Posté le 20 juin 2022 - par dbclosc
LOSC/Wasquehal, le derby oublié de l’histoire ?
De 1997 à 2000, le « derby du Nord », c’était Lille/Wasquehal. Les six confrontations entre les deux équipes n’ont pas laissé un impérissable souvenir. Est-ce juste, et quelles pistes d’explications peut-on avancer ?
Bien peu de personnes évoqueraient aujourd’hui avec nostalgie les grandes soirées opposant Wasquehal à Lille. Ce derby appartient cependant bien à l’histoire, dans le sens où il fait partie des événements passés ; et il a été historique en 1997, ne serait-ce que parce qu’il était inédit à ce niveau. Mérite-t-il pour autant que sa mémoire soit cultivée ?
Comme nous l’avons vu dans les articles que nous avons consacrés à chaque confrontation, les matches entre le LOSC et l’ESW n’ont donné lieu à aucun débordement ni à aucune sortie verbale déplacée ; au contraire, dirigeants, joueurs et supporters, dans la victoire comme dans la défaite, semblent avoir constamment exprimé du respect voire de l’admiration pour leurs adversaires, et cela s’est toujours traduit concrètement par des animations d’avant-match festives et colorées. Même le ralliement de l’Entente au RC Lens n’a déclenché aucune animosité dans le camp lillois. Si l’on s’en tient à ces constats, on peut être étonnés que ce qui semble correspondre à l’imagerie traditionnelle des fameuses tout autant qu’éculées « valeurs du Nord » n’ait pas davantage marqué les esprits. Mais n’est-ce pas justement parce que ce derby n’a suscité aucune agressivité qu’il indiffère ? Il est vrai qu’on se rappelle plus volontiers des débordements et des passions qui ont pu entourer l’ambiance d’autres derbies, et on peut remonter loin : derbies « métropolitains » entre Olympique Lillois, US Tourcoing et Racing Club de Roubaix, « terriens » contre « maritimes » ou « mineurs », Olympique Lillois contre Fives dans l’entre-deux-guerres, puis les confrontations, bien entendu, entre Lille et Lens, mais aussi, certaines, parfois houleuses, entre Lille et Boulogne. Si c’était la raison principale du relatif oubli des Lille/Wasquehal, on serait tentés de dire que Lille/Wasquehal n’est pas entré dans l’histoire pour de bien mauvaises raisons. Mais si, à une période où les derbies du Nord se sont raréfiés, l’irruption d’une confrontation inattendue n’a pas suscité d’élan particulier, il faut sans doute en trouver les raisons ailleurs, en élargissant la perspective et en cumulant les explications qui, toutes, mettent finalement en avant une absence de conflictualité qui constitue tout de même un élément essentiel des derbies.
_Six matches pour entrer dans l’histoire, c’est peu. Certes, il suffit parfois d’une action d’éclat (ou d’un but). Mais, entre deux clubs, comme nous l’écrivions, sans passif et sans passé commun, trois saisons n’ont pas suffi à en faire un rendez-vous incontournable, surtout dans un contexte où les identités territoriales se sont amenuisées : ici, pas de concurrences industrielles semblables comme celles de Lille, Roubaix et Tourcoing, « minières » entre Lens, Bully ou Noeux-les-Mines, ou entre « textiles » et « mineurs ». À une époque où est martelée l’idée de la « métropolisation » des territoires (même abstraite dans les faits, le seul fait de l’énoncer peut avoir des effets cognitifs et la faire exister), supporters de Lille et de Wasquehal ont probablement davantage de similitudes que de différences, ou ont intérêt à le croire. Le football ne peut donc pas traduire des différences culturelles marquées.
L’Entente Sportive de Wasquehal au challenge Emile-Olivier le 23 juillet 1998
Photo tirée de l’ouvrage de Gilbert Hocq et Jacques Verhaeghe, Le football nordiste, Nord-Pas-de-Calais et Picardie, Editions Sutton, 2019
_Dans cette lignée « territoriale », si on part du principe que les supporters vivent à proximité du club qu’ils soutiennent, il est probable que les supporters de l’une des équipes soient au moins sympathisants de l’autre. La montée de Wasquehal, en 1997, avait été saluée comme le succès d’une bande de copains travailleurs : la Voix du Nord le rappelait récemment pour le 25e anniversaire de cet événement. Difficile de s’opposer à ce que véhicule cette image. L’Entente, trop proche de son grand voisin, a probablement manqué d’un soutien populaire plus important et clairement distinct de celui porté au LOSC.
_Ce rendez-vous a été d’autant moins incontournable qu’il a souvent donné lieu à des rencontres étriquées, au jeu fermé, au cours desquelles l’événement a souvent été de parvenir à ouvrir le score. Six matches, 11 buts marqués (6 par Lille, 5 par Wasquehal), 3 nuls, deux victoires pour Lille et une pour Wasquehal : tel est le bilan chiffré des confrontations professionnelles entre Lille et Wasquehal. Le LOSC y aura fait preuve d’une remarquable régularité, en marquant systématiquement une fois, pas plus, pas moins, avec 6 buteurs différents (Cygan, Lobé, Koot, Valois, Agasson, Landrin).
_Le derby semble avoir toujours été considéré comme un événement provisoire, dans le sens où le LOSC n’était pas à sa place. Lillois et Wasquehaliens ont toujours affirmé que le LOSC devait évoluer en D1, tandis qu’on croit même percevoir du côté de Wasquehal que le professionnalisme est vécu comme une aventure elle-même provisoire, dont il faut profiter. Entre 1997 et 2000, le LOSC, entre l’agrandissement de son stade, l’apuration de ses dettes et la privatisation, s’est construit un avenir loin des préoccupations wasquehaliennes. En ce sens, il n’y a pas eu de projection faisant de LOSC/ESW un derby qui finirait par devenir un classique. À moyen terme, c’est même le projet métropolitain, et donc le retour d’intérêts communs, qui semble dessiner l’horizon.
_Wasquehal n’a jamais cherché à doubler le LOSC : le LOSC a toujours été considéré comme « le gros », et Wasquehal « le petit ». La présence de l’ESW en D2 a même été qualifiée de « belle anomalie » par la Voix du Nord. Même si cette posture a aussi été entretenue par l’ESW pour se dégager de toute pression, elle était sincère et, de toute façon, assez peu contestable. Autrement dit, en restant sagement à sa place, l’ESW n’a pas froissé son voisin, même après avoir pactisé avec Lens. Ainsi, l’Entente n’a pas pris la place des grands déchus de la région qu’étaient à l’époque Dunkerque, Boulogne, Noeux-les-Mines ou Valenciennes. En avait-elle seulement les moyens ou l’envie ?
_On se rend compte également que les confrontations ont souvent été parasitées par des événements extérieurs qui réduisaient l’importance relative du derby. En l’occurrence, la crise de résultats du LOSC durant les saisons 97/98 et 98/99 a fait passer l’urgence de prendre des points devant la possibilité de vivre un derby. La dimension régionale du match d’août 1998, marqué par l’agression dont a été victime Thierry Froger dans la semaine le précédant, a quant à elle été complètement éclipsée.
Cela semble finalement assez commun a bon nombres d’autres derbies que, probablement, on idéalise. Après tout, la presse rappelle souvent que les derbies sont rarement des grands matches, tout en entretenant la référence à un âge d’or qui, peut-être, n’a pas vraiment existé, et constitue davantage une projection nostalgique de notre rapport au foot.
En définitive, l’apparition et la courte existence d’un nouveau derby n’ont pas modifié grand chose, comme si la relatif désintérêt qu’il a suscité venait confirmer de manière paradoxale que la « vraie » rivalité régionale est désormais avec Lens. Cela montre aussi que la passion autour d’un derby ne se décrète pas par simple proximité géographique, et que la confrontation a d’autant plus de valeur qu’elle s’inscrit dans une histoire et un environnement général qui lui donnent du sens.
Dès lors, cela n’a que ponctuellement perturbé des évolutions de grande ampleur aujourd’hui très visibles, et notamment l’avènement du LOSC comme un club métropolitain, qui a désormais peu d’attaches avec la ville de Lille mais recrute son public dans un bassin assez large. En revanche, cette domination territoriale ne s’est que peu traduite, ou alors ponctuellement, en fonction de la politique sportive du LOSC, par la valorisation de jeunes issus de la région. La récente signature au LOSC d’Issam Rezig apparaît dès lors comme une exception dans les relations entre les deux clubs – même si Wasquehal Foot n’est pas exactement l’ESW – , et on aurait tendance à espérer que cela reste une exception et que le LOSC attire des jeunes locaux avant qu’ils n’atteignent l’âge de 22 ans. Pour l’anecdote, Issam Rezig est né un peu plus de deux mois après la dernière confrontation professionnelle entre Wasquehal et Lille.
Il n’y aura qu’un blog comme celui-ci pour exhumer le souvenir de rencontres qui ne sont pas restées dans les mémoires. Mais finalement, le poser avec ces lignes les fait (un peu) entrer dans l’histoire…
Pour tester ses connaissances sur le derby, on peut s’amuser à répondre à ce quiz que nous avons élaboré.
La série complète :
Lille/Wasquehal, nouveau derby professionnel
1/6 ESW-LOSC (1-1, 8 octobre 1997) : Le LOSC gâche déjà
2/6 LOSC-ESW (1-1, 14 mars 1998) : L’impuissance lilloise
3/6 ESW-LOSC (0-1, 29 août 1998) Un poing puis trois points
4/6 LOSC-ESW (1-1, 12 décembre 1998) : Toujours les mêmes travers
5/6 LOSC-ESW (1-0, 7 septembre 1999) : Le LOSC inarrêtable
6/6 ESW-LOSC (2-1, 5 février 2000) : Wasquehal inscrit son nom au palmarès
Bilan : LOSC/Wasquehal, le derby oublié de l’histoire ?
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