Posté le 4 janvier 2024 - par dbclosc
Gilbert Dussier, l’autre taureau du LOSC
Il est à ce jour le seul joueur Luxembourgeois passé par le LOSC : en 1977/1978, Gilbert Dussier débarque dans le Nord, en provenance de Nancy. Après un début de saison très encourageant où il gagne le surnom de « taureau » (le même qu’avait René Bihel) en tant que solide buteur d’une équipe bien partie pour retrouver la D1, des blessures l’éloignent des terrains, et la réussite de l’équipe en son absence ne lui laisse plus espérer de retrouver le 11 titulaire. Il tente alors de rebondir en Belgique, mais meurt quelques mois plus tard, à seulement 29 ans.
Quoi de mieux que de marquer dès sa première apparition en championnat ? C’est, comme quelques autres, la performance que réalise Gilbert Dussier le 12 août 1977 contre Guingamp. Alors que le LOSC a ouvert le score en première période grâce à un but de Pascal Fournier (17e), Dussier, à la 62e minute, élimine en un crochet un arrière et le gardien, et conclut en force au milieu du but vide. Le LOSC s’impose 2-0.
L’assistance est maigre à Grimonprez-Jooris au cœur de l’été 1977 (entre 6 000 et 7 000 spectateurs selon les sources), et pas seulement parce qu’il y a en face une modeste équipe qui joue son premier match à ce niveau, en deuxième division. C’est surtout parce le LOSC est aussi en deuxième division (en effet, en championnat, ce sont les équipes d’une même division qui s’affrontent). Après une pathétique saison 1976/1977, le LOSC est relégué en D2, et la confiance entre le club et son public est en partie rompue. Mais l’arrivée de José Arribas sur le banc des Dogues, couplée à celle de quelques joueurs qui laisseront une belle marque dans l’histoire du club (Olarevic, Pleimelding, Dos Santos…), fait naître l’espoir raisonnable d’une remontée immédiate.
Dans un « quatre pages », un éditorial de Patrick Robert, s’adressant aux supporters, résume bien la volonté de tourner une sombre page et de se tourner vers un avenir meilleur : « vous avez été déçus par une saison médiocre, par une équipe souvent amorphe car trop secouée par une successions de crises internes. Vous allez découvrir une nouvelle équipe. Nous sommes convaincus qu’elle se battra pour ses couleurs, avec un esprit de club chevillé au corps, et dirigée par l’un des techniciens les plus éminents que notre football ait produit. C’est pourquoi elle mérite d’ores et déjà votre soutien ; car il serait injuste qu’elle subisse le préjudice d’une saison à oublier bien vite ».
Pour assouvir ses ambitions, le LOSC a donc engagé, entre autres, Gilbert Dussier, au poste d’avant-centre. Cela étant, en engageant également Pierre Pleimelding, barré à Monaco, il demeure un doute quant à l’identité du numéro 1 de l’attaque lilloise. Cette question va être rapidement réglée, au moins temporairement : au cours de l’avant-saison, Pleimelding se blesse à l’entraînement. Entorse du genou avec arrachement du ligament interne : il y en a pour trois mois. Trois mois au cours desquels le Luxembourgeois va montrer de grandes qualités. Mais quel a été son parcours avant d’arriver à Lille ?
Dussier, avec un « D » comme Dussier
Gilbert Dussier est né en 1949 dans un pays qui s’appelait à l’époque le Congo belge. Dans ces cas-là, on préfère ne pas trop savoir ce qu’y faisaient ses parents, mais son père y a travaillé jusqu’en 1960. Bon. Le petit Gilbert a donc 11 ans quand la famille retourne au Luxembourg.
C’est assez tardivement, dans « son » pays, qu’il semble avoir été initié au foot, d’abord dans les cours d’école. Encouragé par un prof membre du comité du club local, qui voyait en lui un certain talent, il signe une licence au CS Sanem, dans le Sud-Ouest du pays, à proximité de la frontière française – on n’est jamais très loin d’une frontière au Luxembourg -, là où une commune sur deux se termine par -ange (parti trop tôt).
Dès cette époque, il est sollicité par d’autres clubs, notamment du côté des Bruxellois de Molenbeek, mais le père oppose un veto catégorique : son fils doit d’abord avoir un diplôme et un métier (rappelons qu’à cette époque, le football luxembourgeois est entièrement amateur). À l’âge de 17 ans, il rejoint le club rival de Differdange, dans le club des Red Boys, où il évolue assez rapidement au quatrième niveau national, avant de rejoindre l’équipe première, dans l’élite. Et en plus d’être footballeur, pour satisfaire le paternel, Gilbert Dussier est électricien. C’est pourquoi, avec ses équipiers, le courant passe.
Grâce à ses performances avec les Red Boys, il devient international au début de l’année 1971. Être sélectionné en équipe du Luxembourg n’a jamais permis d’espérer briller au niveau international. En général, les sélectionnés jouent dans le championnat local, hormis une ou deux exceptions, et sont donc amateurs. Difficile alors de rivaliser avec les autres sélections, même si le Luxembourg a, à la surprise générale, atteint les quarts de finale de l’Euro 1964. Mais, au cours des années 1970, le Luxembourg ne remporte que deux rencontres contre des sélections A. Parmi elles, une notable victoire contre la Turquie, en éliminatoires de la coupe du monde 1974 : ce 22 octobre 1972, c’est Gilbert qui ouvre le score, et le Luxembourg s’imposera 2-0.
C’est aussi à peu près le moment où il découvre l’Europe en club, puisque Differdange remporte en 1972 la coupe du Luxembourg. Engagé en Coupe des Coupes, le club est logiquement éliminé dès le premier tour par le Milan AC (1-4 ; 0-3)
Après 6 années à Differdange, Dussier part en 1973 vers le club-phare du Luxembourg : la redoutable Association Sportive de la Jeunesse d’Esch-sur-Alzette, championne en titre. Européen quasiment sans interruption depuis 1958, le club, comme les autres clubs luxembourgeois, ne parvient presque jamais à passer les tours préliminaires des compétitions. En septembre 1973, il n’y a pas d’exception à la règle, mais le football luxembourgeois signe l’un de ses rares exploits : le tirage au sort place Liverpool sur la route d’Esch-sur- Alzette. Dès lors, la seule ambition raisonnable pour les petits luxembourgeois est de ne pas prendre deux roustes, à l’aller et au retour.
Mais Esch va réussir un exploit qui efface rapidement l’émotion suscitée par le suicide d’Allende : 1-1 contre Liverpool au match aller ! Et qui a égalisé à la 88e, profitant d’une belle bévue défensive ? Gilbert Dussier, entré en jeu 20 minutes auparavant !
Et au retour, rien d’infamant puisque la bande à Gilbert ne perd « que » 2-0. à l’issue de cette saison, Differdange réalise le doublé coupe/championnat et, à 24 ans, Dussier quitte le Luxembourg et rejoint l’Allemagne, en deuxième division, au SV Röchling Völklingen. Ce qui, contrairement aux apparences, est une belle promotion : le voici désormais dans un championnat professionnel.
Durant cette saison 1974/1975, il inscrit 17 buts en 27 matches de championnat. Certaines sources nous indiquent que son total, toutes compétitions confondues, serait en réalité de 72 buts, notamment en raison d’un tournoi joué aux Etats-Unis contre des équipes probablement très faibles. Les informations ne sont pas toujours très claires sur ces années 1973/1975 : on lit parfois que Dussier n’aurait joué que 6 mois à Esch, puis 18 mois en Allemagne, où il aurait alors inscrit 37 buts en championnat.
Quoi qu’il en soit, ses performances sont suivies en D1 allemande. Il reçoit de nombreuses offres mais, selon lui, les conditions salariales sont à peu près les mêmes qu’en D2 ; seules les primes font une différence, mais pour les obtenir il faut jouer, ce qui n’est pas garanti. En 1975, Dussier est donc parti pour re-signer à Völklingen. C’est alors que se manifestent Claude Cuny et Serge Etienne, dirigeants de l’AS Nancy-Lorraine : cette fois, l’offre est plus intéressante, et pas que financièrement. Il signe en 1975. Mais la première année est compliquée : il arrive blessé en Lorraine, à cause d’un claquage dont il ne se remet pas. Il joue péniblement et, finalement, on se rend compte qu’il s’agit d’une sciatique. Alors il ne joue qu’un match entre septembre 1975 et mars 1976. En fin de saison, il parvient à marquer 3 buts (dont un contre le LOSC…).
Il s’impose véritablement en 1976/1977 : ses qualités athlétiques lui permettent d’inscrire 15 buts en D1 (dont encore un contre le LOSC…). Il forme avec Paco Rubio, Michel Platini et Olivier Rouyer une attaque séduisante qui permet à Nancy de terminer à une belle quatrième place.
À l’été 1977, Nancy recrute deux attaquants, Laurent Pokou et Christian Mayet. Gilbert Dussier y voit un mauvais présage : cela signifie sans doute qu’il devra évoluer ailier ou, pire, sera relégué sur le banc de touche. Il demande à être transféré. C’est là que le LOSC entre en scène : après les élections municipales de mars, Pierre Mauroy est élu maire de Lille (il l’était déjà depuis 1973, mais suite à la démission de son prédécesseur). La campagne électorale a été houleuse, et le LOSC, largement financé par la municipalité, en a été au centre.
Dans un contexte où les Dogues se rapprochaient inexorablement de la D2, le principal concurrent de Pierre Mauroy, Norbert Ségard, a fait placarder en ville et le long des voies rapides alentours des affiches où on voit un chien dans des tribunes de Grimonprez-Jooris désespérément vides. Le message de Ségard est clair : contribuables lillois, votre argent finance une équipe médiocre qui n’attire personne. Mais Mauroy n’est pas en reste. Après son élection, suivie de la relégation du LOSC, il déclare : « il faut bâtir une équipe qui serait l’émanation de la région et non la réunion temporaire de mercenaires venus d’ailleurs (…) Je ne suis pas contre les vedettes, mais une région comme le Nord-Pas-de-Calais est capable de fournir de bons joueurs. Je suis contre les équipes composées presque exclusivement d’étrangers à la région qui restent une année ou deux avant de s’en retourner à partir de considérations qui n’ont rien à voir avec le football ». Dans l’immédiat, Paul-Mary Delannoy est gentiment prié par Ch’gros Quinquin et son nouvel adjoint au sports, Albert Matrau, de faire ses bagages. Roger Deschodt et Jacques Amyot, arrivent. Objectifs : ouvrir un centre de formation et faire venir des joueurs à l’état d’esprit irréprochable. Gilbert Dussier est ciblé.
Le Luxembourgeois n’est pas très chaud pour jouer en D2… Mais la confirmation de l’arrivée de José Arribas dans le Nord le convainc. Le 11 juillet 1977, il n’a pas encore signé de contrat mais Arribas le présente déjà ainsi : « Dussier devrait plaire au public lillois. C’est un battant, toujours en mouvement, un véritable démolisseur de défenses. En plus, il devrait bien s’intégrer dans l’esprit de l’équipe ». Nancy prête donc Dussier un an au LOSC. Et Gilbert en est certain : « si le LOSC monte, je ne retournerai pas à Nancy ! ». L’air de rien, un joueur déjà 36 fois international qui débarque à Lille, c’est un événement.
Ses premières sorties sont convaincantes : 5 buts lors des 5 premières journées. Son style s’affirme : outre cette moustache très seventies, il impressionne par sa robustesse et sa capacité à transpercer des défenses en dépit de défenses qui ne se gênent pas pour lui mettre des coups et le charger. Donnant le sentiment d’être infatigable, il est comparé à d’anciens avants-centre du LOSC qui avaient peu ou prou les mêmes caractéristiques : Baratte, Vlaeminck, Guy. Puis il gagne assez vite le surnom de « Taureau », le même que portait René Bihel (« le Taureau normand »), prolifique attaquant de Fives, de Lille-Flandres, puis du LOSC. Il attire dès lors très rapidement la sympathie des supporters.
Dans la publication du club, interviewé par P. Robert, on apprend qu’il s’est installé à Wattignies, avec son épouse et leur fille, Florence. Il revient sur son enfance, évoquant son père qui, l’ayant beaucoup emmené voir des matches de D1 luxembourgeoise, l’a converti : « c’est lui qui m’a donné l’envie de faire ce métier ». Il dit avoir pour modèles Pelé, Bathenay, H. Michel. Sur son adaptation à la D2 française, il est assez critique : « ça manque de relance du jeu et, d’une façon générale, c’est moins technique. On prend aussi beaucoup de coups, peut être plus méchants qu’en D1. Enfin, pour un avant-centre, on reçoit souvent le ballon en mauvaise position ». Mais il n’est pas que ronchon : il ne tarit pas d’éloges sur son entraîneur, José Arribas ; et quand il souhaite se détendre, il aime nager, ce qui est dangereux pour un électricien. Mais c’est pourquoi, avec ses équipiers, ça baigne.
Son total stagne à 5 buts jusqu’à la neuvième journée, dernière journée durant laquelle Pleimelding est en convalescence. Au cours de cette période, Arribas l’aligne systématiquement dans le Onze de départ avec, en attaque Olarevic, et soit Delemer (5 fois), soit Fournier (4 fois). En fait, au retour de Ploum, on se rend compte que les deux joueurs ne sont pas en concurrence. Le trio d’attaque est alors formé par Olarevic, Dussier et Pleimelding (et s’il fallait parler de quatuor, ajoutons-y Simon). Avec tous ses joueurs disponibles, Arribas a même joué avec ces quatre-là + Delemer en même temps.
Si concurrence il y a, c’est pour le meilleur look seventies
Durant la phase aller, il inscrit 9 buts, et ne manque que deux matches (dont un pour cause de sélection pour affronter l’Italie à Rome). À la trêve, le Red Star est en tête, mais Lille est dans le wagon de tête, 3 points derrière (victoire à 2 points). Que réserve 1978 ?
L’année civile reprend avec le septième tour de la coupe de France : le LOSC reçoit Hautmont, club de DH. D’un point de vue général, c’est une bonne journée pour le LOSC : qualification record (8-0), révélation de S. Plancque qui inscrit deux buts et confirme le bien-fondé de la nouvelle stratégie du LOSC avec ses jeunes.
Mais pour Gilbert Dussier, ce match marque le début de la fin de l’histoire avec le LOSC. Dans un match sans histoire et déséquilibré, il y a déjà 3-0 quand Dussier est soudainement agressé avant la pause. Voici ce qu’en dit la Voix des Sports :
« Tout se passait le plus régulièrement du monde, c’est pourquoi l’on se demande quelle mouche a piqua tout à coup Gérard Kosbur qui agressa honteusement Dussier à quelques minutes de la pause. On peut dire – la suite l’a prouvé – que ce geste regrettable spontanément condamné par toute l’assistance et seulement sanctionné d’un carton jaune par l’arbitre fut la seule fausse note de la rencontre (…) Outré comme tout un chacun de l’attitude scandaleuse de Gérard Kosbur, l’entraîneur hautmontois Ludwizak avait décidé de se priver de ses services et l’avait remplacé par Vekeman. À Lille, Dussier, blessé (coup derrière le genou) avait laissé sa place à Delemer ».
Dussier est de retour un mois plus tard, contre Angoulême. Mais il sort au bout de 7 minutes : claquage, sa saison est terminée. L’avenir du taureau s’écorne. Et le LOSC, dans une fin de saison à suspense, parvient, sans lui, à accrocher la première place du groupe, lui assurant la remontée en D1, puis à battre Angers, vainqueur de l’autre groupe, pour le titre de champion.
Dans ces conditions, difficile pour Dussier de retrouver une place de titulaire. L’arrivée de Roberto Cabral à l’été 1978 fait définitivement s’envoler l’idée d’un nouveau prêt ou d’un transfert définitif à Lille. Il prend alors la direction de la Belgique, en s’engageant avec le THOR Waterschei (club qui a fusionné en 1988 avec le FC Winterslag pour donner l’actuel KRC Genk). Mais Gilbert ne joue là-bas que 3 matches, avant que ne lui soit diagnostiquée une leucémie. Il s’éteint le 4 janvier 1979.
Le magazine Allez Lille lui rend hommage dans son numéro de janvier 1979 : « Gilbert était un garçon gai, consciencieux, amoureux de son métier. Il est dur de voir mourir un homme de 29 ans, père de deux enfants. Il est dur de voir mourir un athlète en pleine possession de ses moyens. Mais c’est encore plus dur quand il s’agit d’un joueur qui, l’espace d’une saison, fut un ami »
La saison de Gilbert Dussier sous le maillot lillois – dans les faits, une demi-saison – a donné raison à la politique des nouveaux dirigeants lillois. En recrutant un joueur à l’état d’esprit irréprochable et accrocheur sur le terrain, il a parfaitement correspondu au profil que le public aime et dont il avait été sevré. Malheureusement pour lui, cette réussite a eu un revers : la qualité retrouvée de l’effectif et du jeu proposé a fait éclore d’autres talents qui ne lui ont pas permis de revenir après une succession de blessures. À l’arrivée, même s’il a peu joué et que son nom ne revient pas spontanément dans la mémoire des supporters, il fait partie des joueurs du LOSC qui ont le meilleur ratio buts marqués/matches joués (0,56), et qui ont largement contribué à replacer le club à sa place, dans l’élite.
2 commentaires
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4 janvier 2024
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Michel a dit:
De mémoire le match contre Hautmont a eu lieu fin 77 et non en janvier 78.
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8 janvier 2024
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dbclosc a dit:
Non, c’est bien en janvier 1978 !