Posté le 22 janvier 2022 - par dbclosc
Complot hivernal (2/2) : le LOSC cueilli à froid
Le LOSC aura tout fait pour reporter le derby prévu à Grimonprez-Jooris en janvier 2002, mais rien n’y aura fait : comme on pouvait s’y attendre, Lille s’incline… sur un but imputable aux conditions météorologiques.
La première partie du complot hivernal est ici.
La neige et le froid causent bien des soucis aux Lillois au cours de cet hiver 2001/2002. Après la défaite contre Sochaux sur un terrain gelé en décembre, après l’accident de ski de Vahid Halilhodzic, après la défaite à Montpellier pour entamer 2002, le LOSC, qui s’entraîne dans des conditions difficiles en raison du froid persistant, s’apprête désormais à recevoir son voisin lensois, le vendredi 11 janvier. Mais, durant la semaine précédant le match, il existe une grande incertitude sur le tenue du match, précisément en raison de la rigueur hivernale.
Seule certitude : Vahid Halilhodzic, qui a fait une apparition mardi 8 à l’entraînement, sera de retour au stade, et probablement sur le banc, même s’il l’on se demande encore si le confort d’un siège en tribune officielle ne siérait pas davantage au convalescent. La Ligue Nationale de Football (LNF) a en tout cas fait savoir qu’elle considérait que Vahid avait purgé sa suspension (consécutive à l’après-match de Sochaux) à Montpellier : ben évidemment !
Le mardi 8 janvier, la Voix du Nord nous apprend que la pelouse de Grimonprez-Jooris est gelée à 5 -6 centimètres de profondeur. Il gèle en effet sur Lille tous le matins depuis le 28 décembre (de -7° à 0° le matin), avec une tendance à l’accentuation du froid depuis le 1er janvier. Et les rares fois où le thermomètre passe en positif durant la journée ne suffisent pas à écarter les doutes sur la possibilité du match. Bruno Baronchelli, évoquant la séance d’entraînement de la veille où un peu de soleil a permis de dégeler les zones dégagées, explique : « tout le monde s’est attaché à jouer. Il y a tellement longtemps que nous n’avions pas eu l’occasion de le faire. Pourtant, ce fut délicat sur une véritable patinoire. Si le ballon roulait effectivement bien, le terrain n’était dégelé qu’en surface et ce n’était vraiment pas l’idéal sur une pelouse souple au dessus et très dures en dessous ». Ce 8 janvier, le groupe part s’entraîner sur un terrain synthétique à Villeneuve d’Ascq. En l’état, le derby est considéré par le journal comme « compromis », « hypothétique ». La tendance passe ensuite à « improbable » dans l’édition du lendemain.
Il est en effet prévu, pour les trois prochaines nuits, des températures entre -7° et -9°, et pas de température positive en journée. Une décision est censée être prise jeudi 10 en cours de journée, lors de la visite d’un délégué de la Ligue Nationale : « il prendra une décision qui devrait être celle du report » (La Voix du Nord, 9 janvier). Selon Jean-Claude Grandclaude, un des responsables de la société Torève à Templemars chargée de l’entretien du terrain, « actuellement, la pelouse est dégelée sur 7 à 8 centimètres. Jouer serait donc possible même si ce serait embêtant pour le gazon. En revanche, si le froid revient en force, ce ne sera pas jouable ». Le 10, un intrigant spectacle a lieu à Grimonprez-Jooris.
Le délégué envoyé par la LNF s’appelle Louis Ortega. En début d’après-midi, il arpente la pelouse du stade en compagnie de Vahid Halilhodzic et de Pierre Dréossi, ce qui semble curieux. N’est-il pas censé faire cela seul ? Que cherchent à faire Dréossi et halilhodzic en l’accompagnant ?
Au bout de 30 minutes d’inspection, il est surpris de trouver une dizaine de journalistes à proximité des bancs : quelques jours avant, après le même travail à Sedan, personne ne s’était intéressé à son expertise. Il déclare : « la pelouse est gelée sur 15 à 20 centimètres, à l’exception d’une bande le long de la tribune présidentielle [note DBC : la plus exposée au soleil], mais elle est verte, bien plate et ne présente pas de bosses. Je conseille donc de maintenir le match. On peut prendre le risque ». À la question d’éventuelles pressions qu’il aurait reçues, il répond qu’il a agi en toute indépendance, « sinon je ne serais pas crédible ». La décision de M. Ortega étonne : si une telle question est posée, c’est bien parce qu’il apparaît aux yeux des journalistes que la pelouse n’est visiblement pas praticable.
Coup de théâtre deux heures plus tard : Francis Graille, prenant à témoin Pierre Dréossi, affirme qu’avant de faire son rapport, M. Ortega pensait, comme eux, que le terrain était impraticable. Pierre Dréossi confirme : « il a dit : « le terrain est complètement gelé, ce n’est pas jouable. Et quand il a téléphoné à la Ligue, on lui a demandé : « c’est gelé mais est-ce vert ? Est-ce plat ? ». Selon le directeur général du LOSC, le délégué de la Ligue aurait alors changé d’avis. Ou plutôt, il applique les critères d’évaluation de la Ligue, qui auraient changé. Très concrètement, cette décision, qualifiée plutôt de « non-décision » par Francis Graille, fait désormais reposer la décision sur les épaules de l’arbitre du match, M. Garibian.
Mais alors, si le récit des dirigeants lillois est vrai, comment expliquer cette volte-face ? Pierre Dréossi évoque des « pressions » : « après maintes pressions, la Ligue a laissé la possibilité à l’arbitre de décider de jouer ou non. Ils ont mis beaucoup de temps à se décider, alors que le terrain, gelé à 90%, est dangereux. La Ligue a un problème de calendrier ; le nôtre, c’est la sécurité des joueurs, mais on n’a ni plus ni moins d’intérêt que Lens à jouer ».
En attendant, les seules pressions visibles sont plutôt celles des Lillois : la présence du trio dirigeant (Graille/Dréossi/Halilhodzic) et son discours laisse planer l’idée que Lille n’a pas trop envie de jouer… Conscients que l’équipe a un coup de mois bien depuis un mois et avec l’absence de nombreux joueurs, blessés ou sélectionnés, on verrait sans doute d’un bon œil un report de quelques semaines !
Selon la Voix du Nord (11 janvier), « à Paris », tout est fait pour que le match ait lieu. Comprendre : le match étant diffusé sur Canal +, la LNF ne souhaite pas que son partenaire soit de nouveau privé d’une retransmission télévisée, les reports de matches s’étant accumulés depuis mi-décembre. Et du côté du LOSC, on est apparemment convaincu par cette version : « on est dans un monde d’argent auquel on participe » affirme Francis Graille. Il avance clairement que la pression vient de la Ligue, pas de Canal.
Prenant de nouveau les journalistes à témoin, en espérant que tout cela soit relayé dans les journaux du lendemain, a priori jour de match, Francis Graille les invite en soirée à Grimonprez, qu’il fait éclairer partiellement, afin que chacun puisse littéralement tâter le terrain. Commentaire de la Voix du Nord : « curieuse impression : l’herbe n’est pas gelée mais, en-dessous, c’est du béton ! ». On demande au président s’il n’y avait pas moyen de protéger la pelouse en amont. Justement, Francis Graille revient de Lyon, où une bâche a été posée sur la pelouse de Gerland ; il explique que la bâche est restée collée au terrain à cause du gel, et Lyon/Troyes est reporté. Autant dire qu’il n’y a pas grand chose à faire hormis, selon Gervais Martel, équiper les stades de pelouses chauffantes, comme c’est le cas à Sochaux, où ça a coûté 910 000€ : « mais on ne peut décemment pas en demander plus aux collectivités locales » souligne ce grand gestionnaire. Gervais « euh » Martel suit par ailleurs cette histoire avec beaucoup de recul et de sagesse : « je suis mal placé pour parler puisque le match n’a pas lieu dans nos installations mais à Lille. Par conséquent, je ne peux pas porter de jugement en la matière (…) Les lillois et le délégué de la Ligue nationale sont les seuls juges de cette affaire. Nous leur faisons confiance ». Sur le fond, Gervais Martel « préférerai[t] jouer. Mais je n’aimerais pas qu’il y ait des blessures ». Bruno Baronchelli tient à peu près le même discours : « s’il faut jouer, on jouera. Et si l’on a de la chance, on n’aura pas de blessés ! ».
Avant de partir, Francis Graille dit ne pas vouloir recourir à la mairie pour obtenir un arrêt municipal d’interdiction du terrain ; dire cela publiquement, c’est probablement un gros appel de phares pour solliciter un arrêt municipal d’interdiction du terrain. Ainsi s’achève une journée au cours de laquelle un mauvais feuilleton a tenu tout le monde en haleine, pour finalement aboutir à une décision reportée.
Vendredi 11 janvier : il n’a pas gelé pendant la nuit. En journée, la température atteint 7°, et il devrait geler de nouveau à partir de la fin d’après-midi. Suffisant pour jouer ?
Aux alentours de midi, Pascal Garibian inspecte la pelouse et, dès cet instant, il apparaît qu’elle est considérée comme praticable. On devrait donc jouer, sauf cataclysme météorologique.
Après un dernier repérage à 20h, la décision de jouer est prise : « la pelouse est inégale en certains endroits, mais c’est un terrain d’hiver tout à fait jouable ».
Après le brillant épisode des atermoiements du délégué la veille, la LNF publie immédiatement un communiqué qui ressemble à une justification que personne n’avait demandée, comme s’il fallait se rattraper de quelque chose : « Pascal Garibian a décidé, souverainement, que la rencontre Lille/Lens pouvait avoir lieu ». Commentaire de la Voix du Nord (12 janvier) : « souverain, l’arbitre a en effet certainement pris la bonne décision. Mais tout cela n’effacera pas l’éventail de questions soulevées, ces derniers jours, notamment au sujet de certaines pressions émanant de la télévision, ou d’ailleurs ».
Reste, pour les joueurs, à choisir les chaussures adéquates : certains endroits du terrain sont entièrement gelés (le long des Honneurs notamment), d’autres laissent entrevoir un brin de souplesse. Le toss est est effectué juste après l’échauffement, avant que les joueurs ne rentrent au vestiaire, pour ne pas à avoir à changer d’équipement en dernière minute en cas d’inversion des camps.
Le match peut donc commencer, mais la plupart des spectateurs et spectatrices ignorent qu’un autre complot contre le LOSC est en cours. Si un millier de lensois arrive « régulièrement » avec 18 cars, une centaine d’autres arrivent à Lille sans billet. Ils sont repoussés par la police aux alentours du stade après quelques bagarres. Puis la boutique du LOSC devient un théâtre d’affrontements, dans lequel on compte un blessé. Le groupe lensois est repoussé dans le Vieux-Lille. Bonne idée : « le groupe des « sans billets » s’est alors déchaîné sur un établissement fréquenté par des supporteurs lillois » : des véhicules sont dégradés et deux vitrines du bar-brasserie « À Faidherbe » volent en éclats. Bilan : un blessé léger, soigné sur place, qui a finalement pu assister au match. 80 personnes, toutes supportrices de Lens et membres des « Red Tigers », sont arrêtées.
Vahid Halilhodzic, assez peu mobile et tirant une tronche pas possible, est de retour. La saison précédente, Lille était allé à Lens pour confirmer sa première place. Un an après, Lens vient pour consolider sa place de leader, devant 20 191 spectateurs.
« Rendez-nous encore plus fiers de vous » lit-on en Secondes Basse, preuve que les quelques accrocs de ces dernières semaines n’ont pas entamé la relation entre le LOSC et ses supporters. Depuis la remontée, le LOSC n’a pas perdu un derby : deux victoires en 2000/2001 et un nul à l’aller.
Le match est pauvre en occasions. Sur un tel terrain, pas de miracle : les joueurs font ce qu’ils peuvent. Le match est équilibré, et le LOSC, qui peut compter sur le retour de D’Amico, fait bonne figure. Quelques escarmouches de part et d’autres ne permettent pas encore de débloquer le tableau d’affichage. Signalons que Johnny Ecker sort à la pause, mal remis d’un choc avec Sikora. Verdict : quatre côtes cassées. Décidément…
Dans ce genre de configuration, l’équipe la plus en réussite confirme que tout lui sourit : peu avant l’heure de jeu, Cygan, trompé par le terrain bosselé, manque sa passe en retrait à Grégory Wimbée et lance Moreira qui n’a plus qu’à transmettre à Diouf, qui conclut (0-1). Merci le terrain, merci le gel, merci la Ligue, merci Garibian, merci le complot !
En dépit de deux occasions pour Bakari (68e) et Sterjovski (71e), le LOSC s’incline et confirme sa perte de vitesse : inefficacité offensive, cadeaux derrière, fatigue, blessures, absences… Le LOSC traverse des doutes comme il n’en avait pas connus depuis un long moment.
Un résumé du match (Téléfoot) :
Le lundi suivant, Vahid Halilhodzic est de retour à l’entraînement. Il s’agit de préparer le match contre Bordeaux, à rejouer. Si Lille est encore laborieux, il égalise… à la 89e (2-2). Les habitudes reviennent progressivement. Et Djezon Boutoille, auteur de la première égalisation, déclare : « vous ne le saviez pas… je suis un homme du froid ! ». Ouf, on aperçoit la fin du complot hivernal.
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