Archiver pour août 2022
Posté le 1 août 2022 - par dbclosc
1994 : un pâle derby pour commencer
En 1994/1995, la saison s’ouvre sur un derby. Aussi indigeste que les précédents, il donne aussi un bon aperçu des rares qualités lilloises de cette année-là.
Tout commence par une boutade (de Dijon) dans les colonnes de la Voix du Nord en juin 1994 : « et si on ouvrait le championnat avec un derby ? Ce serait sympa, et les gens seraient contents ». Le propos est de Gervais Martel, président du Racing Club de Lens. Quelques jours après, par un curieux hasard, la Ligue Nationale publie le calendrier de la saison 1994/1995. Première journée : Lens/Lille ! À l’époque, Gervais est également numéro 1 de l’Union des Clubs Professionnels de Football (UCPF), le syndicat patronal des présidents de clubs, mais cela n’a probablement rien à voir.
La World Cup est à peine terminée que le championnat de D1 reprend le 28 juillet, avec un Bordeaux/Nice en ouverture. Le lendemain, les deux équipes du Nord-Pas-de-Calais présentes en D1 s’affrontent donc déjà. Lens/Lille en ouverture : c’était déjà le cas en 1946. Depuis quelques années, Boulogne a largement perdu de sa superbe, Valenciennes traverse une période fort chaotique et, en D2, Dunkerque ne vise pas la montée. Le RCL et le LOSC apparaissent alors comme les deux équipes régionales les plus régulières au haut niveau.
Lille est dans l’élite depuis 1978 et y survit sans gloire depuis bien longtemps ; Lens, après bien des soucis financiers, est de retour en D1 depuis 1991 et y fait bonne figure, en étant systématiquement classé dans la première moitié de tableau. Ce derby est donc « redevenu un classique » pour la Voix du Nord. Cela étant, « le jeu proposé n’a jamais atteint des sommets » ; il a même atteint des profondeurs longtemps inexploitées, comme à l’automne 1992. Sur les quatre derniers derbies, trois ont accouché d’un pauvre 0-0, le quatrième s’étant soldé par un 1-1 bien maigrichon. Pour la Voix du Nord, il serait bon de « prendre enfin de la hauteur ».
Peut-on assister à autre chose qu’une nouvelle purge ? À vrai dire, même si une nouvelle saison apporte toujours son lot d’espoirs, on peut en douter. Les deux clubs sont dans une période, au mieux, médiocre. Lens vient de se sortir d’une période délicate financièrement et sportivement, et a un palmarès vierge (incluons tout de même 3 titres de D2, 3 coupes Drago, deux finales de coupe de France et, depuis quelques jours, la coupe d’été 1994), et n’est pas encore le brillant club qu’il sera, précisément, à partir de cette saison 1994/1995, prélude à une fin de décennie où il inaugurera enfin son armoire à trophées ; quant au LOSC, rien à signaler depuis le milieu des années 1950 hormis quelques titres de D2 : il court toujours après son lustre d’antan et, depuis quelques années, survit tant bien que mal en D1, sans argent et sans ambition. Comme le résume la Voix du Nord, le RCL est « toujours à la recherche d’une ligne significative sur sa carte de visite », et les Dogues sont « sans cesse hantés par le souvenir d’un glorieux passé, à la recherche d’un second souffle qu’ils tentent désespérément d’attraper depuis des lustres ». Il est donc fort probable que ce soit, une fois encore, plus animé entre supporters qu’entre joueurs.
Fidèle à sa politique sportive illisible depuis la fin des années 1980, le LOSC a encore fait un grand nettoyage à l’intersaison : nouveau président (Bernard Lecomte, depuis avril), nouvel entraîneur (Jean Fernandez, avec Jean-Michel Cavalli pour adjoint), nouveau staff (retour de Jean-Noël Dusé à la formation), nouveaux joueurs, tous libres (Duncker, Etschélé, Farina, Foulon, Hitoto, Lévenard, Lykke, Pérez).
Le contraste avec la stabilité qui se dessine à Lens est frappant : depuis six ans, Gervais Martel a progressivement remis le club sur des bons rails ; Patrice Bergues, considéré comme un caractère calme et travailleur, depuis deux ans, a fait son trou en D1 ; et le Racing n’a recruté que trois joueurs à l’intersaison : Marc-Vivien Foé, Mickaël Debève et Joël Tiéhi. Même si l’entraîneur du LOSC a une carte de visite plus fournie, notamment depuis son passage à Marseille, Lens apparaît comme le favori de ce derby, et nourrit même quelques ambitions pour cette saison au cours de laquelle il « pourrait jouer les trouble-fête ». En effet, notamment dans le domaine offensif, la VDN considère que Lens est supérieurement armé grâce à ses « flèches noires » (sic – il s’agit de Tiéhi et Boli, meilleur buteur du championnat 93/94, à égalité avec Ouédec et Djorkaeff) et à ses créateurs (Laigle et Meyrieu). Pour le derby, les Sang & Or seront seulement privés de Déhu, suspendu. Wallemme, qui revient de blessure, sera aligné.
Les Lillois se présentent au complet. Plusieurs formules ont été testées durant la préparation, mais il semble que le Danois Lykke soit amené à être le nouveau libéro. Parmi les autres recrues, Hitoto devrait tenir une place centrale à la récupération, et Christian Pérez est attendu comme l’animateur des attaques lilloises. À Bollaert, les Dogues devraient évoluer à 5 derrière. Pas vraiment de bon augure pour le spectacle, et la Voix du Nord supplie : « les souvenirs de la dernière saison et de la précédente laissent un goût saumâtre à la bouche. Alors messieurs, faites-vous plaisir. De grâce, jouez ! ». Et, pour inciter les équipes à jouer, la D1 adopte désormais le principe de la victoire à 3 points.
Voici la composition lilloise :
Une première mauvaise surprise attend les Dogues le jour J : la lettre de sortie de Lykke n’a été envoyée par la fédération danoise à la fédération française que le matin même du match. Or, les règlements de la Ligue Nationale de Football énoncent que ce délai doit être au minimum de 24h. Jean Fernandez est donc privé d’un de ses renforts et doit, en dernière minute, faire reculer Jakob Friis-Hansen en libéro.
Du côté de Lens : Warmuz ; Sikora, Magnier, Wallemme, Adjovi-Boco ; Arsène, Laigle, Debève, Meyrieu ; Tiéhi, Boli.
30 000 personnes sont présentes et, comme nous l’évoquait Roger Hitoto : « on arrive à Lens, les supporters étaient chauds. Et quand j’entre dans le stade, gros coup de pression qui commence à monter… Je dis « mamma mia, ça va être quelque chose » ».
Le LOSC subit très vite une nouvelle déconvenue : après 4 minutes, Christian Pérez ressent une douleur derrière la cuisse et doit sortir. Pas de libéro, un meneur de jeu en moins, et un remplacement déjà utilisé (on peut en faire deux maximum) : « dans le genre scénario catastrophe, l’équipe de Jean Fernandez a été servie ». Arnaud Duncker entre en jeu et se place aux côtés de Roger Hitoto : le LOSC passe de défensif à ultra-défensif.
Comme on pouvait le craindre, il ne se passe pas grand chose sur le terrain : Lille joue pour tenir le 0-0 et, en face, « c’est un Lens « petit bras » que les hommes de Jean Fernandez croisaient sur leur route », et les Lensois font preuve de « cruelles lacunes » au milieu. Le LOSC tente quelques percées par Assadourian mais « le derby, comme d’habitude, s’enfonçait dans la grisaille ». À la demi-heure de jeu, entre des Lillois repliés et des Lensois qui n’emballent pas le match, on ne note toujours aucune occasion ! « Les lillois géraient les opérations à leur rythme. C’est-à-dire, le plus souvent, à la vitesse d’un escargot. Mais que dire de leurs rivaux ! En panne d’inspiration, en panne de tout ».
Finalement, le principal acteur de cette première période est l’arbitre, Alain Sars. Dans la lignée des consignes données pour la coupe du monde, la D1 se veut désormais plus sévère à l’égard des contestataires, des fautes d’anti-jeu, et impose désormais le rouge direct pour tout tacle par derrière non-maîtrisé. Dès la 6e minute, Lévenard est averti pour avoir poussé le ballon alors que l’arbitre avait sifflé ; puis Arsène (20e) pour avoir fauché Sibierski, et Meyrieu (22e), pour une faute sur Leclercq, reçoivent un jaune ; après une altercation, Wallemme et Garcia sont également avertis (31e) ; et Leclercq, pour avoir stoppé irrégulièrement Laigle, reçoit lui aussi son jaune (36e). À la pause, le score est de 0-0. Le public lensois peut enfin donner de la voix à la mi-temps grâce aux adieux de Robby Slater : ce rouquin s’offre un tour d’honneur.
Patrice Bergues opère un changement à la pause : Wilson Oruma remplace Hervé Arsène. Cela ne change pas la physionomie du match : « le jeune nigérian sollicitait bien ses partenaires, mais il ne recevait en guise de réponses que des passes tordues. Au LOSC, on relevait la même indigence » ; alors, « au retour des vestiaires, on retomba dans la monotonie ».
Après une heure de jeu, Lévenard fauche Tiéhi et reçoit un deuxième avertissement : « à 10, on ne donnait pas cher des chances lilloises dans ce match », d’autant que Bergues en profite dans la foulée pour dynamiser son attaque en lançant Omam-Biyik à la place de Tiéhi (64e). Mais Lens ne parvient toujours pas à prendre le jeu à son compte, et l’expulsion a pour effet, dans un premier temps, de cadenasser encore davantage le match. En effet, Assadourian a quitté son poste en attaque pour marquer Debève au milieu : « le ronron pouvait reprendre ».
Curieusement, après quelques minutes d’adaptation, Lille relève la tête. Un premier tir de Garcia finit dans la tribune (70e). Quelques minutes plus tard, après une récupération d’Hitoto, Garcia joue un une-deux avec Assadourian et se présente face à Warmuz ; Wallemme semble bousculer l’attaquant lillois, et l’arbitre donne un pénalty au LOSC. Cela semble sévère, mais M. Sars est est cohérent dans son arbitrage. Déjà buteur à Bollaert lors du derby 93/94, Clément Garcia se fait justice lui-même en prenant Warmuz à contre-pied (0-1, 72e).
« Le LOSC était en train de réussir son fabuleux pari » : même s’il fait (non-) jeu égal avec Lens, dans ces circonstances, voir Lille ouvrir la marque est une belle performance. Lens réagit timidement par Meyrieu (77e) puis Adjovi-Boco (79e), mais rien qui n’inquiète franchement les Dogues. Jean Fernandez bétonne ce qu’il est encore possible de bétonner en faisant entrer Dindeleux à la place d’Assadourian (80e). Et après un « raid lillois lumineux », Sibierski manque le 0-2 en tirant au-dessus (85e) !
Finalement, à la faveur d’un coup-franc, les locaux égalisent : Meyrieu enroule fort au premier poteau et, selon la Voix du Nord, Nadon n’est « pas assez attentif ». Le ballon frappe le poteau, rebondit sur Nadon et, d’après l’arbitre, entre dans le but avant que Leclercq ne dégage (1-1, 87e). Peut-être que si Nadon avait été encore moins attentif, il n’aurait pas bougé et alors le ballon ne serait pas rentré… Selon les sources, le but est attribué à Jean-Claude Nadon ou à Frédéric Meyrieu. La LFP le donne à Meyrieu. Mais le ballon est-il seulement entré… ?
La fin de match est plus difficile pour Lille, dans un stade survolté, mais ça tient : le match se termine sur un nul 1-1.
A chaud, les Lillois sont très satisfaits. Jean Fernandez estime que son équipe a fait « un bon match. Nous étions venus pour obtenir un résultat, nous l’avons ». Clément Garcia : « je marque, mais c’est toute l’équipe qui a su obtenir ce résultat. L’équipe a su bien se regrouper en défense, surtout après l’expulsion de Lévenard. Nous avons prouvé que nous étions un groupe soudé et solide. C’est ce mental qui nous a permis d’obtenir le nul. Ce point n’est pas volé : nous avons fait jeu égal avec les Lensois ».
Inversement, les Lensois sont déçus, à commencer par Patrice Bergues : « nous n’avons pas été bons. Nous n’avons surtout pas d’excuse à chercher. Nous n’avons pas joué assez vite et assez précis pour troubler cette équipe lilloise bien regroupée. Ce but en contre nous pendait au nez. Heureusement qu’il y a ce coup-franc car je ne sais pas comment nous aurions pu revenir ». De la même manière, Gervais Martel considère que « la déception est adoucie par l’égalisation. Cela aurait fait désordre de perdre.. ».
Dans la presse du surlendemain, avec un peu de recul, la frustration semble avoir gagné les rangs lillois. Fernandez estime finalement que « si on m’avait dit avant le coup d’envoi que nous pourrions prendre un point, je signais tout de suite. Mais ce matin (le lendemain du match), je me suis réveillé avec des regrets. Beaucoup de regrets. J’ai le sentiment qu’on a laissé filer une opportunité. Le LOSC menait au score et Lens ne s’était pas créé d’occasion. Toutes les conditions étaient réunies pour que nous allions au bout. Il aura fallu une faute, pas évidente du tout – je m’en suis expliqué avec M. Sars – de Dindeleux sur Meyrieu, pour remettre Lens à flots. Quand on prend un coup-franc comme ça, je râle ».
Si Jean Fernandez regrette à juste titre d’avoir encaissé un but tardif et bête, le schéma tactique mis en place et le scénario du match révèlent aussi sa prudence, dont on ne sait pas toujours si elle correspond à ce qu’on peut tirer de mieux de cet effectif, ou si elle est le reflet de la frilosité de l’entraîneur lillois.
Comme nous l’avait confié Roger Hitoto, ce match était très significatif de la philosophie de jeu du coach lillois :
« Comme le disait Fernandez, je me rappelle : il ne fallait pas perdre ce match. Il ne fallait pas perdre ! Match nul, tout ce que vous voulez, mais on doit rentrer chez nous sans avoir perdu. Et le schéma qu’il a mis en place était défensif. Il ne voulait pas que les milieux de terrain montent trop. Comme j’aimais bien aller de l’avant, il m’a dit « tu prends ton joueur et tu restes là. Tu prends, tu donnes, tu prends, tu donnes ». Il jouait beaucoup la prudence, et ça lui a donné raison, puisque ce match là a bien tourné. On est restés bien solides et on ne repart pas bredouille (…)
Il avait mis un bloc, avec en plus 2 ou 3 joueurs qui avaient la liberté de faire ce qu’ils voulaient devant. Mais il fallait d’abord des travailleurs derrière pour les libérer. Et nous, au milieu de terrain, c’était très limité au niveau du jeu offensif, on pouvait rarement apporter un plus. Donc OK, on fermait, on pouvait sortir avec un match nul et parfois il y a une occasion qu’on arrivait à mettre au fond, mais lui son schéma, c’était la prudence, il ne fallait pas prendre de but. Si on ne gagne pas, on ne perd pas. On repart avec 1-0, ça suffit (…)
C’est vrai qu’à un moment, c’est un peu embêtant, parce qu’il y a des situations où tu sais que tu peux apporter davantage, mais le coach t’a demandé de rester à ta place. Mais Jean Fernandez arrivait à faire passer un message avec rigueur »
Mais si le LOSC se montrait plus offensif, aurait-il la même solidité défensive ? Aurait-il, dans la suite de la saison, autant gagné 1-0 ? Au cours de la saison 1994/1995, le LOSC saura se montrer efficace, à défaut d’être spectaculaire. Ses joueurs sont attachants et combattifs, à défaut d’être des génies du ballon. C’est là le reflet sportif des difficultés financières du club, et il faudra s’en contenter pendant quelques années encore. Comme le résume la Voix du Nord, « au moins, le match ne s’était pas terminé sur un 0-0. Mais où était le plaisir ? Nulle part ».
Un résumé du match (TF1) :
Nos articles sur d’autres matches de la saison 1994/1995 :
Lille/PSG (mars 1995) : Fernandez bat Fernandez
Lille/Lens (mai 1995) : Un derby plein d’espoirs