Posté le 4 mars 2022 - par dbclosc
Clermont 1946 : 7-1 carton pour le LOSC
Demi-finale de coupe de France 1946 : le LOSC affronte le Stade Clermontois (ancêtre du Clermont-Foot 63), pensionnaire de deuxième division. Les Dogues font parler leur large supériorité en écrasant leurs adversaires par 7 buts à 1. Ils espèrent ainsi remporter leur première coupe de France et entrevoient même le doublé coupe/championnat.
Dimanche 28 avril 1946 : le LOSC et le Stade Clermontois s’affrontent, à l’occasion d’une demi-finale de coupe de France, à Colombes. Si la présence du LOSC, déjà finaliste de la précédente édition, était attendue, la participation des Clermontois est plus surprenante puisque les Auvergnats évoluent en deuxième Division. Mais le tirage au sort leur a fait successivement affronter Gueugnon, Aniche et Le Vésinet, c’est-à-dire des équipes de D3, avant, en quarts de finale, d’éliminer Bordeaux, en bas de classement de D1 : ce n’est donc que sur cette dernière confrontation que l’on peut parler de relative surprise. C’est la première fois que les deux équipes se rencontrent même si, en fouillant un peu, on peut aller trouver deux précédentes confrontations qui ont une parenté avec cette demi-finale.
Il faut pour cela remonter au championnat 1943/1944, un des championnats dits « de guerre », qui opposait des « équipes fédérales ». On trouvait alors dans les équipes de « Lille-Flandres » et de « Clermont-Auvergne » bon nombre de joueurs qui se retrouvent sur le terrain de Colombes en avril 1946. Ces deux oppositions avaient largement tourné en faveur des Nordistes : le 12 septembre 1943, à Clermont, les Nordistes s’imposent 4-0 (doublé de Bihel, Baratte, Lechantre) ; au match retour1, joué au stade Henri-Jooris le 16 janvier 1944, Lille-Flandres s’impose 7-1 (quadruplé de Bihel, doublé de Bigot, et Tempowski).
Ainsi, le championnat fédéral fait apparaître une nette supériorité des Nordistes sur les Auvergants. Mais ce championnat monté de toutes pièces par le régime de Vichy avec les joueurs disposés et disponibles rend largement artificielle toute tentative d’interprétation purement sportive de ses résultats. Deux saisons plus tard, la hiérarchie entre Lille et Clermont est objectivée par la présence du LOSC en D1 et de Clermont en D2 : les Auvergnats ont en effet été rétrogradés de la D1 (groupe Sud) à l’issue de la saison 1944/1945. Cela semble logique tant il n’existe pas de tradition footballistique à Clermont-Ferrand : la présence de « Clermont-Auvergne » dans la championnat fédéral doit davantage à une volonté de représentation équilibrée du territoire national de la part de Vichy qu’à la logique sportive. Dès lors, à mesure que le contexte se normalise, Clermont retrouve son rang footballistique : à travers le stade clermontois, fondé pendant la guerre, ce rang est celui d’un club « simili-professionnel », comme le note L’Équipe (24 avril 1946), formé d’amateurs, en plus de quelques professionnels qui, durant l’Occupation, ont franchi la ligne de démarcation (on raconte que Davin, de Longwy, aurait traversé l’Allier à la nage pour rejoindre la « zone libre »).
Ainsi, au Stade Clermontois, à l’exception de deux ou trois joueurs (comme William Martin, à la à la fois capitaine et entraîneur de l’équipe, ancien international B), les footballeurs ont un emploi. L’équipe ne compte que 11 joueurs, et n’a donc pas de remplaçant ; son gardien de but, Schoettel, est commissaire de police ; Stefano Bruzzon est vendeur ; l’ailier gauche Hubry est un ancien gendarme ; Jan Renko est comptable ; le demi-centre Delagneau est restaurateur (on dit d’ailleurs : « il cuisine très bien Delagneau, mais les autres viandes aussi ») ; l’avant-centre Gevaudan tient avec sa sœur un magasin de parapluies, etc. à la Libération, les quelques vedettes passées par Clermont sont parties (comme Lucien Leduc, ou l’ancien Fivois, Lensois et Roubaisien Edmond Novicki, qui rejoint le LOSC en 1944). Bref, la présence de Clermont dans l’élite du football semble constituer un accident de l’Histoire.
Dans ces conditions, la supériorité des Dogues semble ne pas faire de doute. Les Lillois alternent entre la première et la deuxième place du championnat national, et ont eu fort à faire pour éliminer de la coupe Nancy (pourtant en D2), et surtout Rouen puis le Racing. Oui, mais le LOSC est dans une mauvaise passe.
Alors qu’il comptait 4 points d’avance en tête du championnat, le LOSC marque le pas avec trois défaites consécutives : face à Rennes (2-5), au Racing (1-2), puis de nouveau à la maison face à Roubaix (0-2), si bien que les Stéphannois ont recollé aux Lillois. Les deux leaders ont perdu 8 matches sur 26, soit presque le tiers. À ce stade de la compétition, seul Marseille (en 1936-1937) a fait moins bien (9 défaites). Cependant, Lille est toujours le mieux placé, mais faut-il s’inquiéter ? Après la défaite face à Roubaix, L’Équipe, qui qualifie les Lillois de « méconnaissables » imagine une fin en queue de poisson pour Lille :
« Lille qui, voilà six semaines, faisait figure d’équipe irrésistible, capable d’enlever sans coup férir championnat et coupe, tremble maintenant sur ses bases, se montre inquiète, nerveuse, instable, se fait battre deux fois de suite sur son propre terrain, soumet ses partisans au régime de la douche glacée et nous donne à penser qu’elle finira, une fois de plus, par échouer sur les deux tableaux ! » (25 avril).
Du côté du club, cette mauvaise série sème évidemment le doute. Le président du club, Louis Henno, s’interroge : « Nous faisons tout ce que nous pouvons pour amener notre équipe à la meilleure condition, nous étudions toutes les combinaisons possibles, lorsqu’un vide se produit pour maladie ou blessure. Bien entendu, nous ne trouvons pas toujours la solution idéale. Mais par contre, nous sommes interloqués, ahuris, stupéfaits lorsque, comme hier, nous voyons évoluer un team sans âme, sans conviction, sans cran. Comprenne qui pourra ! (…) Le bonheur endort. Nous touchons au double but pour lequel nous avons oeuvré au maximum, écarté les obstacles les plus difficiles. Le problème consiste maintenant à ne pas baisser les bras au moment crucial »
Au LOSC, on refuse de parler de crise. Ainsi, au premier étage de la brasserie l’Aubette, là où se trouve le siège du club, le secrétaire Marcel Dassonville réfute tout malaise : « cette demi-finale ne nous tracasse pas davantage qu’un quelconque match de championnat. Nous savons que nos joueurs, physiquement, sont parfaitement au point. Alors nous attendons d’eux qu’ils entament à Paris le sprint final. Et qu’ils le poursuivent mercredi à Lille contre Saint-Etienne ». Et on préfère évoquer l’adhésion du 1000e membre au groupe de supporters « Allez Lille ! ».
Cependant, L’Équipe relate à quel point le club lillois, sous la houlette de son entraîneur Geroge Berry, a resserré les vis et a soumis ses joueurs à un « régime britannique » pour préparer le match de Clermont.
Ainsi, puisque le LOSC compte aussi des « travailleurs », on a prié François Bourbotte de se mettre en congés de la direction régionale des PTT où il est salarié, et Bolek Tempowski d’« abandonner la charrue » pour cette semaine. Georges Hatz, le gardien de but, qui a une résidence principale à Paris, est lui aussi prié de rester à Lille pour préparer le match. George Berry explicite le programme : « tous ces garçons manquaient de balle. Quand ils se sont présentés dimanche dernier contre Roubaix, ils n’avaient pas joué depuis le 31 mars. Résultat : exhibition lamentable. Or, le lendemain à Courtrai, contre une solide sélection belge, ils ont fait un match à tout casser. Personne ne les aurait battus ce jour-là. Ne trouvez-vous pas cela un peu… drôle ? Alors j’ai dit « mes petits gars, vous allez sérieusement travailler ». Et mardi, au lieu de les faire reposer, je les ai convoqués au stade. Programme : exercices d’assouplissements et séries de sprints. Et aujourd’hui, ils ont joué un match de mise au point contre les réserves. Ils reviendront encore demain pour un léger galop ». Ce programme intensif convient au capitaine François Bourbotte, qui affirme : « notre équipe a besoin d’être soumise à une activité constante. Alors que d’autres se plaignent de trop jouer, nous, par contre, gagnons à multiplier nos efforts. Notre cohésion et surtout notre esprit de compétition ne s’accommodent pas de passages à vide. C’est la raison pour laquelle on ne nous met pas au vert, comme le font certains clubs. Et maintenant, plus que jamais, il s’agit de retrousser les manches. L’occasion se présente pour nous de faire coup double, en coupe et en championnat. Ce serait idiot de la gâcher ».
Concentration maximale pour que le rêve ne s’évapore pas : cette semaine studieuse devrait permettre aux Dogues de s’imposer. C’est en tout cas ce que pronostique toute la presse, comme L’Équipe, qui assure que « la plus solide technique lilloise doit s’imposer nettement » (27 avril), et la Voix du Nord, qui estime qu’« en dépit des exploits réalisés par Clermont, nous ne pensons pas que qu’il soit de taille à battre l’équipe lilloise, si cette dernière veut bien se donner la peine de disputer sa chance avec ardeur ». Même si Lille « n’a plus sa belle assurance d’il y a deux mois » (VDN), les Clermontois ne devraient rien viser d’autre que « faire un bon match » (L’Équipe) : « sans doute ne seront-ils pas écrasés. Nous ne croyons pas en une marque très lourde en faveur des Lillois ». Le quotidien sportif national considère en effet que les Auvergnats ont tout de même de beaux atouts, que symbolise notamment l’ailier droit Bini, qualifié de « jeune et rapide », à l’image de son équipe globalement « vive et énergique ». Sera-ce suffisant pour contrer une équipe « plus robuste, plus technique, mieux aguerri aux rencontres difficiles »… ?
Le LOSC propose une « éblouissante démonstration de football » (la Voix du Nord), en marquant dès la 40e seconde par Bihel, profitant d’une belle erreur d’un arrière qui n’appuie pas suffisamment une passe en retrait au gardien. Après 6 minutes de jeu, Tempowski porte la marque à 2-0. Par la suite, les Clermontois « réagissent vigoureusement » : ils dominent pendant un quart d’heure et réduisent l’écart par Gévaudan (16e) puis trouvent le poteau du but de Hatz. Le jeu est alors « assez équilibré » jusqu’à la pause, sifflée sur le score de 2-1 pour Lille.
« Mais les Auvergnats ne sont pas de taille à tenir longtemps cette cadence » ils s’effondrent en seconde période et les Dogues s’en donnent à cœur joie : Tempowski permet à Lille de rapidement mener 3-1 en seconde période. Ce but coupe « jambes, réflexes et réaction » (L’Équipe) chez les giscardiens. À partir de là, « technique individuelle, placement, marquage et démarquage, autorité, vigueur athlétique, rapidité de course et d’exécution constituèrent pour les joueurs nordistes autant d’avantages flagrants » : face à une opposition qui n’a plus la même vigueur, le LOSC se déchaîne avec Vandooren (60e), Bihel (70e), Tempowski encore (74e), puis Lechantre (85e), qui portent la marque à 7 à 1, une « marque brutale » selon L’Équipe. Et encore : selon la Croix du Nord, « l’arbitre, plein de sollicitude aveugle pour le plus faible, oublia de sanctionner quelques fautes graves, dont deux au moins valaient un pénalty » (30 avril).
« Le Vieux-Lille supérieur au Bleu d’Auvergne » (La Croix du Nord) : le LOSC est en finale !
6 buts d’écart en demi-finale de coupe de France : la performance avait déjà été réalisée par le Red Star en 1928, contre le Stade Français (8-2) ; et en 1941, Marseille a écrabouillé Lens 9-1. Les Lensois pourront toujours dire que la guerre les a perturbés.
Voilà les Dogues en course pour un historique doublé, et pour faire de Lille la place forte du football national. Et s’ils devaient choisir, tous préfèrent miser sur la coupe, et ainsi cesser d’être les « brillants seconds » (L’Équipe), comme en 1945 (mais aussi en 1939 avec l’Olympique Lillois). Par bonheur, ils n’auront pas à choisir et rafleront les deux trophées nationaux.
Pour davantage d’éléments sur la saison 1945/1946 du LOSC :
http://droguebierecomplotlosc.unblog.fr/2021/03/26/1946-lille-champion-du-calendrier/
http://droguebierecomplotlosc.unblog.fr/2021/03/27/1946-lille-coiffe-ses-adversaires-pour-une-premiere-coupe/
Note :
1 L’Auto souligne qu’il y avait « un brouillard si dense qu’on ne vit pas grand chose de ce qui se passait sur le terrain » (17 janvier 1944) ; pour le Grand Echo (17 janvier 1944), le match, en raison des conditions météorologiques, s’est joué « dans des conditions d’irrégularité absolue », « on ne voyait pas à 15 ou 20 mètres ».
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