Posté le 14 juillet 2023 - par dbclosc
Edgar « Pompa » Borges, le crack uruguayen désormais chez lui à Lille
A l’été 1992, le LOSC s’est séparé de Jacques Santini dans des conditions rocambolesques amenant à la « mutinerie de Sedan » au cours de laquelle le LOSC se saborde lors d’un match de coupe de la ligue perdu 9-1. Bruno Metsu vient pour le remplacer et les dirigeants veulent rompre avec l’image d’une équipe défensive, promettant le « show ». Pour ce faire, le club compte sur son nouvel avant-centre brésilien Walquir Mota et encore davantage sur un milieu de terrain offensif uruguayen présenté alors comme Edgar « Pompa » Borges.
Né en 1969 à Minas de Corrales en Uruguay, le jeune Edgar grandit dans la misère et doit très vite s’assumer tout seul. Il n’a que 11 ans quand il perd sa mère et se retrouve à la rue, son père ne parvenant pas à assumer son éducation. Sans domicile fixe, il se fait héberger chez des amis ou squatte là où il peut. Il a au moins pour lui un talent certain pour le football qu’il exprime avec le petit club local de Potencia. Il est alors remarqué par Antonio Griecco, le gérant d’un magasin de Montevideo, lequel fait parler ses relations dans l’optique de le faire signer au Nacional. Cela ne se fera finalement pas, et c’est un autre club montevidéen, le Danubio, qu’Edgar rejoint à l’adolescence. A 14 ans, Borges retrouve désormais un toit et il est nourri et blanchi par le club, pouvant désormais se consacrer au football et à ses études à l’école industrielle pour apprendre le métier d’électricien. Comme il le raconte à l’Observador, il est toutefois moins doué dans ce domaine que balle au pied. « A l’école industrielle, j’ai commencé une formation d’électricien, mais ça a été une catastrophe, ça a pris feu quand j’ai branché les câbles ». Belle anecdote.
Champion national à cinq niveaux différents et ramassage de dents
D’après plusieurs sources, Edgar serait le seul joueur de l’histoire à avoir remporté le championnat national uruguayen dans cinq divisions différentes, les 6ème, 5ème, 4ème, 3ème et première division. Il fait surtout partie de l’équipe du Danubio qui remporte le championnat de 1988, ce qui constitue le premier titre de champion national du club. Cette année-là, le petit club montevidéen s’appuie sur sa « génération dorée », l’essentiel de l’équipe étant constitué de jeunes issus de la formation. Eber Moas (18 ans), Luis Da Luz, Ruben Da Silva (19 ans), Nelson Cabrera, Ruben Pereira, Juan Goñez (20 ans), Edison Suarez, Fernando Kanapkis (21 ans), et donc Edgar « Pompa » Borges (18 ans) forment ainsi l’ossature du champion et ne sont accompagnés que d’une poignée de joueurs (un peu plus) expérimentés comme Gustavo Dalto (24 ans) et Daniel Sanchez (26 ans). « Pompa » (« bulle » en français) – et non « Pampa » – car c’est le surnom qu’il a reçu d’un camarade de Potencia alors qu’il n’était qu’un jeune pré-adolescent, en référence au fait qu’il était « rapide comme une bulle de savon ».
Bulle et Bill
On note au passage qu’Edgar se voit affublé par Panini d’un nouveau surnom : Claudio
Cette saison-là, Danubio écrase le championnat uruguayen qu’il remporte avec 40 points, son dauphin échouant à 9 points de lui. Non sans une certaine insouciance, comme quand Edgar préfère ramasser ses dents plutôt que d’égaliser pour les siens. Il raconte ainsi à l’Observador : « A l’époque on m’avait fait de nouvelles dents et mes dents sont tombées quand j’étais seul face à Picun [le gardien adverse]. J’ai laissé le ballon et je suis allé chercher mes dents. Je les ai retrouvées et les ai remises pleines d’herbe ». Ce qui n’a vraisemblablement pas plu à son coéquipier Ruben « raciste » Pereira qui lui lance « espèce de de fils de pute noir ! Qu’est-ce que tu as fait ?! » Une autre fois, le même Pereira lui déclare : « Noir, tu es comme un œuf de Pâques, Noir à l’extérieur et plein de bêtises à l’intérieur ». Pompa fait également ses débuts en sélection le 27 septembre 1988 et se fait remarquer d’emblée en … se faisant expulser quelques minutes après ses débuts internationaux ! L’Uruguay n’est alors certes plus au niveau de la Celeste qui remportait le tournoi olympique en football (1924 et 1928) et la Coupe du Monde (1930, 1950), mais elle demeure une valeur sûre : vainqueur de la Copa America en 1983, elle remporte également l’édition de 1987 dont elle est alors tenante du titre quand la bulle fait ses débuts.
Edgar (en bas à g.) avec le Danubio champion d’Uruguay 1988
Source: El Observador
Le Danubio se qualifie donc pour la Copa Libertadores 1989. en phase de poule, ça commence plutôt mal, le club uruguayen ayant un bilan d’une victoire et trois défaites après quatre journées. Quasiment éliminé, le Danubio finit pourtant par se qualifier après deux victoires successives, d’abord contre Bolivar puis contre The Strongest, à chaque fois sur le score de 1 à 0. C’est un derby qui l’oppose au Nacional en huitièmes de finale, duel que le Danubio remporte (0-0, 3-1). Opposés aux Chiliens de Cobreloa en quarts, les Montevidéens l’emportent à l’aller comme au retour. Ils affrontent ensuite les Colombiens de l’Atletico Nacional où joue René Huiguita, entretiennent l’espoir à l’aller, mais s’écroulent au retour (6-0). Marqué de prêt par Leonel Alvarez, Edgar passe son match à l’insulter et lui lance : « quand le match sera fini, je te tuerai ! », déclaration qui fit apparemment rire son garde du corps du jour. Edgar ignore alors que le club colombien est la propriété du narco-trafiquant Pablo Escobar et qu’Alvarez fait partie de ses proches. Fort heureusement, le cartel de Medellin a alors d’autres priorités sur sa (pas si) short-list d’individus à éliminer.
Star au Danubio, Borges n’est toutefois pas sélectionné avec la Celeste pour la Coupe du Monde 1990 en Italie. « Ça a été ma plus grande déception dans le football car, lors de la Coupe du Monde en Italie, il y avait 22 joueurs et j’étais le 23ème, et je l’ai appris 3 ou 4 jours avant de partir. C’était un sentiment d’amertume très fort, ça m’a beaucoup marqué. Je ne l’oublierai jamais ». Il conserve toutefois une belle cote en Uruguay et le Nacional fait le forcing pour le signer en 1991. Il y est vice-champion et contribue activement au parcours des siens en Copa Libertadores, le Nacional atteignant les quarts, la « Pompa » marquant 3 fois en 10 rencontres dans cette compétition. La même année, Borges fait partie du groupe uruguayen qui dispute la Copa America. L’Uruguay échoue à se qualifier pour le groupe final à quatre, se faisant dépasser par le Brésil qui a la même différence de buts mais aurait « une meilleure attaque » (alors qu’il apparaît beaucoup plus juste de dire qu’il a une moins bonne défense). Sur le banc en début de compétition, Edgar est titulaire pour les deux derniers matchs et commence alors à s’imposer au sein de la Celeste.
En 1992, il est encore au Nacional avec lequel il dispute 7 matchs (1 but) de Copa Libertadores et fait la course en tête en championnat aux côtés de Julio Cesar Dely Valdes, l’avant-centre panaméen du club de Montevideo. Le LOSC aurait alors fait le forcing pour le faire signer offrant semble-t-il 1 million de dollars (ce qui est étonnant pour un club français, lesquels ont à l’époque des francs).
Edgar « Pampa » (sic) Borges au LOSC
Lors de ce que l’on n’appelle pas encore le « mercato estival », la presse nordiste annonce l’arrivée au LOSC d’une petite pépite uruguayenne qui s’intitulerait Edgar « Pampa » Borges. Dans un article de La Voix des Sports de janvier 2022, Antoine Gianquinto, alors directeur sportif au LOSC, raconte comment s’est fait le choix de le recruter. « On nous l’avait décrit comme un joueur très vif, très technique, explosif. Avec Bruno Metsu [qui arrivait comme entraîneur], on a pris l’avion et on est allé le voir jouer lors d’un gros match entre le Nacional et Danubio, son ancien club. C’était un gros derby, ils ne faisaient pas semblant, il y avait de vraies agressions. Edgar savait qu’il était supervisé, non seulement il s’en était sorti indemne mais il avait été bon. On a traité l’affaire ».
Lille signe aussi Walquir Mota, un avant-centre brésilien qui vient du club de Tours (en D2 française). Ca n’a l’air de rien aujourd’hui, mais recruter deux Sud-américains d’un coup est le genre de choses qui fait alors rêver à un grand spectacle à une époque où les clubs ne peuvent aligner que trois étrangers. Le club fait d’ailleurs sa communication en mettant en avant son duo dans une campagne intitulée « show devant ! » annonçant un grand spectacle pour la saison 1992/1993. Et la phase de préparation est des plus encourageantes, avec en point d’orgue une victoire en finale du Challenge Emile-Ollivier contre le RC Lens remportée par 6-0 ! Mota met doublé, Borges est convainquant et inscrit également un but.
C’est en réalité plus difficile que prévu et, surtout, moins spectaculaire : après 17 rencontres disputées en D1, le LOSC n’a ainsi inscrit que … 5 buts ! (non, il n’y a pas d’erreur et vous avez bien lu). Après des premiers matchs encourageants, les performances de la « Pompa » deviennent plus ternes et l’Uruguayen est la cible toute désignée des critiques, lui qui arrivait comme un leader technique devant animer une attaque qu’on annonçait explosive. S’il existe une part d’injustice, Borges reconnaît lui-même que son arrivée à Lille a coïncidé avec une perte de motivation. « Les petites lumières de l’indien se sont éteintes, cet indien qui écrivait sur les murs qu’il voulait être le meilleur » raconte-t-il à l’Observador [NDDBCLOSC : quand il parle de l’ « indien », il fait référence à lui-même]. Cette saison-là, Edgar marque 1 but en 17 rencontres.
L’année suivante, il est cantonné à la réserve et ne dispute qu’un match en D1. Il signe en 1994 à Beauvais (D2) où il joue 17 matchs jusqu’à son départ en janvier 1995. Il est licencié en janvier 1995 par les dirigeants beauvaisiens pour « faute lourde », semble-t-il parce qu’il avait refusé de faire le déplacement à Montauban en Coupe de France. Il revient alors au Danubio, son club formateur.
Le Chili, Grenoble, Liverpool et retour à Lille
Quel point commun y a-t-il entre Divock Origi et Edgar Borges ? L’un et l’autre ont joué au LOSC et à Liverpool. Bon, ok, pour le premier, c’est le Liverpool dominant en Europe, Origi jouant même un rôle décisif pour la conquête du sacre européen en 2019, marquant un doublé contre Barcelone en demi-finale, puis un autre but en finale contre Tottenham. Pour Borges, c’est plutôt le Liverpool d’Uruguay dans lequel il joue en 1999 et 2000 et qui est relégué en D2 à l’issue de la dernière saison de la « Pompa ».
Après son départ de France, Edgar continue ainsi sa carrière professionnelle, avec un parcours toutefois bien plus modeste que celui qu’on lui annonçait, lui le crack qui explosait avec le Danubio à 18 ans en devenant le chef d’orchestre d’une équipe qui allait remporter son premier titre national. Après un bref retour au Danubio, Borges a ensuite fait un petit tour au Chili, d’abord aux Rangers Talca (D2), puis au Deportes Antofagasta (D1). Il ne convainc pas et fait un bref retour en France, à Grenoble, alors au 4ème échelon national. Après quelques mois de chômage, il rejoint donc son Uruguay natale et les couleurs bleues et noires de Liverpool (qui joue toutefois en rouge à l’extérieur) où il termine sa carrière de footballeur professionnel.
Fin de l’histoire ? Pas tout à fait. L’histoire d’Edgar Borges avec Lille est loin de s’arrêter là. Quand sa carrière s’arrête, c’est à Lille qu’il s’installe. Il se forme à la cuisine et ouvre son propre restaurant. Il doit malheureusement le fermer. (On a pu lire qu’il en avait même eu plusieurs restaurants différents, mais nous n’avons pas d’informations claires à ce propos). On le retrouve ensuite comme entraîneur dans le domaine sportif, même si les informations sur son activité exacte en la matière restent peu claires à ce propos. Il semblerait qu’il a conjointement mené les activités de coach sportif et d’éducateur sportif dans une/des école/s, toujours sur la métropole lilloise. Début 2019, on le retrouve comme serveur à La Planque puis, quelques mois plus tard, au Glaz, comme le relate la VDS, deux établissements situés dans le Vieux-Lille.
Edgar « Pompe à » Bière
Il y a des joueurs qui passent par chez nous, deviennent des légendes auprès des supporters, mais ne se souviennent même plus de nous quatre ans après leur départ, la gloire semblant nuire à la mémoire. C’est l’inverse pour Edgar, lui qui arrivait à Lille lors du feux d’artifice du 14 juillet 1992 et qui croyait alors … que les festivités étaient en son honneur (!), lui qui fêtait ses 23 ans (alors que tout le monde sait que c’est en l’honneur de Damien, avec 4 jours d’avance) et qui quittait la ville deux ans plus tard dans l’anonymat. Il est fort probable qu’on n’aurait pas parié un kopeck (mot-valise constitué à partir de « Kopa » et « Popeck ») sur le fait qu’il revienne chez nous ensuite, lui qui semblait avoir plus de raisons de nous en vouloir que de nous chérir. C’est pourtant bien à Lille qu’il a décidé de faire sa vie. Et on trouve que c’est une sacrément belle histoire.
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