Posté le 25 juin 2022 - par dbclosc
Gourvennec, « l’échec » de qui ?
La saison écoulée du LOSC permet sans doute de davantage mesurer les attentes autour du LOSC que d’émettre une opinion sur le degré de compétence de Jocelyn Gourvennec. Sur un terrain si miné, un autre aurait-il fait beaucoup mieux ?
« Fin de la collaboration entre le LOSC et Jocelyn Gourvennec » : c’est par un communiqué ainsi titré que le LOSC a annoncé qu’il mettait à la porte son entraîneur, seulement 11 mois après son arrivée. L’issue de la « collaboration » ne semblait plus guère faire de doute depuis quelques semaines, au regard de l’absence de communication du club sur le sujet, et notamment après l’annulation de la rencontre Létang/Gouvennec prévue le 23 mai, puis de la circulation de rumeurs précises sur la venue de Paulo Fonseca. Voilà qui met fin à un désamour entre le désormais ancien entraîneur du LOSC et, manifestement, une partie non négligeable du public lillois, qui a manifesté son mécontentement de plus en plus bruyamment après la défaite contre Lens (1-2) en avril, prélude à une fin de saison franchement décevante, en témoigne l’incapacité à produire quelque chose à domicile face aux trois relégués : 0-0 contre Metz, Saint-Etienne et Bordeaux.
Parmi la diversité des opinions émises, ressort une tendance générale qui semble faire consensus : le bilan est moyen en L1, et bon (et même « historique ») en Ligue des Champions. Et, au-delà des résultats, ont été pointés la piètre qualité de jeu, le manque d’animation offensive, ou une communication jugée maladroite. Gourvennec ayant été pointé du doigt durant toute la saison, son départ valide la thèse selon laquelle il serait le responsable du relatif décrochage du LOSC. Autrement dit : il a échoué, il n’a pas été à la hauteur et même, selon certains, il est « incompétent » et serait une « erreur de casting ».
Nous sommes d’accord : globalement, la saison n’a pas été emballante. Cependant, la relation de causalité entre les résultats du LOSC et le travail de Jocelyn Gourvennec nous paraît bien moins directe et simpliste qu’une simple équation : résultats moyens = entraîneur moyen. Tout se passe comme s’il y avait un consensus sur l’idée que les résultats ne seraient que le reflet et la résultante de du travail entre un entraîneur et ses joueurs. Or, si cette dimension n’est évidemment pas négligeable, elle est un élément parmi d’autres à prendre en compte pour tenter d’estimer les qualités de coach de Gourvennec, autrement dit : tenter d’apporter son apport propre, qu’il soit positif ou négatif. Et, avec un peu d’honnêteté, parvenir à satisfaire cette ambition relève davantage de la gageure, et invalide une bonne partie des jugements définitifs portés à son égard à l’issue de son expérience lilloise.
On oublie un peu vite ce pénalty volontairement raté face à Grégory Wimbée
Gourvennec et la frustration relative
Il y a un an, on pouvait anticiper que cette saison serait moyenne, ou en tout cas serait perçue comme telle, avec ou sans Gourvennec. Fin 2020, le changement inattendu de présidence a redéfini le projet du club, à l’aune de moyens plus réalistes (et sans doute plus honnêtes) ; si ce changement n’a pas brisé la dynamique sportive en cours de saison et a permis d’aller jusqu’au titre, on peut faire l’hypothèse que la réplique sportive de cette secousse de « gouvernance » s’est manifestée à l’orée de la saison 2021/2022. En effet, l’été 2021 correspond à la fin d’une période de 3 ans, une durée considérée comme « un cycle », au cours de laquelle, grâce à un groupe relativement stable, il a été possible de bâtir un projet commun. La fin de l’aventure Galtier constitue une rupture autant sportive que symbolique : les succès sont tant associés à sa personne que son départ donne l’illusion de tourner le dos au succès. Sous-entendu : le nouveau président se prive – par manque de compétence, de conviction, d’expérience, ou la faute à un caractère ingérable entre autres explications psychologisantes – d’un entraîneur qui a emmené le LOSC au sommet, pour prendre un entraîneur au palmarès moins prestigieux. Mais c’est là la traduction concrète des moyens du club à cet instant ! L’illusion consiste à croire que tout se joue au niveau de la personnalité des entraîneurs alors que, si l’on regarde de manière plus globale, il se peut que ce ne soit pas le départ d’un homme (Galtier) qui provoque la baisse de régime du LOSC, mais que le départ d’un homme résulte de l’anticipation par celui-ci de la baisse de standing d’un club : c’est bien parce que certains savent qu’ils ne pourront pas aller plus haut qu’ils préfèrent quitter le club à l’apogée de ce qu’ils pourront y faire. Attribuer au départ de Galtier et à l’arrivée de Gourvennec la cause des (relatifs) malheurs du LOSC nous semble donc revenir à inverser cause et conséquence : le départ de Galtier (l’arrivée de Gourvennec) est une conséquence (ou un symptôme) de dynamiques profondes au sein du club. Galtier – dont on sait d’ailleurs pas s’il ne serait pas parti même sans changement de présidence – anticipant une saison moyenne s’en va et s’évite une peu reluisante comparaison. La façon dont il négocie son intersaison tend à confirmer l’hypothèse qu’il supporte mal que son environnement de travail ne soit pas nickel et qu’il est un excellent politique, de ceux qui parviennent à négocier de bonnes conditions de travail avant de donner son accord.
Ainsi, il était presque prévu que le club connaisse une phase de reflux. À tort ou à raison, beaucoup d’observateurs considèrent que Lille a « sur-performé », thèse alimentée par l’idée que des joueurs évoluaient en 2020/2021 « à 110% » (voire plus), et le contraste entre les performances de Burak Yilmaz d’une saison sur l’autre ne permet pas de la contredire. Au-delà de ces théories impossibles à étayer dans un sens ou dans l’autre, on peut davantage soutenir qu’il est déstabilisant pour des joueurs d’être venus à Lille sur la base d’un projet qui, quelques temps après, n’est plus le même et est, de leur point de vue, sans doute moins attractif. Certains sont partis, souhaitant peut-être garder de Lille les images intactes du succès. Ceux qui restent peuvent légitimement avoir du mal à admettre qu’il sera difficile de faire mieux. Les performances sur le terrain peuvent traduire cette adaptation. De la même manière, on peut estimer qu’il y a une forme de décrochage relatif du public, qui doit aussi se remobiliser autour du neuf, croire en de nouvelles personnes, et à un nouveau projet.
Et cette transition est d’autant plus difficile quand elle coïncide avec une période de réussite. En effet, la saison 2020/2021 a été si aboutie, et ponctuée par un titre, qu’il est impossible de faire mieux. À moins de s’appeler le PSG, aucun club français n’a remporté un titre deux fois consécutivement depuis la période de domination lyonnaise sur le football français. La période post-titre, qui s’ouvre symboliquement avec le départ de Galtier et l’arrivée de Gourvennec, succède alors à une période si faste que l’on sait que les émotions qu’elle a procurée seront difficiles à égaler. Dès lors, la frustration et la déception causées par la saison 2020/2021 était écrite d’avance : l’inévitable comparaison entre le passé et le présent ne peut se faire qu’au détriment du présent.
N’oublions cependant pas que, sans le Covid, le LOSC aurait probablement connu quelques départs majeurs dès l’été 2020, notamment de tous ceux en fin de contrat en 2022 (car il y a moins de marges de négociations possibles quand il ne reste qu’un an de contrat, cf Maignan et Soumaré). Le LOSC a finalement obtenu un effectif avec des moyens qu’il n’avait pas, et ça l’a tellement plombé financièrement que le proprio a été viré. C’est donc avec cet effectif improbable que le LOSC est champion : c’est sympa, mais ça peut pas devenir un référentiel. La thèse de l’heureux accident aurait pu s’imposer plus vite dans les esprits pour s’éviter de rêver trop grand.
Ainsi, après une période faste, quand les résultats ne sont pas là, la colère prend rapidement le dessus. Elle se cristallise sur ceux qui, nouvellement arrivés, incarnent le club, et particulièrement l’entraîneur. Tout s’accorde alors pour que le LOSC se retrouve en situation de générer de la frustration relative, un concept ancien de sociologie qui a notamment permis d’analyser les mobilisations collectives et qui part d’un constat a priori contre-intuitif : dans une société donnée, le plus souvent souvent, ce ne sont pas les plus démunis qui se révoltent et s’engagent dans une action collective. La grille d’analyse est assez simple à appréhender : les frustrations relatives désignent un état de tension entre des satisfactions attendues et des satisfactions refusées, ce qui crée des insatisfactions et alimente un potentiel de mécontentement et d’action collective. La frustration, c’est donc un décalage entre ce que des individus se considèrent comme en droit d’attendre et ce qu’ils reçoivent effectivement. La frustration est dite relative car elle n’est pas absolue : on est frustrés relativement à des attentes qui ne se réalisent pas. Après tout, quand on termine 10e, cela signifie que 10 clubs ont fait moins bien : y a-t-il, dans l’absolu, matière à sombrer dans le catastrophisme ? Sans doute pas mais, relativement au statut de club champion en titre, ou même « seulement » de club habitué à l’Europe, c’est moins acceptable. C’est ce qui explique, en partie, que l’entraîneur du LOSC ait été particulièrement ciblé, alors que, à notre connaissance, les entraîneurs de Lorient ou de Brest n’ont pas eu à subir le même traitement même si, dans l’absolu, leur situation est plus compliquée. C’est pourquoi, selon la théorie de la frustration relative, des groupes « privilégiés » peuvent ressentir davantage de « frustrations », et donc être en position de se mobiliser davantage qu’un groupe plus démuni. Ici, c’est bien le titre qui crée des attentes qui, au regard de la situation nouvelle du LOSC, ne peuvent être assumées. La frustration relative se crée dans ce différentiel. En quelque sorte, plus on est haut, plus la chute est douloureuse : quand Létang affirme avoir récupéré un club en faillite, si au lieu d’injecter 50M€ à son arrivée, il décide de vendre, le LOSC n’est probablement pas champions et la perception de chute est moins grande…
Le précédent 2002/2003
Ce que nous avons vécu lors de la saison 2021/2022 présente bon nombre de similitudes avec la saison 2002/2003, et nous en avons abondamment parlé dans cet article : résultats en dents de scie qui deviennent franchement catastrophiques au cours de l’hiver, un jeu insuffisant, un entraîneur (Claude Puel) considéré comme trop discret, un président (Michel Seydoux) qui découvre le métier, semble perdu et a une communication maladroite (notamment sur le projet de « Grand Stade »), un public hostile… Au LOSC, le contraste avec le passé récent était saisissant. Rappeler aujourd’hui que Claude Puel et Michel Seydoux ont été conspués pendant 6 mois à chaque match du LOSC à domicile (avec, en prime, quelques semaines où le mécontentement s’est de nouveau manifesté vers novembre-décembre 2003 après une série de 12 matches sans victoire) peut faire sourire. Comment expliquer que Claude Puel et Michel Seydoux, qui ont amené le LOSC plusieurs fois en Ligue des Champions, et même à un titre national en 2011 – Puel n’y est pas étranger – aient été considérés comme « incompétents » au point que leur démission a été réclamée pendant plusieurs mois ? N’étaient-ils donc pas les mêmes hommes ?
Dans un club sportif s’entremêlent des enjeux humains, sportifs, économiques et politiques. un changement d’hommes ne peut se réduire à un changement d’organigramme, avec des individus interchangeables où les nouveaux arrivés n’auraient qu’à faire fructifier un heureux héritage. Or, à chaud, on regarde souvent les successions, quand elles ne se traduisent pas par une réussite sportive, comme si les nouveaux dirigeants faisaient n’importe quoi du trésor qu’on leur a offert sur un plateau. Or, qu’a-t-il été reproché à l’époque à Michel Seydoux et à Claude Puel ? Bien sûr, d’avoir des résultats moyens, et même mauvais, plus qu’en 2021/2022 : 14e, le LOSC n’a assuré son maintien qu’au soir de la 37e journée. Mais aussi de ne pas avoir su créer d’identité de jeu, d’être allés chercher des joueurs au niveau douteux (Bonnal, Tapia, Fortuné, Campi, Chalmé – sa première année était une catastrophe) tout en ayant « bradé » les « actifs » du club (Cygan, Cheyrou et Bakari), au point qu’on se demandait quel était ce président qui se laissait taper sur les doigts par la mairie (sur la question du futur stade), et si Puel n’avait pas été champion avec Monaco en 2000 que parce qu’il a bénéficié d’un effectif exceptionnel.
Le recul que l’on a désormais sur les années Puel et Seydoux permet de voir la saison 2002/2003 comme une transition, difficile, après une période de réussite. Entre 1999 et 2002, le club a survolé la deuxième division, s’est ensuite placé aux 3e puis 5e places du championnat, a brillamment découvert l’Europe, grâce à une équipe vaillante dont les performances sont inséparables de son charismatique entraîneur, Vahid Halilhodzic. Une période exceptionnelle, tant elle a été faste sportivement, et d’autant plus belle qu’elle succédait à 40 ans de déceptions (on aurait donc ici en sens inverse une maximisation de la satisfaction relative). À des années-lumières de ce qu’il a été dans les années 1990, le LOSC a été attractif, et les politiques et le public sont revenus à Grimonprez-Jooris. Comment rivaliser avec cette période ? Dès lors, la frustration et de la déception causées par la saison 2002/2003 étaient écrites d’avance, aussi car on s’habitue vite à un train de vie plus confortable. Et cela n’a finalement pas grand chose à voir avec les qualités et les défauts de Claude Puel qui, dans ce contexte, ne sont qu’une variable parmi d’autres pour expliquer les résultats du LOSC et leur perception. Quand on connaît la suite, on sait bien que la compétence de Claude Puel n’était pas en cause.
Il est d’ailleurs étonnant que Jocelyn Gourvennec ait vécu, à 19 ans d’intervalle, la même mésaventure que Claude Puel : se prendre une rouste contre son prédécesseur, avec son nouveau club : on se rappelle que le LOSC a pris 0-4 à la maison contre le Nice de Galtier, et Puel avait pris 1-5 chez les Rennes qu’Halilhodzic venait de reprendre, avec des joueurs qui avaient semblé tétanisés d’affronter l’entraîneur qui les avaient menés si haut (on en a parlé ici). Et on se rappelle qu’il avait fallu compter sur l’ingéniosité des organisateurs pour éviter un triomphe à Halilhodzic lors du match retour, alors que le LOSC jouait sa peau. Ces défaites n’ont pu que renforcer le contraste et valider l’évidente apparence d’un entraîneur « compétent » d’un côté, « incompétent » de l’autre.
Au-delà des hommes, c’est donc le contexte qui explique en grande partie des saisons 2002/2003 et 2021/2022 médiocres. Cette grille de lecture ne fonctionne qu’en partie sur la saison 2017/2018 : en effet, une frustration pêut également se faire ressentir entre les paillettes promises par l’arrivée de Bielsa et ce qu’on en a vu mais, à l’inverse, les méthodes de gestion humaine et financière de l’équipe dirigeante font apparaître des stratégies individuelles, volontaires, plus clairement identifiables, et manifestement grossièrement néfastes.
Notre propos est donc de dire que replacer le LOSC à un moment de son histoire et de son développement permet d’avoir une autre grille de lecture des performances sportives. Cela n’exonère pas les dirigeants de leurs responsabilités, mais c’est autre chose. En l’occurrence, on peut aussi tout à fait comprendre qu’il y a une phase de « prise de rôle » pour Michel Seydoux et Olivier Létang, plus ou moins novices, qui les conduisent à quelques maladresses et à devenir le réceptacle des diverses frustrations, mais c’est peut-être l’inévitable prix à payer dans ce genre de configuration.
Quant à Claude Puel – à propos duquel Michel Seydoux a par la suite souligné sa chance de l’avoir eu, reconnaissant à mots couverts que Puel l’avait presque formé – et à Jocelyn Gourvennec, ils subissent eux aussi en partie un lourd héritage et une succession difficile à assumer. Mais il est indéniable que, si l’on en croit les témoignages des joueurs de l’époque et de cette année, même dans la tempête, ils ont su maintenir un équilibre dans le groupe – si l’on excepte l’épisode Ben Arfa – nécessaire à sa survie, et c’est bien dans cette phase complexe où le coach ne peut encore complètement faire passer ses vues et son style qu’ils peuvent faire preuve de leur professionnalisme.
Gourvennec particulièrement mal servi
Au-delà des changements structurels au sein du club, on peut aussi rappeler quelques éléments qui, pour le moins, n’ont pas placé Jocelyn Gourvennec dans une situation favorable.
L’annonce de sa venue a été faite le lundi 5 juillet 2021 : un moment tardif, postérieur à la reprise du groupe professionnel, que Gourvennec a rejoint en stage aux Pays-Bas. Pas vraiment l’idéal pour un premier contact, et une impression de devoir déjà rattraper du temps perdu alors que la saison a à peine commencé. Rappelons que cette nomination tardive est due aux atermoiements autour du départ de Christophe Galtier, que le LOSC ne voulait pas lâcher sans obtenir d’indeminité de transfert, ce qui a retardé toute officialisation. Dans cette affaire, tout et son contraire ont été dits sur l’honnêteté de l’un (Létang) et de l’autre (Galtier), mais l’honnêteté incite à exonérer Gourvennec de toute responsabilité dans cette affaire qui, bien malgré lui, lui a fait manquer son intronisation, comme un prof qui arriverait en retard pour surveiller le DS le plus important de l’année qu’il a préparé à ses élèves.
Gourvennec est aussi « victime », à son corps défendant, des noms ronflants qui ont circulé pour succéder à Galtier, notamment Blanc, Favre et Ranieri. Si toutes les rumeurs n’étaient pas fondées (Ranieri est tout de même venu à Luchin), elles ont là aussi contribué au sentiment de frustration relative évoqué plus haut. Difficile de savoir si ces rumeurs étaient lancées par des agents (probablement), mais l’absence de communication du club pour les taire a eu pour effet de les entretenir voire de les crédibiliser. Et si ces rumeurs ne sont pas fondées, après tout, un club doit-il s’abaisser à les démentir ? Quand on annonce Blanc ou Ranieri et que débarque Gourvennec, on ne peut qu’être surpris, voire déçu, là encore par décalage avec ce à quoi on cru pouvoir prétendre. Et domine le sentiment que Gourvennec est un choix par défaut. Mais, quoi qu’il en soit, Jocelyn Gourvennec n’y est encore pour rien : lui venait avec son parcours qui, pour relativiser ce qui a été dit et écrit, était tout de même loin d’être ridicule. Ce avec quoi l’auteur d’une pétition – vite retirée mais très médiatisée – contre l’arrivée de Gourvennec n’avait pas l’air d’accord. On peut aussi comprendre qu’arriver dans de telles conditions laisse quelque trace.
Le 0-4 concédé contre Nice, dès la deuxième journée, n’a fait qu’ajouter de l’eau au moulin de la thèse de l’erreur de casting. Même si on se désole de cette défaite, affronter si précocement celui qui a fait du LOSC un champion, qui connait par cœur son effectif, qui fait ombrage à son successeur (et probablement même si celui-ci avait été plus « prestigieux »), ne laissait que peu de chances à Lille cet après-midi là. Les similitudes avec le Rennes/Lille de novembre 2002 sont tout de même frappantes, comme si le même phénomène s’était reproduit. Ce « pêché originel » d’août 2021 a été suivi d’une indulgence toujours plus réduite à l’égard du coach lillois, si l’on excepte le parcours en coupe d’Europe et une bonne période en championnat à la fin de l’hiver.
On parlait plus haut de joueurs qui auraient « surperformé » en 2020/2021. À l’inverse, on peut estimer que le LOSC a sous-performé cette saison. Si l’outil ne convainc pas tout le monde, les calculs du LOSC de Gourvennec en expected goals et expected points montrent un net différenciel entre occasions créées et converties tant par les attaquants du LOSC que par les équipes adverses ; le hic, c’est que ce différentiel est largement négatif pour le LOSC, et largement positif pour ses adversaires. Pour le dire autrement : Lille se crée beaucoup d’occasions mais marque relativement peu ; et Lille concède peu d’occasions mais encaisse relativement beaucoup. Si l’on en croit le site de référence, le LOSC « auraît dû » se classer deuxième cette année… Ainsi, cette saison, la qualité des occasions créées n’a pas tant changé que ça, et c’est peut-être en partie grâce Gourvennec qui, déclarant s’inscrire dans les pas de Galtier, a maintenu une forme d’équilibre dans l’équipe. Ce qui a changé, c’est la finition des attaquants, et ça ne peut pas être que de la faute du coach.
Le classement L1 2021/2022 avec calcul des XG et XPTS sur https://understat.com/league/Ligue_1
Enfin, on a reproché à Gourvennec de ne pas savoir donner d’animation offensive au LOSC, en oubliant un peu vite que mis à part la saison 2018/2019 et un automne 2021 de folie, ce point a toujours été un problème avec Galtier !
Que l’on s’entende bien : on ne sait pas si Jocelyn Gourvennec est un bon ou un mauvais entraîneur, et on aimerait avoir les compétences pour prétendre émettre un avis, si tant est qu’on puisse mesurer et objectiver la compétence d’un entraîneur. Mais la décision du LOSC de se séparer de son entraîneur nous paraît pour le moins brutale, et s’inscrit dans la continuité d’une année où tous les maux de l’équipe semblent lui avoir été attribués, comme si on en arrivait à une conclusion largement partagée sans qu’une quelconque démonstration n’ait été faite. Et, dès 2021, il était prévisible qu’on ne puisse pas répondre clairement à cette interrogation au bout d’un an. Le moment que traverse le club semble trop parasité pour que l’on puisse isoler le travail propre de l’entraîneur d’un ensemble de dynamiques sur lesquelles il n’a pas de prise et qui l’empêchent d’imposer son style.
Credit: Getty Images/Romain Perrocheau
On le répète : personne ne peut se satisfaire de la saison écoulée, des résultats obtenus, de l’envie manifestée, du jeu proposé, d’avoir perdu trois derbies, et un entraîneur ne peut être exonéré de toute responsabilité, mais la cristallisation de ces problèmes sur la personne de Jocelyn Gourvennec ne nous paraît pas complètement juste, tant les critères d’évaluation de sa contribution propre sont noyés dans un ensemble de paramètres. Ainsi, nous ressentons un décalage entre d’un côté l’ampleur de la colère, sa cible, et de l’autre la situation réelle, à envisager dans un environnement plus général que la vitrine que sont les résultats du terrain. Dès lors, la responsabilité personnelle de Gourvennec dans les rendements moyens du LOSC en championnat est très complexe à établir. Corollairement, son apport et son mérite sur la belle campagne de Ligue de Champions sont tout autant difficiles à déterminer avec précision. Ce décalage soulève surtout la question du niveau des joueurs en fonction des matches, des compétitions, et de leurs ambitions personnelles. Et on ne les juge pas non plus : souvenous-nous seulement, comme évoqué avant, par qui, avec quel projet et avec quelles valeurs ils ont été recrutés.
En résumé, le départ de Gourvennec – au passage, bien plus élégant que celui de Galtier – en dit moins sur lui-même et sur la saison du LOSC que sur la façon dont il et elle sont perçues relativement, c’est à dire en comparaison de critères qui les relèguent, forcément. Le titre obtenu, la succession de Galtier, l’usure de joueurs au niveau exceptionnel en 2020/2021, le changement de direction et de projet, une arrivée de Gourvennec chaotique et contestée, ont cumulativement suscité des attentes impossibles à satisfaire. Dans une telle configuration, le club aurait-il dû davantage assumer une saison de transition pour réduire le sentiment d’attente et donc, de frustration ? Stratégie inaudible en termes de communication, sans doute, d’autant plus à une période où tout signe de « faiblesse » est réputé faire fuir les investisseurs et, partant, risquerait de mettre le club en péril.
L’an dernier, à pareille époque, on se réjouissait de retrouver une direction saine dans ses méthodes, indépendamment de la question des moyens financiers. Manifestement, cette direction soit considère qu’elle a fait un mauvais choix avec Gourvennec, soit le fait sauter pour orienter la perception d’une saison moyenne vers son entraîneur (les deux hypothèses ne sont pas exclusives l’une de l’autre). Avec ce départ, elle se retrouve désormais potentiellement nue : soit le successeur de Gourvennec fera mieux que lui, et cela confortera les contempteurs du Breton dans leurs convictions ; soit ça se passera moins bien et alors les regards se tourneront inéluctablement vers la responsabilité de la direction, jusque là relativement épargnée, et qui n’a cette fois pas intérêt à placer le nouvel entraîneur sur un siège éjectable, car elle est désormais assise sur le même.
Mais prenons d’ores et déjà les paris : après une saison « moyenne », les critères de perception de la saison à venir ont déjà changé. Cette fois, elle n’a même pas commencé qu’elle semble déjà plus belle !
En résumé, réclamer la démission ou croire en l’incompétence des nouveaux venus après seulement quelques semaines ou quelques mois nous semble mettre de côté les raisons structurelles et collectives qui permettent d’apporter un éclairage sur le décrochage relatif d’un club, qu’on ne peut résumer à l’action d’un homme ou deux. En 2003 comme en 2022.
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6 juillet 2022
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Jo a dit:
Analyse intéressante, avec laquelle je suis assez d’accord. Gourvennec a été pris dans le seul objectif d’assurer la continuité avec Galtier. C’est ce qu’il a fait, jusqu’à reproduire les mêmes mimiques dans le jeu que le LOSC champion, avec un bloc compact mais une terrible difficulté à faire le jeu. Il a manqué la réussite qui accompagnait les joueurs avant l’arrivée de Gourvennec. Dans un contexte plus favorable, peut-être qu’il n’aurait pas manqué ce « petit quelques chose » à l’équipe pour faire mieux.
Son départ reste toutefois compréhensible, dans le sens où le discours et le projet de la direction ont changé avec l’arrivée de Fonseca. L’objectif annoncé pour la saison qui arrive, c’est de développer un style de jeu attrayant avant tout. Il n’a pas été question de top 5 ne seule fois durant la conf de présentation du coach, ce qui va à l’encontre même de ce que la direction annonçait il y a un an. Donc l’envie, c’est de s’éloigner du 4-4-2 basé sur des transitions rapides. Gourvennec aurait-il pu incarner une rupture avec le style de jeu du club depuis plusieurs années ? On peut se permettre d’en douter puisqu’il a toujours affirmé, d’une part, qu’il s’inscrivait dans la continuité de Galtier, et d’autre part, en ayant constaté cette année que le niveau de jeu a parfois battu des records de médiocrité. Il ne semblait pas être le candidat idéal pour ce nouveau projet. En tout cas, il a eu le courage d’assurer la transition entre l’ancien et le nouveau projet, et c’est tout à son honneur
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25 juin 2022
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Gerduyn a dit:
Parfaite analyse que je partage également.
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25 juin 2022
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Serge Benamou a dit:
Excellente analyse que je partage complètement