Posté le 31 janvier 2022 - par dbclosc
9 000 spectateurs à Grimonprez… Guichets fermés !
L’événement est suffisamment rare à l’époque pour être souligné : en décembre 1994, le LOSC joue à guichets fermés à Grimonprez-Jooris. À l’origine de ce retour en force du public, une opération commerciale montée Peugeot, sponsor du club. Mais tout ne se passe pas comme prévu.
On le sait : le LOSC est pionnier. Ce 17 décembre 1994, le club franchit un nouveau palier dans l’innovation marketing, en proposant une affiche à guichets fermés, dans un stade à moitié vide. Cette démonstration de force commerciale consiste ainsi à n’établir qu’un vague lien entre l’affluence dans le stade et la décision de ne pas ouvrir ses guichets. Décryptons cette stratégie.
Nous sommes fin 1994. Lille végète entre le ventre mou et la zone de relégation depuis plusieurs saisons. Depuis des années, le public a déserté les travées de Grimonprez-Jooris hormis, de temps en temps, pour jeter un œil sur un adversaire prestigieux. Cette saison 1994/1995 ne change rien à cette triste routine : même si l’équipe tourne assez bien à la maison, l’affluence oscille officiellement entre 5 415 (Nice en octobre) et 7 642 (Nantes en août) spectateurs. Autant dire que ce n’est pas, un soir de décembre, la venue de Sochaux, dernier du classement, qui risque d’améliorer la moyenne. Lors des deux précédentes années, la venue des Doubistes a attiré 4 526 (en 1993/1994) et 3 968 (en 1992/1993) spectateurs…
Et pourtant : la veille du match, la Voix du Nord annonce que ce Lille/Sochaux se jouera « devant des tribunes copieusement garnies ». En effet, les 13 500 places du stade Grimonprez-Jooris sont prises ! En voici la raison : la semaine précédent le match, Peugeot, sponsor du club, a acheté toutes les places disponibles, une fois retirés les invitations et les abonnements (soit 9 750 places). Officiellement, il s’agit, pour la marque automobile, de « mettre en place une opération pour Noël, qui s’adresse à tout le monde, et pas seulement à des VIP. C’est un geste de convivialité, un cadeau aux Lillois en période de fêtes. Qu’on ne s’y trompe pas, ce ne sera pas la fête de Peugeot, mais bien la fête du football » d’après les responsables marketing de la direction régionale. À l’entrée du stade et dans les tribunes, les « plack-band », un groupe venu des Pays-bas, mettront de l’ambiance. De plus, Peugeot proposera après le match un « show laser ». Pour la Voix du Nord (16 décembre), c’est un « joli coup ».
Grimonprez-Jooris à guichets fermés, c’est en effet un événement. Quelques mois auparavant, le futur champion parisien était venu à Lille devant « seulement » 10 593 spectateurs ; en remontant à la saison précédente (1992/1993), c’est le derby contre Lens qui avait attiré le plus de monde : 12 589 personnes. La Voix du Nord estime que le dernier match joué à guichets fermés à Grimonprez remonte à 1986, avec la venue de Marseille (23 457 spectateurs).
Mais alors, quand on voit l’affluence de 1986 (et on se rappelle que 25 578 spectateurs sont venus voir Saint-Etienne en 1979), pourquoi le stade ne peut-il accueillir que 13 500 personnes et pourquoi n’est-il plus possible d’acheter de places ? Ce sont les nouvelles normes sécuritaires, adoptées depuis les années 1980 après diverses catastrophes, qui ont contraint le LOSC à réduire la capacité du stade, presque de moitié : ce sera donc 13 500 places. M. Hubau, le responsable de la sécurité, avance quelques explications : « la structure du stade n’est évidemment pas en cause. En revanche, les bouches d’évacuation du public n’ont pas été jugées suffisantes dans les rapports établis par les sapeurs-pompiers. Des solutions devraient être vite trouvées par le biais d’ouvertures à même la pelouse, comme on en voit sur de nombreux stades ». Ainsi, bien qu’à guichets fermés, Grimonprez-Jooris ne donnera pas l’impression d’être plein, mais l’affluence sera tout de même exceptionnelle !
Selon la Voix, un stade entier acheté par un partenaire privé, c’est une grande première. Du moins en D1 puisque récemment, Nancy a reçu Le Mans devant 23 000 personnes avec le concours de l’Est Républicain, des magasins Leclerc et de Renault. Dans le journal est relaté un extrait de l’Est Républicain à propos de ce Nancy/Le Mans : « il faisait pourtant froid et il y avait du brouillard. Mais les gens sont venus nombreux, souvent en famille. Le père qui venait habituellement seul est venu avec femme et enfants. Et il y a eu une très bonne ambiance ». On rappelle aussi que, dernièrement, il y a eu des « opérations portes ouvertes » à Paris (lors du titre en avril 1994) et à Lens (lors de barrages en 1991), mais la Ligue est intervenue, officiellement pour « préserver l’équité sportive ». Là, c’est à l’initiative d’un sponsor, donc c’est très différent !
Lorsque l’opération a été décidée, Alain Tirloit, alors responsable commercial du LOSC, a eu une petite appréhension : « nous pourrions juger de cette façon du véritable impact qu’avait encore le LOSC dans la métropole… Mais j’avais la crainte que toutes les places ne soient pas prises ! ». Mais tout va bien : toutes les places achetées par Peugeot ont été distribuées, via des concessions ou via des clubs partenaires du LOSC.
Mais Alain Tirloit et ses collègues du club ne devraient-ils pas davantage craindre un complot contre le LOSC ? En effet, personne ne semble s’inquiéter que Peugeot remplisse un stade pour voir jouer… son partenaire historique ! Rappelons en effet que le FCSM a été fondé en 1928 à l’initiative de deux ouvriers de Peugeot, avec l’aide de Jean-Pierre Peugeot en personne, parce qu’une usine est située à Sochaux depuis 1912. Les Doubistes (ce qui rime d’ailleurs avec « complotistes ») ont déjà prouvé par le passé toute leur perfidie : la première « Coupe Sochaux » a ainsi permis au FCSM d’humilier l’Olympique Lillois 6-1 lors de la finale en 1931 !
La Voix du Nord donne la parole au directeur régional de Peugeot, qui n’est autre que Jean-Claude Plessis, ancien président de l’AS brestoisoise, qui assure : « à Lille, nous nous sentons plus Lillois que Sochaliens ». On est priés de le croire. La preuve : Jean-Claude Plessis sera le président du FCSM de 1999 à 2008.
Dernière contrariété avant la fête : l’écoulement des places s’étant fait par des canaux non-traditionnels, de nombreux acheteurs potentiels n’ont pu trouver leur bonheur au secrétariat du LOSC. Une affichette les en informe.
C’est le jour J. La Voix du Nord s’amuse : « le LOSC qui refuse des spectateurs. Un 1er avril, tout le monde aurait cru à une bonne blague » (17 décembre). Ce match est l’occasion de retrouvailles : depuis une semaine, Jacques Santini a remplacé Silvester Takac sur le banc sochalien. Le nouvel entraîneur sochalien, qui « avait plutôt l’habitude de recevoir devant des banquettes vides, quand il était Lillois, manifestera sans doute un certain étonnement en entrant sur la pelouse ». Santini retrouvera cinq joueurs lillois, déjà là quand il entraînait les Dogues : Assadourian, Friis-Hansen, Leclercq, Nadon et Rollain. Tout le monde salue le football-champagne prôné par Jacquot lors de ses années lilloises, comme Fabien Leclercq : « c’est vrai que Jacques Santini était plutôt porté sur le jeu défensif mais le club n’a jamais eu d’aussi bons résultats que lorsqu’il était là ».
Mais le plus drôle est l’anecdote rapportée par la Voix du Nord : dans la semaine, Jean Fernandez inscrit sur un tableau la probable composition de l’équipe de Sochaux pour le match. Jakob Friis-Hansen le reprend alors en disant qu’il y a une petite erreur : « devant la surprise de son coach, le libéro danois expliqua avec humour que les deux attaquants doubistes joueraient juste devant Cassard [le gardien] » (17 décembre). Bel hommage !
Fernandez donne deux principales consignes à ses joueurs : marquer vite pour obliger Sochaux à se découvrir, et séduire, pour faire revenir le nombreux public. Le LOSC reste sur un match considéré comme bon à Strasbourg. Pensez donc: Lille n’a pas perdu, et a même mis un but (1-1). Pour affronter les Sochaliens, on peut compter sur les retours de Sibierski, Foulon, Garcia, Carrez, Leclercq et Pérez, absents en Alsace. Lévenard, Hitoto et Rollain sont blessés.
Jacques Santini, quant à lui, est privé de Weber, Vos, Gnako, Mendy et Cuervo, c’est-à-dire beaucoup d’éléments offensifs. Mais il n’y avait peut-être pas besoin de cela pour que la Voix du Nord mette en exergue sa « phrase du jour », signée Jean Fernandez : « ce que je sais, c’est que Jacques Santini va fermer ». Place au spectacle !
Mais en dépit de la présence très visible de Pierre Mauroy, pour la première fois de la saison, le stade donne une drôle d’impression pour un match « à guichets fermés ». Bien sûr, seules 13 500 places peuvent être pourvues, donc des sièges sont vides. Et même s’il y a manifestement plus de monde que d’habitude, il y a tout de même un paquet de sièges vides…
En fait, de nombreux titulaires de billets ne se sont pas déplacés. Ce qui fait que l’on pouvait estimer le nombre de spectateurs présents, selon la Voix du Nord, « à près de 9 000, pas davantage. Navrant ! ». Et bien dommage pour celles et ceux qui souhaitaient acheter une place !
_Deux billets pour Lille-Sochaux s’il vous plaît !
_Il n’y a plus de places !
_Mais le stade est à moitié vide… ?
_C’est guichets fermés ! Voyez avec Peugeotroisansix !
De surcroît, aux abords du stade, certains titulaires de billets gratuits ont tenté… de les vendre : « il n’y a pas de petits bénéfices. Tout aussi navrant ! ».
Et voilà comment on joue à guichets fermés avec environ 15 000 sièges vacants.
Le 11 de départ : Nadon ; Duncker, Dindeleux, Carrez, Bonalair ; Etschélé, Friis-Hansen, Sibierski, Pérez ; Assadourian, Farina.
Sur le terrain, on va vite constater que les absents n’ont pas forcément tort. En dépit d’une chandelle de Sibierski qui ne passe pas loin du but de Cassard (11e) et de quelques dribbles de Perez, on observe dans l’ensemble « trop de timidité, trop d’à-peu-près. Du déjà-vu en somme ». Sochaux se montre avec une tête de Prat dégagée par Dindeleux (20e). Peu après, sur un corner de Perez, Carrez dévie pour Sibierski : Cassard est pris à contre-pied mais Piton dégage sur sa ligne. Sur ce, s’installe le « ronron habituel », à la fois dû au manque d’imagination des Dogues, et à un adversaire qui a installé un « véritable mur » : « Santini n’a jamais été un adepte du hourra football. Mais là, l’ex patron des Dogues avait été encore plus loin. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Dans un tel contexte, la vivacité et l’inspiration sont des atouts de poids. Malheureusement, les hommes de Jean Fernandez en étaient dépourvus ».
L’arbitre siffle la pause, et le public en profite pour siffler toute la première période : les joueurs rentrent aux vestiaires sous des huées logiquement plus bruyantes que d’habitude. L’opération séduction n’est pas en marche ! La Voix du Nord a une pensée émue pour les petits ramasseurs de balle (venus de Landas) qui, en raison du nombre et de la qualité des tirs, « n’eurent guère l’occasion de se réchauffer les mains ».
Mais « une mi-temps chasse l’autre… heureusement ». Le LOSC semble être revenu avec de meilleures intentions : Assad centre vers Farina, qui reprend de peu à côté (49e) ; Carrez tire un coup-franc dans le mur, Duncker suit mais oublie de frapper (55e). Et c’est au moment où on croit les Lillois proche de marquer que Baudry, de l’autre côté, se retrouve seul face à Jean-Claude Nadon, qui repousse brillamment la plus grosse occasion du match (57e). Suite à ce sérieux avertissement, la Voix du Nord constate « un milieu de terrain engourdi, une attaque anonyme, à l’image de son avant centre Farina ». Pire, on bascule dans un « match indigeste ». Pour tenter de dynamiser son attaque, Fernandez fait entrer Garcia et Boutoille, aux places de Perez et Etschélé.
Puis, miracle : enfin « un mouvement collectif cohérent » : Carrez sert Duncker, qui trouve Assadourian à l’entrée de la surface. Il sert parfaitement Sibierski, lancé au point de pénalty, qui conclut (1-0, 66e). Ouf !
Extrait Les plus beaux buts du championnat de France 94/95, TF1 Vidéos
Le match devient alors un peu plus ouvert. Garcia, qui a remplacé Estchélé, bute sur Cassard (75e). En toute fin de match, Farina (87e, 90e) et Bonalair (89e) auraient pu alourdir le score, mais cela aurait mis en péril le record de victoires 1-0 à domicile que le LOSC vise cette saison-là.
« Programme minimum », « match sans grand relief », « joueurs le plus souvent aux abonnés absents », mais cela fait 3 points et, en 1994, on s’en contente bien ! À défaut d’être franchement méritée, la victoire n’est pas imméritée. Pendant que le show laser bat son plein, Jean Fernandez, lucide, déclare : « on n’a pas fait un bon match (…) ça a été tout de même assez laborieux. Sochaux était venu pour prendre un point et tenter d’obtenir le 0-0 ». Jacques Santini se rend compte de la tâche qu’il a à accomplir : « il n’y a que 8 jours que je suis là et c’est la première fois que je vois mon équipe à l’oeuvre. Il y a eu trop de ballons perdus, trop d’approximations dans son jeu ? C’est la raison pour laquelle je pense que le LOSC mérite sa victoire ». On n’oublie pas de saluer Jean-Claude Nadon, notamment pour son arrêt vers l’heure de jeu, comme Antoine Sibierski (« ce n’est pas moi qu’il faut féliciter en premier, mais bien Jean-Claude, qui fut l’auteur de deux arrêts spectaculaires » et Jean Fernandez « le tournant du match, ne l’oublions pas, c’est l’arrêt de Jean-Claude Nadon en début de deuxième mi-temps ».
Dans la Voix des Sports datée du lundi 19 décembre, on met en avant, à défaut d’un jeu léché et spectaculaire, les « valeurs morales » de cette équipe lilloise, finalement assez attachante, et qui a tout de même un meilleur visage que celui affiché lors des deux dernières saisons : « privé de force de pénétration, le LOSC se raccroche donc à ses qualités morales, et elles sont grandes cette saison, pour noyer le poisson et mener à bien ses missions ». Avec 24 points à la trêve, Lille est dans le bon tempo. L’hebdomadaire souligne qu’indépendamment du jeu, encore laborieux, on sent une meilleure ambiance dans le groupe lillois, qui évoque volontiers le travail effectué, ainsi que des objectifs qui paraissent clairs et auxquels il adhère. Jean Fernandez et Bernard Lecomte sont à ce titre salués pour avoir installé « une ambiance, un environnement propice à une remise à flots bénéfique sur le plan moral ».
Et il est vrai que même si le LOSC connaîtra encore quelques frayeurs sportives durant la saison, il fera preuve aussi de belles performances à domicile tandis que, sur le plan financier, Bernard Lecomte dévoile progressivement une vision stratégique qui faisait cruellement défaut au club. Et même si elle ne s’annonce pas réjouissante, la transparence est appréciée.
Quant à l’opération de drague envers le public, si on a perfidement souligné ses quelques ratés, il n’est pas dit que, même à 9 000, elle n’ait pas été un succès, ne serait-ce que parce qu’il a permis un à public jeune d’assister à un match de football dans de bonnes conditions, et sans considération pour la qualité du jeu, pourtant sévèrement jugée dans la presse. L’auteur de cet article a d’ailleurs fait partie, via son club de foot, des bénéficiaires de l’opération. Dans l’immédiat, les affluences n’ont pas explosé, oscillant entre 5 415 (Metz en février) et 12 000 (PSG en mars) jusqu’à la fin de la saison. Mais officiellement, ce Lille/Sochaux est la meilleure affluence de la saison, puisque 13 500 billets ont effectivement été vendus, et c’est ce qu’indiquent aujourd’hui les sites spécialisés.
Si cette action est ici l’oeuvre d’un sponsor privé, on peut aussi toutefois y voir les prémices d’une plus grande considération accordée au public, qui sera un des marqueurs de la présidence Lecomte – même si, bien sûr, tout n’a pas été rose – avec des tarifs attractifs et des formules d’abonnement originales, qui permettront au LOSC, pourtant en D2, de battre ensuite chaque année son record du nombre d’abonnés, à partir de la saison 1997/98.
Par la suite, les résultats du club faciliteront le retour du public, au point de faire passer 13 500 spectateurs pour une affluence ridicule.
Partenariat LOSC/Peugeot lors de la saison 1995/1996
Un commentaire
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12 mars 2022
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bauwens a dit:
lille sochaux, plus de places disponibles, la photo, avec le type qui vendait des friandises a jooris, on l’appelait « cacahouète », ça doit etre mort, je pense, gentil bonhomme….