Posté le 20 janvier 2024 - par dbclosc
Coupe 1939 : l’Olympique Lillois s’envole à Colombes
En mai 1939, l’Olympique Lillois joue sa seule finale de coupe de France à Colombes, face au Racing Club de Paris. Face à un adversaire supérieur, les Dogues sont logiquement défaits (1-3). Ce match est le dernier moment fort de l’histoire du grand club lillois, que l’entrée en guerre quelques semaines plus tard a brutalement relégué au rayon des vestiges du passé, en omettant un peu vite ce que le LOSC doit à l’histoire qu’il a construite.
Les plus grand écrivains peuvent se tromper : « Paris est une fête » écrivait Hemingway. Eh bien il n’a certainement pas vu le match OL/Racing du 14 mai 1939 où, pour le coup, Paris est une défaite. En tout cas pour l’Olympique Lillois, qui accède à l’issue de cette saison 1938/1939 à sa première et seule finale de coupe de France, après avoir échoué une fois en demi-finale (1934). L’adversaire est le Racing Club de Paris – qui deviendra Racing Club de France -, déjà vainqueur de la compétition en 1936 (le Racing avait d’ailleurs fait le doublé coupe/championnat cette saison-là).
Et c’est bien dommage : le Nord était en effet à deux doigts de réitérer l’exploit, toujours inédit à ce jour, d’amener deux clubs d’une même ville en finale de coupe de France. Après Roubaix en 1933 (avec l’Excelsior et le Club Athlétique), Lille a bien failli voir ses deux clubs-phares, l’Olympique Lillois et le Sporting Club de Fives, s’affronter à Colombes. En demi, Lille a sorti Sète, à Lyon (1-0), tandis que le Racing a battu, sur le même score, Fives, à Paris (bonjour le terrain « neutre »). Selon le Miroir des Sports, à ce stade la compétition, ce sont paradoxalement les deux équipes dominées qui se sont qualifiées. Tandis que Fives butait sans cesse sur le gardien parisien, Hiden, c’est presque miraculeusement que l’OL est passé : il aurait concédé une soixantaine de tirs sans encaisser un but ! Dans les dernières minutes, alors que Darui était pour une fois battu, Jules Vandooren réussit une pirouette grâce à laquelle parvient à repousser le ballon avec une partie du corps non encore déterminée à ce jour. Comme il le déclare à l’hebdomadaire : « S’il avo fallu, j’l'aro arrêté avec mes dints ».
C’est reparti comme en 14
Cette intervention salutaire du capitaine lillois permet en tout cas de confirmer la façon dont le football des Dogues est perçu en cette fin des années 30 : en dépit de l’adoption récente du « WM » (Jooris est réputé y avoir été longtemps réticent. L’arrivée de ce schéma à Lille est attribuée à l’arrivée de l’entraîneur Hongrois, Conrad) qui laisserait supposer la fin de « l’exception » lilloise, les performances du club restent analysées par une lecture où la combativité, le courage ou encore les valeurs morales sont dominantes. Ainsi, le parcours de l’OL dans cette coupe est perçu comme « une longue suite de miracles ». Sur les cinq tours qu’il a jusque là joués, l’OL en a gagnés trois par un but d’écart, et a battu Nancy 4-1 après un match rejoué (1-1) lors de la première confrontation, en quarts : « chaque fois, il a fallu que les qualités morales des [Lillois] interviennent pour assurer un avantage très mince en lui-même, mais suffisant pour déplacer le fléau de la balance et fixer le résultat. La [demi-finale] est un raccourci de toute l’histoire de la qualification de ce club » (Le Miroir des Sports).
Cette lecture reposant sur une nature supposée des hommes du Nord est également présente dans le quotidien l’Auto, la veille du match : en comparant les deux équipes, l’OL est vu comme « dynamique », là où le Racing est « expérimenté ». Pire, les Lillois n’ont pas de grand sens tactique : « il est possible que l’équipe lilloise, nettement battue en tactique, sur le papier, ne le soit pas sensiblement sur le terrain, et réussisse, par un dynamisme et une puissance d’ensemble supérieurs, à compenser ce que l’on peut considérer, avant le match, comme une infériorité ». C’est ce qu’on retrouve dans ces titres de l’Auto le jour du match :
Dans un portrait croisé des deux capitaines, Emile Veinante est décrit comme « un tacticien du football, un savant ès-ballon rond« , là où Jules Vandooren, avec son « incomparable énergie », est doté d’un « jeu simple », à « l’action directe » : « il commande ses coéquipiers d’une phrase brève et bourrue« . Il symbolise une défense assimilée à « une muraille« , « un mur difficile à ébrécher« , dans la lignée des Thery, Beaucourt ou Laurent. C’est d’ailleurs tout l’Olympique qui mise sur le physique : « phalange plus robuste que brillante, troupe de résistance plutôt que section d’assaut« .
« Adresse », « Subtil », « Stratège », « léger » d’un côté ; « Puissant », « Courageux », « Volontaire », « Fougueux », « Accrocheur », mais aussi « un peu lent », « lent », « assez lent » de l’autre (L’Auto)
En somme, la lecture physique des performances des Dogues est une constante depuis plusieurs années : déjà en 1933, le titre avait été acquis grâce au jeu supposément à la limite de la brutalité de sa défense (les trois déjà cités : Vandooren, Beaucourt, Théry, plus Meuris). Et cette réputation est même antérieure car, dès 1914 et le gain du Trophée de France, les Lillois étaient connus pour leur violence supposée et leur jeu direct, avec de grands gaillards comme Jean Degouve, Albert Eloy ou Alphonse Six (voir ci comment, avec Maxime Pousset, nous avons analysé le jeu de l’OL 1932/1933). Légendes ou pas, ces caractéristiques permettent en tout cas de mettre en scène une opposition de styles, qui renforce la dimension spectaculaire de la finale.
Il faut toutefois noter que les Dogues entretiennent eux-mêmes leur réputation, par exemple espérant de la pluie pour le match. Pour Jules Bigot, « ce serait bon signe pour nous » (probablement car cela rappellerait la grisaille du Nord, où vivent ces gens laborieux), tandis que le président Caullet « n’affectionne pas particulièrement le grand soleil et les sols très secs ». Cependant, précise-t-il, « nous avons quelques footballeurs chevronnés auxquels la boue n’est pas tellement favorable ». On comprend par là qu’ils sont trop musclés et qu’ils s’enfoncent quand le sol est mou.
Une belle délégation lilloise
On affiche une confiance raisonnable du côté lillois. Après tout, l’OL a gagné ses deux précédentes finales nationales (Trophée de France en 1914 et Championnat en 1933). Et, comme un symbole, comme disent les commentateurs qui doivent meubler, cette finale de coupe de France tombe le 14 mai, soit 6 ans jour pour jour après le sacre de l’OL à l’issue du premier championnat professionnel. Conrad, l’entraîneur, révèle que durant son parcours de joueur et d’entraîneur, il a déjà joué 10 finales et n’en a perdues que deux. Ce qui signifie, si on compte bien, qu’il en a gagnées huit : coupe de Hongrie (1914), 3 coupes d’Autriche (amateurs), 3 coupes d’Autriche (pro, 1925, 1927, 1933), et une Coupe de Roumanie.
Confiance excessive ou boutade[1], Jean Cléau, un des attaquants de l’OL, annonce qu’il a déjà consacré la moitié du montant de la prime en cas de victoire (2 500 francs) à l’achat d’un complet. Les joueurs prennent la route de la région parisienne le vendredi 12 mai, en train, départ de Lille 16h40. Le voyage dure à l’époque 2h40 (avec une halte à Arras où on récupère Darui qui y effectue son service militaire). Georges Winckelmans, l’ancien de l’OL, champion de France 1933, fait partie de la délégation, « preuve d’attachement et de reconnaissance à un dévoué Olympien« .
Quant aux supporters, ils espèrent porter haut les couleurs de l’OL. Les trois clubs de supporters (Allez l’OL, Hardi l’OL !, Les Amis de l’OL, tous créés dans les années 1910) organisent le déplacement en « trains-radios », du samedi après-midi au dimanche matin. Et tant pis pour l’ouverture de l’Exposition du Progrès Social, sorte d’exposition universelle en modèle réduit, censée durer jusqu’à octobre. Sobbry, « directeur » du groupe Allez Lille, est heureux de signaler que la présence de l’OL en finale de coupe a amené près de 50 nouvelles adhésions, y compris venant d’Arras. Dans la gare de Lille, les supporters font « de l’occupation » (avec un an d’avance) : « les clubs de supporters vendaient des insignes, des drapeaux, des cocardes aux couleurs du club. La plupart des boutonnières s’ornaient d’un œillet blanc et d’un œillet rouge« . Le contingent lillois est estimé à 3000 ou 4000 personnes, sans compter les initiatives individuelles et d’éventuels supporters déjà sur place.
Le premier des trains, qui arrivait de Roubaix-Tourcoing, « fit, en gare de Lille, une entrée majestueuse au son de l’air populaire du P’tit Quinquin : Et si te’m’laiches faire eune bonne semaine, j’irai dégager tin biau sarrau«
« Quand le convoi stoppa, un premier hurrah jaillit des poitrines. Après quoi, l’on se casa. Ce ne fut pas long, car le Train-radio comporte deux attractions, le dancing et le bar, et comme disait mon voisin, on était pas venu là pour rigoler !
Sur le comptoir du bar valsaient les bocks de bière. Le dancing était à l’autre bout du train, mais la musique nous suivait partout. De temps à autre, au micro, au amateur entrecoupait la musique de danse par une chanson scandée d’un vigoureux « Allez l’OL ! » (André Masselin dans L’Auto)
Une affiche et déjà un record
Ce samedi, les Dogues font un petit tour par Colombes, pour jeter un œil à la pelouse. Ils l’ont trouvée « tout à leur convenance », ni trop dure, ni trop grasse. Dans l’après-midi, ils se rendent à Saint-Ouen pour suivre le match de championnat Red Star/Rennes.
Dans L’Auto, selon un rapide sondage auprès des rédactions parisiennes, l’Olympique Lillois a la faveur des pronostics. Etonnamment, le Grand Echo du Nord est moins optimiste, voyant avec circonspection la retenue dont ont faire preuve les Lillois depuis quelques semaines, précisément en vue de bien préparer cette finale. Selon le quotidien régional, cette façon de jouer « au petit trot », en économisant ses forces, risque d’être contre-productif le jour où il faudra affronter une équipe très déterminée.
Ils sont cons ou quoi à l’Excelsior ?
Le matin du match, il reste encore des places en vente (20 000 !), uniquement debout pour 10 (Premières) ou 7 (Populaires) francs. Mais nul doute que le stade sera plein ; et avant même la location de tous les billets, la recette évaluée la veille au soir est de 750 632 francs, soit un record pour un match entre deux équipes françaises (le précédent record datant de la finale 1938). Grand soleil sur Colombes, la finale se présente sous les meilleures auspices. Après tout, le Racing Club de Paris et l’Olympique Lillois sont deux des principaux animateurs du championnat professionnel depuis 7 ans. On lit même dans l’Auto que voici 40 ans que le RCF est le porte-fanion du football parisien, alors que l’OL, depuis 25 ans, « rassemble autour de son panache blanc et rouge tout l’orgueil et toute l’ambition d’une contrée ardemment attachée au football. Les Lillois ont repris le flambeau que portait, jadis, le RC Roubaix, au temps où il disputait au Racing Club de France la suprématie nationale. Mais ils sont les fils d’un même enthousiasme, de cette même fierté qui était jadis au service du pavillon des Lions de Flandres [2] ». Au moment où se joue cette finale, en championnat, le Racing est 3e, et l’OL 5e.
Le coup d’envoi, prévu à 15 heures, approche. Le stade se remplit et toutes les places vendues le jour-même ont trouvé preneur. Il y a 55 000 spectateurs, et la recette s’élève finalement à 869 449 francs, pas loin du France/Italie 1938. Aucune idée de ce que ça représente aujourd’hui mais c’est sans doute beaucoup, même avec les tarifs de l’époque.
« La musique de la base aérienne, quand elle jette ses premières notes, déclenche la première offensive des chorales » : côté Racing, les supporters agitent de petits drapeaux bleus et blancs et battent la mesure en cadence ; leurs chants sont divers et le correspondant du Grand Echo ne parvient pas à les décrypter précisément. Et puis, clou de l’avant-match : les haut-parleurs annoncent que la Musique de l’air va interpréter Le P’tit Quinquin. Délire du côté des supporters lillois qui accompagnent la musique en chantant à tue-tête. Dans une ambiance fort conviviale, la fin du morceau est accompagnée d’un immense « Hurrah ! » venant de toutes les tribunes.
Pas de surprise dans les « Onze » de départ. De toute façon, les effectifs à l’époque vont assez peu au-delà de onze joueurs. Le Racing effectue toutefois un changement de dernière minute : Raux, vers qui on craignait un match « trop rude », est remplacé par Louys. Ce qui donne :
R. C. Paris : Hiden ; Dupuis, Diagne ; Zabalo, Jordan, Louys ; Perez, Heisserer, Ozenûe, Veinante, Mathé.
Olympique Lillois : Darui ; Vandooren, Laurent ; Carly, More, Cléau ; Bigot, Cheuva, Delannoy, Prévost, Kalocsai.
Après l’exécution de La Marseillaise, et selon le cérémonial prévu, le président de la République, Albert Lebrun, vient serrer les mains des joueurs des deux équipes. Pour l’OL, c’est Jules Vandooren, le capitaine, qui lui fait les présentations. Derrière lui, se tiennent Gabriel Caullet (président de l’OL), César Campinchi (Ministre de la Marine militaire), Jules Rimet (président de la 3FA), et Roger Langeron, préfet de police de Paris. En tribunes, on trouve bien entendu le président d’honneur de l’OL, Henri Jooris. Sont également présents des anciens joueurs comme Albert Courquin, Paul Voyeux Jean Degouve, tandis que Messages de sympathie de Jean Ducret, Paul Chandelier et Albert Eloy ont adressé des messages de sympathie (les quatre derniers cités sont des trophéïstes 1914).
Parmi les spectateurs, également quelques grosses légumes représentant notamment le ministère de l’éducation nationale.
Beau réflexe de Jules Bigot, toujours imprenable au chat-bite
Devant un piédestal sur lequel figure la coupe de France, le toss est pour Vandooren. C’est déjà ça de gagné. On aperçoit lors de la présentation des joueurs une petite innovation sur le maillot des Lillois : le logo de l’OL est placé au centre, dans la bande rouge ; et un liseré rouge apparaît sur les manches.
Dans la lignée des fanfares militaires d’avant-match, la rencontre commence tambour battant. Dès la 3e minutes, Julien Darui effectue son premier arrêt et, sur le contre, Cheuva envoie une bonne frappe vers le but parisien.
Deux minutes plus tard, Veinante sert Mathé côté gauche, qui déborde trop facilement sur l’aile, résiste à une charge assez moyenne de Vandooren, et centre vers Pérez qui, entre Darui, Laurent et Cléau, réussit à marquer (1-0, 5e)
Lille réagit bien et s’installe dans le camp adverse. Après que Bigot a poussé trop loin son ballon, et que Kalocsaï a tardé à frapper, Cheuva remonte le ballon et sert le buteur hongrois qui frappe soudainement de 20 mètres : son tir puissant se loge dans le petit filet de Hiden (1-1, 10e)
Le match est équilibré et les deux équipes font excellente impression. La presse, tant régionale que nationale, met en valeur les qualités pré-citées des deux équipes, pour finalement conclure qu’elles ont à peu près les mêmes. Les gestes sont sûrs ; le jeu rapide ; l’issue incertaine. En milieu de période, le RC Paris reprend l’avantage : suite à un coup-franc, Veinante voit le ballon lui arriver dessus. Il reprend, son tir est légèrement dévié et trompe Darui (2-1, 25e).
L’évolution au marquoir ne change rien à l’emballement que suscite la rencontre chez les spectateurs. L’occasion la plus franche est pour les Parisiens, mais Cléau dégage en catastrophe (32e). Devant, Bigot et Kalocsaï sont des dangers permanents pour Paris, tandis que les Lillois sont fort gênés par les relances de Jordan et de Veinante. Puis, à la 41e minute survient « un incident imprévu » (Grand Echo), « un incident singulier » (Miroir des Sports) qui, pour le Grand Echo, « fut décevant », et « causa de l’émotion ».
Paris attaque. Un centre venu de la droite vers Zagalo, hors-jeu, est renvoyé par les Dogues. Le jeu se poursuit sans que l’arbitre n’ait sifflé, car l’attaquant parisien, visiblement touché à la cheville, n’a pas cherché à jouer le ballon. Il reste au sol et grimace. Mais les Dogues tergiversent et Laurent (ou Carly, ou Vandooren, selon les sources), à 35 mètres de son but, passe nonchalamment la balle en retrait à Darui, car les Lillois sont persuadés que l’arbitre va arrêter le jeu pour signaler le hors-jeu. Or, Mathé s’empare du ballon, dribble Darui sorti hors de sa surface, et conclut dans le but vide (3-1, 41e). Ce troisième but entraîne un moment de flottement sur la pelouse, mais plutôt parce que les Lillois sont bien conscients d’avoir fait une erreur d’appréciation. Le Miroir des Sports salue un homme heureux, car Mathé a prévu de se marier le 27. Nous n’aurons pas l’outrance de remarquer qu’il l’a mise au fond avec 13 jours d’avance.
La mi-temps est sifflée quelques minutes plus tard : unanimité pour souligner le beau spectacle que proposent les deux équipes. L’Auto pointe notamment un « départ excellent« , et une « qualité de jeu extraordinaire »
Changement total de physionomie en seconde période : pour ainsi dire, hormis une main de Vandooren dans la surface non sanctionnée, et une frappe de Delannoy, au-dessus, il ne se passe plus grand-chose. Même si, côté lillois, on tente d’innover (interversion Delannoy/Bigot), on assiste à une « transfiguration complète de la partie » (L’Auto). Plus personne n’attaque, et si quelqu’un se risque à jouer de l’avant, c’est de manière désordonnée, laborieuse, inefficace. A mesure qu’avance le match, la fatigue a l’air de se faire ressentir, et trois joueurs du Racing ont l’air très diminués. Pour autant, l’Olympique ne trouve pas de solution. Le Grand Echo voit alors dans ce scénario la réalisation de ses craintes, exprimées la veille : « la fin de partie est languissante, en dépit des timides efforts de quelques Lillois, mais la conviction semble manquer totalement chez ceux-ci qui, depuis longtemps, font figure de vaincus (…) La seconde mi-temps fut jouée avec le même lymphatisme dont les Dogues firent preuve ces dernières semaines. Lents à dégager, empêtrés dans leurs passes, les Olympiens donnèrent une impression de nonchalance, qui n’était peut-être que de la fatigue. Il était évident cependant que ce n’était pas en opérant de cette manière que les « blanc cerclé rouge » pouvaient espérer remonter le score (…) Le Racing eut la tâche facilité par l’indigence du football des nôtres« .
Même constat dans L’Auto, dont les titres sont éloquents : « transfiguration complète de la partie », « absence d’inspiration à Lille, défense destructive du Racing », « une deuxième mi-temps de mauvais football », « nous avons en première période vu tout ce qu’il y avait d’intéressant à voir durant ce match », « le match avait trop bien commencé ».
Pour une mystérieuse raison, la mécanique lilloise est complètement déréglée ; les Dogues sont fébriles, maladroits, nerveux, eux qui sont d’ordinaire loués pour leur sûreté et leur dynamisme. De l’autre côté, le Racing n’a attendre sans grande crainte et repousser les timides montées lilloises : « on aurait cru, par moments, que le Racing tentait de mettre ses adversaires à l’épreuve, en leur disant : « Nous avons fait notre travail, nous vous avons marqué des buts, nous voudrions bien savoir si vous êtes capables d’en faire autant ! ». En toutes occasions, les footballeurs lillois, qui n’avaient plus de ligne d’attaque devant eux, furent les maîtres du ballon. Mais ils n’en surent tirer aucun parti, et i!s ne donnèrent jamais l’impression de pouvoir forcer la défense parisienne ». Dès lors, plus aucun but ne sera marqué, et l’OL s’incline.
Dans le quotidien sportif, l’éditorial signé Jean Fayard est sévère pour les Lillois, mais pointe aussi la fin d’une saison éprouvante pour tous :
« Cette seconde mi-temps avait offert le lamentable spectacle de deux adversaires rassasiés de lutte et se moquant éperdument du résultat. Passe encore pour le Racing qui, menant 3 buts à 1 pouvait estimer avoir gagné. Au surplus, ses hommes étaient fatigués ou éclopés. On admettait donc que le grand Raoul Diagne mit la balle en touche chaque fois qu’un avant ennemi se trouvait à portée.
Mais Lille ? Mais ces fameux Dogues qu’on croyait plus acharnés ? Comment se faisait-il qu’eux aussi aient opéré exactement comme s’ils voulaient gagner du temps et limiter les dégâts ? (un handicap de deux buts se remonte. On en a vu d’autres. Mais décidément, ces Dogues étaient dépassés par l’événement. A aucun moment on eut l’impression qu’ils pourraient se jouer de la défense parisienne, les ailiers se laissaient bloquer sur leur touche. Bigot, soucieux de ne pas abîmer l’ordonnance de sa chevelure, contrôlait le ballon avec adresse, puis se le laissait prendre. Le blond Delannoy était incapable d’échapper à la compagnie de Jordan. Kalocsaï n’était plus servi. Quand la balle venait au centre, personne n’était là pour botter énergiquement. A la fin, deux ou trois chandelles du genre stratosphérique furent regardés par un Hiten plus désinvolte et souriant que jamais. On attendait un événement qui n’arriverait jamais. A ce moment, si on avait consulté la foule par voie de plébiscite (c’est à la mode), la foule aurait accordé à l’unanimité deux penalties à Lille, afin de corser un peu les choses. Il n’est d’ailleurs pas certains que les Lillois auraient profité de l’aubaine pour égaliser.
On a l’impression, à vrai dire, que la saison de football finit trop tard, et que nos professionnels ont trop joué. Si le public n’avait pas été là, j’imagine que Veinante et Vandooren auraient préféré jouer la coupe au poker d’as et passer ce beau dimanche de mai étendus sur l’herbe de Colombes, qui invitait à la rêverie ».
Le « plébiscite » fait référence à cette pratique à laquelle recourt fréquemment le chancelier allemand. L’occasion de rappeler que, pendant ce temps… (Une du Grand Echo le 14 mai, jour du match)
Quant à Gabriel Hanot, probablement limité en nombre de mots à cause d’un audacieux pari, il écrit dans le Miroir des Sports : « la finale de la coupe de France 1939 a été gagnée par l’équipe qui a su marquer l’adversaire et se démarquer, et perdue par l’équipe qui n’a su ni marquer l’opposant, ni se démarquer ».
Une première mi-temps bonne mais à l’issue de laquelle l’OL est mené de deux buts, une deuxième période sans éclat. L’OL semble finalement avoir pêché par ce par quoi il était désigné comme le favori, à savoir l’état d’esprit, l’abnégation, le courage : « l’équipe de l’OL a été hier dominée et battue. Dominée ? Non pas sans doute au sens étroit que prend que prend ce mot lorsque l’on veut traduire le temps d’occupation du terrain de l’adversaire ; mais en ceci que, même lorsqu’elle refoulait l’adversaire, elle ne savait pas prendre sur lui l’autorité, cette autorité véritable qui est faite de surprise et d’ambition dans la conquête du ballon » (L’Auto). Le journal note que « jamais partie importante ne fut disputée avec pareille courtoisie », au point que cela semble avoir endormi tout le monde, avec une remise du trophée dans « un enthousiasme très modéré ».
La headmap du match, avec des moyens artisanaux, mais peut-être pas forcément moins fiable que ce que la technologie crée aujourd’hui
Malgré cette déception, la presse salue la bonne tenue de Kalocsaï et Bigot, tandis que, pour une fois, Darui a été fébrile, et la responsabilité de Vandooren est engagé sur deux des trois buts. Mais L’Auto a le bon goût de ne pas accabler Vandooren, du moins c’est ce qui est écrit : « nous ne l’accablerons pas (…) Nous sommes presque tenté de dire que Vandooren ne sait pas jouer la coupe».
Après le match, les deux équipes se rendent dans les bureaux de L’Auto. On peut y saisir les premières réactions du côté lillois : on y admet la supériorité de l’adversaire, tout en regrettant les circonstances du troisième but. Ainsi, Gabriel Caullet déclare : « la tenue de l’OL, à partir du moment où fut marqué le troisième but, s’explique uniquement par ce troisième but… Notre équipe joue avec son cran. Il ne faut pas qu’elle soit desservie par les événements.
Il faut savoir perdre. La victoire du Racing est juste. Les Parisiens ont aligné, sans aucun doute, la meilleure équipe.
J’estime que la Coupe est un métier qui s’apprend. D’année en année, nous allons plus loin. Espérons que la prochaine fois que nous irons en finale, ce sera pour l’enlever ». Cheuva et Winckelmans, également, reconnaissent que Paris était meilleur ; Vandooren, très attendu, révèle : « avant le match, nous étions blancs comme des linges. Nous sommes arrivés sur le terrain contractés, nerveux. Quant à moi, je n’ai jamais joué avec l’esprit si peu dégagé ».
Puis, en soirée, la délégation lilloise se rend dans le 8e arrondissement, à la Rotisserie de la Reine Pédauque. Henri Jooris a quelques regrets mais est lucide sur l’issue du match : « il aurait fallu un peu de chance à l’OL. Nous étions les moins forts. Il aurait fallu une compensation…. Cela ne s’est pas présenté. Tant pis, mais le résultat est régulier ».
Le lendemain, joueurs et dirigeants de l’OL sont félicités à l’hôtel de ville de Lille, comme en 1914 et en 1933. Gabriel Caullet remercie la municipalité lilloise et en profite pour saluer la mémoire de Roger Salengro, un « grand ami de l’OL ».
Car n’oublions pas l’essentiel : en jouant sa première finale et en se plaçant une fois encore dans le haut du classement en championnat, l’Olympique Lillois, en dépit de rumeurs fréquentes sur le sale état de ses finances, s’est toujours maintenu à un excellent niveau depuis l’avènement du professionnalisme, au même titre que des équipes comme Sète, Sochaux, RC Paris, Marseille, Rouen ou Strasbourg.
« La coupe 38-39 est morte. Vive la coupe 39/40 » lit-on dans le Grand Echo. Fin mai, l’OL termine son championnat par un nul contre Cannes (0-0) et une victoire à Metz, ce qui le maintient à la cinquième place. Rideau sur la saison.
Mais voilà, c’est fini pour l’OL. L’ouverture du championnat 39/40 aurait du mener les Dogues là où ils ont terminé l’exercice précédent : à Metz. Mais il n’y aura ni coupe, ni championnat 39/40. Après une préparation estivale à peu près normale, l’imminence de la guerre conduit au report de la première journée, avant même la mobilisation générale. En septembre, pour des raisons qui restent encore largement obscures, l’OL cesse ses activités, et ne les reprend pas au moment où les autres (y compris Roubaix-Tourcoing et Lens), sur un territoire pas encore occupé fin 1939, s’y remettent progressivement.
On peut poser deux hypothèses à ce retrait, non exclusives l’une de l’autre, et non exclusives d’autres : le traumatisme de 1914, quand l’OL avait vu s’effondrer une ascension patiemment construite depuis des années, et quand Lille a vécu 4 années d’occupation et de privations, a pu être réactivé par cette deuxième guerre, si bien que l’équipe dirigeante a anticipé un scénario similaire et n’a donc pas tenu à tout prix à s’engager dans des compétitions vouées à n’être qu’éphémères ; les finances de l’OL étaient effectivement exsangues et la guerre serait « opportunément » arrivée pour s’éviter le stigmate d’un dépôt de bilan imminent. Depuis quelques années courraient déjà des rumeurs de fusion avec Fives. Le retour de l’OL en 1941, au niveau amateur, s’est fait en intégrant la section football de l’Iris Club de Lambersart : faut-il comprendre que l’OL ne pouvait pas continuer seul ?
Entre-temps, les décès successifs de Jooris et de Caullet au printemps 1940 ajoutent à l’idée d’une rupture dans l’histoire du club.
Cette finale de 1939 apparaît donc le champ du cygne du grand club lillois, du moins sous cette appellation. Devenu OICL en 1941, et après bien des tourments pendant la guerre, il réapparaît en 1944, grâce à une fusion avec le SC Fives. Et, rapidement, ce LOSC brille, ce qui donne raison à la fusion et, corollairement, dévalorise l’époque de l’OL. Dès sa première année d’existence, le LOSC atteint la finale de coupe de France, mais s’incline contre… le RC Paris. Si ça c’est pas de la continuité…!
Un résumé du match (FFF) : Finale Coupe de France 1939 : RC de Paris – Olympique Lillois (3-1) (youtube.com) (On rappelle qu’il y avait à l’époque peu de caméras, et que le match n’était pas filmé intégralement)
Notes :
[1] De Dijon
[2] Il s’agit de l’équipe qui, de 1907 à 1914, était composée des meilleurs joueurs de Lille, Roubaix et Tourcoing, et dont la confrontation annuelle face à la sélection parisienne était un événement considérable qui permit de battre les premiers records nationaux d’affluence et de recette.
Illustrations et citations issues du Grand Echo du Nord de la France, Le Miroir des Sports, et l’Auto.
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