Posté le 30 mars 2022 - par dbclosc
Ajaccio 2004 : Chalmé en roux libre
Le football est un sport d’où surgit de temps à autre une dimension irrationnelle : le 13 mars 2004, Matthieu Chalmé, qui n’avait jamais marqué avec le LOSC – et ne marquera plus -, inscrit un triplé à Ajaccio. En terre corse, le LOSC signe ainsi une belle victoire qui symbolise son renouveau.
L’histoire entre Matthieu (deux « t ») Chalmé et le LOSC commence très mal : en décembre 2001, celui que l’on ne surnomme pas Rouquinho fait partie, au poste d’arrière droit, de l’équipe de Libourne-Saint-Seurin qui élimine le LOSC de la coupe de France (2-0), après une « faillite collective » des Dogues selon la Voix du Nord du 16 décembre. « Une élimination qui casse Libourne », disait-on alors à Lille, puis à Metz et à Châteauroux, également sortis par les Girondins.
C’est donc probablement à cette occasion que se créent les premiers liens entre Matthieu Chalmé et le LOSC. Il est présent à la reprise de l’entraînement du LOSC en juin 2002, sous la direction de Claude Puel. Chalmé est en effet l’un des nouveaux visages d’un LOSC profondément remanié, tant au niveau des joueurs que de l’encadrement. Aligné au milieu de terrain, il participe à la campagne Intertoto qui mène le LOSC jusqu’en finale. En juillet 2002, la Voix des Sports le qualifie d’« homme sûr », au même titre que Fahmi et Pichot : « il n’a pas tardé à confirmer tout le bien que les Libournais pensaient de lui ». L’hebdomadaire va un peu vite en besogne : au cours de sa première saison, Chalmé joue à 20 reprises en championnat (8 titularisations), et ses prestations ne sont pas franchement convaincantes, dans un collectif lui-même assez peu performant.
Lors de la saison suivante, il joue encore moins : durant la première partie de saison, jusqu’à la trêve hivernale, il ne joue que 5 fois (3 titularisations), avec une expulsion à la clé. Durant cette période, le LOSC connaît un énorme trou d’air, avec 12 matches sans victoire à l’automne 2003. Quand arrive l’année 2004, la situation lilloise ne s’arrange guère : mi-janvier, le LOSC s’incline à domicile face à Toulouse (0-1). Matthieu Chalmé participe au match, et Lille est au plus mal, à seulement deux points de la zone de relégation. Christophe Landrin s’est gravement blessé dès l’entame du match, et Ali Lukunku et Youssef Sofiane, deux des recrues du mercato, ont déjà fait la preuve qu’il ne faudra pas compter sur eux pour remonter dans le classement. Mais tout va s’arranger, et Matthieu Chalmé prend dès lors une part prépondérante dans le 11 lillois.
Outre Lukunku et Sofiane, le LOSC a également recruté les deux joueurs qui lui manquaient : derrière, le Grec Tavlaridis, qui apporte de l’équilibre à la défense ; et devant, le Slovène Acimovic, qui devient le leader technique de l’équipe. Après Toulouse, le LOSC signe 5 victoires en 6 matches, et cette spectaculaire série est d’une part attribuée à l’apport décisif de Tavlaridis et d’Acimovic, et d’autre part à l’émergence de jeunes joueurs qui, après avoir ronronné depuis des mois, sortent enfin les griffes, tout en profitant des nombreuses blessures de leurs coéquipiers : on pense notamment à Makoun, qui devient incontournable au milieu, à Bodmer, à Dernis, à Moussilou, aux premières apparitions de Fauvergue et de Debuchy, et donc à Matthieu Chalmé, quand arrive ce match à Ajaccio le 13 mars 2004.
En cas de victoire, le LOSC aura 40 points, et le maintien sera quasiment assuré. On envisage même l’Intertoto, une ambition difficile à imaginer en janvier. Ajaccio, de son côté, lutte pour sa survie en L1, si bien qu’on voit bien les Lillois enchaîner avec une quatrième victoire consécutive à l’extérieur (après Metz, Monaco et Montpellier). Car le LOSC est « métamorphosé par la touche technique de ses recrues et l’enthousiasme d’un effectif rajeuni par la force des choses » (VDN, 13 mars 2004). Stéphane Pichot résume la situation du LOSC et la bonne passe actuelle : « en début de saison, je crois que nous étions finalement supris par autant de réussite1. Nous avions battu Lyon et Paris à l’issue de matches accrochés que l’on aurait pu perdre. Ces résultats ont peut-être faussé les jugements sur notre réel potentiel (…) Aujourd’hui, on sent davantage de progression dans notre jeu. L’équipe est plus solide (…) Ceux qui avaient peu joué jusque là ont su saisir leur chance au moment où il fallait une rébellion collective. La montée des jeunes a également piqué des joueurs qui se sentaient un peu trop installés ». Matthieu Chalmé appartient aux deux catégories qui ont saisi leur chance : il fait à la fois partie de ceux qui ont peu joué, et des jeunes.
Le matin du match, la Voix du Nord a le nez creux en consacrant à Matthieu Chalmé son habituel « portrait chinois », sorte de rubrique dans laquelle on n’apprend rien de très intéressant, ou rien de ce qu’on aurait aimé savoir.
Le LOSC, privé de Manchev, Lukunku, Debuchy, Cheyrou, Landrin, Plestan, Brunel et Baciu, se présente à Ajaccio avec la composition de départ suivante :
Wimbée ;
Pichot, Tavlaridis, Abidal, Tafforeau ;
Makoun, Bodmer ;
Chalmé, Acimovic, Dernis ;
Moussilou
Devant 3 000 spectateurs (dont 8 lillois, selon la Voix du Nord), le match débute après une minute de silence suite à l’attentat en gare de Madrid l’avant-veille.
La première période est assez insipide, mais les Lillois, « bien aidés par la faiblesse de l’équipe corse », profitant de « l’étonnante apathie » de l’ACA, ont tout de même « plus de cohérence et de consistance » et ouvrent la marque juste après l’annonce du temps additionnel. De la gauche, un centre de Dernis est mal repoussé par Trévisan ; à l’entrée de la surface de réparation, Chalmé cherche d’abord à frapper du droit mais, voyant un défenseur revenir, il réalise finalement un crochet et enroule une frappe du gauche : poteau rentrant et 1-0 pour le LOSC à la pause, qui fait preuve d’un « terrible réalisme ». Les joueurs regagnent les vestiaires sous la bronca du public ajaccien, apparemment très remonté contre l’entraîneur Dominique Bijotat : « il y a autant de spectateurs que de petits noms d’oiseaux qui ont fusé depuis les tribunes. Particularité ajaccienne : les locaux en prennent autant pour leur grade que les visiteurs ».
En seconde période, face à une « équipe ajaccienne visiblement mortifiée par son opération maintien », Lille gère tranquillement et fait mouche dès qu’il attaque : à la 62e minute, Chalmé obtient un coup-franc à une quarantaine de mètres du but adverse. Acimovic lance alors Moussilou, qui centre en retrait vers Chalmé, qui conclut de nouveau grâce à une frappe légèrement déviée (0-2). Quelques minutes plus tard, Acimovic déborde à gauche ; son centre est renvoyé de la tête par Seck sur… Chalmé, qui reprend de volée et inscrit un nouveau but (0-3, 69e).
Le LOSC s’impose 3-0 en Corse, grâce à un triplé de Matthieu Chalmé en roux libre. Le public ajaccien salue cette victoire nordiste par des « interpellations aussi fleuries qu’un bouquet de printemps ».
Sacrée performance pour Chalmé, qui « a surpris tout le monde, à commencer par lui-même » : on se croirait un soir de juillet 1998 après un doublé de Lilian Thuram.
Le dernier triplé d’un Lillois en championnat remontait à 1997, avec Samuel Lobé contre Martigues. Mais pour trouver un véritable coup du chapeau (trois buts consécutifs), il faut remonter à 1983, avec Dusan Savic contre Toulon (entretemps, Guy Lacombe avait réalisé un triplé, mais pas un coup du chapeau, contre Sochaux en 1986). Matthieu Chalmé a pourtant été « plutôt discret dans le jeu » selon la Voix des Sports. L’hebdomadaire lui donne certes la meilleure note du soir, mais elle n’est « que » de 7,5/10, et elle est accompagnée de ce commentaire curieux : « s’il n’avait pas inscrit trois buts dans cette rencontre, le milieu de terrain n’aurait assurément pas eu cette note, mais à circonstance exceptionnelle, note qui l’est tout autant ». Bref, à part ce triplé, Chalmé a apparemment été complètement invisible. La Voix des Sports s’attarde davantage sur les performances de Tavlaridis, Abidal, Makoun, Bodmer et Acimovic.
Chalmé, qui a mimé un ventre rond après chaque but, « dédie [s]es trois buts à [s]a femme qui est enceinte » : pas sûr que Madame Chalmé soit ravie que son mari fasse un nouveau triplé d’un coup dans ce domaine. Mais cela explique probablement que le LOSC soit proche de sortir du ventre mou.
Taquin, il « dédie aussi ce triplé à Stéphane Pichot, qui n’a jamais marqué un but en première division ». Ce n’est pas tout à fait vrai, car Pichot a déjà marqué à Lyon en novembre 2001, puis à Bordeaux en décembre 2003. Contre son camp, d’accord, mais c’est but quand même. « Peu importe qui marque ce soir. Nous voulions simplement la victoire qui permet de continuer notre série. Mon dernier triplé doit remonter à l’époque où j’évoluais avec les moins de 17 ans. Tous nos efforts commencent à payer. Je ne jouais pas en début de saison mais j’ai su profiter des blessures d’autres joueurs pour saisir ma chance ». Pour Claude Puel, « quel que soit le résultat, nous voulions nous maintenir dans les bonnes dispositions actuelles. L’équipe a montré du sérieux, de l’enthousiasme, mais aussi de l’efficacité et de l’opportunisme. Matthieu Chalmé ne marquera pas trois buts toutes les semaines. Qu’il savoure sa réussite et qu’il prenne un peu la grosse tête pendant deux jours ! Après, il devra se remettre au travail ».
Cependant, on craint que le triplé ne soit officiellement pas validé. Non pas parce que le speaker du stade François-Coty a annoncé par erreur que le premier buteur était Jean II Makoun – en voilà un qui a l’élégance, que n’a pas Christian Palka, de confondre un joueur noir avec un joueur blanc – mais parce qu’à l’issue de la rencontre, la Ligue acorde le deuxième but à Mamadou Seck contre son camp. Xavier Thuilot passe alors un long moment avec le délégué de la Ligue présent au stade, au point de retarder le bus du LOSC, mais rien n’y fait : quand les Dogues quittent la Corse, Matthieu Chalmé n’a plus que deux buts à son compteur.
Mais tout s’arrange le dimanche matin : la Ligue prévient le LOSC que le deuxième but lillois est bel et bien attribué à Matthieu Chalmé, qui peut donc revendiquer un authentique hat-trick.
Tout va mieux pour le LOSC qui « marque désormais les buts qu’il encaissait au cœur de la tempête automnale » et repart sur les (coups du) chapeaux de roux. Lille revient à un point de Lens alors que se profile le dernier derby à Grimonprez-Jooris. Et au-delà, Claude Puel a désormais imprimé sa marque sur l’équipe du LOSC, et pose les bases des aventures européennes à venir, avec un Matthieu Chalmé qui s’installera un cran plus bas que lors de cette drôle de soirée à Ajaccio.
C’est ce qui peut en partie expliquer cette surprenante péripétie dans sa carrière, presque une anomalie : on n’a en effet même pas le souvenir que Matthieu Chalmé se retrouve de temps à autre en position de marquer, tant sa qualité de « petit » défenseur l’amène logiquement à ne pas monter sur les coups de pied arrêtés offensifs. Et, de fait, il n’inscrira plus aucun but pour le LOSC, et n’en marquera qu’un autre au cours de sa carrière professionnelle (avec Bordeaux au Mans en décembre 2008).
Note :
1 Le LOSC a commencé la saison avec 3 victoires, contre Lyon (1-0), Paris SG (1-0) et à Toulouse (3-0).
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