Archiver pour juin 2022
Posté le 25 juin 2022 - par dbclosc
Gourvennec, « l’échec » de qui ?
La saison écoulée du LOSC permet sans doute de davantage mesurer les attentes autour du LOSC que d’émettre une opinion sur le degré de compétence de Jocelyn Gourvennec. Sur un terrain si miné, un autre aurait-il fait beaucoup mieux ?
« Fin de la collaboration entre le LOSC et Jocelyn Gourvennec » : c’est par un communiqué ainsi titré que le LOSC a annoncé qu’il mettait à la porte son entraîneur, seulement 11 mois après son arrivée. L’issue de la « collaboration » ne semblait plus guère faire de doute depuis quelques semaines, au regard de l’absence de communication du club sur le sujet, et notamment après l’annulation de la rencontre Létang/Gouvennec prévue le 23 mai, puis de la circulation de rumeurs précises sur la venue de Paulo Fonseca. Voilà qui met fin à un désamour entre le désormais ancien entraîneur du LOSC et, manifestement, une partie non négligeable du public lillois, qui a manifesté son mécontentement de plus en plus bruyamment après la défaite contre Lens (1-2) en avril, prélude à une fin de saison franchement décevante, en témoigne l’incapacité à produire quelque chose à domicile face aux trois relégués : 0-0 contre Metz, Saint-Etienne et Bordeaux.
Parmi la diversité des opinions émises, ressort une tendance générale qui semble faire consensus : le bilan est moyen en L1, et bon (et même « historique ») en Ligue des Champions. Et, au-delà des résultats, ont été pointés la piètre qualité de jeu, le manque d’animation offensive, ou une communication jugée maladroite. Gourvennec ayant été pointé du doigt durant toute la saison, son départ valide la thèse selon laquelle il serait le responsable du relatif décrochage du LOSC. Autrement dit : il a échoué, il n’a pas été à la hauteur et même, selon certains, il est « incompétent » et serait une « erreur de casting ».
Nous sommes d’accord : globalement, la saison n’a pas été emballante. Cependant, la relation de causalité entre les résultats du LOSC et le travail de Jocelyn Gourvennec nous paraît bien moins directe et simpliste qu’une simple équation : résultats moyens = entraîneur moyen. Tout se passe comme s’il y avait un consensus sur l’idée que les résultats ne seraient que le reflet et la résultante de du travail entre un entraîneur et ses joueurs. Or, si cette dimension n’est évidemment pas négligeable, elle est un élément parmi d’autres à prendre en compte pour tenter d’estimer les qualités de coach de Gourvennec, autrement dit : tenter d’apporter son apport propre, qu’il soit positif ou négatif. Et, avec un peu d’honnêteté, parvenir à satisfaire cette ambition relève davantage de la gageure, et invalide une bonne partie des jugements définitifs portés à son égard à l’issue de son expérience lilloise.
On oublie un peu vite ce pénalty volontairement raté face à Grégory Wimbée
Gourvennec et la frustration relative
Il y a un an, on pouvait anticiper que cette saison serait moyenne, ou en tout cas serait perçue comme telle, avec ou sans Gourvennec. Fin 2020, le changement inattendu de présidence a redéfini le projet du club, à l’aune de moyens plus réalistes (et sans doute plus honnêtes) ; si ce changement n’a pas brisé la dynamique sportive en cours de saison et a permis d’aller jusqu’au titre, on peut faire l’hypothèse que la réplique sportive de cette secousse de « gouvernance » s’est manifestée à l’orée de la saison 2021/2022. En effet, l’été 2021 correspond à la fin d’une période de 3 ans, une durée considérée comme « un cycle », au cours de laquelle, grâce à un groupe relativement stable, il a été possible de bâtir un projet commun. La fin de l’aventure Galtier constitue une rupture autant sportive que symbolique : les succès sont tant associés à sa personne que son départ donne l’illusion de tourner le dos au succès. Sous-entendu : le nouveau président se prive – par manque de compétence, de conviction, d’expérience, ou la faute à un caractère ingérable entre autres explications psychologisantes – d’un entraîneur qui a emmené le LOSC au sommet, pour prendre un entraîneur au palmarès moins prestigieux. Mais c’est là la traduction concrète des moyens du club à cet instant ! L’illusion consiste à croire que tout se joue au niveau de la personnalité des entraîneurs alors que, si l’on regarde de manière plus globale, il se peut que ce ne soit pas le départ d’un homme (Galtier) qui provoque la baisse de régime du LOSC, mais que le départ d’un homme résulte de l’anticipation par celui-ci de la baisse de standing d’un club : c’est bien parce que certains savent qu’ils ne pourront pas aller plus haut qu’ils préfèrent quitter le club à l’apogée de ce qu’ils pourront y faire. Attribuer au départ de Galtier et à l’arrivée de Gourvennec la cause des (relatifs) malheurs du LOSC nous semble donc revenir à inverser cause et conséquence : le départ de Galtier (l’arrivée de Gourvennec) est une conséquence (ou un symptôme) de dynamiques profondes au sein du club. Galtier – dont on sait d’ailleurs pas s’il ne serait pas parti même sans changement de présidence – anticipant une saison moyenne s’en va et s’évite une peu reluisante comparaison. La façon dont il négocie son intersaison tend à confirmer l’hypothèse qu’il supporte mal que son environnement de travail ne soit pas nickel et qu’il est un excellent politique, de ceux qui parviennent à négocier de bonnes conditions de travail avant de donner son accord.
Ainsi, il était presque prévu que le club connaisse une phase de reflux. À tort ou à raison, beaucoup d’observateurs considèrent que Lille a « sur-performé », thèse alimentée par l’idée que des joueurs évoluaient en 2020/2021 « à 110% » (voire plus), et le contraste entre les performances de Burak Yilmaz d’une saison sur l’autre ne permet pas de la contredire. Au-delà de ces théories impossibles à étayer dans un sens ou dans l’autre, on peut davantage soutenir qu’il est déstabilisant pour des joueurs d’être venus à Lille sur la base d’un projet qui, quelques temps après, n’est plus le même et est, de leur point de vue, sans doute moins attractif. Certains sont partis, souhaitant peut-être garder de Lille les images intactes du succès. Ceux qui restent peuvent légitimement avoir du mal à admettre qu’il sera difficile de faire mieux. Les performances sur le terrain peuvent traduire cette adaptation. De la même manière, on peut estimer qu’il y a une forme de décrochage relatif du public, qui doit aussi se remobiliser autour du neuf, croire en de nouvelles personnes, et à un nouveau projet.
Et cette transition est d’autant plus difficile quand elle coïncide avec une période de réussite. En effet, la saison 2020/2021 a été si aboutie, et ponctuée par un titre, qu’il est impossible de faire mieux. À moins de s’appeler le PSG, aucun club français n’a remporté un titre deux fois consécutivement depuis la période de domination lyonnaise sur le football français. La période post-titre, qui s’ouvre symboliquement avec le départ de Galtier et l’arrivée de Gourvennec, succède alors à une période si faste que l’on sait que les émotions qu’elle a procurée seront difficiles à égaler. Dès lors, la frustration et la déception causées par la saison 2020/2021 était écrite d’avance : l’inévitable comparaison entre le passé et le présent ne peut se faire qu’au détriment du présent.
N’oublions cependant pas que, sans le Covid, le LOSC aurait probablement connu quelques départs majeurs dès l’été 2020, notamment de tous ceux en fin de contrat en 2022 (car il y a moins de marges de négociations possibles quand il ne reste qu’un an de contrat, cf Maignan et Soumaré). Le LOSC a finalement obtenu un effectif avec des moyens qu’il n’avait pas, et ça l’a tellement plombé financièrement que le proprio a été viré. C’est donc avec cet effectif improbable que le LOSC est champion : c’est sympa, mais ça peut pas devenir un référentiel. La thèse de l’heureux accident aurait pu s’imposer plus vite dans les esprits pour s’éviter de rêver trop grand.
Ainsi, après une période faste, quand les résultats ne sont pas là, la colère prend rapidement le dessus. Elle se cristallise sur ceux qui, nouvellement arrivés, incarnent le club, et particulièrement l’entraîneur. Tout s’accorde alors pour que le LOSC se retrouve en situation de générer de la frustration relative, un concept ancien de sociologie qui a notamment permis d’analyser les mobilisations collectives et qui part d’un constat a priori contre-intuitif : dans une société donnée, le plus souvent souvent, ce ne sont pas les plus démunis qui se révoltent et s’engagent dans une action collective. La grille d’analyse est assez simple à appréhender : les frustrations relatives désignent un état de tension entre des satisfactions attendues et des satisfactions refusées, ce qui crée des insatisfactions et alimente un potentiel de mécontentement et d’action collective. La frustration, c’est donc un décalage entre ce que des individus se considèrent comme en droit d’attendre et ce qu’ils reçoivent effectivement. La frustration est dite relative car elle n’est pas absolue : on est frustrés relativement à des attentes qui ne se réalisent pas. Après tout, quand on termine 10e, cela signifie que 10 clubs ont fait moins bien : y a-t-il, dans l’absolu, matière à sombrer dans le catastrophisme ? Sans doute pas mais, relativement au statut de club champion en titre, ou même « seulement » de club habitué à l’Europe, c’est moins acceptable. C’est ce qui explique, en partie, que l’entraîneur du LOSC ait été particulièrement ciblé, alors que, à notre connaissance, les entraîneurs de Lorient ou de Brest n’ont pas eu à subir le même traitement même si, dans l’absolu, leur situation est plus compliquée. C’est pourquoi, selon la théorie de la frustration relative, des groupes « privilégiés » peuvent ressentir davantage de « frustrations », et donc être en position de se mobiliser davantage qu’un groupe plus démuni. Ici, c’est bien le titre qui crée des attentes qui, au regard de la situation nouvelle du LOSC, ne peuvent être assumées. La frustration relative se crée dans ce différentiel. En quelque sorte, plus on est haut, plus la chute est douloureuse : quand Létang affirme avoir récupéré un club en faillite, si au lieu d’injecter 50M€ à son arrivée, il décide de vendre, le LOSC n’est probablement pas champions et la perception de chute est moins grande…
Le précédent 2002/2003
Ce que nous avons vécu lors de la saison 2021/2022 présente bon nombre de similitudes avec la saison 2002/2003, et nous en avons abondamment parlé dans cet article : résultats en dents de scie qui deviennent franchement catastrophiques au cours de l’hiver, un jeu insuffisant, un entraîneur (Claude Puel) considéré comme trop discret, un président (Michel Seydoux) qui découvre le métier, semble perdu et a une communication maladroite (notamment sur le projet de « Grand Stade »), un public hostile… Au LOSC, le contraste avec le passé récent était saisissant. Rappeler aujourd’hui que Claude Puel et Michel Seydoux ont été conspués pendant 6 mois à chaque match du LOSC à domicile (avec, en prime, quelques semaines où le mécontentement s’est de nouveau manifesté vers novembre-décembre 2003 après une série de 12 matches sans victoire) peut faire sourire. Comment expliquer que Claude Puel et Michel Seydoux, qui ont amené le LOSC plusieurs fois en Ligue des Champions, et même à un titre national en 2011 – Puel n’y est pas étranger – aient été considérés comme « incompétents » au point que leur démission a été réclamée pendant plusieurs mois ? N’étaient-ils donc pas les mêmes hommes ?
Dans un club sportif s’entremêlent des enjeux humains, sportifs, économiques et politiques. un changement d’hommes ne peut se réduire à un changement d’organigramme, avec des individus interchangeables où les nouveaux arrivés n’auraient qu’à faire fructifier un heureux héritage. Or, à chaud, on regarde souvent les successions, quand elles ne se traduisent pas par une réussite sportive, comme si les nouveaux dirigeants faisaient n’importe quoi du trésor qu’on leur a offert sur un plateau. Or, qu’a-t-il été reproché à l’époque à Michel Seydoux et à Claude Puel ? Bien sûr, d’avoir des résultats moyens, et même mauvais, plus qu’en 2021/2022 : 14e, le LOSC n’a assuré son maintien qu’au soir de la 37e journée. Mais aussi de ne pas avoir su créer d’identité de jeu, d’être allés chercher des joueurs au niveau douteux (Bonnal, Tapia, Fortuné, Campi, Chalmé – sa première année était une catastrophe) tout en ayant « bradé » les « actifs » du club (Cygan, Cheyrou et Bakari), au point qu’on se demandait quel était ce président qui se laissait taper sur les doigts par la mairie (sur la question du futur stade), et si Puel n’avait pas été champion avec Monaco en 2000 que parce qu’il a bénéficié d’un effectif exceptionnel.
Le recul que l’on a désormais sur les années Puel et Seydoux permet de voir la saison 2002/2003 comme une transition, difficile, après une période de réussite. Entre 1999 et 2002, le club a survolé la deuxième division, s’est ensuite placé aux 3e puis 5e places du championnat, a brillamment découvert l’Europe, grâce à une équipe vaillante dont les performances sont inséparables de son charismatique entraîneur, Vahid Halilhodzic. Une période exceptionnelle, tant elle a été faste sportivement, et d’autant plus belle qu’elle succédait à 40 ans de déceptions (on aurait donc ici en sens inverse une maximisation de la satisfaction relative). À des années-lumières de ce qu’il a été dans les années 1990, le LOSC a été attractif, et les politiques et le public sont revenus à Grimonprez-Jooris. Comment rivaliser avec cette période ? Dès lors, la frustration et de la déception causées par la saison 2002/2003 étaient écrites d’avance, aussi car on s’habitue vite à un train de vie plus confortable. Et cela n’a finalement pas grand chose à voir avec les qualités et les défauts de Claude Puel qui, dans ce contexte, ne sont qu’une variable parmi d’autres pour expliquer les résultats du LOSC et leur perception. Quand on connaît la suite, on sait bien que la compétence de Claude Puel n’était pas en cause.
Il est d’ailleurs étonnant que Jocelyn Gourvennec ait vécu, à 19 ans d’intervalle, la même mésaventure que Claude Puel : se prendre une rouste contre son prédécesseur, avec son nouveau club : on se rappelle que le LOSC a pris 0-4 à la maison contre le Nice de Galtier, et Puel avait pris 1-5 chez les Rennes qu’Halilhodzic venait de reprendre, avec des joueurs qui avaient semblé tétanisés d’affronter l’entraîneur qui les avaient menés si haut (on en a parlé ici). Et on se rappelle qu’il avait fallu compter sur l’ingéniosité des organisateurs pour éviter un triomphe à Halilhodzic lors du match retour, alors que le LOSC jouait sa peau. Ces défaites n’ont pu que renforcer le contraste et valider l’évidente apparence d’un entraîneur « compétent » d’un côté, « incompétent » de l’autre.
Au-delà des hommes, c’est donc le contexte qui explique en grande partie des saisons 2002/2003 et 2021/2022 médiocres. Cette grille de lecture ne fonctionne qu’en partie sur la saison 2017/2018 : en effet, une frustration pêut également se faire ressentir entre les paillettes promises par l’arrivée de Bielsa et ce qu’on en a vu mais, à l’inverse, les méthodes de gestion humaine et financière de l’équipe dirigeante font apparaître des stratégies individuelles, volontaires, plus clairement identifiables, et manifestement grossièrement néfastes.
Notre propos est donc de dire que replacer le LOSC à un moment de son histoire et de son développement permet d’avoir une autre grille de lecture des performances sportives. Cela n’exonère pas les dirigeants de leurs responsabilités, mais c’est autre chose. En l’occurrence, on peut aussi tout à fait comprendre qu’il y a une phase de « prise de rôle » pour Michel Seydoux et Olivier Létang, plus ou moins novices, qui les conduisent à quelques maladresses et à devenir le réceptacle des diverses frustrations, mais c’est peut-être l’inévitable prix à payer dans ce genre de configuration.
Quant à Claude Puel – à propos duquel Michel Seydoux a par la suite souligné sa chance de l’avoir eu, reconnaissant à mots couverts que Puel l’avait presque formé – et à Jocelyn Gourvennec, ils subissent eux aussi en partie un lourd héritage et une succession difficile à assumer. Mais il est indéniable que, si l’on en croit les témoignages des joueurs de l’époque et de cette année, même dans la tempête, ils ont su maintenir un équilibre dans le groupe – si l’on excepte l’épisode Ben Arfa – nécessaire à sa survie, et c’est bien dans cette phase complexe où le coach ne peut encore complètement faire passer ses vues et son style qu’ils peuvent faire preuve de leur professionnalisme.
Gourvennec particulièrement mal servi
Au-delà des changements structurels au sein du club, on peut aussi rappeler quelques éléments qui, pour le moins, n’ont pas placé Jocelyn Gourvennec dans une situation favorable.
L’annonce de sa venue a été faite le lundi 5 juillet 2021 : un moment tardif, postérieur à la reprise du groupe professionnel, que Gourvennec a rejoint en stage aux Pays-Bas. Pas vraiment l’idéal pour un premier contact, et une impression de devoir déjà rattraper du temps perdu alors que la saison a à peine commencé. Rappelons que cette nomination tardive est due aux atermoiements autour du départ de Christophe Galtier, que le LOSC ne voulait pas lâcher sans obtenir d’indeminité de transfert, ce qui a retardé toute officialisation. Dans cette affaire, tout et son contraire ont été dits sur l’honnêteté de l’un (Létang) et de l’autre (Galtier), mais l’honnêteté incite à exonérer Gourvennec de toute responsabilité dans cette affaire qui, bien malgré lui, lui a fait manquer son intronisation, comme un prof qui arriverait en retard pour surveiller le DS le plus important de l’année qu’il a préparé à ses élèves.
Gourvennec est aussi « victime », à son corps défendant, des noms ronflants qui ont circulé pour succéder à Galtier, notamment Blanc, Favre et Ranieri. Si toutes les rumeurs n’étaient pas fondées (Ranieri est tout de même venu à Luchin), elles ont là aussi contribué au sentiment de frustration relative évoqué plus haut. Difficile de savoir si ces rumeurs étaient lancées par des agents (probablement), mais l’absence de communication du club pour les taire a eu pour effet de les entretenir voire de les crédibiliser. Et si ces rumeurs ne sont pas fondées, après tout, un club doit-il s’abaisser à les démentir ? Quand on annonce Blanc ou Ranieri et que débarque Gourvennec, on ne peut qu’être surpris, voire déçu, là encore par décalage avec ce à quoi on cru pouvoir prétendre. Et domine le sentiment que Gourvennec est un choix par défaut. Mais, quoi qu’il en soit, Jocelyn Gourvennec n’y est encore pour rien : lui venait avec son parcours qui, pour relativiser ce qui a été dit et écrit, était tout de même loin d’être ridicule. Ce avec quoi l’auteur d’une pétition – vite retirée mais très médiatisée – contre l’arrivée de Gourvennec n’avait pas l’air d’accord. On peut aussi comprendre qu’arriver dans de telles conditions laisse quelque trace.
Le 0-4 concédé contre Nice, dès la deuxième journée, n’a fait qu’ajouter de l’eau au moulin de la thèse de l’erreur de casting. Même si on se désole de cette défaite, affronter si précocement celui qui a fait du LOSC un champion, qui connait par cœur son effectif, qui fait ombrage à son successeur (et probablement même si celui-ci avait été plus « prestigieux »), ne laissait que peu de chances à Lille cet après-midi là. Les similitudes avec le Rennes/Lille de novembre 2002 sont tout de même frappantes, comme si le même phénomène s’était reproduit. Ce « pêché originel » d’août 2021 a été suivi d’une indulgence toujours plus réduite à l’égard du coach lillois, si l’on excepte le parcours en coupe d’Europe et une bonne période en championnat à la fin de l’hiver.
On parlait plus haut de joueurs qui auraient « surperformé » en 2020/2021. À l’inverse, on peut estimer que le LOSC a sous-performé cette saison. Si l’outil ne convainc pas tout le monde, les calculs du LOSC de Gourvennec en expected goals et expected points montrent un net différenciel entre occasions créées et converties tant par les attaquants du LOSC que par les équipes adverses ; le hic, c’est que ce différentiel est largement négatif pour le LOSC, et largement positif pour ses adversaires. Pour le dire autrement : Lille se crée beaucoup d’occasions mais marque relativement peu ; et Lille concède peu d’occasions mais encaisse relativement beaucoup. Si l’on en croit le site de référence, le LOSC « auraît dû » se classer deuxième cette année… Ainsi, cette saison, la qualité des occasions créées n’a pas tant changé que ça, et c’est peut-être en partie grâce Gourvennec qui, déclarant s’inscrire dans les pas de Galtier, a maintenu une forme d’équilibre dans l’équipe. Ce qui a changé, c’est la finition des attaquants, et ça ne peut pas être que de la faute du coach.
Le classement L1 2021/2022 avec calcul des XG et XPTS sur https://understat.com/league/Ligue_1
Enfin, on a reproché à Gourvennec de ne pas savoir donner d’animation offensive au LOSC, en oubliant un peu vite que mis à part la saison 2018/2019 et un automne 2021 de folie, ce point a toujours été un problème avec Galtier !
Que l’on s’entende bien : on ne sait pas si Jocelyn Gourvennec est un bon ou un mauvais entraîneur, et on aimerait avoir les compétences pour prétendre émettre un avis, si tant est qu’on puisse mesurer et objectiver la compétence d’un entraîneur. Mais la décision du LOSC de se séparer de son entraîneur nous paraît pour le moins brutale, et s’inscrit dans la continuité d’une année où tous les maux de l’équipe semblent lui avoir été attribués, comme si on en arrivait à une conclusion largement partagée sans qu’une quelconque démonstration n’ait été faite. Et, dès 2021, il était prévisible qu’on ne puisse pas répondre clairement à cette interrogation au bout d’un an. Le moment que traverse le club semble trop parasité pour que l’on puisse isoler le travail propre de l’entraîneur d’un ensemble de dynamiques sur lesquelles il n’a pas de prise et qui l’empêchent d’imposer son style.
Credit: Getty Images/Romain Perrocheau
On le répète : personne ne peut se satisfaire de la saison écoulée, des résultats obtenus, de l’envie manifestée, du jeu proposé, d’avoir perdu trois derbies, et un entraîneur ne peut être exonéré de toute responsabilité, mais la cristallisation de ces problèmes sur la personne de Jocelyn Gourvennec ne nous paraît pas complètement juste, tant les critères d’évaluation de sa contribution propre sont noyés dans un ensemble de paramètres. Ainsi, nous ressentons un décalage entre d’un côté l’ampleur de la colère, sa cible, et de l’autre la situation réelle, à envisager dans un environnement plus général que la vitrine que sont les résultats du terrain. Dès lors, la responsabilité personnelle de Gourvennec dans les rendements moyens du LOSC en championnat est très complexe à établir. Corollairement, son apport et son mérite sur la belle campagne de Ligue de Champions sont tout autant difficiles à déterminer avec précision. Ce décalage soulève surtout la question du niveau des joueurs en fonction des matches, des compétitions, et de leurs ambitions personnelles. Et on ne les juge pas non plus : souvenous-nous seulement, comme évoqué avant, par qui, avec quel projet et avec quelles valeurs ils ont été recrutés.
En résumé, le départ de Gourvennec – au passage, bien plus élégant que celui de Galtier – en dit moins sur lui-même et sur la saison du LOSC que sur la façon dont il et elle sont perçues relativement, c’est à dire en comparaison de critères qui les relèguent, forcément. Le titre obtenu, la succession de Galtier, l’usure de joueurs au niveau exceptionnel en 2020/2021, le changement de direction et de projet, une arrivée de Gourvennec chaotique et contestée, ont cumulativement suscité des attentes impossibles à satisfaire. Dans une telle configuration, le club aurait-il dû davantage assumer une saison de transition pour réduire le sentiment d’attente et donc, de frustration ? Stratégie inaudible en termes de communication, sans doute, d’autant plus à une période où tout signe de « faiblesse » est réputé faire fuir les investisseurs et, partant, risquerait de mettre le club en péril.
L’an dernier, à pareille époque, on se réjouissait de retrouver une direction saine dans ses méthodes, indépendamment de la question des moyens financiers. Manifestement, cette direction soit considère qu’elle a fait un mauvais choix avec Gourvennec, soit le fait sauter pour orienter la perception d’une saison moyenne vers son entraîneur (les deux hypothèses ne sont pas exclusives l’une de l’autre). Avec ce départ, elle se retrouve désormais potentiellement nue : soit le successeur de Gourvennec fera mieux que lui, et cela confortera les contempteurs du Breton dans leurs convictions ; soit ça se passera moins bien et alors les regards se tourneront inéluctablement vers la responsabilité de la direction, jusque là relativement épargnée, et qui n’a cette fois pas intérêt à placer le nouvel entraîneur sur un siège éjectable, car elle est désormais assise sur le même.
Mais prenons d’ores et déjà les paris : après une saison « moyenne », les critères de perception de la saison à venir ont déjà changé. Cette fois, elle n’a même pas commencé qu’elle semble déjà plus belle !
En résumé, réclamer la démission ou croire en l’incompétence des nouveaux venus après seulement quelques semaines ou quelques mois nous semble mettre de côté les raisons structurelles et collectives qui permettent d’apporter un éclairage sur le décrochage relatif d’un club, qu’on ne peut résumer à l’action d’un homme ou deux. En 2003 comme en 2022.
Posté le 20 juin 2022 - par dbclosc
LOSC/Wasquehal, le derby oublié de l’histoire ?
De 1997 à 2000, le « derby du Nord », c’était Lille/Wasquehal. Les six confrontations entre les deux équipes n’ont pas laissé un impérissable souvenir. Est-ce juste, et quelles pistes d’explications peut-on avancer ?
Bien peu de personnes évoqueraient aujourd’hui avec nostalgie les grandes soirées opposant Wasquehal à Lille. Ce derby appartient cependant bien à l’histoire, dans le sens où il fait partie des événements passés ; et il a été historique en 1997, ne serait-ce que parce qu’il était inédit à ce niveau. Mérite-t-il pour autant que sa mémoire soit cultivée ?
Comme nous l’avons vu dans les articles que nous avons consacrés à chaque confrontation, les matches entre le LOSC et l’ESW n’ont donné lieu à aucun débordement ni à aucune sortie verbale déplacée ; au contraire, dirigeants, joueurs et supporters, dans la victoire comme dans la défaite, semblent avoir constamment exprimé du respect voire de l’admiration pour leurs adversaires, et cela s’est toujours traduit concrètement par des animations d’avant-match festives et colorées. Même le ralliement de l’Entente au RC Lens n’a déclenché aucune animosité dans le camp lillois. Si l’on s’en tient à ces constats, on peut être étonnés que ce qui semble correspondre à l’imagerie traditionnelle des fameuses tout autant qu’éculées « valeurs du Nord » n’ait pas davantage marqué les esprits. Mais n’est-ce pas justement parce que ce derby n’a suscité aucune agressivité qu’il indiffère ? Il est vrai qu’on se rappelle plus volontiers des débordements et des passions qui ont pu entourer l’ambiance d’autres derbies, et on peut remonter loin : derbies « métropolitains » entre Olympique Lillois, US Tourcoing et Racing Club de Roubaix, « terriens » contre « maritimes » ou « mineurs », Olympique Lillois contre Fives dans l’entre-deux-guerres, puis les confrontations, bien entendu, entre Lille et Lens, mais aussi, certaines, parfois houleuses, entre Lille et Boulogne. Si c’était la raison principale du relatif oubli des Lille/Wasquehal, on serait tentés de dire que Lille/Wasquehal n’est pas entré dans l’histoire pour de bien mauvaises raisons. Mais si, à une période où les derbies du Nord se sont raréfiés, l’irruption d’une confrontation inattendue n’a pas suscité d’élan particulier, il faut sans doute en trouver les raisons ailleurs, en élargissant la perspective et en cumulant les explications qui, toutes, mettent finalement en avant une absence de conflictualité qui constitue tout de même un élément essentiel des derbies.
_Six matches pour entrer dans l’histoire, c’est peu. Certes, il suffit parfois d’une action d’éclat (ou d’un but). Mais, entre deux clubs, comme nous l’écrivions, sans passif et sans passé commun, trois saisons n’ont pas suffi à en faire un rendez-vous incontournable, surtout dans un contexte où les identités territoriales se sont amenuisées : ici, pas de concurrences industrielles semblables comme celles de Lille, Roubaix et Tourcoing, « minières » entre Lens, Bully ou Noeux-les-Mines, ou entre « textiles » et « mineurs ». À une époque où est martelée l’idée de la « métropolisation » des territoires (même abstraite dans les faits, le seul fait de l’énoncer peut avoir des effets cognitifs et la faire exister), supporters de Lille et de Wasquehal ont probablement davantage de similitudes que de différences, ou ont intérêt à le croire. Le football ne peut donc pas traduire des différences culturelles marquées.
L’Entente Sportive de Wasquehal au challenge Emile-Olivier le 23 juillet 1998
Photo tirée de l’ouvrage de Gilbert Hocq et Jacques Verhaeghe, Le football nordiste, Nord-Pas-de-Calais et Picardie, Editions Sutton, 2019
_Dans cette lignée « territoriale », si on part du principe que les supporters vivent à proximité du club qu’ils soutiennent, il est probable que les supporters de l’une des équipes soient au moins sympathisants de l’autre. La montée de Wasquehal, en 1997, avait été saluée comme le succès d’une bande de copains travailleurs : la Voix du Nord le rappelait récemment pour le 25e anniversaire de cet événement. Difficile de s’opposer à ce que véhicule cette image. L’Entente, trop proche de son grand voisin, a probablement manqué d’un soutien populaire plus important et clairement distinct de celui porté au LOSC.
_Ce rendez-vous a été d’autant moins incontournable qu’il a souvent donné lieu à des rencontres étriquées, au jeu fermé, au cours desquelles l’événement a souvent été de parvenir à ouvrir le score. Six matches, 11 buts marqués (6 par Lille, 5 par Wasquehal), 3 nuls, deux victoires pour Lille et une pour Wasquehal : tel est le bilan chiffré des confrontations professionnelles entre Lille et Wasquehal. Le LOSC y aura fait preuve d’une remarquable régularité, en marquant systématiquement une fois, pas plus, pas moins, avec 6 buteurs différents (Cygan, Lobé, Koot, Valois, Agasson, Landrin).
_Le derby semble avoir toujours été considéré comme un événement provisoire, dans le sens où le LOSC n’était pas à sa place. Lillois et Wasquehaliens ont toujours affirmé que le LOSC devait évoluer en D1, tandis qu’on croit même percevoir du côté de Wasquehal que le professionnalisme est vécu comme une aventure elle-même provisoire, dont il faut profiter. Entre 1997 et 2000, le LOSC, entre l’agrandissement de son stade, l’apuration de ses dettes et la privatisation, s’est construit un avenir loin des préoccupations wasquehaliennes. En ce sens, il n’y a pas eu de projection faisant de LOSC/ESW un derby qui finirait par devenir un classique. À moyen terme, c’est même le projet métropolitain, et donc le retour d’intérêts communs, qui semble dessiner l’horizon.
_Wasquehal n’a jamais cherché à doubler le LOSC : le LOSC a toujours été considéré comme « le gros », et Wasquehal « le petit ». La présence de l’ESW en D2 a même été qualifiée de « belle anomalie » par la Voix du Nord. Même si cette posture a aussi été entretenue par l’ESW pour se dégager de toute pression, elle était sincère et, de toute façon, assez peu contestable. Autrement dit, en restant sagement à sa place, l’ESW n’a pas froissé son voisin, même après avoir pactisé avec Lens. Ainsi, l’Entente n’a pas pris la place des grands déchus de la région qu’étaient à l’époque Dunkerque, Boulogne, Noeux-les-Mines ou Valenciennes. En avait-elle seulement les moyens ou l’envie ?
_On se rend compte également que les confrontations ont souvent été parasitées par des événements extérieurs qui réduisaient l’importance relative du derby. En l’occurrence, la crise de résultats du LOSC durant les saisons 97/98 et 98/99 a fait passer l’urgence de prendre des points devant la possibilité de vivre un derby. La dimension régionale du match d’août 1998, marqué par l’agression dont a été victime Thierry Froger dans la semaine le précédant, a quant à elle été complètement éclipsée.
Cela semble finalement assez commun a bon nombres d’autres derbies que, probablement, on idéalise. Après tout, la presse rappelle souvent que les derbies sont rarement des grands matches, tout en entretenant la référence à un âge d’or qui, peut-être, n’a pas vraiment existé, et constitue davantage une projection nostalgique de notre rapport au foot.
En définitive, l’apparition et la courte existence d’un nouveau derby n’ont pas modifié grand chose, comme si la relatif désintérêt qu’il a suscité venait confirmer de manière paradoxale que la « vraie » rivalité régionale est désormais avec Lens. Cela montre aussi que la passion autour d’un derby ne se décrète pas par simple proximité géographique, et que la confrontation a d’autant plus de valeur qu’elle s’inscrit dans une histoire et un environnement général qui lui donnent du sens.
Dès lors, cela n’a que ponctuellement perturbé des évolutions de grande ampleur aujourd’hui très visibles, et notamment l’avènement du LOSC comme un club métropolitain, qui a désormais peu d’attaches avec la ville de Lille mais recrute son public dans un bassin assez large. En revanche, cette domination territoriale ne s’est que peu traduite, ou alors ponctuellement, en fonction de la politique sportive du LOSC, par la valorisation de jeunes issus de la région. La récente signature au LOSC d’Issam Rezig apparaît dès lors comme une exception dans les relations entre les deux clubs – même si Wasquehal Foot n’est pas exactement l’ESW – , et on aurait tendance à espérer que cela reste une exception et que le LOSC attire des jeunes locaux avant qu’ils n’atteignent l’âge de 22 ans. Pour l’anecdote, Issam Rezig est né un peu plus de deux mois après la dernière confrontation professionnelle entre Wasquehal et Lille.
Il n’y aura qu’un blog comme celui-ci pour exhumer le souvenir de rencontres qui ne sont pas restées dans les mémoires. Mais finalement, le poser avec ces lignes les fait (un peu) entrer dans l’histoire…
Pour tester ses connaissances sur le derby, on peut s’amuser à répondre à ce quiz que nous avons élaboré.
La série complète :
Lille/Wasquehal, nouveau derby professionnel
1/6 ESW-LOSC (1-1, 8 octobre 1997) : Le LOSC gâche déjà
2/6 LOSC-ESW (1-1, 14 mars 1998) : L’impuissance lilloise
3/6 ESW-LOSC (0-1, 29 août 1998) Un poing puis trois points
4/6 LOSC-ESW (1-1, 12 décembre 1998) : Toujours les mêmes travers
5/6 LOSC-ESW (1-0, 7 septembre 1999) : Le LOSC inarrêtable
6/6 ESW-LOSC (2-1, 5 février 2000) : Wasquehal inscrit son nom au palmarès
Bilan : LOSC/Wasquehal, le derby oublié de l’histoire ?
Posté le 17 juin 2022 - par dbclosc
ESW-LOSC (6/6) : Wasquehal inscrit son nom au palmarès
Derby 6 : Alors qu’il caracole en tête de la D2, le LOSC perd au Stadium, à la surprise générale, contre une équipe qui se bat pour son maintien. Si d’aucuns ont soupçonné un acte de « solidarité régionale », cette défaite, qui provoque une colère noire d’Halilhodzic, rappelle les Dogues à leurs obligations.
36 : c’est le nombre de points qui séparent le LOSC de l’ES Wasquehal avant que les deux clubs ne s’affrontent pour la 26 journée de D2 en février 2000. Lille est premier et, même s’il a un peu ralenti l’allure qu’il avait lors du match aller, reste sur une performance exceptionnelle qui écrase les records. Les Dogues ont repris un rythme d’enfer en prenant 22 points sur 24 possibles au cours des 8 derniers matches. Et, comme avant le match aller, Lille vient de battre son dauphin, Toulouse (2-0, doublé de Bakari), cette fois-ci à domicile. C’est la 19e victoire du LOSC, en 25 matches.
En revanche, l’Entente connait une saison délicate : 18e et première relégable avant le derby, elle n’a gagné que 4 fois et possède la plus mauvaise attaque du championnat (17 buts marqués). Lille au sommet, Wasquehal en difficulté : jamais ce derby ne s’est annoncé si déséquilibré.
Lille veut continuer sur sa lancée
Avec 20 points d’avance sur le 4e, on voit mal comment le LOSC pourrait ne pas remonter. Après le match contre Toulouse, Laurent Peyrelade le reconnaît : « il ne faut pas être idiot, ce soir, nous sommes en première division ». Cependant, hors de question de se relâcher. Le groupe entend rester sur cette dynamique, et profiter de la fin de saison pour marquer l’histoire : « notre état d’esprit ne nous permet pas de nous endormir. Nous prendrons chaque match comme si c’était Toulouse (…) Nous sommes partis vers quelque chose de grand. Nous avons encore 13 matches à savourer tous ensemble. L’an prochain, on ne sait pas si nous serons encore ensemble, ce sera autre chose. Je veux prendre encore plus de plaisir. Toutes les saisons ne seront pas comme celle-là ». Vahid Halilhodzic confirme que « la première place nous appartient, je veux que notre parcours exceptionnel le reste jusqu’au bout ». Seul nuage dans le ciel lillois avant de se déplacer au Stadium : comme à l’aller, les Dogues ont laissé beaucoup d’énergie contre Toulouse. On se rappelle que le derby de septembre à Grimonprez-Jooris a offert un spectacle bien en-deçà des standards lillois de cette année, et cette prestation moyenne a été attribuée à l’énergie laissée face à Toulouse. Halilhodzic prévient : « On verra si nous sommes en forme. Il n’est jamais facile de se motiver à nouveau, 72 heures après un match comme celui de Toulouse. Les joueurs sont vidés mentalement, mais mon équipe m’étonne sans cesse par sa capacité à se remotiver. Nous devons en tout cas faire face dans les moments difficiles comme nous l’avons fait durant les dix dernières minutes face à Toulouse. S’il le faut, je ne serai pas bien loin sur le banc ».
Un derby déjà joué ?
On le comprend : Lille est déjà tourné vers la D1. La large avance du LOSC au classement permet d’assurer sans angoisse le passage d’une division à l’autre, ainsi que la transition entre Bernard Lecomte et les repreneurs privés Dayan/Graille. Vahid en profite pour signifier que le club n’avance pas assez vite, pas assez loin, un numéro dont il fera de nombreuses représentations jusqu’à son départ – ce qui ne signifie pas que ses craintes sont infondées : « l’avenir, c’est la D1. Mais il faut aussi mieux s’organiser, mieux se stabiliser en dehors du terrain., il y a encore beaucoup trop de problèmes qui se cachent derrière nos résultats. Et tout cela me fait d’ailleurs réfléchir sur mon propre avenir ».
Chez les Wasquehaliens, on ne doute pas non plus du retour du LOSC dans l’élite. Scrimenti déclare que « ce sera le dernier derby entre les deux équipes, parce que Lille va monter. Il faudrait leur couper une jambe pour qu’il ne parviennent pas à leurs objectifs ». Et on préfère ne pas se faire beaucoup d’illusions avant d’affronter Lille. Pour l’Entente, les points sont à prendre contre les concurrents directs : « il n’y a pas photo entre les deux forces en présence. Si on prend un point, ce sera bien. Le plus important sera d’être prêt à Amiens. C’est celui-là qu’il ne faudra pas rater. Si tel est le cas, on prendra un sacré coup au moral »
Toujours une bonne ambiance
Comme lors des précédentes confrontations, inutile de trouver une déclaration incendiaire de l’une ou l’autre partie ; au contraire, les deux entraîneurs louent les qualités de leur adversaire, ce qui est beaucoup plus facile pour Dominique Carlier : « j’ai beaucoup de considération pour le parcours du LOSC, qui a d’abord été éclatant, puis a connu ensuite quelques soucis. Mais tout semble oublié : cela prouve qu’il y a une équipe de football. C’est aussi un groupe qui, dans les moments difficiles, a montré des arguments de solidité et de solidarité qui font une saison exemplaire ». Du côté de l’entraîneur du LOSC, on souligne que « l’Entente est une équipe vaillante et volontaire. Avec la motivation, elle est capable de faire de très bons matches. Contre nous, ils en feront un, forcément. Un derby, ça ne se rate pas ! ».
Dès lors, il ne devrait pas y avoir d’incident. La veille du match, la Voix du Nord consacre un article à André Rapaille, gardien de l’ESW dans les années 1960 et désormais responsable de la sécurité au Stadium lors des matches de son équipe. Il explique que, cette saison, c’est « service minimum » en raison des résultats de l’Entente, qui tourne à 1 000 spectateurs de moyenne. Le derby contraint « Big Moustache » (c’est son surnom, lié au fait qu’il a une grosse moustache) à travailler avec la police pour trouver des stadiers en nombre suffisant, car le règlement de la Ligue en la matière comprend un passage dont l’application se révèle inadéquate pour ce match : en effet, chaque club se déplaçant avec des supporters doit prévoir un personnel de sécurité pour s’en occuper, avec un ratio de 1 (stadier) pour 50 (supporters), le club hôte se chargeant du complément. Se fondant sur les annonces officielles de ses groupes de supporters, le LOSC envoie donc… 12 stadiers, ce qui correspond à 600 supporters des Dogues. Or, on sait très bien que le stade sera lillois aux 9/10es, avec une très grande majorité de supporters qui se déplaceront en voiture particulière ou en transports en communs.
Même si l’ambiance est toujours à la camaraderie entre les deux camps, Big Moustache a donc fort à faire. Et l’ambiance est à d’une telle camaraderie qu’une rumeur apparaît, et la Voix du Nord croit utile de préciser qu’« aux dire de tous, il n’y aura pas de solidarité régionale ». Le simple fait de l’énoncer, pour celles et ceux qui n’y avaient pas songé, introduit un doute.
Retour de Camara
Lors du mercato hivernal, le LOSC a obtenu le prêt de Mohamed Camara, qui avait déjà été prêté lors de la saison 1998/1999 et avait fait une excellente impression. Les absences récurrentes de Didier Santini contraignent en effet à faire jouer Johnny Ecker à gauche (avec le temps, cela deviendra finalement son poste de prédilection à Lille), et parfois Bruno Cheyrou. Des contacts avaient aussi été noués avec Christophe Pignol (Monaco) et Jean-Sébastien Jaurès (Auxerre), mais le club a préféré miser sur une figure plus connue (et Vahid l’avait connu à Beauvais). Le pauvre Momo n’est entré que deux fois en jeu avec Le Havre, en D1, et a fait sa première apparition (en tribune) lors du match contre Toulouse , et apparemment il est reconnaissant : « il faut être clair, ce n’est pas moi qui viens aider le LOSC, c’est Lille qui vient à mon secours. Je suis déjà épaté que le groupe ait eu la gentillesse d’accepter un gars en plus. Avec une avance aussi confortable, ils auraient pu très bien considérer qu’un renfort n’était pas indispensable (…) Les résultats sont dans la lignée de la fin de saison dernière, mais l’équipe est sans doute encore plus solidaire et les jeunes qui ont intégré l’effectif sont de qualité. C’est beau, quand je vois ça je me dis que je n’aurais jamais dû partir, mais le Havre ne m’a pas laissé le choix ».
Finalement, Camara n’est pas encore dans le groupe pour Wasquehal. Lille est également privé de Santini, Fahmi et Collot. Cygan, absent contre Toulouse, revient à la place de Delpierre. À Wasquehal, Bonadéï est absent, et Benon, qui s’est pété le nez, joue avec une protection.
Devant 12 990 spectateurs payants, voici les deux compositions d’équipe et leur évolution :
Sibille ; Cygan, Debaets (cap., Benon 56e), Chaussidière, Leroy (Sabin 73e) ; Antunès, Scrimenti, Bizasène, Revillet (Adjali 46e) ; Cadiou, Clément-Demange
Wimbée ; Hammadou, Cygan, Ecker, Viseux ; D’Amico (Peyrelade 69e), Tourenne (Br. Cheyrou 83e), Landrin, Valois (Agasson 77e) ; Bakari, Boutoille.
Lille se loupe
Si l’Entente est plus entreprenante en début de match, le LOSC, sur sa première incursion, trouve la faille : Tourenne récupère grâce à un bon pressing et lance Landrin, qui réussit un grand pont interminable sur un Chaussidière hésitant, et frappe du gauche dans la surface, à ras de terre, à gauche de Sibille (0-1, 15e). Le but sur Fréquence Nord :
On pense alors que ce match va n’être qu’une formalité pour Lille. Deux minutes plus tard, Sibille sort au devant de Boutoille (17e) puis, sans forcer, se crée deux occasions importantes par Bakari, assez maladroit et moins en réussite que 3 jours plus tôt (31e, 44e). Lille a un avantage d’un but à la pause, et l’ESW peut s’estimer heureuse.
Changement d’ambiance en deuxième mi-temps. Lille croit pouvoir gérer, recule, et perd son football. On note « trop de facilités, de mauvaises inspirations ». Wasquehal n’est cependant pas dangereux jusqu’à ce que Clément-Demange efface trop facilement Cygan et envoie un extérieur du droit dans le petit filet opposé de Wimbée (1-1, 59e).
Le LOSC reprend alors le jeu à son compte, mais sans sa fluidité habituelle et, même,avec un gros déchet. Halilhodzic tente de secouer son équipe en remplaçant D’Amico par Peyrelade, ce qui a pour effet de provoquer une petite réaction, avec Bakari, servi par Boutoille, contré au dernier moment (72e). Et, finalement, le plus grand danger ne vient pas d’où on l’attend : Viseux, aligné à gauche, transperce la défense et envoie un tir puissant que Sibille repousse en catastrophe (75e).
Le LOSC y croit et Agasson remplace Valois (77e). Mais Wasquehal, en contre, parvient à marquer un deuxième but : Clément-Demange, trentenaire depuis la veille, se retrouve seul face à Wimbée et conclut facilement (2-1, 83e). En fin de match, l’expulsion d’Antunès (85e) ne change pas grand chose : Lille, incapable d’accélérer, s’incline pour la 5e fois de la saison, et Wasquehal remporte son premier derby et ses joueurs s’offrent un tour d’honneur ou, plutôt, comme le précise le double buteur, un « demi-tour d’honneur, car une bonne partie du stade était pour Lille ! ».
Retour sur terre
Indéniablement, Lille a laissé passer sa chance en première période, où il aurait pu (dû) plier le match. Par la suite, le LOSC a eu le tort d’encaisser un but sur la première occasion adverse, avant de se montrer trop gourmand en se partant de manière désorganisée à l’abordage, pour finalement se faire piéger une seconde fois. Cette défaite ressemble à un retour vers un passé pas très lointain, lorsque le LOSC se faisait piéger sur chaque offensive de Wasquehal. Pour Dominique Carlier « notre salut est venu du fait que nous n’étions menés que d’un but à la pause. J’ai l’impression que Lille aurait pu marquer deux ou trois buts et alors nous aurions pu remballer. Nous avons heureusement réalisé une toute autre seconde période, les joueurs ont montré beaucoup de caractère et certaines qualités ». Soulagé, il glisse à Bernard Lecomte : « nous en avions certainement plus besoin que vous… ». Soit l’issue inverse de celle de l’an dernier. Mais alors : « solidarité régionale » ? Après être resté prostré de longues minutes sur sa chaise dans une ambiance malaisante, Vahid Halilhodzic s’insurge qu’on puisse avoir un tel soupçon : « c’est n’importe quoi ! Wasquehal, avec ses armes, a mérité sa victoire. Ce qui me dérange, c’est que le LOSC, lui, n’a pas joué. À 1-0, il était évident que nous allions gagner ce match.Seulement, on s’est pris pour des autres. On a attrapé la grosse tête. Résultat, on fait une belle connerie. Après Toulouse, tout était beau, tout était rose, et certains ont pensé que c’était arrivé et qu’on était à l’abri de tout. Nous avons simplement manqué d’humilité et de respect vis-à-vis de l’adversaire, on s’est sentis trop fort. On croyait que personne ne pouvait nous battre. Certains joueurs ont complètement raté leur match. On va essayer d’analyser tout ça puis on va s’expliquer ».
Les joueurs enragent d’avoir eu l’impression de maîtriser tranquillement les événements et d’avoir perdu dans ces conditions. Carl Tourenne rappelle qu’« on savait pourtant que Wasquehal ne chercherait pas à faire le jeu, mais on est quand même tombés dans le piège. On aurait dû les laisser un peu plus venir ». Pour Djezon Boutoille, « on voulait bien rentrer dans ce match et nous y sommes parvenus. Marquer le premier but, c’est souvent le plus difficile. Mais ensuite, c’est vrai que plus le match avançait, plus on s’est désorganisés. Nous voulions absolument marquer un deuxième but. Or, il faut parfois savoir se satisfaire d’un point ». Personne n’a reconnu l’équipe qui asphyxie ses adversaires, et le LOSC a aussi montré des failles derrière : c’est la cinquième fois de la saison que le LOSC encaisse au moins deux buts mais, jusque là, ça n’avait donné lieu à aucune défaite. Pascal Cygan « on leur offre les deux buts sur des mauvais placements. Le premier but de Manu, celui de l’égalisation, est pour moi : je pense qu’il va me faire l’intérieur et j’anticipe. Il me contourne et marque de l’extérieur du droit. On avait des consignes, on ne les a pas respectées. Un bien pour Wasquehal ? Je m’en fous. Tout ce que je sais, c’est que nous perdons 3 points sur Toulouse, soit une journée de moins pour être champions ».
Finalement, Laurent Peyrelade essaie d’en tirer quelque bénéfice : « je crois que ça va faire du bien à tout le monde de redescendre un peu sur terre. À force de gagner beaucoup de matches, nous avions sans doute l’impression qu’il ne pouvait rien nous arriver ».
La Voix du Nord rapporte un décrassage « tendu » le lendemain. Vahid Halilhodzic tente d’analyser le match et considère qu’« on s’est battus nous-mêmes. Ils nous ont entraîné dans un faux-rythme et, tactiquement, on n’a pas été à la hauteur ». Apparemment, les joueurs en ont pris pour leur grade : « je leur ai dit mes vérités. Pour l’heure, c’est moi qui parle, et eux écoutent. Ils n’auront leur mot à dire qu’à l’instant où je le déciderai. Ils ont 10 jours pour réagir durant les entraînements ». L’entraîneur a convoqué ses joueurs par groupes pour évoquer certains aspects du match, comme le raconte Fred Viseux : « nous, défenseurs, nous nous sommes réunis avec Vahid pour régler certaines choses. Wasquehal a deux occasions et on prend deux buts ! Notre naïveté nous a perdus sur ce match ». La Voix du Nord rapporte que mes joueurs ressemblent à des élèves mis au piquet par leur prof, comme Boutoille : « on a fait une énorme bêtise. On a beaucoup parlé de cette défaite et on en reparlera encore. On a hâte d’être au prochain match pour évacuer les mauvaises pensées ».
Quelques jours plus tard, le Magazine du LOSC revient sur cette défaite et révèle qu’Halilhodzic aurait envisagé de ne pas titulariser Boutoille et Bakari au Stadium, afin de les ménager. Il en aurait discuté avec Jean-Pierre Mottet et Philippe Lambert mais se serait ravisé, de peut qu’on ne comprenne pas sa décision. On y trouve aussi un entraîneur du LOSC plus modéré : « il ne faut jamais se prendre pour quelqu’un d’autre et rester humble. On va encore dire que j’exagère, me taxer de pessimisme et d’exigence excessive. C’est faux, je suis simplement réaliste. Les joueurs comprennent très bien, eux aussi, qu’ils doivent être à 120% de leurs possibilités pour parvenir à s’imposer. Si nous sommes à 80%, nous devenons une équipe moyenne, sans plus. J’admets parfaitement que c’est physiquement et psychologiquement difficile. Il est même impossible de tenir un rythme très élevé en permanence. Voilà pourquoi, même si j’ai été sévère dans mes propos, les jours ayant suivi le match de Wasquehal, je comprends les raisons de notre défaite ».
Après cette défaite au Stadium, le LOSC poursuivra sa marche triomphale en alternant, le plus souvent, victoires à domicile et nuls à l’extérieur, en établissant un record de points pour l’époque. Lille et Wasquehal s’affrontent cependant une troisième fois au cours de cette saison : le 20 mars, pour meubler une mini-trêve (les deux équipes sont éliminées de la coupe de France), les deux équipes disputent un match amical à Tourcoing. À la pause, Lille mène 1-0 (Br. Cheyrou). À la fin du match, Lille a perdu 1-2. Colère de Vahid : « nous étions bien mais nous avons oublié contre qui nous jouions et nous l’avons payé ».
Un résumé du match (France 3)
Les citations et illustrations sont tirées de La Voix du Nord, La Voix des Sports et Le Magazine du LOSC (février 2000).
La série complète :
Lille/Wasquehal, nouveau derby professionnel
1/6 ESW-LOSC (1-1, 8 octobre 1997) : Le LOSC gâche déjà
2/6 LOSC-ESW (1-1, 14 mars 1998) : L’impuissance lilloise
3/6 ESW-LOSC (0-1, 29 août 1998) Un poing puis trois points
4/6 LOSC-ESW (1-1, 12 décembre 1998) : Toujours les mêmes travers
5/6 LOSC-ESW (1-0, 7 septembre 1999) : Le LOSC inarrêtable
6/6 ESW-LOSC (2-1, 5 février 2000) : Wasquehal inscrit son nom au palmarès
Bilan : LOSC/Wasquehal, le derby oublié de l’histoire ?
Posté le 15 juin 2022 - par dbclosc
LOSC-ESW (5/6) : Le LOSC inarrêtable
Derby 5 : Sur sa lancée d’un fin de saison 98/99 réussie, le LOSC écrase tout sur son passage pour sa troisième saison en D2. Et, signe que les temps ont changé, même en jouant mal, il s’impose. Cette fois, Wasquehal, désormais sous pavillon lensois, ne résiste pas.
« On me présentait des condoléances… C’est assez étonnant de voir le sourire d’un certain nombre de gens qui regardaient ailleurs quand ils me croisaient. Qui aujourd’hui ont les yeux qui brillent et m’affirment qu’ils y ont toujours cru… ». Bernard Lecomte savoure : après 8 journées de championnat, le LOSC est en tête du championnat de D2. Avec 7 victoires (y compris chez des prétendants à la montée : Châteauroux et Toulouse) et un nul, il a même déjà une avance étonnante sur ses poursuivants. Lille écrase tout sur son passage, comme si le travail des dernières années se traduisait enfin sur le plan sportif. Avant de recevoir Wasquehal pour le premier derby de la saison, l’humeur est au beau fixe. « On est heureux » affirme Halilhodzic.
Changement d’image
Le regard sur le LOSC change : cette fois, ça paraît bien plus sérieux que 2 ou 3 victoires consécutives qui, par le passé, ont vite emballé pour mieux se casser la gueule derrière. Les incidents de Lille/Amiens en mai semblent avoir été les derniers soubresauts d’une période agitée ; déjà, quelques jours plus tard, une autre facette du club, plus profonde, se manifestait contre Sedan. Sur sa dynamique de la fin de saison dernière, le LOSC a déjà gagné ses 3 matches à domicile : le meilleur des calmants. Les acteurs de l’époque soulignent unanimement combien les stage de préparation a révélé la détermination du groupe, comme Jean-Pierre Mottet : « nous avons tout de suite senti un groupe ambitieux, qui avait envie de bien faire » (c’est aussi le cas de Wimbée, Boutoille ou Collot). Et Lille gagne chez gros, ce qui n’est jamais arrivé lors deux saisons précédentes. Ainsi, quatre jours avant de recevoir Wasquehal, Lille frappe un grand coup en gagnant à Toulouse (2-0), dans une ambiance pourtant hostile voire violente (agressivité des Toulousains d’entrée, expulsion de Prunier à la demi-heure, provocations de l’adjoint toulousain envers Mottet, claque de Jambay à Peyrelade après le match). Les Dogues restent calmes, placent quelques accélérations, maîtrisent leur adversaire et finissent par gagner. Alain Giresse, coach du TéFéCé, lance même « Lille est déjà en D1 ». Si l’on ajoute à cette victoire probante les succès tardifs contre Nîmes, Ajaccio et Châteauroux (après avoir été mené), pas de doute : quelque chose a changé. Comme le résume Carl Tourenne : « on joue avec le cœur, on finit les matches en trombe, on gagne. Les années se suivent et ne se ressemblent pas ». Le plus grand risque, c’est désormais de se croire déjà arrivés. En attendant, pour la première fois, ce derby Lille/Wasquehal va se jouer à guichets fermés.
« Il y a encore quelques années, le LOSC était plutôt un sujet de moqueries et on se gaussait volontiers sur les différentes pelouses de la métropole des malheurs loscistes » peut-on lire dans la Voix du Nord. Le début de saison lillois change la donne aussi sur ce plan-là : au Stadium de Villeneuve d’Ascq, après Wasquehal-Sochaux, l’annonce de la victoire de Lille à Toulouse est saluée par une ovation, et quelques spectateurs entonnent même « Le LOSC en D1 ! ». Si cela montre peut-être, comme lu dans la Voix, que le LOSC est « en train de gagner la bataille du coeur », cela montre surtout qu’une partie du public du Stadium, qui est sans doute aussi habituée de Grimonprez, ne se cache plus.
Lecomte et Roman font pression
Comme à chaque embellie du LOSC, Bernard Lecomte rappelle à quel point le club a besoin de soutiens (financiers), d’autant que les évolutions annoncées du football – et notamment la privatisation – nécessitent la mobilisation de seuls partenaires privés. Les bons résultats des Dogues, si longtemps attendus, sont le meilleur argument du président pour arguer de la légitimité de ses chantiers : avoir entre 150 et 200 salariés, mais aussi cette histoire de « grand stade » : « cela m’embêterait de devoir refuser du monde régulièrement, si d’aventure l’équipe continuait à gagner et à plaire. Les événements vont précipiter les choses. Il fut un temps où Pierre Mauroy nous disait « les footballeurs veulent un autre stade. Qu’ils marquent d’abord des buts, on verra après ! ». Or, aujourd’hui, le LOSC est en train de retrouver de la crédibilité. Nous gagnons et nous marquons des buts ! Nos interlocuteurs de la mairie ont le dos au mur. J’en suis heureux ! ». Pour le moment, la tendance est à un agrandissement de Grimonprez-Jooris, l’architecte des Monuments Historiques ayant récemment assoupli ses positions. Le président est favorable à cette option, se rappelant notamment la « déchirure » qu’a constituée chez certains supporters le passage de Henri-Jooris à Grimonprez-Jooris.
Bernard Lecomte se retrouve néanmoins face à un problème inattendu : les victoires coûtent cher. Il révèle qu’en accord avec les joueurs, un système de primes favorisant notamment les premières rencontres a été mis en place, avec un bonus si l’équipe enchaîne les bons résultats : « la tournure des événements me procure un immense plaisir sur le plan sportif. Mais je me fais quelques soucis pour ma trésorerie ! Espérons simplement que le public et les sponsors vont suivre ». Voilà un genre de préoccupation assez éloigné de ce qu’il a connu depuis le début de sa présidence ! Quoi qu’il en soit, on sent de la fierté : « j’ai le sentiment que notre travail est en train de payer ». Pas du luxe au moment où le voisin lensois étrenne sa vitrine à trophées…
Bernard Roman, Pierre Mauroy et Bernard Lecomte encore surpris en plein « Tire sur mon doigt »
Bernard Roman est présent pour ce match contre Wasquehal. Sa venue est lourde de sens : quelques mois auparavant, c’est lui-même, en tant qu’adjoint aux sports de la mairie, qui a porté le projet de partenariat entre le LOSC et l’ESW, avant que l’Entente ne lui fasse un magistral pied de nez en se tournant vers le RC Lens ! Si ce partenariat a permis de maintenir Wasquehal en D2 et que, à ce titre, l’Entente ne regrette sans doute rien, la présence de Roman vient rappeler que le projet de club métropolitain tient toujours, même sans elle : « j’avais trouvé que la manière de faire de l’ES Wasquehal, qui s’était tournée au tout dernier moment vers le RC Lens, n’avait pas été élégante. Je souhaite simplement que le maximum soit fait pour créer le grand club que la métropole mérite. Si l’on veut continuer à exister en tant que métropole d’envergure internationale, il nous faut un fleuron sportif. C’est le seul domaine actuellement qui fait vraiment défait à Lille ».
Des Wasquehaliens désormais sous pavillon lensois peuvent-ils contribuer à faire naître un début d’animosité du côté des supporters ? Seul Gérard Vignoble, le maire de Wasquehal, semble avoir quelque grief à l’égard du LOSC. Ses sorties sont bien les seules qui tranchent avec l’ambiance cordiale entretenue des autres élus et dirigeants : « je ne regrette rien. Gervais Martel a été remarquable à notre égard. Si tel n’avait pas été le cas, nous ne serions pas ici ce soir… Je ne vois toujours pas où est le problème. Pour nous, c’était la chance de poursuivre l’aventure en D2, de matérialiser nos efforts. Et d’avoir un grand club de plus dans la région ». Il met le LOSC au défi de remonter (« ce serait la preuve qu’il est devenu grand ») et souhaite faire jouer les deux clubs au Stadium-Nord, en rejetant l’idée d’un nouveau stade qui a pourtant du plomb dans l’aile : « un nouveau stade ? Quelle est donc cette folie ? Attendons que Lille accède en D1, prouve qu’il évolue s’affirme, et là, il faudra prendre une décision. Les descentes sont parfois aussi rapides que les montées ». Bon, Gégé n’aime pas le LOSC, mais on ne saurait contester la pertinence de ses propos sur les descentes rapides : le Racing et l’Entente le prouveront bien vite.
Des joueurs au top
Après la victoire à Toulouse, on est optimiste du côté du LOSC pour ce derby. Et on se projette même sur le match suivant, 3 jours après, à Niort : « avouez que ce serait formidable de prendre 9 points en une semaine » lance Carl Tourenne. Voilà encore une illustration d’un état d’esprit nouveau : la confiance est du côté des Dogues. Meilleure défense, deuxième attaque, le LOSC a tapé dans le mille au cours du mercato, comme l’affirme Pascal Cygan, titulaire indiscutable en défense centrale : « l’état d’esprit est intact et, de plus, nous avons eu des renforts là où il y en avait besoin ». On pense notamment à Fahmi et Ecker derrière, à D’Amico et Agasson au milieu. Quant à Dagui Bakari, devant, il n’a pas encore marqué et a même été un peu chahuté lors du dernier match à domicile. Mais si Djezon Boutoille est meilleur buteur du championnat, nul doute que Dagui n’y st pas pour rien, comme Djez’ le dit lui-même : « j’ai franchi un cap, c’est évident. J’en profite d’ailleurs pour remercier mes partenaires qui me font bien jouer. Je pense en particulier à Dagui, qui s’est fait siffler lors du match face à Louhans-Cuiseaux. Il crée tellement d’espaces autour de lui. C’est un bonheur de s’y engouffrer ». Le public est là : Tourenne évoque même un « douzième homme » ! Guidés par un entraîneur qui fait l’unanimité, les Dogues réveillent les « passions » à Grimonprez !
Wasquehal doute
Comment vont les Wasquehaliens ? Couci-couça. Ils ont pris 6 points en 7 matches, en dépit de performances intéressantes (victoire contre Lorient, nuls contre Gueugnon et Sochaux). Dominique Carlier, au-delà des résultats, insiste toutefois sur la notion de « plaisir » : la saison dernière, l’Entente s’est maintenue tranquillement, et cela l’autorise désormais à séduire par le jeu. À ce titre, le nul obtenu contre Sochaux samedi soir le conforte dans ses pensées : « je m’attendais à bien… mais certainement pas à ce point ». Alors, peut-on espérer voir autre chose ce soir que l’équipe ultra-défensive qui s’est précédemment présentée à Lille ? Pas sûr. Mais Carlier caresse un espoir : « j’espère toujours contester… un leader incontestable ».
Du côté lillois, Santini, Ecker et Br. Cheyrou sont blessés. Sans arrière gauche de métier, Halilhodzic tente un 3-4-3, avec la titularisation sur les côtés de Benoît Cheyrou (à gauche) et de Carl Tourenne (à droite). Valois, absent depuis 6 mois, est de retour dans le groupe. Il est conseillé aux spectateurs de prendre leurs dispositions car 1) y a du monde 2) y a la foire aux manèges sur l’esplanade 3) D’Amico sort le mode « slip » vers la 75e.
Devant 14 645 spectateurs payants, voici la composition des deux équipes et leur évolution :
Lille :
Wimbée ; Viseux, Fahmi, Cygan, Be. Cheyrou ; Tourenne, D’Amico, Agasson (Valois, 73e) ; Peyrelade (Collot 73e), Bakari, Boutoille (cap., Hammadou 85e).
Wasquehal :
Sibille ; T. Cygan (Cadiou, 84e), Benon, Debaets (cap.), Leroy ; Bonadéï (Bizasène, 50e), Scrimenti (Ducatel, 73e), Antunès, Revillet ; Sabin, Adjali.
Après un coup d’oeil au nouveau magazine du LOSC (16 pages!), intitulé Le Magazine du LOSC, le coup d’envoi est donné.
Dans un derby pas franchement plus emballant que les précédents, Lille est logiquement dominateur, même si Wasquehal tente sa chance en premier avec un coup-franc lointain de Bizasène, au-dessus (10e). Peyrelade, dans l’arc-de-cercle, enroule du droit mais ça frôle le poteau de Sibille (13e) . Boutoille tente ensuite une frappe, contrée (19e).
Le LOSC trouve l’ouverture sur une action assez anodine : à proximité du poteau de corner, Carl Tourenne envoie une touche dans la surface pour Bakari, trop court ; le ballon atterrit sur Peyrelade, qui centre fort devant le but. Le ballon est dévié par un cul wasquehalien et retombe dans les pieds d’Agasson qui, seul aux 6 mètres, ne se fait pas prier pour marquer (1-0, 28e). C’est le 13e but lillois de la saison… mais seulement le troisième en première mi-temps. Le but sur Fréquence Nord :
Le LOSC n’insiste pas, alors c’est Wasquehal qui se montre : un tacle malencontreux de Cygan file en lucarne mais Wimbée claque au-dessus (38e). Juste avant la pause, Sabin se montre dangereux mais Wimbée est toujours vigilant (45e, 45e+1). À la pause, les Dogues mènent 1-0.
En tribunes, l’ambiance est toujours bon enfant : Vignoble ne fait pas d’émules. La Voix du Nord consacre un article aux « Ultras de Wasquehal », groupe composé d’une trentaine de membres. Ils font partie de la centaine de supporters de l’Entente présents à Grimonprez, dans le virage opposé aux DVE. On ne notera aucune invective d’un virage vers l’autre. Le meilleur passage de l’article concerne Mathieu, le leader des « Ultras » : « torse nu avec son porte-voix à la main, perché en haut du grillage, Mathieu entonne sur l’air de « Elle descend de la montagne à cheval » : « si tu aimes les Wasquehaliens frappe dans tes mains… ». Sans grand succès ».
Le début de la seconde période fait piquer une crise à Halilhodzic, lorsque Wimbée part défier deux wasquehaliens balle au pied, avec beaucoup de réussite… Dans la foulée, un bon pressing de Bakari sur la défense permet à Dagui de récupérer et de lancer Peyrelade dont la frappe, déviée par Sibille, termine sur la transversale (52e). Le LOSC semble toutefois émoussé, comme si le match à Toulouse avait laissé des traces, ce qu’il est aisé d’admettre. Dès lors, Lille se montre peu dangereux, recule, et Wasquehal commence à croire en ses chances : « Wasquehal, loin d’être complexé, pratiquait un jeu vif, plaisait, et créait souvent des situations de rupture. Le LOSC somnolait il est vrai au milieu de terrain, reculant sans cesse et subissant la pression de son voisin nordiste ». Ainsi, après une heure de jeu tout à fait correcte, les Dogues perdent de leur superbe, se mettent à cafouiller, et vivent une dernière demi-heure pénible à l’image de D’Amico, qui s’éteint au fil du match, ou de Fahmi, d’abord « royal », puis multipliant les relances « qui laissent à désirer ».
C’est dans cette configuration que Bakari met les quelques sceptiques dans sa poche. Si la VDN le trouve toujours « pas transcendant offensivement », il « ne cessa de harceler la défense wasquehalienne ». S’il ne marque toujours pas, il est un « combattant, peu avare d’efforts et débordant de volonté ». Dans la dernière demi-heure, il se révèle précieux par sa conservation de balle, ses remises de la tête, et se mue en premier défenseur d’une équipe qui a perdu ses repères au milieu de terrain. Halilhodzic sort d’ailleurs Peyrelade puis Boutoille et conserve Bakari jusqu’au coup de sifflet final : « il me servait de point d’appui. Sa présence physique a été impressionnante. Je comptais aussi sur lui pour provoquer des fautes. Et puis, en défense, il pouvait nous sortir quelques coups-francs de la tête ». Debaets, souvent au marquage de Dagui, reconnaît avoir fini le match « épuisé » : « c’est une montagne ce joueur ».
Malgré sa domination territoriale, l’Entente se crée peu d’occasions : en fin de match, seuls une tête de Ducatel puis un coup-franc de Debaets font passer quelques frissons sur le but du LOSC, mais Wimbée est impeccable. Sans briller, Lille s’impose 1-0. Pour la première fois, Wasquehal perd à Grimonprez. Gagner sans convaincre, garder sa cage inviolée malgré quelques percées adverses, faire le dos rond : ça aussi, c’est nouveau.
Reynald Debaets est séduit par le jeu losciste
« Jamais cette saison les hommes de Vahid Halilhodzic n’avaient éprouvé autant de difficultés pour s’imposer. Soyons francs, si Wasquehal avait obtenu le partage des points, il n’y aurait rien eu à redire ». Tout le monde est d’accord : Lille, pour la première fois de la saison, a montré quelques faiblesses : « ce LOSC au jeu étriqué, aux idées creuses et au visage famélique en deuxième mi-temps ne méritait pas de l’emporter ». Vahid Halilhodzic reconnaît les difficultés de son équipe : « quand je disais que nous n’étions pas favoris dans ce derby, personne ne me croyait ! Wasquehal nous a beaucoup perturbés et on a eu souvent très chaud. Mais bon, cette victoire est quand même méritée sur le fond dans la mesure où nous nous sommes procurés plus d’occasions nettes. J’avais vu plusieurs cassettes de Wasquehal. Ce soir, cette équipe a sûrement fait son meilleur match de la saison. Et nous, nous nous sommes trop précipités en seconde mi-temps. Aussi étonnant que cela puisse paraître, après le but l’équipe a donné l’impression de paniquer. Est-ce la fatigue ? Peut-être ». Pour Patrick Collot, « nous étions un peu émoussés. Les jambes ne suivaient pas toujours. Du coup, nous étions moins percutants, moins présents ». L’équipe a-t-elle été en sur-régime depuis le début du championnat ? De façon plus rassurante, joueurs et encadrement attribuent cette petite victoire à l’énergie qu’a nécessité la victoire éprouvante à Toulouse. Si, même dans ces conditions, Lille gagne, qui pourra l’arrêter ?
Du côté de Wasquehal, cette défaite laisse des regrets : « nous n’avons pas pris conssience que nous pouvions les faire douter » souligne Debaets. Quant au but, le capitaine déplore la passivité de son équipe : « nous sommes statiques alors qu’on est à 4 contre 2 ». Scrimenti, à son corps défendant, rappelle que cette défaite wasquehalienne est un juste retour des choses après le nul de la saison passée : « nous sommes tous déçus parce que nous n’avons pas été payés de nos efforts en seconde période. Lille n’a rien montré. La saison dernière, nous avions défendu durant 88 minutes. Cette fois, le LOSC a défendu pendant 47 minutes... ». Carlier : « ce fut un beau derby, un derby populaire. Je suis fier de ce que mes gars ont démontré, dans un contexte défavorable »
Le LOSC, avec un 22/24, a désormais 6 points d’avance sur le deuxième. Au-delà de la performance passable des Dogues, Bernard Lecomte est « content d’avoir vu un stade plein et des gens heureux. On sent que nous sommes sur le bon chemin et qu’une bonne surprise pourrait arriver ».
Trois jours plus tard, la victoire du LOSC, à 10 pendant plus d’une heure, à Niort (3-0), confirme la thèse d’un après-Toulouse difficile à digérer. La « bonne surprise » est proche.
Un résumé du match (France 3) :
Les citations et illustrations sont tirées de La Voix du Nord, La Voix des Sports et Le Magazine du LOSC.
La série complète :
Lille/Wasquehal, nouveau derby professionnel
1/6 ESW-LOSC (1-1, 8 octobre 1997) : Le LOSC gâche déjà
2/6 LOSC-ESW (1-1, 14 mars 1998) : L’impuissance lilloise
3/6 ESW-LOSC (0-1, 29 août 1998) Un poing puis trois points
4/6 LOSC-ESW (1-1, 12 décembre 1998) : Toujours les mêmes travers
5/6 LOSC-ESW (1-0, 7 septembre 1999) : Le LOSC inarrêtable
6/6 ESW-LOSC (2-1, 5 février 2000) : Wasquehal inscrit son nom au palmarès
Bilan : LOSC/Wasquehal, le derby oublié de l’histoire ?
Posté le 13 juin 2022 - par dbclosc
LOSC-ESW (4/6) : Toujours les mêmes travers
Derby 4 : Après un début de saison catastrophique, le LOSC, désormais entraîné par Vahid Halilhodzic, a redressé la barre et se trouve au pied du podium. La venue des voisins rappelle à quel point l’équipe a encore des progrès à faire pour espérer quitter la D2.
Après un début de saison manqué, le LOSC a changé d’entraîneur. Depuis le 14 septembre, Vahid Halilhodzic a repris l’équipe en mains. Avant le match retour contre son voisin, le LOSC, au pied du podium, retrouve une position plus conforme à l’accomplissement de ses ambitions. Surtout, dans le sillage de son entraîneur, l’ambiance autour du club a changé.
Le LOSC va mieux mais son coach est hospitalisé
Le public, dont une bonne partie a souhaité de longue date le départ de Thierry Froger, découvre peu à peu son entraîneur : seuls quelques connaisseurs se rappellent qu’Halilhodzic fut un buteur prolifique, notamment au FC Nantes. Sa vie, après sa retraite sportive, est moins connue. Désormais qu’il a déjà prouvé qu’il était capable de redresser son groupe, on s’intéresse à lui. À quelques jours du derby, c’est depuis… l’hôpital Roger Salengro de Lille que Vahid Halilhodzic se confie (Voix du Nord du 8 décembre 1998).
Que lui est-il donc arrivé ? Il a été victime de quelques pertes d’équilibre ces derniers temps, et voilà déjà 8 jours qu’il est hospitalisé : « j’ai fait des milliers d’examens (sic) et ils n’ont encore rien trouvé. Il faut savoir quelle est la cause de mes vertiges, mais je vais beaucoup mieux ». Du coup, Halilhodzic a écouté Caen/Lille à la radio. Le quotidien rapporte qu’il était « comme un lion en cage, surtout après le but de Boutoille, car il sait que, dans ces moments-là, son équipe à tendance à paniquer ». Ah, l’inconvénient de marquer des buts… ! Lille a gagné et cette deuxième victoire consécutive le place à 1 point de la 3e place. Vahid se dit touché par les marques de sympathie de ses joueurs durant son séjour au CHR, et voit prendre un forme un groupe uni : « je suis tellement fier de mon équipe, de son comportement ! Ils se sont battus pour moi, et ça me fait chaud au cœur. Je me sens de plus en plus attaché à ce club, à cette équipe. On est en train de former à Lille une famille qui n’existait pas. Quand on porte son maillot avec fierté, on le défend avec plus de courage. Tout le monde a fait son boulot ». Il reçoit aussi de nombreux messages de supporters, qui semblent l’apprécier et découvrent peu à peu un homme qui, derrière un entraîneur à l’image rigoriste (il répète ainsi « être pointu, perfectionniste » « je déteste l’improvisation », « il ne faut jamais se relâcher. Notre quatrième place est fragile. Le plus dur reste à faire »), se révèle chaleureux et sensible, et revient sur ses années difficiles : « je n’ai pas été gâté. J’ai connu la gloire comme joueur, j’ai gagné beaucoup d’argent, j’avais quatre voitures une boulangerie, une boutique Benetton, un restaurant, mais j’ai tout perdu avec la guerre en Bosnie. À 42 ans, je suis reparti de zéro. Beauvais m’a sauvé la vie en me prenant comme entraîneur (…) cette galère a renforcé ma volonté ».
Le retour des grandes ambitions
Le repositionnement du LOSC en haut de tableau rassure, et donne raison à celles et ceux qui souhaitaient le départ de Froger. Bernard Lecomte rappelle que « c’était une décision douloureuse à prendre. Depuis notre élimination prématurée en coupe de France l’an dernier, Thierry Froger concentrait sur lui les critiques. Le doute était dans l’esprit des spectateurs et, à la longue, ce doute a atteint le coach lui-même ». Le nouvel entraîneur a manifestement apporté un fonctionnement qui a permis à tous de se remettre dans le bon sens. Pour le président du LOSC, « Vahid a une autorité naturelle qui a donné plus de sérénité aux joueurs ». Et, petit à petit, les Dogues remontent au classement : ils ont même fini par dépasser Wasquehal au soir de la… 18e journée ! Il faut dire que l’ESW est restée près du premier tiers du classement durant une bonne moitié de la saison. Finalement, tout semble rentrer dans l’ordre, entre un LOSC qui regarde de nouveau vers le haut, et une ESW en milieu de classement. Le président de l’Entente, Guy Decock, constate le retour « à la normale » : « les premiers résultats nous avaient poussés à sourire. Et la situation, avant le derby au Stadium-Nord, en était même devenue cocasse, compte tenu de nos ambitions réciproques… ». L’entraîneur, Dominique Carlier (qui a lui aussi abandonné son banc durant quelques semaines pour des soucis de santé), estime que « le parcours du LOSC est simplement redevenu conforme à ses moyens et à ses ambitions. Nous n’avons jamais cherché à nous comparer à lui. Simplement, nous avons pris moins de points et lui a commencé à en prendre beaucoup plus »
La position actuelle de Wasquehal (11e), avant de se rendre à Grimonprez, convient aux voisins : « il faut que nous restions aux alentours de cette 10e place pour donner l’impression d’avoir progressé ». Mais l’Entente n’a plus gagné depuis le 7 novembre : sur les 6 derniers matches, elle n’a pris que 2 points. Dans ce contexte, Wasquehal se contenterait largement d’un point à Lille, pour se rassurer…
Le LOSC, quant à lui, retrouve de l’ambition et réitère son besoin d’être soutenu car, selon Lecomte, « un club comme le LOSC n’a pas le droit de végéter à l’étage inférieur » : « plus que jamais, nous avons besoin d’être soutenus. Il faut prouver à tous que les Lillois aiment le foot et sont derrière leur équipe. Mon principal vœu pour 1999, c’est bien sûr de pouvoir regoûter à la D1, mais aussi d’obtenir des garanties. Les collectivités ont fait de Lille une ville culturelle, et c’est très bien. Mais il est temps aussi de lui donner le grand club qu’elle mérite ».
Avec 7 points d’avance au classement sur son voisin et une dynamique positive, le LOSC est logiquement favori. Mais Wasquehal, avec 18 buts encaissés en 21 matches, est la quatrième défense du championnat. Pour Jean-Pierre Mottet, « si les garçons gardent un tel état d’esprit, si nous parvenons à garder autant de rigueur défensive, ce groupe-là pourra aller loin ». Halilhodzic est méfiant : « ce sera un match-piège. Les Wasquehaliens vont certainement jouer derrière et compter sur un bloc défensif qui m’impressionne. Et puis ils sont difficiles à manoeuvrer. Il nous faudra surtout marquer les premiers, sinon… ».
Le LOSC présente un groupe au complet, et Vahid est bien sur le banc. Seul Grégory Wimbée, en méforme, est laissé à disposition de la réserve depuis quelques semaines. Senoussi, blessé, puis suspendu un mois pour avoir oublié de prévenir la fédé qu’il utilisait de la ventoline, est de retour. Du côté de Wasquehal, Leroy et Bonadeï reviennent de blessure, et seuls Allais et Cadiou « pas à son meilleur niveau » sont absents. Et comme, depuis l’arrivée d’Halilhodzic, Pascal Cygan a retrouvé une place en défense centrale, il est donc fort probable que l’on assiste enfin à la confrontation des frères Cygan dans un Lille/Wasquehal, l’un ou l’autre ayant toujours été indisponible précédemment. « Ici à Lille, ce sont désormais les meilleurs qui jouent. La concurrence entre enfin en jeu » affirme Pascal Cygan ; « il y a quelques mois encore, on travaillait chacun de son côté. Aujourd’hui, Lille est un groupe soudé, articulé autour d’une défense qui a gagné en sérénité. Battre Wasquehal est indispensable ».
La dernière fois que les frangins se sont affrontés, c’était à l’occasion d’un match amical à Linselles entre Lille et Valenciennes. Pascal se souvient : « Thierry était arrière droit et moi arrière gauche. On était dans le même couloir et c’était assez chaud ». Tellement chaud que Duncker est allé frapper Tourenne (alors valenciennois) et que ça a finit en bagarre générale.
Qu’en sera-t-il pour ce derby ? « Je serai au marquage individuel. Et comme il ne sera pas le plus grand, je ne serai sûrement pas sur lui (…) S’il y a un ballon entre nous deux, il ira à celui qui restera debout ».
« Merci Kiev »
Voici les deux compositions d’équipe et leur évolution, devant 10 760 spectateurs payants :
Lille :
Clément ; Tourenne, Koot (cap.), Cygan, Camara ; Senoussi, Hitoto (Hammadou, 68e), Collot (Renou 82e), Valois ; Peyrelade (Pickeu, 71e), Boutoille.
Wasquehal :
Sibille ; Cygan, Benon, Scrimenti, Dailly, Keller ; Debaets (cap.), Antunès, Rohart (Bizasène, 52e) ; Clément-Demange (Oudjani, 79e), Abed (Dablemont, 74e).
La rencontre commence avec cinq minutes de retard : il y a encore du monde aux guichets, comme cela avait déjà été le cas au match aller. En première période, derrière le but de Jean-Marc Sibille, on aperçoit la première banderole hostile depuis l’avènement des derbies entre Lille et Wasquehal. On y lit : « Merci Kiev ». Les Ukrainiens se sont imposés à Lens dans la semaine, et les Sang & Or sont éliminés de la Ligue des Champions…
Le plus dur était fait…
« Ce derby retour parut très vite verrouillé à double tour » : Wasquehal, avec une défense à 5 qui a fait des preuves, mais en mal de bons résultats, n’a pas envie de se livrer aveuglément. Quant au LOSC, depuis un match contre Ajaccio, qu’il semblait tenir avant de perdre 1-3, il a appris à se montrer patient et à ne pas prendre trop de risques. Du coup, il ne se passe rien. Seul un centre d’Abed, claqué par Clément, a apport un peu de danger (1e). Les Dogues accélèrent à la demi-heure : Collot lance Peyrelade, pas loin de marquer en taclant (32e) ; un centre de Collot alerte Sibille (35e) ; puis Valois, côté droit, apporte le danger (37e). Et, avant la pause, ce sont finalement les visiteurs qui se créent la meilleure occasion : centre d’Abed vers Rohard, bien placé face au but, qui manque sa tête (45e). C’est la fin d’une triste première période, au cours de laquelle l’Entente réussit son coup : 0-0.
La seconde période repart sur les mêmes bases. Et encore, pas tout à fait : Dominique Carlier, qui a bien vu que Camara, « un des rares lillois capable de changer de rythme », disposait d’un peu trop de liberté, fait entrer Bizasène pour bloquer le couloir gauche du LOSC (52e) : « Wasquehal tissait sa toile à la perfection » note la Voix du Nord. Peyrelade tente une tête en arrière, peu puissante (63e). la situation semble complètement bloquée en dépit de changements opérés par Halilhodzic, avec les entrées successives de Hammadou et, surtout offensivement, de Pickeu et Renou. Et « alors qu’on ne s’y attendait plus, Hammadou filait côté droit », profitant d’une inattention de la défense adverse et d’un bon service de Renou. Son centre à ras de terre est repris aux 6 mètres par Jean-Louis Valois, qui délivre le stade (1-0, 84e). Ouf ! Pour la première fois de la saison, Lille est virtuellement sur le podium ! Le but sur Fréquence Nord :
Mais Lille recule et semble ne pas savoir quoi faire de cette avance. Wasquehal, qui a remplacé son attaque juste avant l’ouverture du score, s’installe dans le camp lillois. Dablemont a une première occasion d’égaliser mais frappe à côté (85e). Mais, deux minutes plus tard, un ballon similaire, dans le dos de la défense lilloise, trouve Oudjani, qui a le temps de s’y prendre à trois reprises (!) pour tromper un Bruno Clément livré à lui-même (1-1, 87e) : « je m’y prends à trois reprises pour marquer. Au départ, je suis un peu court. Du bout du pied j’essaie de dévier le ballon. Le gardien le relâche et il revient sur moi. Je peux bien, cette fois, cadrer ma frappe mais Clément réussit une belle parade, repoussant le ballon sur le côté. C’est du gauche, qui est loin d’être mon pied le plus fort, que j’arrive alors à marquer ». Incroyable : Wasquehal n’attaque que depuis trois minutes et trouve le moyen de marquer. Lille et Wasquehal se séparent sur ce match nul, 1-1 ; « un banc qui explose de joie et un entraîneur qui s’arrache les cheveux. Le contraste entre le bonheur des Wasquehaliens et la détresse, pour ne pas dire la rage, de Vahid Halilhodzic, était pour le moins saisissant »…
Carences des deux côtés
« L’enjeu a de nouveau pris le pas sur le jeu. Et le problème, c’est que ce n’est pas nouveau. Les derniers Lille-Lens avaient également été pour le moins affligeants ». Dans la presse régionale, le constat est sévère, à l’égard des deux équipes. Pour l’Entente, tout d’abord : « nous n’avons pas beaucoup apprécié le non-match des Wasquehaliens (…) Cinq défenseurs, trois milieux défensifs, deux attaquants qui ne sont pas des « pointes » et qui jouèrent souvent dans l’entrejeu. Et tant pis pour le spectacle ». Et le LOSC n’a pas su trouver la solution. Ou plutôt, il l’a trouvée, avant un coupable relâchement, qui montre qu’il n’est pas tout à fait guéri : « trouver sur son chemin une équipe qui refuse le jeu n’est pas chose rare en D2. Et un candidat à l’accession doit être capable de surmonter ce genre d’obstacle (…) Lille souffre toujours de l’absence d’un véritable créateur dans l’entrejeu et, surtout, offre d’incroyables séquences de déconcentration ».
Résultat : « dans derby aussi triste que d’habitude, les Wasquehaliens ont obtenu ce qu’ils étaient venus chercher. Les Lillois ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes (…) Le comble, c’est d’en arriver à la conclusion que Wasquehal a marqué quand il l’a voulu. À 1-0, le 0-0 recherché s’était envolé. Ce serait donc 1-1 ».
Chez les Dogues, on regrette l’attitude de l’ESW : « qu’est ce que vous voulez faire dans ces conditions ? » peste Roger Hitoto. Pour Laurent Peyrelade, « ils voulaient prendre un point, ils l’ont eu, ils ont donc raison. Mais, franchement j’aurais préféré le le 0-0 que ce 1-1. On a fait beaucoup d’efforts pendant 80 minutes devant le Mur de l’Atlantique. On savait qu’il fallait être patient, qu’il y aurait finalement une opportunité. On croyait avoir fait le plus dur. Ensuite, ils se créent deux occasions en 5 minutes pour égaliser ». Le LOSC a bien eu le tort de croire qu’à 1-0, la victoire était acquise. Si Lille n’avait pas perdu depuis Ajaccio, il s’était déjà fait reprendre à deux reprises contre Châteauroux (2-2), ainsi qu’à Sedan (1-1). Bob Senoussi regrette la répétitions des mêmes erreurs : « le coach a beau nous le répéter toutes les semaines, il y a toujours des absences. On ne parvient pas à tenir la rigueur et la concentration pendant 90 minutes ». Djezon Boutoille attribue ces errances au difficile passé récent entre le LOSC et son public : « à l’extérieur, on arrive à rester bien en place, mais à la maison on a encore du mal à ne pas reculer après avoir le score. C’est peut-être parce qu’on a vécu des périodes difficiles. Nous ne sommes sans doute pas encore totalement guéris ».
Chez l’ESW, on est bien content, et on confirme la thèse de la déconcentration lilloise, comme Denis Abed : « nous étions venus prendre un point. On a bien tenu et puis il y a eu ce but. Heureusement, Lille a semblé être soulagé et s’est mis à reculer. C’est ce qui a provoqué leur perte ». Le pire, c’est que cette faiblesse était bien identifiée par les adversaires, comme le révèle Scrimenti : « Lille a reculé et nous en avons profité pour marquer. Nous avions remarqué que, plusieurs fois cette saison, les Lillois, menant au score, avaient reculé ». Michel Docquiert, désormais manager de l’Entente, a presque des regrets : « avec un peu plus d’audace, il y avait peut-être même moyen de faire mieux. Mais on ne va pas faire la fine bouche. Prendre un point en ayant joué à peine dix minutes offensivement, ça suffit à notre bonheur ». Un Wasquehalien est particulièrement heureux : il s’agit du buteur, Chérif Oudjani, qui était au chômage quelques mois avant. On le connaît un peu à Lille car il y avait effectué un essai à l’automne 1992 (il avait même marqué, sur pénalty, lors d’un match amical contre Amiens) ; et pour ceux qui ont une bonne mémoire, il a aussi marqué à Grimonprez avec Lens, et avec Laval. Son 5e but de la saison, le 106e de sa carrière professionnelle, lui permet d’égaler le total de son père, Ahmed : « réussir un 106e but à Lille, lors d’un derby, c’est un beau clin d’oeil à mon père qui aimait tant cette région. J’y ai d’ailleurs pensé au moment de marquer ».
Le LOSC va moins bien, son coach va mieux
Cette nouvelle contre-performance à Grimonprez-Jooris fait ressortir chez Halilhodzic une facette moins tendre que celle évoquée en début d’article : « au retour des vestiaires je me suis fâché comme jamais je ne l’avais fait cette saison. Les joueurs commettent une véritable faute professionnelle, une faute collective inexcusable. Nous avions fait le plus difficile et on se relâche, inexplicablement. Demain, je sais que je vais encore être très sévère avec eux ».
Ce quatrième derby, dans une période favorable pour le LOSC et délicate pour l’Entente, a donc rappelé que les Lillois avaient encore bien du chemin à parcourir. Il semble annoncer les mois à venir, avec une deuxième partie de saison alternant l’espoir d’accrocher le podium et incapacité à s’y placer, jusqu’à la désillusion finale.
Un résumé du match (France 3) :
Les citations et illustrations sont tirées de La Voix du Nord et La Voix des Sports.
La série complète :
Lille/Wasquehal, nouveau derby professionnel
1/6 ESW-LOSC (1-1, 8 octobre 1997) : Le LOSC gâche déjà
2/6 LOSC-ESW (1-1, 14 mars 1998) : L’impuissance lilloise
3/6 ESW-LOSC (0-1, 29 août 1998) Un poing puis trois points
4/6 LOSC-ESW (1-1, 12 décembre 1998) : Toujours les mêmes travers
5/6 LOSC-ESW (1-0, 7 septembre 1999) : Le LOSC inarrêtable
6/6 ESW-LOSC (2-1, 5 février 2000) : Wasquehal inscrit son nom au palmarès
Bilan : LOSC/Wasquehal, le derby oublié de l’histoire ?
Posté le 11 juin 2022 - par dbclosc
ESW-LOSC (3/6) Un poing puis trois points
Derby 3 : placé en tout début de saison, le derby revient enfin au LOSC ! Mais la préparation du match est perturbée par l’agression subie par Thierry Froger, qui cristallise l’hostilité d’une partie du public. À Lille, le climat est lourd, et cette victoire ne peut que très ponctuellement le masquer.
Lille a donc échoué à remonter pour son retour en D2. Dans l’absolu, il n’y a rien de dramatique, mais les circonstances de cet échec laissent pantois : à deux reprises (au soir des 29e et 36e journées), le LOSC a eu 6 points d’avance sur le quatrième ! Autant dire que le groupe a fait preuve de nombreuses faiblesses, notamment mentales. À qui la faute ? Pour l’entraîneur, Thierry Froger, le groupe n’a pas su s’adapter à ses exigences, et notamment la concurrence. Alors, au moment de reprendre ce championnat 1998/1999, il affirme : « chacun a pris conscience des problèmes de l’année dernière. Le métier de footballeur est un métier qui a des contraintes. La concurrence en fait partie : il faut l’accepter ». Lui qui n’avait plus qu’à signer un contrat proposé par Valence (dans la Drôme…) à l’intersaison a la ferme envie de parvenir à son but : faire remonter le LOSC.
Pas d’amélioration
Mais, pour une partie du public, le coupable est tout trouvé : c’est Thierry Froger lui-même. Manque d’autorité, incapacité à mettre en place un jeu cohérent, lacunes offensives et défensives, communication maladroite. La nouvelle saison ne permet pas de nouer une nouvelle relation avec le public, qui a réclamé la tête de l’entraîneur pendant des mois : pour le match de reprise contre Guingamp, la tribune des DVE est vide en première mi-temps, avec cette affiche « Phénomène D2 ». Les supporters prennent bruyamment place au repos et affichent désormais « Phénomène D1 ». Pas de doute : une partie des supporters n’a pas digéré la saison dernière et s’installe d’emblée dans un rapport de défiance avec son équipe et, particulièrement, son entraîneur. Et en plus, Lille perd : la tête de Froger est déjà demandée et, en fin de match, une partie du public pénètre sur la pelouse. Après match, le discours de Froger rappelle qu’aucun problème n’a été réglé : « nous n’avions pas de repères, pas de liens. Nos lignes n’étaient pas bonnes entre la défense et le milieu. Les uns ne revenaient pas, les autres étaient seuls ». Lille se rassure à Niort (0-0) avec, par phases, un visage séduisant et « un bel état d’esprit », d’après Jean-Pierre Mottet. Mais pour le deuxième match à domicile, Lille bute de nouveau, cette fois sur Caen (0-0). De plus en plus bruyamment, par de plus en plus de monde, Froger est invité à partir. Et le public de Grimonprez a trouvé un petit jeu : à chaque changement lillois, c’est la bronca. Bref, « le climat devient franchement malsain », au moment où il faut se déplacer au Stadium pour y affronter Wasquehal.
Froger droit dans ses bottes en caoutchouc
Deux points en trois matches, un seul but marqué, un jeu toujours aussi pauvre… La Voix des Sports a vu des Dogues « indigestes » : « ils se battent mais donnent l’impression de ne pas pouvoir faire beaucoup plus ». Le public n’apprécie pas, et cette hostilité semble crisper les joueurs. Laurent Peyrelade confie : « on savait que ce serait chaud, vu comment s’est terminée la saison passée. Mais si le public ne comprend pas que les joueurs ont donné leur maximum, c’est regrettable. Se faire siffler dès que tu manques un contrôle, ou une passe, après seulement trois journées, c’est vraiment difficile. On n’est pas Milan, ou le PSG, sinon ça se saurait et on ne serait pas là. Mais bon, il faut aussi savoir accepter les critiques, ça fait partie du boulot ».
Le problème est bien que les problèmes persistent alors que le mercato a apporté les profils que le coach souhaitait avec, notamment, un élément d’expérience en défense (Adick Koot), un buteur devant (Olivier Pickeu), un latéral explosif (Mohamed Camara) et le départ de ceux avec qui les relations étaient mauvaises (Aubry et Duncker). Qu’en dit Thierry Froger ? « Ma seule préoccupation, ce sont les résultats. Pas vingt ou trente supporters qui font de moi leur bouc-émissaire (…) Sincèrement, je suis persuadé d’avoir fait les bons choix. Le temps me donnera raison ». Face à ces propos qui apparaissent en décalage avec les faits, l’hebdo régional commence à faire dans l’ironie et prévoit un rapide naufrage pour le « marin Froger » : « Thierry Froger, s’il n’avait pas été entraîneur, aurait pu être marin. S’il n’avait pas porté le costume et la cravate, les soirs de matches, il aurait pu endosser le ciré jaune et enfiler les bottes en caoutchouc. Embarquer à bord d’une galère, affronter les vents et subir les marées sans broncher. Sans changer de trajectoire. Pour tenir le cap jusqu’au bout. Quitte à rencontrer un écueil de taille et à faire naufrage. Si Thierry Froger doit mourir au LOSC, il le fera avec ses idées ».
Le 24 août, le climat pesant autour du club devient carrément irrespirable : Thierry Froger est agressé devant le stade.
Le LOSC sur les dents
Quels sont les faits ? La Voix du Nord rapporte que Thierry Froger a été insulté après le match Lille/Caen, et a rétorqué. À cette occasion, la tension est montée et quelques crachats auraient volé. Rien de très reluisant, déjà à ce stade… Deux jours après le match, le 24 août donc, en fin de matinée, une réunion technique se déroule dans les locaux du stade. À son arrivée, Thierry Froger croit reconnaître l’un des « cracheurs » de l’avant-veille. Il gare alors son véhicule à proximité du secrétariat et interpelle le supporter : « je souhaitais avoir une explication » dit-il. Le « cracheur », David C. (Coulibaly ?), affirme alors : « il m’a insulté, en me mettant l’index sur la pomme d’Adam, j’ai des témoins. J’ai eu beau lui faire comprendre que ce n’était pas moi qui avais craché, il n’a rien voulu savoir et a continué à m’insulter ». David C. assène alors un coup de poing au visage de Thierry Froger. Bilan : une dent cassée. L’agresseur reste sur place et attend calmement les forces de l’ordre qui l’emmènent au commissariat, où il sera bon pour une amende de 4e classe (9 000 francs). Il finit par exprimer sa « honte ». L’entraîneur du LOSC l’assure : « je ne l’ai pas insulté et je suis sûr qu’il s’agissait de lui, plusieurs personnes l’ont reconnu ». Par la suite, Froger se sent d’autant plus meurtri que, même s’il reçoit le soutien de quelques supporters présents et témoins de la scène, un autre lui lance que c’est « une suite logique ». Comme si, au fond, il l’avait bien cherché.
Le lendemain, Thierry Froger assure l’entraînement « normalement », même si on le sent marqué psychologiquement. Il s’estime « victime d’une manipulation », est persuadé que David C. « passera pour un héros » et commence à tourner paranoïaque : « quand je vois des gamins de 12-14 ans me cracher dessus, je ne peux m’empêcher de penser que quelqu’un tire les ficelles derrière ». Professionnellement, il se dit désireux d’« honorer [s]on contrat (…) Quand je m’engage, c’est pour aller au bout. Je connaissais le climat malsain qui entoure ce club, mais je veux réussir. Cet événement n’altère pas mon envie d’emmener Lille en division 1. Quand je suis parmi mes joueurs, sur le terrain ou à l’entraînement, je suis toujours à 200% » ». En revanche, d’un point de vue familial, ça s’annonce plus compliqué : « c’est une catastrophe. Je ne sais pas dans quel état je vais retrouver mon épouse et mes enfants en rentrant chez moi. Comment leur expliquer les raisons de ces débordements, puisque je ne les connais pas moi-même ? Lundi, elle voulait retourner au Mans. Mais moi, j’ai besoin d’eux à mes côtés, pas à 400 kilomètres ».
Soutien du club, les supporters distants
Froger a bien entendu reçu immédiatement le soutien de Bernard Lecomte, mais aussi de ses joueurs, comme Patrick Collot (qui a, de son initiative, abandonné le brassard cette année) : il se demande comment un « homme droit, intègre et sérieux dans son travail, peut être une cible toute désignée. Il vit les moments les plus difficiles de sa carrière, mais peut-être aussi de sa vie. C’est incompréhensible ». Le nouveau capitaine, Adick Koot, qui pensait avoir tout vu à Cannes au cours d’une saison bien compliquée, se concentre sur le travail : « c’est en travaillant deux fois plus qu’on va aider Thierry. Mais sachez que je suis déjà impressionné par la quantité et la qualité du travail fourni. Les insultes et les crachats s’envoleront avec les résultats. Notre réponse viendra du terrain ».
En revanche, dans les jours qui suivent, la parole donnée aux supporters traduit la distance qui s’est créé entre eux et le club. La Voix du Nord parle même de « fracture ». Un reportage à l’entraînement montre que l’incident a amené du monde : ils sont… 50 à suivre les Dogues et à commenter les événements. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas tendre envers Froger, qui ne serait « pas diplomate, n’accepte pas la critique » ; « à Niort, il nous a reproché de ne pas avoir le mailllot du LOSC, alors qu’on met toute l’ambiance ». De manière générale, une lassitude semble s’être emparée de ceux qui ne voient rien venir : « ça fait 10 ans qu’on nous dit que le LOSC va faire une bonne saison. À la fin, ça devient fatigant… ». Seul Roland Clauws, ancien joueur, se montre plus modéré. Avec la configuration des terrains du Grand Carré et la proximité entre public et joueurs, « impossible que les joueurs ou l’entraîneur, principal mis en cause, n’entendent pas des bribes de phrases incendiaires. Quelques mètres séparent les deux parties en présence. Rester concentré en de pareilles circonstances relève de la gageure ».
Le derby est bien loin
Louis Deretz, président de l’association de supporters En avant le LOSC, estime que les problèmes actuels sont liés à un manque de visibilité quant aux structures actuelles du club et à son devenir. De ce point de vue, le coup de poing serait la violente manifestation d’années de frustration et de l’incapacité à se construire un avenir : « Nous condamnons évidemment le coup de poing à l’encontre de Thierry Froger. Mais cette affaire n’est que le révélateur d’un conflit latent. Il faut se mettre à la place des supporters. Ils payent leur place. Ils ont l’amour du foot, ils ont la passion du club. Ils veulent que l’équipe aille de l’avant. Nous ne mettons pas en cause le travail de l’entraîneur ou des joueurs. Ce que nous ressentons, c’est un manque de position vis-à-vis de l’avenir. Actuellement, les structures du LOSC ne sont pas celles d’un grand club. Il faut rassembler toutes les forces unies, les sponsors, les acteurs économiques, la direction, les joueurs… et bien sûr le public. On ne dit pas assez aux supporters lillois qu’il y a une volonté de monter un grand club ici, donc ils se sentent frustrés… ».
Dans ces conditions, le match contre Wasquehal paraît secondaire. Le LOSC, depuis qu’il est en D2, rêve de regarder vers l’avant ; avant cela, il est passé par des saisons médiocres qui n’ont rien bâti ni rien laissé espérer. Et désormais que, sur le plan administratif, la situation est réglée, le club semble encore payer le poids de ces années. Il n’est alors jamais possible de se projeter, mais seulement de colmater les débordements, comme si le club était enlisé. Le 25 août, Pierre Diéval signe dans la Voix du Nord un éditorial dont voici des extraits :
« À une époque où le président Lecomte, fort d’une réussite indéniable sur le plan économique, s’ingénie à recréer un climat propice à la renaissance des belles valeurs loscistes, à gommer pour de bons les erreurs du passé, l’agression dont a été victime Thierry Froger constitue un grave dérapage qui, à l’évidence, témoigne d’un lourd contentieux entre l’équipe nordiste et son public (…) Dans un contexte de reconstruction et de reconquête, le LOSC n’avait vraiment pas besoin de ça. On attendait de la sérénité, du bon sens, de la fraîcheur à Grimonprez-Jooris. Or, que trouve-t-on aujourd’hui ? De la haine, de la violence, de la bêtise. Mauvaise recette pour grandir.
Un entraîneur qui se fait agresser aux portes du stade, dans l’exercice de ses fonctions, c’est, de toute façon, une nouvelle déchirure pour un club déjà fragilisé par la descente en division 2 et confronté inévitablement aux incertitudes sportives du lendemain. Et le pire, dans cette vilaine histoire, qui ne contribuera sûrement pas à redonner une image positive à un football lillois toujours en quête d’un signal fort pour redécoller, c’est que le geste de ce supporter irascible n’a apparemment pas choqué les témoins de la scène. « Ce sont les risques du métier » offrit l’assistance à Thierry Froger en guise d’explications ».
Se remettre à l’endroit pour Lille, confirmer pour Wasquehal
Il faut malgré tout jouer. On l’aura compris, le LOSC n’est pas au mieux. Quant aux wasquehaliens, ils sont… sur le podium. Bon, après 3 journées, ce n’est significatif que de 3 bons résultats (un nul, deux victoires, dont une à Nice) mais l’équipe désormais entraînée par Dominique Carlier, avec 7 points, sera, quoi qu’il arrive, toujours devant le LOSC après le derby ! Dans ces conditions, pas de doute : cette fois l’Entente est bel et bien favorite. Cette situation inédite est toutefois perçue comme une anomalie, y compris par le président Decock, qui ne fanfaronne pas : « ça fait tout drôle de se retrouver devant les Lillois. Même s’il y a forcément une question de suprématie régionale, notre but n’est pas de creuser l’écart ! Nous tenons simplement à confirmer, devant notre public, nos bonnes dispositions actuelles ». Quel peut être l’impact des incidents de la semaine sur ce derby ? Pour Decock, « ça crée un climat malsain, mais pas du côté de Wasquehal ».
Bernard Lecomte se veut apaisant, en déclarant que « le résultat de ce derby est important et relatif à la fois. Important car il est temps pour le LOSC de montrer son vrai visage. Mais si le résultat n’est pas positif, il n’y aura pas de révolution pour autant ». Comprendre : l’entraîneur restera en place quel que soit le résultat. Il préfère évoquer la longue marche du LOSC pour se remettre en selle et condamne de nouveau les moyens utilisés pour s’en prendre à Froger : « je regrette que certains oublient tout le travail qui a été fait depuis plusieurs années pour assainir le club. Ils ne tiennent pas compte des incertitudes du sport ». Il n’empêche : ce match est une bascule. En quelques mois, les deux clubs sont passés de deux divisions d’écart à un niveau dont on peine désormais à percevoir la différence. Si l’ESW n’a encore rien à perdre, le LOSC joue sa crédibilité.
Pour ce match, l’Entente pourra de nouveau compter sur un joueur très en vue depuis le début de saison sur son côté gauche : Denis Abed, transfuge du LOSC. Arrivé à Lille en joker sauveur au cours de l’hiver 1995/1996, Abed n’a ensuite joué que 7 matches en 1996/1997 (en fin de saison, pour remonter la pente, et il avait d’ailleurs été très bon), et un seul avec Froger en 1997/1998… Il symbolise finalement une partie des errements du LOSC, pas capable de faire confiance à certains joueurs, dont le statut change au gré des considérations changeantes des entraîneurs. Pour Abed, « on sait que pour Lille, ça deviendra très difficile si on venait à marquer les premiers. Mais c’est quand même une équipe qui a d’autres ambitions et un autre potentiel que nous. Et je suis persuadé qu’ils vont relever la tête. Mais sur ce match, nous n’avons vraiment rien à perdre ».
Au Stadium, Frédéric Dindeleux fera son retour : blessé une semaine avant la reprise (tendinite au genou), il a manqué le début du championnat. Et comme Leclercq est blessé, Dindeleux devrait être titulaire aux côtés de Koot, malgré un manque d’automatismes1: « Adick2 est un excellent joueur. Il lit très bien le jeu et ne met pas beaucoup de temps à s’adapter à celui de l’adversaire. Nous devrions très vite trouver nos repères ». Afin d’évacuer la tension de la semaine, Froger révèle que « nous nous sommes relâchés sur le plan physique cette semaine, pour nous consacrer davantage à des petits jeux. Pour nous libérer ».
Lille se donne de l’air
En tribunes, l’ambiance est toujours bonne : une banderole de bienvenue accueille les supporters du LOSC, dont la réaction après une semaine riche en émotions est scrutée avec attention. Seule couac de l’avant-match : du monde s’est pointé sans acheter de billet en amont, si bien qu’il y avait encore des centaines de personnes aux guichets quand le coup d’envoi a été donné.
Voici les deux compositions d’équipe et leur évolution, devant 9 681 spectateurs payants :
Wasquehal :
Sibille, Bizasène, Scrimenti (cap), Benon, Keller ; Antunès (Debaets, 79e), Dailly, Bonadeï (T. Cygan, 60e) ; Allais (Dablemont, 60e), Cadiou, Abed.
Lille :
Wimbée ; Sanz, Dindeleux, Koot (cap.), Camara ; Hitoto, Collot, Valois (Coulibaly, 70e), Renou ; Pickeu, Boutoille (Peyrelade, 81e). Non entré en jeu : P. Cygan.
L’entame est wasquehalienne : Dindeleux sauve en catastrophe un centre d’Allais vers Cadiou (10e), puis un centre d’Abed passe dangereusement devant le but de Wimbée (13e). Lille réagit avec un une-deux entre Renou et Collot qui conduit à une frappe de Pat’, contrée.
21e minute : corner de Valois, et tête piquée de Koot au second poteau, qui ouvre la marque (0-1). événement : c’est le premier but encaissé par l’Entente cette saison, et c’est aussi la première fois que le LOSC mène dans un derby face à Wasquehal !
Les Lillois multiplient alors les occasions dangereuses : une frappe tendue de Collot est repoussée par Sibille (24e) ; après un mouvement Camara-Collot, Momo fait sa spéciale « centre raté qui se transforme en tir vicieux » que Sibille claque en corner (30e) ; sur un corner, Sibille se troue et la frappe de Boutoille est renvoyée sur la ligne par Keller (35e). Lille a manifestement retrouvé du mordant et la pause est sifflée sur cet avantage pour les Dogues.
En seconde période, Lille lève le pied et Wasquehal tente quelques percées, avec Abed-Dailly-Allais (49e), puis un tir croisé de Bonadéï, à côté (50e). Le plus dangereux est Denis Abed, qui dribble Sanz et Hitoto avant d’envoyer un centre non exploité (60e). Le LOSC, cette fois, est sur le reculoir, mais on ne sent pas pour autant l’Entente avoir la capacité de revenir. Dindeleux note : « on était entre deux eaux. D’un côté, on souhaitait continuer à attaquer mais, de l’autre il fallait aussi préserver le résultat ». Les vagues wasquehaliennes se calment et, à la 70e minute, coup de théâtre :
« un événement se produisit alors : Thierry Froger effectua un changement (Valois pour Coulibaly) sans provoquer le moindre sifflet ! ». La fin de match est assez tranquille pour Lille, qui gère son avance et remporte son premier derby contre Wasquehal.
Tout le monde est content
Enfin, des sourires dans le vestiaire lillois ! Même si Olivier Pickeu n’a toujours pas marqué, l’avant-centre lillois souligne que « ça fait vraiment plaisir. Nous étions tous navrés des incidents qui, à travers le coach, visaient tout le groupe. La seule solution pour ramener le calme, c’était de gagner. On a vraiment fait une bonne première mi-temps. Il faut s’appuyer là-dessus et poursuivre pour atteindre nos objectifs ». Les joueurs de l’ESW reconnaissent la supériorité lilloise, comme Bonadéi : « on est tombés sur une bonne équipe de Lille, qui était agressive, qui faisait bien tourner le ballon. Il y a un peu de déception car on prend un but sur coup de pied arrêté » ou Sibille : « le fait de marquer en premier les a galvanisés ».
Les deux présidents ont le sourire à l’issue du match. Lecomte est ravi de constater que « dans ce climat pourtant hostile, l’équipe a gardé toute sa solidarité et son moral. J’ai connu d’autres groupes qui, en pareil cas, se seraient effondrés. Franchement, cette équipe a du potentiel, des qualités individuelles et collectives. Ce soir, j’espère, en fait, que le LOSC a véritablement démarré son championnat. Et puis, Thierry Froger a bien réagi aussi après ce qui lui est arrivé ». Le président lillois semble aussi rassuré que les supporters lillois n’aient pas manifesté d’hostilité envers leur équipe ou l’entraîneur : pas de « démission », certainement parce que l’incident de la semaine a choque la grande majorité d’entre eux, et aussi parce que le LOSC a su marquer rapidement, a fait une belle première période, et a ainsi tué dans l’oeuf toute velléité contestataire.
Guy Decock, malgré la défaite, est lui aussi satisfait. L’Entente est en avance sur son tableau de marche et ne rêve que d’un maintien tranquille : « notre objectif, c’était de prendre 6 points lors de nos 6 premiers matches. Nous ne sommes donc pas en retard. Cette défaite, rassurez-vous, n’aura pas de conséquences. Ce match n’était certainement pas un tournant dans notre saison. Je constate que Wasquehal a progressé. Ce match, nous l’aurions perdu 3 ou 4-0 l’an dernier. Nous avons toutes les raisons d’être optimistes ». Sympa, il ajoute : « et puis franchement, ce soir, il valait mieux que ce soit nous qui perdions… ». La voix du Nord salue les attitudes : « nous avons aimé la réaction de Dominique Carlier, de Guy Decock, de Thierry Froger et de Bernard Lecomte. Tous très dignes dans la défaite comme dans la victoire ».
Le bout du tunnel ?
Cette première victoire de la saison apporte une accalmie au LOSC. De même que le fait que le buteur soit Koot… Car le recrutement du néerlandais, qui était entraîneur-joueur à Cannes la saison précédente, a suscité bien des questionnements qui ont aussi fragilisé la position de Froger à l’égard des supporters. En effet, la rumeur d’un complot orchestré par Dréossi (qui a bien connu Koot à Cannes) et Lecomte a surgi dès juillet : et si la direction avait déjà recruté le successeur de Froger au premier coup dur ? Froger avait alors répondu par l’humour (« s’il redevient entraîneur, eh bien, je redeviendrai joueur ! »), mais le doute était instillé. Alors, si Koot marque le but qui lance la saison du LOSC, c’est donc que la version officielle était la bonne : Froger recherchait bien « un relais expérimenté, un meneur d’hommes ». Au-delà de Koot, Froger se satisfait de sa défense, lui qui a souvent dit qu’avoir la meilleure défense était une garantie pour remonter : « trois matches consécutifs sans encaisser de but, cela ne nous était jamais arrivé la saison dernière ».
Alors, c’est parti ? La Voix du Nord l’espère : « ce derby, s’il doit rester dans les mémoires, le sera comme ayant été peut-être (on le saura dans les prochaines semaines) la fin des ennuis lillois en général. Et de Thierry Froger en particulier ». Deux semaines plus tard, après une nouvelle partie indigente à la maison marquée par de nombreux incidents en tribunes, puis une défaite à Beauvais, Thierry Froger est remercié. En 6 matches cette saison, il n’aura donc signé qu’une victoire : contre Wasquehal.
Les citations et illustrations sont tirées de La Voix du Nord et La Voix des Sports.
La série complète :
Lille/Wasquehal, nouveau derby professionnel
1/6 ESW-LOSC (1-1, 8 octobre 1997) : Le LOSC gâche déjà
2/6 LOSC-ESW (1-1, 14 mars 1998) : L’impuissance lilloise
3/6 ESW-LOSC (0-1, 29 août 1998) Un poing puis trois points
4/6 LOSC-ESW (1-1, 12 décembre 1998) : Toujours les mêmes travers
5/6 LOSC-ESW (1-0, 7 septembre 1999) : Le LOSC inarrêtable
6/6 ESW-LOSC (2-1, 5 février 2000) : Wasquehal inscrit son nom au palmarès
Bilan : LOSC/Wasquehal, le derby oublié de l’histoire ?
Notes :
1 La piste Jean-Marc Devaux a été abandonné par le LOSC : dommage, l’association Koot-Devaux aurait pu faire des étincelles.
2 Notons qu’avec Abed et Adick, ce derby est une belle occasion de réviser son anglais. « A Bed », par exemple, signifie « un lit ».
Posté le 9 juin 2022 - par dbclosc
LOSC-ESW (2/6) : L’impuissance lilloise
Derby 2 : Après avoir dilapidé l’avance de 6 points qu’il avait sur Sochaux, le LOSC vit une fin d’hiver difficile et se retrouve quatrième avant de recevoir son voisin. L’inconstance de l’équipe agace un public qui gronde de plus en plus. Le derby ne lève aucun doute sur les capacités des Dogues à retrouver la D1.
Depuis le derby d’octobre 1997, joué au moment où le LOSC traversait une crise de résultats (le 1-1 de l’aller est le 5e match consécutif sans victoire), les hommes de Thierry Froger ont en partie rectifié le tir, puisqu’une première série de 3 victoires après le match du Stadium les a positionnés à la 3e place, une place qu’ils n’ont quittée que très ponctuellement depuis. Mieux : début février, le LOSC, 3e, a même 6 points d’avance sur le 4e, Sochaux, et se montre capable, en janvier, de battre le leader, Lorient (1-0), et d’aller chercher un point chez le deuxième, Nancy, en février (1-1). Lille perd peu (seulement 4 défaites après 29 journées), mais perd de façon étonnante, comme chez le dernier, Toulon, en novembre (0-1), ou à Gueugnon en janvier, avec un gros écart (0-4). Ces défaites passent encore début février pour des accidents : globalement, même si le jeu du LOSC ne convainc pas, même si les Dogues marquent trop peu de points à l’extérieur, l’équipe montre une certaine solidité et est quasiment intraitable à domicile. Si tout va bien, ça devrait donc passer. Mais Lille a la mauvaise idée de perdre deux fois consécutivement à domicile (face à Amiens ; puis face à Troyes, 0-2). Que Lille ne joue pas bien mais que les résultats soient là, passe encore ; mais si, désormais, Lille n’avance plus, les espoirs de montée seront bien vite envolés. Face à Troyes, devant la piteuse prestation des Dogues, une partie du public envahit le terrain et réclame la tête de Thierry Froger.
Puis Lille s’incline de nouveau, à Valence (1-3). En 6 semaines, le LOSC a perdu autant qu’en 6 mois, et Sochaux est passé devant : que se passe-t-il ? Lille a pris 10 points (sur 24) depuis la reprise en janvier, contre 12 pour Wasquehal. Et le LOSC n’a pris qu’un point sur les quatre derniers matches ! La Voix des Sports pointe « un sentiment d’impuissance ». C’est dans ce contexte qu’arrive le derby retour entre Lille et Wasquehal. Ainsi, comme à l’aller, l’opposition arrive au moment où Lille doute, avec un « parfum très particulier. Assez malodorant… »
Thierry Froger sur la selette
Lors de son arrivée à Lille, Thierry Froger disposait d’un délai de deux ans pour faire remonter le LOSC. Seulement, les circonstances ont fait que, depuis quelques mois, le délai a été ramené clairement à un an. D’abord parce qu’on ne comprendrait pas qu’une équipe qui passe l’essentiel de la saison sur le podium ne monte pas ; et parce que le jeu proposé et les tergiversations manifestes de l’entraîneur ne pourront être supportées une deuxième saison, surtout si elles se révèlent inefficaces. Jusque là souhait de la frange la plus radicale des supporters lillois, l’éviction de Froger est désormais clairement posée dans la presse, et on peut supposer que c’est Bernard Lecomte l’envisage aussi, si jamais Lille ne battait pas son voisin. Le président n’en serait pas à son coup d’essai, après Jean Fernandez et Jean-Michel Cavalli ; seulement, il se discréditerait, après s’être montré tant séduit par le profil de son entraîneur au printemps dernier.
Thierry Froger avait été choisi pour sa connaissance de la D2 et de ses exigences, en termes de concentration d’impact physique notamment. Or, c’est précisément sur ces points que le bât blesse. Après la défaite dans la Drôme, Patrick Collot pointe : « le premier but, c’est lamentable. On n’arrête pas de se répéter ce qu’il faut faire en pareil cas. Et on se fait surprendre ». Et sur le deuxième but marqué par Sorlin, plus prompt, la Voix des Sports rappelle que « savoir s’arracher c’est un art. Et en division 2, c’est un devoir. Les Lillois ne l’ont toujours pas compris ». Si l’on ajoute à cela la déroute à Gueugnon indigne d’un prétendant à la montée, et deux piteuses éliminations en coupe (à Toulon et à Boulogne-sur-mer…), on comprend que la patience dont Froger a jusque là bénéficié atteint ses limites.
Un club assaini, mais des joueurs fragiles
Le 10 mars, la Voix du Nord publie un entretien avec Bernard Lecomte, qui débute par « je suis très en colère » puis, à mesure que l’entretien avance, « j’explose, je n’en peux plus, je dors mal, j’ai la rage » : « pardonnez moi si je suis trivial, mais c’est dommage, dans la dernière ligne droite du championnat, de faire des conneries pareilles ». À vrai dire, on s’interroge sur la motivation réelle de certains joueurs, et Lecomte ne comprend pas que la perspective d’une montée, que tant de joueurs aimeraient avoir sur leur carte de visite, ne suffise pas à exciter ses joueurs, qu’il a décidé de rencontrer, ainsi que son entraîneur, avant le match contre Wasquehal : « il ne faut pas jouer à Forrest Gump et vouloir être partout. Pour retrouver de la sérénité et du sang-froid, il s’agit de se battre ensemble, et non pas que chacun fasse son numéro. Ils ont la tactique et, sans être des phénomènes, ils ont la capacité de jouer collectivement (…) Ils ont la trouille, c’est clair. J’interviens rarement dans la vie de l’équipe. Quand je le fais, c’est qu’il y a urgence. Il est clair que ces garçons sont fragiles. Il ne faut pas les lâcher d’une semelle. J’ai donc demandé à Thierry Froger d’être plus directif avec les joueurs, plus interventionniste dans les matches. Il faut qu’il agisse de manière différente, les joueurs n’ayant pas suffisamment de maturité. Nous sommes confrontés, avec nos joueurs, à un problème de densité de personne ».
Lecomte est d’autant plus agacé et frustré que lui a fait sa part. Dans quelques semaines, il présentera à la DNCG le résultat de 4 ans de travail : le LOSC n’a plus de dettes. Alors au moment où ce que le LOSC a traîné comme un boulet pendant des années disparaît, le président aimerait sans doute que ne lui soit pas immédiatement substitué un problème qui n’a pas lieu d’être à ce niveau, avec la qualité de cet effectif, renforcé au mercato avec le Belge Van Der Heyden. Mais la Voix évoque un effectif « disloqué », des « faiblesses morales ». Sont particulièrement ciblés : Carrez et Dindeleux qui « n’assument pas leurs responsabilités », Leclercq et Duncker « pas au niveau », et Boutoille « transparent », « à force de jouer avec le feu, il va se bruler les ailes ».
Après les incidents de Lille-Troyes, Lecomte veut encore croire que la majorité du public soutient son équipe. Mais, en cas de défaite face à Wasquehal, il craint une nouvelle réaction hostile, au moment où le LOSC est sous le coup d’une suspension de terrain avec sursis. Il faut donc gagner, sans quoi les chances de monter seraient très largement hypothéquées : « c’est le dernier appel au peuple… » lance le président, comme proche de la résignation. On lit dans la Voix du Nord : « financièrement, les choses sont rentrées dans l’ordre. Sportivement, ce serait encore et toujours la valse-hésitation ». Pire, une défaite pourrait même marquer « le début d’une nouvelle donne sur la métropole ». On l’a donc bien compris : « le bilan des Lillois, à l’aube du printemps, est affligeant » et « Lillois et Wasquehaliens s’entredéchireront gaiement dans un match dont les enjeux n’échappent à personne ».
Mise au vert
Début de réaction ou nouveau symptôme d’une navigation à vue, Thierry Froger a scindé son groupe en deux depuis quelques jours. Son effectif est bien trop large, et la rotation qu’il a eu l’habitude de mettre en place semble avoir davantage perturbé les joueurs qu’avoir apporté une régénération régulière du groupe. Il préfère donc travailler avec un groupe restreint : exit, pour l’instant, Banjac, Garcia, Landrin, Anselin, Coquelet, Leclercq, Coulibaly, Sanz et Raguel. La Voix du Nord considère déjà que le groupe est en fin de cycle et que « le salut passera par une refonte générale de l’effectif ». La semaine d’entraînement d’avant derby, au vert à Mont-Saint-Aubert à 99 mètres d’altitude, se fait dans une ambiance sereine : le mardi, Aubry, excédé par on ne sait quoi, quitte prématurément l’entraînement.
Thierry Froger refuse de parler d’« opération commando » mais de « nécessité d’une plus grande concentration avant d’aborder le rendez-vous capital contre Wasquehal » : c’est beau comme de la novlangue managériale. Le LOSC profite des installations de l’US Tournai pour aborder un virage important : « un nul n’arrangerait personne. Une défaite ? Il faudrait en tirer les conséquences… » estime Lecomte.
Salutations réciproques
Pour l’entraîneur de l’ESW, Michel Docquiert, la mise au vert du LOSC est la preuve que les Dogues préparent le match avec sérieux : « cela m’impressionne plutôt. C’est bien la preuve qu’ils nous respectent énormément ». Docquiert affirme qu’il y a « beaucoup de respect de part et d’autre », salue le « courage des supporters lillois sous la pluie » lors du match aller. On se respecte, on s’encourage, on s’admire : l’ambiance est à l’estime de part et d’autre. Michel Docquiert rappelle d’ailleurs : « pour moi, quand j’étais adolescent, Lille était le grand club de référence. Jouer à Grimonprez-Jooris me procure le même genre d’émotion que d’être à Geoffroy-Guichard ! Et puis on peut les remercier… Grâce au derby, on parle un peu plus de nous… ». Les joueurs de l’ESW aussi affirment la supériorité lilloise, comme Hervé Leroy : « Wasquehal a toute sa place en D2. La place de Lille est d’être un grand club européen, représentant de toute la métropole en D1 » ; ou Jean Antunès, spectateur à Grimonprez quand il était enfant : « la métropole doit avoir un club-phare. Lille, en l’occurrence ». Thierry Froger, un peu maladroitement, affirme : « ça me plairait d’avoir une équipe comme Wasquehal à entraîner. Elle a un mental extraordinaire ».
Le match est donc l’occasion de rappeler la proximité entre certains membres des deux clubs : par exemple, le directeur sporitf du LOSC, Pierre Dréossi, tout comme ses frères Eric et Marc, mais aussi son père, sont passés par l’Entente. On comprend dès lors qu’il ne peut pas y avoir de rivalité au-delà de celle, très feutrée, du temps du match. Le LOSC a d’ailleurs offert un billet à tous les jeunes de l’Entente, un geste très apprécié à Wasquehal.
Bien entendu, on comprend aussi que le concert de louanges que les Wasquehaliens adressent aux Lillois est le moyen de se dégager de toute pression. Puisque c’est presque David contre Goliath, aucune raison d’envisager autre chose que la normalité du rapport de forces : « un nul serait un exploit. Une victoire nous permettrait de faire la fête pendant 3 jours. Une défaite ? Nous aurions 10 jours pour préparer la venue du Mans » lance Docquiert.
Pour Patrick Collot, « ce sera le match le plus difficile de l’année » ; « on doit retrouver nos bases, notre collectif » assure Froger. Juste avant l’entrée des joueurs, une supportrice du LOSC et un supporter de l’Entente, chacun.e avec drapeau aux cloueurs de leur club, font un tour de stade.
À leur entrée, les joueurs sont accompagnés de jeunes des deux équipes.
Voici les deux compositions d’équipe et leur évolution, devant 11 125 spectateurs payants :
Lille :
Aubry ; Duncker, Carrez, Dindeleux, Cygan ; Hitoto (Senoussi 77e), Collot (cap., Renou 62e), Van Der Heyden ; Peyrelade, Boutoille (Machado 78e), Lobé.
Wasquehal, sans Leroy (cuisse), T. Cygan (appendicite) et Clément-Demange :
Sibille ; Cissokho, Scrimenti, Benon, Asensio ; Antunès, Debaets (cap.), Rohart, Bonadei, Cadiou ; Loko (Allais, 82e).
L’entame est timide, des deux côtés. Un une-deux entre Lobé-Duncker permet à Boutoille de se retrouver en bonne position, mais l’attaquant lillois est contré (11e). Sur la relance, la première percée de l’ESW est la bonne : Asencio lance bonadeï sur la gauche, dont le centre au premier poteau est repris par Loko (0-1, 13e). une partie du public lillois gronde… l’autre encourage son équipe. Sur la pelouse, les Dogues réagissent plutôt bien, avec Boutoille qui bute sur Sibille, puis une faute de Sibille sur le même Boutoille. Cette fois, c’est pénalty et, contrairement à l’aller, Lobé transforme (1-1, 21e).
La première période est assez ouverte : un coup-franc de Van Der Heyden passe près de la lucarne (27e). Wasquehal, tranquillement positionné, place quelques contres : sur l’un deux, Debaets, seul, tire sur Jean-Marie Aubry (37e). Juste avant la pause, Lobé échoue devant Sibille (43e).
La seconde période est plus fermée. Lobé, encore, ne peut conclure (59e), puis Van Der Heyden envoie un missile de 30 mètres que Sibille regarde filer… au ras de sa lucarne (61e). L’entrée de Renou perturbe un temps l’arrière-garde de l’Entente : Renou sert Lobé qui manque encore (67e). Dans la minute suivante, Aubry sauve devant Loko (68e). En fin d ematch, malgré l’activité de Renou et de Lobé, Lille ne parvient pas à inscrire un deuxième but. Comme à l’aller, les deux équipes se séparent sur le score de 1-1.
Jean-Marie Aubry, dont on sait que les relations avec Froger ne sont pas au beau fixe, est particulièrement excité à la fin du match, tandis que résonnent quelques « Froger, démission ! ». Michel Docquiert doit le calmer, suivi de près par Lionel Jospin, qui s’apprête à faire un beau score avec la gauche plurielle.
Match nul à domicile contre le 16e du classement : c’est une nouvelle déception pour le LOSC, qui ne gagne plus depuis 5 matches et semble toujours aussi peu capable de prendre le jeu à son compte. Pour la Voix du Nord, on a vu des « Lillois égaux à l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes à l’heure actuelle », un « manque flagrant d’inspiration offensive », une « insuffisance de créativité ». Encore une fois, face à une équipe qui s’est contenté d’être appliquée et d’espérer quelques contres, Lille perd des points. Voilà qui ne permet pas de réconcilier le LOSC et son public qui, bien après le coup de sifflet final, lançait des « Mouillez le maillot ! ». Thierry Froger : « je suis déçu pour mes joueurs. Tout au long de cette semaine difficile et pesante, la plus dure que j’ai eue à vivre depuis que je suis entraîneur, mes garçons s’étaient beaucoup investis. Le travail n’a pas été récompensé »
Du côté de l’ESW, nouvelle satisfaction : l’Entente est invaincue dans sa double confrontation avec le LOSC, « presque un crime de lèse-majesté » selon la Voix. Qui aurait cru que Wasquehal ferait perdre 4 points au LOSC ? Pour Docquiert, « c’est un exploit. C’est vrai que nous avons été dominés territorialement. Mais ce point, c’est celui du courage, de la volonté, et il ne doit rien à personne. Le seul but que nous encaissons, c’est un pénalty. Nous marquons sur une action de jeu construite. Le résultat n’est pas usurpé et montre les progrès qu’on a faits ».
En dépit de cette contre-performance, Lille retrouve la troisième place, à la différence de buts, puisque que Sochaux a perdu à domicile contre Nancy. Ainsi, curieusement, et chanceusement, les Lillois peuvent se permettre un gros passage à vide et être toujours dans le coup. Il reste 8 journées, et le LOSC va enchaîner avec deux victoires, reprenant 6 points d’avance sur Sochaux au soir de la 36e journée (sur 42) ! On connaît la suite… Le LOSC n’aurait eu besoin que d’un seul des 4 points perdus contre son voisin pour remonter dès 1998.
Les citations et illustrations sont tirées de La Voix du Nord et La Voix des Sports.
La série complète :
Lille/Wasquehal, nouveau derby professionnel
1/6 ESW-LOSC (1-1, 8 octobre 1997) : Le LOSC gâche déjà
2/6 LOSC-ESW (1-1, 14 mars 1998) : L’impuissance lilloise
3/6 ESW-LOSC (0-1, 29 août 1998) Un poing puis trois points
4/6 LOSC-ESW (1-1, 12 décembre 1998) : Toujours les mêmes travers
5/6 LOSC-ESW (1-0, 7 septembre 1999) : Le LOSC inarrêtable
6/6 ESW-LOSC (2-1, 5 février 2000) : Wasquehal inscrit son nom au palmarès
Bilan : LOSC/Wasquehal, le derby oublié de l’histoire ?
Posté le 7 juin 2022 - par dbclosc
ESW-LOSC (1/6) : Le LOSC gâche déjà
Derby 1 : Contrairement aux pronostics de début de saison, Wasquehal et Lille sont très proches au classement avant leur première confrontation au niveau professionnel. Après un été satisfaisant, Lille connaît une première crise de résultats à l’automne, et se déplace au Stadium avec un effectif décimé. Ce premier derby ne désigne pas de vainqueur, mais Thierry Froger a déjà posé sa patte : Lille gâche énormément.
La première opposition entre Lille et Wasquehal au niveau professionnel est fixée au mercredi 8 octobre 1997, pour la 14e journée du championnat de D2, trois mois après un match très accroché durant le Chalenge Emile-Olivier à Berck-sur-mer. Le LOSC n’avait pas joué de derby à ce niveau depuis le 22 avril 1978 et une victoire à Noeux-les-Mines (3-0). D’ailleurs, lors de sa dernière saison en D2 où figuraient également Dunkerque et Valenciennes, Lille avait remporté tous les derbies. De bon augure avant d’affronter son voisin « métropolitain » ?
L’envie d’une fête
Comme on pouvait s’y attendre, il ne semble pas y avoir d’animosité ou d’hostilité entre les deux équipes et leurs supporters. La presse rapporte en effet la volonté, de la part des dirigeants des deux clubs, que le derby soit avant tout une fête. En amont, le président Decock et Pierre Dréossi se sont d’ailleurs rencontrés pour évoquer les modalités d’un « rendez-vous convivial ». L’Entente espère animer les tribunes avec la venue d’un groupe musical belge (MG), en profitera pour présenter ses équipes de jeunes au public, et le coup d’envoi fictif sera donné par Benoît Z.
Les discours sont apaisants, pacifiques, et on sent que les deux clubs ont davantage de convergences que de divergences. Dans la mesure où l’ESW semble se satisfaire de grandir dans l’ombre de son voisin et qu’elle n’envisage pas de le concurrencer, le projet de club « métropolitain » est dès lors mis au pot commun. L’ambition est ainsi de montrer aux décideurs du coin que le sport, et le football en particulier, ont leur place dans la métropole lilloise, notamment suite à deux déceptions en la matière (pas de coupe du monde ni de Jeux Olympiques à Lille). Ce match est alors vu comme une vitrine exposant les possibilités sportives de la métropole : « il n’y a aucune histoire entre nous. Je n’ai qu’une crainte, par rapport à la cinquantaine d’hystériques incontrôlables qui peuvent changer certaines choses. Pour le reste, chacun des deux clubs a une identité. Je voudrais que Wasquehal soit fidèle à la sienne. Au Stadium-Nord, un endroit fédérateur, ce match sera avant tout un symbole » assure Guy Decock.
Le LOSC doute
Sur le papier, Lille fait bien évidemment figure de favori, ne serait-ce que parce qu’il arrive de D1, et parce que l’Entente arrive de National 1. Et si le LOSC a fait des débuts très encourageants, en alternant victoires à domicile – dont une spectaculaire, 7-3 contre Martigues – et nuls à l’extérieur jusque début septembre, il cale depuis quelques journées. On en est même à quatre matches sans victoire pour les Dogues, qui glissent doucement vers le milieu de tableau : les voilà 7e (sur 22) avant de se rendre au Stadium. Nous voilà déjà éloignés des prétentions de remontée du club.
Mais le LOSC inquiète surtout par son incapacité à imposer son jeu. Le dernier match accouché d’un nul à domicile contre Valence (1-1). Point positif : le LOSC a égalisé en fin de match, en infériorité numérique (expulsion de Leclercq), grâce à un pénalty de Patrick Collot. Points négatifs : la Voix des Sports se charge de l’énumération : « après 13 journées, le LOSC est toujours en quête d’une identité, d’un style, d’une ligne directrice qui puissent le mettre sur les bons rails et lui conférer enfin une autre envergure. Une envergure de vrai prétendant à la remontée immédiate, d’équipe apte à relever les défis de la division 2 » ; « image plutôt terne » ; « défense d’une désarmante naïveté » ; « comment peuvent-ils rater autant d’occasions ? Comment peuvent-ils se faire piéger sur la première attaque digne de ce nom d’un adversaire tout simplement appliqué ? » ; « manque de consistance sur le plan défensif » ; « trio d’arrières souvent approximatif dans ses interventions et ses relances, des placements flous, des absences incompatibles avec la conduite d’un programme ambitieux, une fragilité morale chronique » (6 octobre 1997).
Ainsi, au-delà des résultats, qui ne sont pas infamants, le style laisse à désirer. Thierry Froger tente un 3-5-2 original mais qui fait peser de lourdes responsabilités sur des joueurs défensifs qui ne peuvent peut-être pas encore les assumer. Gaël Sanz, fautif sur le but valentinois, est particulièrement visé. De plus, le coach lillois a tendance à faire tourner son effectif d’un match à l’autre, ce qui peut apparaître comme la marque d’un effectif large aux multiples possibilités mais qui, quand les prestations sont passables, révèle plutôt que Froger n’en finit pas de chercher ses hommes et son style. Les joueurs montrent une certaine lassitude face à ces erreurs à répétitions : « On donne le bâton pour se faire battre ! On ne pourra pas toujours courir après le score ! » (Patrick Collot). Bref, des Lillois « pas très convaincants » (La Voix du Nord, 5 octobre) déçoivent, et Bernard Lecomte tire déjà la sonnette d’alarme : « il y a des choses qui ne m’ont pas plu ce soir ! Je le dis pour qu’on trouve vite des solutions ».
Le favori n’est pas celui qu’on croit
En face, l’Entente Sportive de Wasquehal est en confiance. Certes, les Wasquehaliens sont derrière le LOSC, mais à seulement.. 3 points ! Et au regard des ambitions wasquehaliennes, c’est un début de saison tout à fait réussi, en dépît d’une belle tôle à Caen (0-6). De plus, l’Entente vient de remporter sa première victoire en déplacement, à Martigues (3-1). 14e, Wasquehal est largement dans les temps, et aborde ce derby sans aucune pression, ce que confirme son entraîneur, Michel Docquiert : « Lille a quatre fois notre budget : en face, il y aura une équipe qui vient de D1 et qui devrait jouer une place dans les trois premiers de D2. Le favori, c’est pas nous ». Toute la pression est sur Lille : « contre nous, Wasquehal jouera sa coupe du monde ! » craint Bernard Lecomte.
Du côté des effectifs, l’ESW déplore l’absence de Thierry Cygan, qui s’est claqué avec la réserve, ainsi que de Persoon et Asencio. À Lille, Froger a bien des difficultés pour composer son effectif : aux absents de longue date (Hitoto, Senoussi, Abed, Coulibaly Raguel) s’ajoute les récentes blessures de Peyrelade et de Duncker, ainsi que les suspensions de Leclercq, Collot et Tourenne ! Froger fait dans l’humour en suggérant de reprendre les crampons, en compagnie de Jean-Pierre Mottet. Dans les faits, il est alors contraint de faire appel à Franck Turpin, ainsi qu’à un joueur formé à Wasquehal et qui n’est apparu que deux fois cette saison : Pascal Cygan, qui va être un acteur-clé de ce derby.
Un LOSC fragilisé et Wasquehal revigoré : il n’en faut pas plus pour que la Voix du Nord fasse du promu son léger favori : 51-49 !
La Voix du Nord, 8 octobre 1997
Même si le match est placé en semaine, l’affluence est honorable pour le Stadium-Nord : 11 185 spectateurs dont, bien entendu, une grande majorité de supporters lillois. Sur la touche, Nelly Viennot : c’est la première qu’une femme officie dans le football professionnel dans le Nord. Le terrain est dans un sale état : il pleut depuis la veille, il est inondé par endroits, et le match se déroule dans un « blizzard automnal » selon la Voix du Nord.
Voici les deux compositions d’équipe et leur évolution :
Wasquehal :
Sibille ; Cissoko, Benon, Scrimenti (Bonadéï, 42e), Leroy ; Antunes, Debaets (cap.), Rohart, Titeca (Clément-Demange, 72e) ; Loko (Allais, 78e), Cadiou.
Lille, avec un maillot à dominante rouge :
Aubry (cap.) ; Sanz, Carrez, Dindeleux, Cygan ; Anselin, Landrin, Garcia (Banjac, 69e) ; Boutoille, Lobé, Machado (Renou, 80e). Non entré en jeu : Turpin.
D’entrée, Anthony Garcia, sans appui, glisse et envoie un coup-franc qui part dans les nuages (2e) : il faut composer avec un terrain glissant et difficile. On a coutume de dire que ce genre de conditions équilibre les oppositions : voilà une bonne excuse que peuvent sortir les Lillois pour expliquer leur entame timide. Titeca est contré dans la surface lilloise (4e) puis Aubry, seul face à deux wasquehaliens, fauche Loko : c’est un pénalty que transforme Leroy (1-0, 19e). C’est là la quatrième fois consécutive que le LOSC concède l’ouverture du score…
Le match est équilibré et n’offre pas d’occasion franche : à la 35e minute, un coup-franc excentré de Boutoille atterrit sur la tête de Pascal Cygan, qui égalise et joue un bien mauvais coup à son ancien club pour sa première titularisation de la saison, et son tout premier but sous les couleurs lilloises (1-1). Le but sur Fréquence Nord :
Dans la foulée, Machado est prétendument ceinturé dans la surface wasquehalienne : cette fois, c’est un pénalty, très généreux, pour le LOSC, le cinquième de la saison. Jusqu’à présent, ils ont tous été transformés (4 par Lobé, un par Collot). Cette fois, Lobé glisse dans sa prise d’élan et Sibille détourne de la jambe gauche, au-dessus ! « Dans ce monumental loupé, il y avait sans doute une profonde justice » note la Voix du Nord, qui remarque également que les applaudissements après le pénalty manqué de Lobé sont « plus nourris que prévus ».
Scrimenti, claqué, cède sa place à Bonadéï juste avant la pause : c’est le dernier fait marquant de la première période à l’issue de laquelle les deux équipes sont à égalité.
En seconde période, Lille domine de façon stérile : un centre de Machado rase la tête de Lobé (52e) ; Cygan et Carrez, sur des services de Boutoille, sont proches démarquer mais Sibille est chanceux. En face, Cadiou sert Loko, qui ajuste de peu à côté (61e), seule réaction de wasquehaliens prudemment regroupés dans leur camp.
La 68e minute propose une amusante distraction : les quatre pylônes du Stadium lâchent. Le public patiente 10 minutes dans le noir et tue le temps avec une ola. À la reprise, Machado évite Sibille, sorti loin de son but ; sa frappe est dégagée devant la ligne par Benon. Lille se montre encore par Lobé, dont la tête est renvoyée par Sibille (77e), puis par Boutoille, pas assez rapide sur un centre de Lobé (84e). En toute fin de match, l’ESW est proche de rafler la mise mais Cygan dégage en catastrophe. Le match s’achève sur le score de 1-1.
Lille ne lève pas les doutes
« Les deux équipes n’ont pas livré le match du siècle » juge la Voix du Nord. Dans des conditions atmosphériques compliquées, l’Entente a donné le sentiment de se contenter du nul tandis que les Lillois, plein de bonne volonté mais maladroits et désorganisés, confirment leurs difficultés, et notamment cette incapacité à marquer les premiers, « un mal chronique et désormais inquiétant » pour le quotidien nordiste, que Thierry Froger fustige : « nous ne jouons pas en début de match. Il a fallu attendre d’être menés pour réagir. En deuxième mi-temps, nous n’insistons pas assez. Il y avait la place pour une victoire ce soir, mais on continue à ne pas se libérer suffisamment. Nous ne jouons pas comme une équipe qui a envie de monter ! ». Un constat que partage Frédéric Machado : « on a toujours l’impression qu’il manque un centimètre, même si, à chaque match, on se rapproche davantage de l’objectif. Notre handicap est toujours le même : on démarre le match avec un but de retard ». Même si Lille a dominé, on a le sentiment que les Dogues sont incapables d’accélérer le jeu et de mettre en difficulté leurs adversaires autrement que par quelques coups individuels. Le LOSC stagne et se retrouve après ce match à la 11e place. Pour Cédric Carrez, « sur la physionomie du match, Lille devait l’emporter. Même si les pénalties sont sévères, nous avons eu les meilleures occasions. En ce moment, la roue ne tourne pas dans le sens où on le voudrait. On ne sait pas vraiment l’expliquer, mais il faut forcer les choses ».
La satisfaction est donc bien du côté de l’Entente, qui vient d’engranger 7 points en 3 matches, et qui semble encore s’émerveiller du chemin qu’elle a parcouru avec ses deux montées en 1995 puis 1997 grâce à des valeurs qui dessinent en miroir un portrait inversé du LOSC. Ainsi, Michel Docquiert rappelle : « nous n’avions pas l’intention de nous laisser manger. Nos qualités, on les connaît : notre mental, notre courage, le respect que mes joueurs ont de chaque adversaire et des consignes. Il y a deux ans, nous jouions contre la réserve du LOSC… ». Et l’entraîneur de l’ESW salue même le but de Cygan : « que ce soit Pascal qui égalise face à Wasquehal me rend très heureux. Son sang est wasquehalien ». Le défenseur lillois, lui, qui jouait une carte importante, a réussi son match : « j’aurais préféré le marquer contre Nancy ou à Troyes, mais je suis content aussi d’avoir évité la défaite aux miens. Cela dit, il ne nous a pas manqué grand chose pour l’emporter. Mais nous sommes tombés sur une bonne équipe de Wasquehal, bien solidaire ».
Dans les tribunes, aucun indicent n’a été relevé. Si, sportivement, les regrets sont encore lillois et le bonheur plutôt wasquehalien, dans l’esprit, ce derby est plutôt une réussite : « pas d’agressivité mal placée, dans les gradins comme sur la pelouse. Rien à voir avec la parodie berckoise de la fin du mois de juillet. Un derby, certes, mais sans lensois… et c’est bien mieux ainsi » écrit Pierre Diéval. Une autre façon de dire que le derby Lille/Wasquehal, finalement, ne génère pas (encore ?) de grandes passions.
Les citations et illustrations sont tirées de La Voix du Nord et La Voix des Sports.
La série complète :
Lille/Wasquehal, nouveau derby professionnel
1/6 ESW-LOSC (1-1, 8 octobre 1997) : Le LOSC gâche déjà
2/6 LOSC-ESW (1-1, 14 mars 1998) : L’impuissance lilloise
3/6 ESW-LOSC (0-1, 29 août 1998) Un poing puis trois points
4/6 LOSC-ESW (1-1, 12 décembre 1998) : Toujours les mêmes travers
5/6 LOSC-ESW (1-0, 7 septembre 1999) : Le LOSC inarrêtable
6/6 ESW-LOSC (2-1, 5 février 2000) : Wasquehal inscrit son nom au palmarès
Bilan : LOSC/Wasquehal, le derby oublié de l’histoire ?
Posté le 6 juin 2022 - par dbclosc
1997 : Lille/Wasquehal, nouveau derby professionnel
En 1997, la montée de l’Entente Sportive de Wasquehal couplée à la descente du LOSC fait apparaître un nouveau derby du Nord au niveau professionnel. Durant trois saisons, les voisins se sont affrontés en mettant en jeu des ambitions bien différentes. Nous proposons de revenir sur chacune de ces confrontations, prétexte pour évoquer la vie du LOSC et son évolution au moment de chacune d’elle.
Pendant longtemps, la seule idée d’une confrontation au niveau professionnel entre Lille et Wasquehal prêtait à rire. Entre d’un côté le grand club lillois, qui a connu ses heures de gloire après guerre et qui n’a lâché le professionnalisme que pendant deux ans (1969-1971) et, de l’autre, un petit club qui n’a jamais fait parler de lui en amateur et est issu d’une ville que seuls les locaux savent écrire et prononcer correctement, il y a un gouffre sportif, financier, historique, que seulement une douzaine de kilomètres séparent.
Mais l’Entente Sportive de Wasquehal, issue de la fusion entre l’AS Wasquehal et l’Union Sportive de Wasquehal en 1945, se hisse au 3e niveau national (National 1) en 1995. Au moment où, dans le même temps, Valenciennes s’effondre, l’ESW est pour la première fois invitée au Challenge Emile-Olivier au cours de l’été 1996, aux côtés de Lille, Lens et Dunkerque, illustration de sa montée dans la hiérarchie régionale. C’est probablement à cette occasion que les équipes premières des deux clubs s’affrontent pour la première fois. Et le vainqueur est… Wasquehal, aux tirs aux buts, après un match nul (2-2 ; 4-2). L’Entente remporte même le tournoi, en battant Lens en finale (3-0). Ainsi, en juillet 1996, vainqueur d’un challenge dont le prestige, certes, décroît depuis quelques années, l’ESW peut s’enorgueillir du titre surtout symbolique de « meilleure équipe du Nord-Pas-de-Calais ».
Cette victoire dans le challenge régional estival est en fait annonciatrice d’une remarquable saison de l’Entente qui, au printemps 1997, accède à la D2, c’est-à-dire au niveau professionnel, pour la première fois de son histoire. En D2, Wasquehal ne retrouvera pas Dunkerque, Lens, Valenciennes, Boulogne ou Noeux-les-Mines, récents pensionnaires « nordistes » passés à ce niveau, mais le LOSC, qui l’avait quittée en 1978. En effet, les Dogues, après plusieurs saisons sur le fil du rasoir, ne sont cette fois pas parvenus à se sauver (19e sur 20, au cours d’une saison à 4 descentes). Le LOSC et l’ESW sont alors dans deux dynamiques sportives inverses : l’Entente de Michel Docquiert connaît sa deuxième montée en deux ans, avec un groupe qui a peu changé, et apporte une forme de fraîcheur et d’enthousiasme qui accompagne traditionnellement les équipes en réussite. Le LOSC, de son côté, vient de descendre, et une relégation doit se digérer, avec un nouvel entraîneur. Par moments, on sent qu’une blessure est toujours vive, surtout quand on se rappelle le début de saison 1996/1997 des Dogues. Bernard Lecomte se souvient à regret qu’« à une certaine époque, cette même équipe était capable de bien jouer au ballon et de gagner des matches... ». Mais à d’autres moments, c’est plutôt la dynamique de fond, positive, sur les plans administratif est financier, qui domine. D’ailleurs, l’officialisation de la descente a été vécue pacifiquement par un public compréhensif. Disons alors que la démarche volontariste de Lecomte est contrariée par la descente, mais qu’elle n’est pas remise en cause. La descente peut même être perçue comme « une envie de renaître », et de poser de nouvelles fondations avec d’autres ambitions qu’un maintien sans éclat.
Comment envisager les confrontations à venir ? Ce « derby », sans passé, sans passif, mérite-t-il une telle appellation ? Une rivalité peut-elle naître entre les deux équipes ? Ne peut-on pas partir du postulat que les supporters de l’une ont aussi beaucoup de sympathie pour l’autre ? Et si le LOSC et l’ESW jouent dans la même division, jouent-ils dans la même cour ?
Jeter un œil à la presse de l’été 1997 permet de comprendre comment les deux clubs envisagent leur cohabitation en deuxième division. On peut résumer la situation avec les points suivants, que l’on va successivement développer : les rapports sont cordiaux voire amicaux ; les deux clubs n’ont pas les mêmes moyens ni les mêmes ambitions ; une sorte de hiérarchie est clairement établie entre le LOSC et l’ESW : à chacun sa place ; mais aussi, les deux clubs sont en partie complémentaires et ont, à moyen terme, des objectifs communs.
Dans la Voix des Sports du 28 juillet 1997, les présidents Decock et Lecomte affichent de bons rapports de voisinage. Decock juge ses rapports avec le LOSC « très bons », et l’un comme l’autre ont les mêmes souhaits à l’orée de cette saison 1997/1998 : que le LOSC remonte, que l’ESW se maintienne et « que nos rencontres soient deux belles fêtes » (Decock). Le président de l’Entente exprime même sa solidarité avec Bernard Lecomte dont il estime que la tâche est plus ardue : « pour Bernard Lecomte et d’autres personnes du club, j’espère que le LOSC remontera car je suis conscient de la galère et des mecs qui doivent les faire ch… par rapport à nous. J’ose pas imaginer si on est devant eux après 5 journées… Il est certainement plus facile de gérer notre situation que la leur ».
Decock/Lecomte à Berck > Kohl/Mitterrand à Douaumont
Si Decock a tant d’empathie pour son homologue lillois, c’est probablement qu’il ne rencontre pas les mêmes problèmes. L’ESW fonctionne pour le moment sans permanent, et Decock le justifie ainsi : « quand ils montent, des clubs prennent aussitôt un secrétaire, un commercial, etc. Mais c’est une grande leçon que j’ai retenue de Guingamp : ce ne sont pas ces personnes qui vous font gagner sur le terrain ». Certes, mais ça peut aider quand même. Il est parvenu, sans difficulté, à délocaliser l’Entente au Stadium-Nord pour cette saison, plutôt qu’au vieux stade Arthur-Buyse. Certains lui reprochent de voir trop grand, mais il réplique : « oui, mais c’était trop petit de l’autre côté ». Paf ! L’objectif de l’ESW, même devant 2 000 spectateurs en moyenne, sera de rester en D2
Bernard Lecomte, lui, a trois rendez-vous : « le sportif, le rendez-vous avec le monde économique pour ouvrir le capital au privé, et le rendez-vous avec le nouveau stade métropolitain ». Sportivement, un plan de deux ans a été établi avec le nouvel entraîneur, Thierry Froger, pour remonter. C’est de cet aspect que dépendra la vitesse d’évolution des deux autres, mais on comprend bien que les deux clubs n’ont pas les mêmes préoccupations ni les mêmes ambitions.
C’est parce que ces différences sont évidentes que – pour le moment – Wasquehal ne cherche pas à faire ombrage à son puissant voisin. Les rôles semblent puissamment intégrés, et Decock répète qu’il est « logique et légitime que Lille se revendique le club n°1 de la métropole, ne serait-ce que par son passé ». Bernard Lecomte, pour une fois en position de force après s’être pris dans la figure les sorties de Martel, ne peut qu’embrayer, avec un brin de condescendance : « la volonté exprimée pour maintenir le LOSC en pointe me paraît sage. En tout cas, je souhaite que les choses se passent bien entre les deux clubs (…) L’Entente a une image dynamique, volontariste. Disons que ses dirigeants n’ont pas froid aux yeux. Guy Decock, je le croise depuis longtemps. Il aime le sport sous toutes ses formes. C’est un battant. Sa grande chance par rapport à moi, c’est d’être très disponible vis-à-vis de son club ». Dans la métropole, quelques panneaux publicitaires font apparaître Jean-Marie Aubry pour le LOSC, tandis que l’Entente mène aussi sa propre campagne, parfois aux mêmes endroits. Mais cette petite concurrence sur le marché des supporters ne semble pas être envisagée comme préjudiciable : « en matière de recherche d’annonceurs, ils ont leur terrain de chasse. Je ne pense pas que leur action puisse nuire aux intérêts du LOSC. Si le marché était fermé, je ne réagirais pas de la même manière. Mais ce n’est pas le cas…
Si la concurrence est si modérée, c’est bien parce que les présidents ont une idée en tête, à plus long terme. La vision « métropolitaine » des problèmes publics s’est désormais étendue au monde sportif, et l’idée d’un club « métropolitain » fait son chemin. Depuis quelques années, le LOSC a multiplié les partenariats avec des clubs des environs, et le LOSC n’est plus censé n’être que « le club de la ville de Lille ». Cette vision a bien sûr une généalogie ancienne (Henri Jooris l’a évoquée dès les années 1930), et elle en a trouvé une manifestation concrète en 1975 avec la construction d’un stade – sans hôte – à Villeneuve d’Ascq, et elle gagne du terrain. Pour Lecomte, « dans la vision d’un club métropolitain, il est clair que le LOSC a un rôle essentiel à jouer ». Quel rôle, et quid de l’ESW, si proche de Lille ? Selon Decock, « la métropole a besoin d’avoir un grand club, c’est une évidence. Et cela ne passe pas, à mon sens, par une fusion entre le LOSC et nous. Il y a de la place pour deux clubs dans la métropole, comme il y a la place pour deux clubs dans la région, contrairement à ce que peut prétendre Gervais Martel. Pour avoir un grand projet de foot européen dans la métropole, on pourrait très bien travailler sur un projet à deux clubs, avec l’un européen et l’autre en D2, une quarantaine de professionnels et un centre de formation commun. Quelle serait la base de ce grand club ? La logique voudrait que ce soit Lille. Avec Bernard Lecomte, on n’a pas encore parlé de ces choses communes. Si le LOSC monte, on se mettra autour d’une table et on discutera. Si c’est l’inverse, aussi… ». Ainsi, la présidence de l’Entente se place aussi dans la roue du LOSC pour ce vague projet commun, illustration d’intérêts communs. L’Entente serait comme une filiale ou un réservoir du LOSC… Pour mieux concurrencer Lens ?
On le voit, avant de se retrouver en D2 pour un derby inédit en professionnel, le LOSC et l’Entente cultivent de bonnes relations qui, à terme, si tout se passe bien (le retour du LOSC en D1), pourraient déboucher sur un partenariat de grande ampleur qui répondrait à des évolutions politico-sportives.
En attendant, les deux équipes se retrouvent une deuxième fois, au cours de l’édition 1997 du Challenge Emile-Olivier, à Berck-sur-mer. Cette fois, Lille passe, aux tirs aux but (1-1 ; 4-21), avant de gagner le tournoi en battant Lens (1-0). Mais, selon la Voix des Sports, le match a été « décevant et dur », avec une bagarre d’entrée de jeu et, en première période, « un nombre incalculable de mauvais gestes », « une parodie de football. On pensait plus à se donner des coups qu’à chercher à construire ». Cela est-il annonciateur de confrontations âpres et disputées qui feront entrer ce nouveau derby dans l’histoire ?
Frédéric Cissokho et Djezon Boutoille en juillet 1997
Durant trois saisons, le LOSC et l’ESW vont donc s’affronter, et le retour sur chaque opposition est une manière originale de voir passer les « années D2 » des Dogues, qui ont fondé à Lille le renouveau sportif. Il aura fallu encore passer par bien des déceptions, des emballements pas toujours justifiés, des surprises et des retournements de veste, et cest une plongée dans cette époque que nous proposons ici.
Les citations et photographies sont tirées de La Voix du Nord et La Voix des Sports.
La série complète :
Lille/Wasquehal, nouveau derby professionnel
1/6 ESW-LOSC (1-1, 8 octobre 1997) : Le LOSC gâche déjà
2/6 LOSC-ESW (1-1, 14 mars 1998) : L’impuissance lilloise
3/6 ESW-LOSC (0-1, 29 août 1998) Un poing puis trois points
4/6 LOSC-ESW (1-1, 12 décembre 1998) : Toujours les mêmes travers
5/6 LOSC-ESW (1-0, 7 septembre 1999) : Le LOSC inarrêtable
6/6 ESW-LOSC (2-1, 5 février 2000) : Wasquehal inscrit son nom au palmarès
Bilan : LOSC/Wasquehal, le derby oublié de l’histoire ?
Note :
1 But lillois de Dindeleux (6e), égalisation wasquehalienne de Leroy sur pénalty (78e). Tirs aux buts réussi par Abed, Peyrelade, Duncker, Dindeleux pour le LOSC, tandis que Wasquehal manque par Scrimenti (poteau) et Camara (arrêt de Bruno Clément).