Posté le 5 février 2022 - par dbclosc
Lille/PSG 1995 : Fernandez bat Fernandez
La venue du champion de France en titre récemment qualifié pour les demi-finales de Ligue des Champions ne peut rien changer à une règle de cette saison 1994/1995 : à Grimonprez-Jooris, le LOSC est (presque) imprenable. Dans le duel des Fernandez, le Parisien Luis s’incline face au Lillois Jean.
Mercredi 15 mars 1995 : grâce à sa victoire 2-1 face au FC Barcelone de Johan Cruyff (1-1 à l’aller), le Paris-Saint-Germain se qualifie pour les demi-finales de Ligue des Champions. Le champion de France 1994, dans la lignée d’une campagne préliminaire remarquable (6 victoires en 6 matches de poupoule), a offert un grand spectacle et se prend à rêver de succéder à l’Olympique de Marseille au palmarès de la plus prestigieuse des compétitions européennes. Le titre en D1 est déjà hors d’atteinte, tant Nantes domine le championnat, et a fait la leçon au Parc en janvier (3-0 pour les Canaris). Alors, oui, la C1 devient un objectif. Mais avant de rêver plus grand, il faudra d’abord éliminer le Milan AC. Et en attendant, pour le retour du championnat le 22 mars, c’est un obstacle d’une autre envergure qui se présente sur le chemin des Parisiens : le Lille Olympique Sporting Club qui, en 29 journées, a déjà inscrit… 19 buts.
Le LOSC vit deux saisons en une : un parcours d’européen à domicile, et de relégable à l’extérieur. Après 29 journées, Lille compte 31 points, dont 27 pris à domicile ! Ce qui, si vous comptez bien, ne fait que 4 points pris à l’extérieur (0 victoire, quatre nuls). Dès lors, Lille lutte encore pour son maintien, même s’il n’a jamais été en position de relégable cette année. Avant ce match contre le PSG, les Dogues sont 15e, 3 points au-dessus du premier relégable. Mais, problème, voilà que le LOSC craque à domicile : le week-end précédent, Cannes est venu mettre fin à 6 mois d’invincibilité de Lille à domicile, en gagnant 3-0. Une lourde défaite qui assombrit soudainement une fin de saison que l’on aurait pu espérer à peu près tranquille, tant cette solidité à domicile semblait offrir de belles garanties.
L’espoir est-il seulement permis pour Lille ? Jean Fernandez, l’entraîneur des Dogues, ne semble pas le plus optimiste : « c’est sûr que les jouer une semaine après ce qu’ils ont réalisé contre Barcelone, sans Roche ni Ricardo, il y a de quoi être inquiet ». On se rappelle aussi qu’au match aller, en octobre, Lille avait pris le bouillon à Paris (0-3). Certes, le LOSC était très amoindri, à l’aller, puisque Foulon et Hitoto étaient blessés, Duncker, Carrez, et Bonalair étaient suspendus, et Friis-Hansen était en sélection. Jean Fernandez avait dû appeler dans le groupe les jeunes Gaël Sanz (qui était même titulaire !), Jérémy Denquin et Joël Dolignon. Ainsi, le LOSC est en grande difficulté dès qu’il ne peut pas aligner son « onze » de base (en a-t-il seulement un ?), tandis que, de l’autre côté, la Voix du Nord admire la « griffe » (21 mars) de Luis Fernandez qui, de manière très moderne (et aussi parce qu’il peut se le permettre), procède à un grand turn-over au sein de son effectif. Ainsi, entre le match de Barcelone et celui du LOSC, le PSG est allé se qualifier à Nancy en coupe de France avec 8 joueurs qui n’avaient pas pris part à la coupe d’Europe. Même si le PSG est largué par Nantes en D1, Paris est encore engagé dans quatre compétitions et Luis Fernandez a ainsi « pris une autre dimension » en concernant tous ses joueurs. Comme Kombouaré et Colleter seront suspendus pour le match aller contre Milan, les joueurs savent qu’il y aura des places à prendre, et on pense notamment à l’ancien lillois Oumar Dieng. À Lille, Luis Fernandez ne sera privé que de Daniel Bravo, suspendu, et de Ricardo, qu’il a décidé de ménager.
Le rapport de forces apparaît donc fortement déséquilibré avant cette confrontation. On a même le sentiment que, du côté du LOSC, la défaite est quasiment déjà actée. Pour Jean Fernandez, « un point, ce serait déjà un super résultat. Et pour prendre un point à une telle équipe, il faut que l’on fasse un de nos meilleurs matches de la saison, qu’eux ne soient pas trop bien, qu’ils n’aient pas de réussite et que nous en ayons beaucoup ». Le LOSC n’a évidemment pas le même effectif que celui du PSG : si quelques jeunes pointent le nez (Leclercq et Sibierski depuis quelques saisons et, plus récemment, Carrez, Dindeleux ou Boutoille), le club est en pleine période de restrictions budgétaires qui l’empêchent de recruter des joueurs qui l’emmènerait un peu plus haut que la 16e place. Mais les choses sont claires depuis l’arrivée de Bernard Lecomte : même si son arrivée comme n°1 au printemps 1994 avait de nouveau fait grincer des dents, car on y voyait un nouveau symptôme de l’instabilité du LOSC, le plan de redressement entamé laisse augurer des meilleurs lendemains à un horizon de trois ans. Interviewé en février dans la Voix du Nord par Guy Delhaye, Bernard Lecomte assure que « notre fin de saison est financée », ce qui n’était pas fait aussi précocement les saisons précédentes, et assure : « une chose est certaine : la Ligue Nationale apprécie nos efforts. Nous ne sommes pas encore en tête de classe, mais nous ne sommes déjà plus dans les derniers » (7 février). Difficile alors pour Jean Fernandez de proposer un grand spectacle : comme il le dit lui-même, « un entraîneur fait en fonction de ce qu’il a ». Et à défaut de stars, les Lillois ont du cœur, et cette équipe 1994/1995 dégage beaucoup de sympathie et de combativité, comme la presse régionale s’en était déjà fait l’écho après le match contre Sochaux en décembre. Selon leur entraîneur, les joueurs ont été « recrutés pour ne pas descendre, pas pour l’Europe. Ils savent ce qui les attendent ». Finalement, Jean Fernandez se révèle comme celui qui tire le maximum de son groupe, eu égard aux qualités de celui-ci. À l’arrivée, ce n’est pas du football-champagne, ça gagne petitement, mais peut-on prétendre à mieux ? Arnaud Duncker et Roger Hitoto nous ont évoqué le système de jeu de Fernandez, parfois frustrant, mais finalement efficace. On peut le résumer de cette façon selon Jeannot, et c’est ce qu’il tentera d’appliquer contre le PSG : « par rapport aux joueurs qu’on a, il faut partir d’une bonne assise défensive et se dire qu’on va essayer de marquer » (21 mars).
Présentation de Jean Fernandez, juin 1994
En attendant que le club soit financièrement remis à flot, il soigne son image. Bernard Lecomte a lancé plusieurs chantiers visant à faire du LOSC une « entreprise citoyenne », selon ses termes. Il s’agit de se rapprocher du public, dont on a aussi bien besoin pour amener un peu d’argent. Bernard lecomte souhaite aller « dans les quartiers » et faire du LOSC le club de la communauté urbaine. Lors du match contre Monaco en janvier, le club a lancé l’opération « pass’foot », qui consiste en une formule pour les jeunes transport/place assise/panier-repas pour 20 francs. Et a été relancé le « challenge Deschodt ». Mis sur pied en 1989 par Michel Ottelard, de chez McDonald’s, et Yves Bonhomme pour rendre hommage à l’ancien président du LOSC, ce challenge concerne les CM2 des écoles primaires des circonscriptions de Lille-Est, Lille-Ouest, Roubaix, Tourcoing et Douai, et regroupe 1060 enfants, 106 équipes et 82 écoles. Les phases finale se joueront en levers de rideau des prochains matches du LOSC, à Grimonprez. Voilà le LOSC en quête de reconnaissance et de crédibilité.
Jean Claude Nadon au cours d’un entraînement délocalisé à Moulins, avril 1995
Revenons à la réception du PSG. Outre le score du match aller et le classement actuel, les statistiques ne plaident pas non plus en faveur du LOSC. Pourtant, on sait que Lille est la bête noire du PSG : dans les années 1980, le LOSC a étonnamment remporté tous ses matches contre le PSG à Grimonprez, et a même signé quelques fracassants succès au Parc ! Mais, dans les années 1990, cette tendance semble en train de tourner : après trois 0-0 consécutifs, le PSG a enfin gagné à Grimonprez la saison précédente (2-0). Sur les huit dernières confrontations entre les deux équipes, à Lille ou à Paris, le LOSC n’a marqué qu’une fois, par Kennet Andersson. Mais pour Christian Perez, ancien du PSG, et moins pessimiste que son entraîneur, ce n’est « pas infaisable » : « ils n’auront certainement pas la même motivation contre nous [que contre Barcelone] ! Et c’est vrai qu’ils sont moins bien en championnat. Je pense que ce qui les intéresse le plus, outre la coupe d’Europe, c’est la coupe de France ».
Du côté de Lille, on considère que le danger n°1 est George Weah. Comment empêcher le double buteur de l’aller de s’exprimer ? Jean Fernandez annonce : « nous allons jouer en zone. Mais, de toute façon, avec un joueur de cette classe, vous pouvez opter pour un marquage individuel ou une défense en zone, s’il est dans un grand jour… ». Bref, on rentre sur le terrain, on croise les doigts, on serre les fesses, et vice-versa, et on verra bien ce qu’il se passe.
Au niveau de l’effectif, à Lille, Farina et Boutoille sont blessés ; Cissé est suspendu ; Rollain, très peu présent cette saison, est mis à disposition de la réserve.
Le match se déroule un mercredi soir. Fabio Capello, l’entraîneur du Milan AC, est attendu. Avec lui, environ 10 000 personnes : c’est moins que contre Sochaux, à moins que ce ne soit plus, en tout cas ce n’est pas à guichets fermés. En lever de rideau, lors du challenge Deschodt, l’école Michelet de Loos bat l’école Georges Brassens de Sainghin-en-Weppes.
Voici l’équipe lilloise :
Nadon ; Leclercq, Carrez , Dindeleux Lévenard ; Bonalair, Friis-Hansen, Hitoto, Duncker, Sibierski ; Assadourian
Exceptionnellement, Bonalair monte d’un cran pour renforcer une ligne de milieux défensifs déjà bien fournie, puisqu’Hitoto a été préféré à Perez. Pour la Voix du Nord, c’est une « organisation extrêmement frileuse en apparence ». En effet, on peut considérer que Lille joue à 9 derrière, avec les seuls Sibierski et Assadourian pour tenter quelque chose devant.
Pour le PSG :
Lama ; Llacer, Kombouaré, Roche, Cobos ; Le Guen, Guérin, Raï, Valdo ; Weah, Ginola.
La LNF a lancé l’opération « le printemps du foot ». Nadon et Lama, accompagnés par un jeune joueur de chacun des deux clubs, ont lu un message avant le coup d’envoi, appelant l’ensemble des acteurs d’un match à retrouver la convivialité, le respect des autres, le plaisir du jeu, et la joie d’être ensemble. Les deux jeunes ont ensuite donné un brassard à chaque joueur et aux arbitres sur lequel figure le message « le foot, c’est la fête ». Un peu comme la frite.
La Voix du Nord s’interroge : « l’entraîneur lillois jouait-il le 0-0, en espérant secrètement qu’un contre, qui sait, pourrait être mené à terme ? » Allons, il n’y a aucun secret là-dedans ! Dès la 4e minute, le danger Weah se confirme, avec un petit pont sur Dindeleux et un centre dans la surface, mais Leclercq intervient « avec une grande détermination. Présent le LOSC ! ». Et Lille se montre aussi, avec un premier arrêt délicat pour Lama suite à une combinaison entre Sibierski et Assadourian (6e). Dans la minute suivante, « Sibierski décochait un tir lointain qui rebondissait devant Lama. Surpris, le gardien parisien relâchait le ballon. Arrivant le premier sur les lieux, Duncker rata complètement son tir, par excès de précipitation ». Fabio Capello arrive au bout de 20 minutes. La Voix rapporte que l’hôtesse VIP qui l’accueille, ne l’ayant pas reconnu, lui a demandé à quelle société il appartenait.
Dans l’ensemble, Lille tient le choc, avec une défense solide et des joueurs mordants (« malgré leurs faiblesses techniques, les Nordistes avaient le mérite de se battre sur tous les ballons »). Mais il semble difficile de marquer un but : « sur un plan offensif, Sibierski et Assadourian se retrouvaient plus d’une fois à deux contre… sept ! ». Par la suite, c’est encore Lille qui se montre timidement, avec un tir contré de Sibierski, puis un cafouillage dans les six mètres parisiens dont Dindeleux est proche de profiter (43e) ; « le PSG boucla la première mi-temps au petit trot, en se contentant de placer quelques accélérations. Épisodiques, certes, mais toujours marquées du sceau de la qualité ». Lille tient à la pause : 0-0.
Photo HistoireduPSG
« À la mi-temps, nous nous sommes dits que ce serait dommage de nous louper. Nous ne voulions pas avoir de regrets » note Eric Assadourian. Mais à la reprise, c’est Paris le plus dangereux, profitant d’une rare erreur lilloise : perte de balle d’Hitoto, et frappe de Ginola, au-dessus (49e). Quelques minutes plus tard, Nadon est contraint de jouer un ballon de la tête dans sa surface, mais est battu au duel aérien par Weah. Fort heureusement, Dindeleux suit et sauve la maison lilloise (53e).
« Ce PSG qui semblait tranquillement attendre son heure » est surpris à la 55e : Sibierski lance Assadourian dans le couloir droit. Le centre à ras de terre d’Assad passe derrière toute la défense et devant le but parisien, puis trouve Friis-Hansen au second poteau, qui reprend et marque : 1-0. « Incroyable ! » pour la Voix du Nord. Voilà qui est bon signe c’est la 13e fois que Lille ouvre le score cette saison, et ça n’a donné qu’une défaite (contre Nantes) trois nuls, et 8 victoires.
Luis Fernandez fait alors entrer Séchet et Nouma (sous les acclamations du public) aux places de Raï et Valdo (63e) pendant que Jean Fernandez, trop content de son fragile équilibre, gardera le même onze jusqu’à la fin du match. Les Parisiens mettent alors une grosse pression sur le but lillois : Guérin, à bout portant, se heurte à Nadon qui « sort le grand jeu » (65e). Puis Le Guen frappe un coup-franc que Weah dévie de la tête, ça passe juste à côté (70e). Lille a laissé passer l’orage. Et les Dogues sont proches de faire le break sur un remake de l’action de la 55e : Assadourian centre à ras de terre au second poteau, et cette fois Duncker reprend mais, face au but presque vide, il ne trouve que le petit filet (73e).
Photo HistoireduPSG
En toute fin de match, Paris pousse de façon désorganisée, et la défense, notamment Carrez et Dindeleux, font bonne garde. Le LOSC s’impose 1-0, et le PSG est la 8e victime de la saison du redoutable 1-0 des Dogues.
C’est « un sacré bol d’oxygène pour nos lillois » : avec cette victoire, Lille rattrape le faux-pas de Cannes et prend 5 points d’avance sur la zone de relégation. Il reste 8 matches, et ne manquent a priori que 7 ou 8 points pour se maintenir. Et avec une défense si solide, Lille peut voir venir : Carrez et Dindeleux, Carrez/Dindeleux bras dessus, bras dessous au coup de sifflet final, savourent : « si nous ne sommes pas heureux ce soir, nous ne le serons jamais. Mais Weah, quel joueur ! En plus, il n’arrête pas de mettre des coups. Mais il n’a pas marqué. Avec Fredo, nous avons donc rempli notre contrat » se réjouit Cédric Carrez. Jean Fernandez salue ses deux défenseurs centraux : « ils ont été grands ce soir ».
Pour le buteur danois, « ce qui comptait, c’était de donner une autre image que celle que nous avions laissée devant Cannes. Je crois que nous y sommes parvenus ». Nadon, lui aussi décisif, souligne que « l’objectif était de réagir, nous l’avons fait. On a senti, ce soir, un groupe qui voulait gagner à tout prix ». C’est presque l’euphorie pour Fabien Leclercq, qui voit le LOSC déjà maintenu : « en jouant comme cela, on est obligé de se sauver ».
Bien sûr, Lille n’a pas offert une démonstration de football mais a fait preuve de « formidables qualités morales ». Après Cannes, c’est une « réaction d’amour propre », la « victoire du coeur » : « ils se battirent comme des chiens et jouèrent un football franc, direct, celui qui, au fond, cadre le mieux avec leurs capacités. Et le miracle eut lieu. Divine surprise ».
Comme il l’avait planifié, Jean Fernandez a joué la sécurité en espérant une brèche : « j’avais souhaité mettre en place une organisation défensive et jouer sur nos points forts, entre autres la contre-attaque. Techniquement, on ne pouvait pas lutter. Alors on a toujours couru et on s’est dit qu’il y aurait peut être trois ou quatre occasions ; à 1-0, on prend un net ascendant psychologique. Il nous fallait continuer à rester bien organisés en défense et contrer à la moindre occasion. On peut d’ailleurs marquer un deuxième but… ». Oui, mais cette année, ça ne se fait pas !
Chez les Parisiens, on regrette le manque de constance de l’équipe, et on reconnaît la plus grande envie des Lillois, comme chez Bernard Lama : « il est clair que nous avons fait preuve de trop de suffisance ce soir. Quand on a affaire à une équipe bien regroupée, jouant avec son cœur, il est toujours très difficile de tenir le choc. Les Lillois ont plus mordu dans le ballon que nous. Fabio Capello aura vu nos défauts… ».
Lille se maintiendra avec quelques frayeurs jusqu’à la 35e journée, avant de finir avec trois victoires consécutives, dont la dernière, contre Lens. Et Grimonprez (hormis en 1997), restera une citadelle imprenable pour le PSG (de même que le Stadium Nord).
Paris se consolera en gagnant les deux coupes nationales car, en Ligue des Champions, il a été sorti par Milan (0-1 ; 0-2). N’oublions pas que Fabio Capello a trouvé la clé chez Jean Fernandez.
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