils fragilisent à court terme l’image que l’on se fait de la vision stratégique des dirigeants, qui donnent durant l’hiver l’impression de vouloir réparer leurs erreurs à la va-vite.
Si l’on ajoute à ceci d’autres maladresses telles que :
les tergiversations de Michel Seydoux durant le mois de janvier sur Grimonprez-Jooris II ;
l’évocation d’un « trésor de guerre » qui, pour être honnête, peut apparaître comme malvenue car suscitant des attentes démesurées ;
l’officialisation publique d’un transfert qui n’est pas fait ;
on comprend que ces épisodes sont autant de symptômes d’une équipe en rodage.
Et, bien entendu, des causes tout à fait extérieures à cette nouvelle équipe ne jouent pas en sa faveur : parmi elles, le fait de succéder à la période Vahid. Or, gouverner, c’est aussi hériter, et cet héritage-là est lourd à porter tant il ne peut que susciter un contraste négatif avec la situation présente. Changements d’hommes, de méthodes : pour ceux qui restent, on comprend que ça puisse perturber.
Dans ces cas-là, de deux choses l’une : ou on blâme les individus, les dirigeants « incompétents », les joueurs « cupides », et on fait des blagues du genre « André part de Lille par la grande porte. Par la petite, sa tête ne passait pas » ; ou on admet qu’un club connaît des périodes de reflux, avec de nouveaux hommes qui doivent se construire une crédibilité et clarifier un projet… Et alors on patiente.
Et le 31 janvier 2003, Pierre-Yves André a pu estimer que les deux derniers points lui offraient trop peu de garanties.
L’hiver 2003 s’annonce rude pour Puel et Seydoux, dont une partie du public réclame la démission après une série de défaites jusqu’en mars. Au football, la phase de transition est bien compliquée. Surtout quand on est dirigeant.
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