Posté le 18 janvier 2023 - par dbclosc
Nantes/Anderlecht, premier match de football au Stadium Nord
En janvier 1977, les amateurs de football voient pour la première fois se jouer un match de football dans un stade tout neuf : le Stadium Nord de Villeneuve d’Ascq. Il met aux prises deux grandes équipes : Anderlecht, champion d’Europe, et Nantes, alors en tête du championnat français. Quelques à-côtés cocasses du match symbolisent déjà le rapport contrarié du Stadium avec le football.
C’est le 18 janvier 1977 que le Stadium-Nord rencontre le ballon rond pour la première fois. Inauguré après 3 ans de travaux le 27 juin 1976, le stade qu’on appelait initialement Complexe olympique Lille-Est est d’une capacité de 30 000 places. Sa construction était programmée depuis 1964 dans la ville de Lille-Est, devenue en 1970 commune de Villeneuve d’Ascq, et le schéma d’urbanisme prévoyait un stade polyvalent destiné à accueillir des compétitions d’athlétisme de haut niveau et… les matchs du LOSC. Mais le LOSC, club professionnel le plus proche, n’a pas les honneurs d’étrenner les nouvelles installations. Les Dogues ne découvriront le Stadium qu’en 1979, contre Beveren, pour la troisième édition du tournoi de la communauté urbaine de Lille (CUDL).
Il faut dire qu’en 1974, le maire de Lille, Pierre Mauroy, annonce pour sa ville un nouveau stade de 25 000 places, construit à une vitesse record et inauguré en octobre 1975. Certes, il y a urgence : le stade Henri-Jooris, en bois, est vétuste, et le canal de la Deûle doit être agrandi, comme c’est prévu depuis les années 1950. Il n’empêche que l’annonce du maire de Lille est une surprise, puisqu’un stade a priori très moderne est en passe de sortir de terre à quelques kilomètres de là.
Comment expliquer cette épidémie d’érections chez nos élus ?
Un peu d’histoire politique
La CUDL est présidée depuis 1971 par Arthur Notebart, maire de Lomme. Mais ce n’est qu’un lot de consolation, reçu des mains du président précédent, le maire de Lille Augustin Laurent, car Arthur Notebart avait l’intention de lui succéder au beffroi de Lille, avant qu’il ne lui préfère Pierre Mauroy.
Arthur Notebart et Pierre Mauroy sont les deux poids lourds de la puissante fédération socialiste du Nord, qu’il ont même codirigée de 1968 à 1971. Mais tout oppose les deux hommes à partir de 1971 : anti-communiste, Notebart a été mis en minorité après s’être opposé à Mitterrand et à sa stratégie d’« union de la gauche » lors du congrès d’Épinay. Le président de la CUDL s’emploie désormais à empêcher la montée en puissance locale de celui qui vient d’être nommé numéro 2 du PS. Il a pour cela deux leviers : son poste de président de la communauté urbaine, et la présidence du conseil d’administration de l’établissement public qui a en charge l’aménagement de Lille-Est.
Pierre Mauroy, quant à lui, s’efforce d’affirmer la place centrale de la ville de Lille dans la métropole, face à Roubaix-Tourcoing et à Villeneuve d’Ascq, où s’établissent la plupart des universités et des entreprises innovantes. L’échec de la fusion de Lille et de Villeneuve d’Ascq en 1972 est vécu comme un affront, que Pierre Mauroy impute en partie à Arthur Notebart. Cet échec conduit les socialistes lillois à vouloir maintenir sur leur territoire tous les équipements qui symbolisent la centralité de la Ville dans la métropole.
Ce n’est donc pas uniquement guidé par des considérations sportives que Pierre Mauroy s’oppose au départ du LOSC pour Villeneuve d’Ascq, mais bien pour tenter de consolider son assise municipal et tenter de conquérir le leadership métropolitain. Le LOSC, destiné à être résident du Stadium, est finalement tributaire de ces rivalités politiques, et le Stadium en est la principale victime.
Le Stadium Nord n’aura donc pas de club de football résident, du moins à ses débuts. La première compétition sportive qui s’y déroule est le tournoi européen cadet de hockey-sur-gazon le 30 avril 1976. Puis, au cours des semaines suivantes, le Stadium est l’hôte de compétitions régionales, inter-régionales et nationales d’athlétisme, qui seront la discipline-phare de l’équipement.
Quant au football, il faut attendre quelques mois. Le 4 janvier 1977, la presse régionale annonce un « match de prestige », un « match de gala » au Stadium-Nord, destiné à promouvoir le nouvel équipement métropolitain et, qui sait, montrer au yeux du public qu’il pourrait alors très bien accueillir le LOSC, si jamais les majorités politiques venaient à se modifier. Ce match opposera l’équipe française de Nantes à l’équipe belge d’Anderlecht. Dans un premier temps, les organisateurs du avaient songé à organiser un Bayern Munich/Saint-Etienne, mais cette idée leur a été déconseillée en raison des tarifs exigés par les Allemands (la Voix du Nord évoque « 30 millions de centimes »), et ensuite parce que l’équipe bavaroise « ne donne aucun spectacle… Elle se calfeutre en défense… et elle laisse venir l’adversaire. Ce n’est pas ce que l’on attend d’un match de prestige. Surtout à ce prix ! », écrit Jean Chantry. Quant aux Stéphannois, ils s’expriment par le biais de leur président, Roger Rocher : « nous refusons les matches amicaux ; nos finances n’en ont pas besoin – heureusement – et nos joueurs évitent le plus possible les déplacements ». Eh bien ce sera Nantes/Anderlecht !
Anderlecht, Anderlecht champion
La Voix du Nord présente Anderlecht comme « une des plus brillantes équipes du moment ». il faut dire que les Belges ont remporté la C2 en 1976 en battant West Ham 4-2, la supercoupe d’Europe dans la foulée, puis se sont de nouveau hissés en finale en 1977. Le quotidien régional prévoit une opposition de style entre une équipe nantaise qui symbolise jeunesse et dynamisme », et une d’Anderlecht qui représente « expérience et réalisme ».
La Voix du Nord, qui annonce le match autant qu’elle en assure la promotion, promet que le néerlandais d’Anderlecht, Robert Rensembrick est « un programme à lui tout seul », « au moins aussi fort que le Cruyff des meilleurs années ». Rien que ça ! Les Bruxellois se présentent aussi avec Van der Elst, pas encore 20 ans, meilleur buteur de l’équipe (et deux fois buteur contre West Ham en finale de coupe d’Europe, Rensenbrick marquant les deux autres). Jean Thissen, blessé depuis un mois, est annoncé de retour dans la défense des « Mauves ». L’entraîneur des Belges, Raymond Goethals, considère que son équipe doit s’imposer car « Nantes n’a pas encore fait ses preuves au niveau européen ».
Les Canaris prennent leur envol
Nantes, de son côté, est perçu comme la « meilleure équipe française, la plus riche sur le plan offensif ». Les Canaris sont entraînés depuis quelques mois par l’ancien dogue Jean Vincent, qui a pris la succssion de José Arribas, désormais à Marseille, et futur entraîneur du LOSC. Après des débuts laborieux, le travail de Jean Vincent est salué : il est « virevoltant, primesautier, insaisissable », notamment grâce à sa capacité à faire confiance, en tant que titulaires, aux jeunes joueurs qu’Arribas avait lancés : Pécout, Baronchelli et Amisse, tous trois aux Jeux Olympiques de Montréal quelques mois plus tôt. Conséquence : le polonais Robert Gadocha, blessé en début de saison, a bien du mal à retrouver sa place et, vexé, négocie un transfert aux Etats-Unis. Jean Vincent est donc parvenu à poser son empreinte sur cete équipe, et prend ce match contre Anderlecht très au sérieux : « nous jouerons à fond car, d’abord, nous devons nous forger un palmarès international. Ensuite, chaque dimanche, nous allons devoir livrer un match de coupe. C’est normal : Saint-Etienne s’en plaint, mais durant toute ma carrière à Lille, puis à Reims, chaque semaine nous étions attendus poings en avant. Tout cela, nos jeunes doivent l’apprendre. Et ils doivent jouer chaque match à fond. Imaginez la tête que ferait notre public si nous rentrions mercredi matin avec quatre ou cinq buts belges dans nos valises… »
Rendez-vous manqué
Bonne nouvelle : on annonce une « pelouse agréable et sèche », non pas que la météo soit spécialement favorable, mais la pelouse et la terre seront séchées grâce à un système de tuyaux de chauffage installés lors de la construction du stade : quelle modernité ! Aucun doute : les spectateurs vont découvrir, fascinés, ce « merveilleux stade » et, parmi eux, le kop d’Anderlecht, « si drôle » car, paraît-il, il chante « des airs français ».
8 à 10 000 spectateurs sont attendus au Stadium en ce mercredi 4 janvier.
Oui mais… Il n’y aura personne. À 17h30, les responsables de l’organisation se rendent à l’évidence : il est impossible de jouer. La cause ? Le brouillard « si dense que des tribunes on apercevait à peine la premières lignes de touche. Et les puissants projecteurs n’y pouvaient rien changer »
Les Nantais, qui étaient arrivés en début d’après-midi via Bruxelles, leur avion n’ayant pu se poser à Lesquin, en sont quittes pour un retour en Belgique et un retour à Nantes le soir même.
Quant aux Anderlechtois, ils ne sont jamais arrivés à Villeneuve d’Ascq : ils ont été prévenus du report de match alors qu’ils étaient bloqués sur l’autoroute depuis une heure à 50 kilomètres de Bruxelles.
Le match est reporté au 18 janvier et la première fois entre le football et le Stadium est un rendez-vous manqué.
Humour à gogo
Entre le 4 et le 18 janvier, les deux équipes ont gagné en championnat : pour la reprise après la trêve, Nantes a battu Bastia 3-1 (Bargas, Michel, Sahnoun) alors que le score était de 0-1 à la… 84e. Si bien que les Nantais sont désormais leaders de D1, ce qui fait dire à la Voix que les organisateurs « ont eu du nez », et que le temps de domination de Saint-Etienne est bel et bien passé.
Et il y a apparemment une bonne ambiance chez les Nantais : descendus à l’hôtel Novotel, les joueurs font un canular à leur entraîneur, en le faisant appeler à la réception. Bien évidemment, quand Jean Vincent s’y pointe, il n’y a personne. Or, cette bonne blague survient à peu près au moment où a lieu le tirage au sort de la coupe de France. Et puisqu’il a été trompé, Jean Vincent réunit ses joueurs et leur annonce qu’ils devront affronter Fontainebleau, alors qu’il vient d’être informé que ce sera Nantes/Toulouse. Un quart d’heure plus tard, une radio évoque Nantes/Toulouse… Eclat de rire général.
Du côté d’Anderlecht, les « banlieusards bruxellois » (sic) ont battu le Beveren de Jean-Marie Pfaff 2-0, grâce à un doublé de Rensenbrinck, ce qui autorise la Voix du Nord à écrire : « il laissa le gardien Pfaff… tout paf ! ».
Des Sang & Or sur le terrain
Dans les buts, Munaro a remplacé Ruiter depuis la trêve car ce dernier a fait des déclarations « désobligeantes » à l’endroit de son entraîneur, Raymond Goethals ; « mais les spectateurs ne perdront pas au change : Munaron est un jeune géant très athlétique. Les assidus des tournois de Croix et Roubaix se souviennent d’ailleurs de lui ».
Voici les compositions annoncées :
Finalement, Ruiter est titulaire. Le Nord lui réussit puisque c’est à Henri-Jooris qu’il avait été testé par Anderlecht quelques années avant, ce qui lui avait permis de décrocher un contrat au RSCA.
Après la victoire, en lever de rideau, de la communauté urbaine contre la police (2-1), le public est estimé à 12 000 spectateurs, soit bien plus que ce qui avait été prévu, ce qui permettra de compenser partiellement la perte de « 3 millions de centimes » liée au report du match. Mais quelques sifflets descendent des tribunes car les joueurs de Nantes et d’Anderlecht tardent à entrer sur le terrain alors que la température est de 0° : « par ce froid, un quart d’heure d’attente, c’est long… ». La raison de ce retard est très surprenante : en arrivant au stade, l’intendance nantaise se rend compte qu’elle s’est trompée de maillots… Les maillots sont ceux d’il y a 3 ans. Ce ne serait pas forcément un problème si le sponsor n’avait pas changé entretemps : les Nantais sont désormais soutenus par Europe 1.
Que faire alors ? Trouver des maillots sur lesquels figure le logo de la station. Et qui a ça ? Le Racing Club de Lens ! L’affaire est vite arrangée, le Racing prête un jeu de maillots, et voilà comment le stade métropolitain de Lille accueille pour sa première footballistique des Nantais habillés en Sang & Or !
Les deux équipes se séparent sur un nul, 1-1. Selon la presse, Nantes a largement dominé, et a réussi son match « au-delà de ses espérances ». Sahnoun s’est particulièrement distingué : il est le « pourvoyeur de l’équipe et eut des actions techniques remarquables ». Vincent considère que « nous méritions de gagner et nous aurions très pu le faire si Tintin avait marqué le second qu’il avait au bout du pied ». Tintin contre Bruxelles, voilà qui est très étonnant. Même Goethals salue la qualité des Nantais : « quelle vivacité, quelle jeunesse dans cette équipe. Défensivement, elle est moins forte que Saint-Etienne mais, offensivement, Nantes m’a paru nettement supérieur à l’équipe championne de France. Voilà Jean Vincent paré pour quelques années avec une équipe de cette qualité »
Anderlecht s’est montré plutôt décevant et n’a jamais cherché à emballer le match. Quant au petit génie Rensembrick, « il se contenta de jouer son petit Hitchcock, se gardant le plaisir d’apparaître quelques instants dans un coin du match. Du talent ? Bien sûr, mais au compte-gouttes ! »
Du côté de l’organisation, on montre sa satisfaction et son envie d’organiser d’autres matches de football. La possibilité de la venue d’une autre grosse équipe européenne contre une sélection nordiste est envisagée.
Mais plutôt en été puisque « les spectateurs ne manquaient pas de courage car, par un froid de canard aussi intense qu’hier, il fallait vraiment aimer le football pour se déplacer en plein vent, à cette heure-là ».
Dans un monde qui change, voilà une belle constante depuis 1977.
Les extraits de presse sont tirés de La Voix du Nord et de La Voix des Sports, janvier 1977.
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