Posté le 5 mars 2024 - par dbclosc
Évidence avec les loups
L’arbitre de Toulouse / Lille dans l’erreur, « une évidence » ? Pas vraiment. Mais une énième illustration que la VAR, pour quelques décisions corrigées, contribue à transformer le football et ce qui l’entoure en un spectacle assez détestable.
Près de 10 jours après les faits, une polémique chassant l’autre, et le temps montrant que tout cela est finalement assez vain (surtout si une victoire suit immédiatement), cet article à froid n’aura rien de comparable avec l’ampleur des réactions indignées qui ont suivi le match Toulouse / Lille. Et c’est d’ailleurs dommage que, même à chaud, ce type de péripéties ne génère pas des réflexions plus globales tant elles se multiplient et illustrent leur pouvoir de nuisance sur le football, alors que l’outil incriminé – le VAR – est censé pacifier les relations entre ses acteurs : joueurs, arbitres, dirigeants, supporters.
Quelques jours après le match, le LOSC en remet une couche avec ce tweet.
On peut d’abord s’étonner que le compte officiel du club s’immisce sur le terrain arbitral : les précédents exemples de clubs l’ayant fait, à commencer par nos voisins, ont plutôt montré que ce type de réactions provoquait une large désapprobation et qu’elles étaient probablement contre-productives.
Ensuite, le tweet renvoie à un article du site lesviolets.com – très complet au demeurant sur l’actu du TFC -, et il reste assez rare qu’un compte officiel de club ne renvoie pas au compte d’un autre club. Mais pourquoi pas ! Il existe d’excellents site de supporters. La démarche reste toutefois surprenante.
Enfin, même si le site en question est ici dans une logique de « décryptage », il propose une vision des événements qui est tout à fait défendable, mais qui n’est pas moins valable qu’une autre qui, avec les mêmes moyens et les mêmes images, aboutirait à des conclusions très différentes, comme on va tenter de l’illustrer.
Que trouve t-on sur le site Les Violets ? Le point de vue d’un arbitre amateur de 29 ans sur les trois buts toulousains. En résumant les choses, il indique que le premier but n’aurait pas dû être accordé (faute sur Gudmunsson avant le corner) ; que le deuxième est valable ; et que le troisième aurait dû être refusé (hors-jeu). Alors évidemment, si des Toulousains le disent, l’arbitre s’est indiscutablement trompé. La démarche est appréciable : peu de supporters écrivent « contre leur camp ». Signe-t-elle pour autant le conclusion de l’affaire ?
Quitte à relayer des propos sur l’arbitrage, autant que ceux-ci soient nets et précis : or, on peut noter à ce stade que sur les premier et troisième buts, les formulations que nous mettons en gras constituent autant d’éléments qui entretiennent la discussion et appellent à la prudence quant à l’interprétation des actions.
Sur le premier :
« En regardant les ralentis de plus près, on observe que la jambe de Kamanzi vient heurter la jambe droite et le pied droit de Gudmunsson. Cela a pour effet de faire trébucher le défenseur lillois. Cette impression est même soutenue par le fait que Kamanzi semble lui-même être déséquilibré par le contact qu’il vient d’initier »
Sur le troisième :
« D’après les images proposées par Prime, il semble que Dallinga était, effectivement, en position de hors-jeu au moment de la passe de Gboho. Le but de l’attaquant néerlandais aurait dû être refusé par la VAR. Décision a priori erronée ».
En somme, les propos sont très nuancés. Ils reflètent finalement ce vers quoi nous dirige le VAR : des impressions qui peuvent rarement aboutir à un jugement définitif, sur base du décorticage images télévisées.
Le bon et le mauvais arbitrage
On voudrait signaler un fait si évident qu’on le relève souvent pas : en football, on ne parle d’arbitrage que quand c’est en notre défaveur. Quel entraîneur ou quel joueur prendrait la parole pour s’indigner que son équipe ait bénéficié d’une décision arbitrale litigieuse ? Or, si l’on a des principes, en l’occurrence un arbitrage juste/cohérent pour tous, cela devrait être exprimé sans considération pour ses intérêts propres.
Une semaine avant Toulouse/ Lille, au cours de Reims/Lens, le rémois Okumu a fait un tacle dégueulasse sur le Lensois Frankowski. L’arbitre lui met un jaune puis, appelé par le Var, reste sur sa décision alors qu’on s’attendait à une expulsion. Après le match, Will Still, entraîneur de Reims, est invité à réagir à la séquence au micro de Prime vidéo. Il déclare : « ah oui, je comprends la frustration des Lensois ». Fin de l’interview. Bref, tant pis pour eux, et on passe à autre chose. Franck Haise, lui, sera beaucoup plus disert par après. On rappelle que Will Still, au match aller à Bollaert, avait principalement axé ses déclarations d’après-match en critiquant l’arbitrage. Il avait perdu…
Quant à Fonseca, si prompt à réagir à ce qu’il estime être une injustice, on ne l’avait pas beaucoup entendu après Lille/Lorient en janvier. Et puisqu’on imagine que ce sont principalement des Lillois qui nous lisent, vous ne voyez sans doute pas spontanément à quoi on fait référence.
À la 36e minute, l’arbitre siffle une faute de Bakayoko sur André. Les Lorientais contestent. Sur le coup-franc, Angel sert David qui ouvre la marque. Les ralentis laissent circonspects quant aux fondements de la « faute » sifflée en faveur des Dogues. Sachant qu’on a mis le deuxième but à la 92e, on peut estimer que c’est une décision lourde de conséquence. Y a-t-il eu un grand débat, une indignation côté lillois, un tweet…?
Après le match à Reims, les Rémois sont largement revenus sur l’intervention limite de Yoro dans la surface, qui aurait pu aboutir à un pénalty, quand les Lillois n’en ont pas dit un mot. Tout comme ont suscité bien peu de réactions côté lillois la rumeur d’une intervention du président dans le vestiaire des arbitres à la mi-temps (L’équipe a précisé les faits en indiquant que les accusations du président rémois étaient infondées).
Finalement, par mauvaise foi, fainéantise ou on ne sait quel mécanisme psychologique, on est très sélectif dans nos indignations. Celles-ci varient selon que les faits nous soient ou non favorables, ou selon le résultat. On imagine combien le pénalty concédé par Yoro contre Metz en décembre aurait été considéré comme scandaleux si Lille n’avait pas gagné (et ce grâce à un premier but sur pénalty gentiment sifflé). Mais dans ces deux cas de figure, on se contentera d’un « ça fait partie du jeu » ou d’un « ça s’équilibre sur une saison ».
Il est tout cas flagrant de constater que le commentaire sur l’arbitrage ne se fait souvent pas qu’à l’aune de la décision elle-même, mais de la décision couplée au déroulement ultérieur du match.
Bref, il y a le « bon mauvais arbitrage », et le « mauvais mauvais arbitrage »…
Les règles et l’esprit des règles
Quand il y a des litiges arbitraux, on se rend compte de la méconnaissance des règles de pas mal d’acteurs qui gravitent autour du foot : supporters (chez qui cette histoire de bras hors-jeu a beaucoup perturbé – pour rappel les mains et les bras, jusqu’au bas de l’aisselle, ne sont pas pris en compte pour estimer un hors-jeu), mais aussi de dirigeants et de journalistes, c’est-à-dire de gens dont le professionnalisme devrait conduire, ou même obliger, à s’y pencher de très près.
Hors ce match à Toulouse, combien de fois entend-on les commentateurs avouer leur ignorance des règles et demander sans complexe à l’un de leurs collègues d’envoyer un texto pour obtenir une réponse qu’ils devraient avoir eux-mêmes ? C’était par exemple le cas lors du match interrompu pour jets de pétards à Montpellier en octobre : impossible à l’antenne de Prime de trouver quelqu’un qui savait ce que devait alors faire l’arbitre, et quel était le délai maximal d’interruption provisoire d’un match.
Sans compter les rappels récurrents au mythe du « jeu à terre ». Les lois du jeu se trouvent facilement, et c’est même parfois très amusant : oui, un gardien peut prendre le ballon à la main s’il reçoit une passe en retrait du genou d’un défenseur ; un six-mètres contre son camp donne un corner, etc.
Lille/Benfica, 2005 : à croire que, sur cette action, seuls Tavlaridis et Sylva connaissent la règle. Gilardi, Larqué, Koeman et les supporters portugais ne semblent pas comprendre (Vidéo AlexisBarou69)
Arrêtons-nous sur le principal sujet de débat : le troisième but toulousain. Nous voilà contraints de juger les choses dans les termes qu’impose la VAR, c’est-à-dire se référer à une ligne dont il faut supposer qu’elle est correctement tracée, et dont la largeur peut aussi être discutée, à partir d’une image arrêtée censée être prise au moment où le ballon quitte le pied du passeur, soit un moment pas toujours clair à estimer précisément. Bref, les modalités de l’outil ne peuvent garantir l’infaillibilité.
Voici l’image proposée.
On a l’impression que le bord gauche du (large) trait bleu place le toulousain hors-jeu, et pas le bord droit. Et il semble que ce soit ce dernier qui est pris en compte. Mais bon, à ce degré de détail, qu’y a-t-il de choquant à accorder ce but ?
Demandons-nous aussi ce qu’est un hors-jeu. L’existence de cette règle a une justification : éviter que les attaquants ne restent plantés devant le gardien adverse, et puissent ainsi bénéficier d’un avantage trop important par rapport aux défenseurs adverses.
Seulement, la VAR détourne le hors-jeu de son esprit : avec des révélateurs à prétention scientifique, on évalue au microscope une situation qui devrait être jugée dans sa globalité. Alors certes, il faut bien fixer un point de repère à un moment mais, honnêtement, en imaginant qu’il était hors-jeu, l’attaquant toulousain a-t-il bénéficié d’un avantage décisif sur la défense lilloise… ? Est-ce qu’on est allés à l’encontre de l’esprit du jeu ? L’esprit du jeu ne recommande-t-il pas, en cas de doute, de favoriser l’attaquant ?
Evidemment, on aurait préféré que ce but soit refusé, mais voilà typiquement le genre de situation dans laquelle chaque camp a des raisons légitimes de défendre sa position.
À partir de là, quand une situation suscite des avis divergents, voire contradictoires, il faut arbitrer. Alors oui, on va satisfaire les uns, et mécontenter les autres. Ça tombe bien parce qu’il y a un arbitre sur le terrain. Selon le Larousse, un arbitre est une :
1. Personne qui a pour mission de trancher un litige à la place d’un juge public ; membre d’un tribunal arbitral.
2. Personne qu’on choisit pour trancher un débat ou apaiser une querelle (en ce sens, peut être aussi féminin)
La polémique, l’ambivalence, le doute : c’est la raison d’être de l’arbitrage. Or, les outils censés favoriser le travail de l’arbitrage alimentent son procès, car on prend trop peu en compte qu’une part des décisions repose sur l’interprétation d’actions ambivalentes, qui génèrent des décisions immanquablement discutables.
Une évidence : le LOSC a fait des erreurs
Revenons sur les deux autres buts toulousains : à notre avis, juste avant l’égalisation, il y a une faute sur Gudmunsson, et nous rejoignons l’avis de l’arbitre qui s’exprime sur lesviolets.com.
Mais sur le corner, le fait de se faire battre au premier poteau dans un duel aérien et de laisser un type seul au second, ce n’est pas la faute de l’arbitre : c’est un duel perdu et une grossière erreur de marquage.
Et ce qui est encore plus regrettable, c’est qu’il y avait eu un sérieux avertissement juste entre le but d’Haraldsson et la mi-temps. Même action : corner pour Toulouse, tête du 19 au premier poteau, pas de Lillois au second. Heureusement, cette fois, le Toulousain était trop court. L’adversaire peut avoir ses points forts et on peut ne pas réussir à les surmonter, mais laisser un mec seul deux fois au deuxième poteau, ce n’est pas très sérieux.
Parfois, oui, on peut ne pas être d’accord avec l’arbitre, mais ce désavantage peut être rattrapé et, sur cette action, le LOSC ne s’en est pas donné les moyens, par manque de travail tactique, par inattention, en tout cas quelque chose qui relève du jeu et des joueurs. Or, trop souvent, le courroux (coucou !) tombe toujours sur l’arbitre seul.
Quant au deuxième but, peu voire pas contesté, il a pour origine une mauvaise relance de Santos, à 30 mètres du but lillois. Là aussi, cette erreur aurait pu se rattraper, mais c’est mal défendu derrière. Les Lillois sont à 2 contre 1 : Santos est pris dans son dos mais un bon retour de Bentaleb semble suffire pour récupérer le ballon. Mais Santos a le mauvais réflexe d’obstruer le passage, de façon inutile.
Et inutile de tomber sur le défenseur : Santos donne beaucoup de satisfaction depuis qu’il est là. Il est un jeune joueur, étranger, qui doit s’adapter tactiquement et personnellement. Le problème quand un défenseur fait une erreur c’est que ça se voit très vite. Il en fera d’autres, et on ne doute pas de sa capacité et de celle de son entraîneur à pointer des axes de progression.
Par ailleurs, le LOSC a fait preuve en seconde période d’une incapacité à réagir qui, là aussi, ne doit rien aux compétences de l’arbitre. Entre le 1-1 et le 2-1, Santos a été protagoniste d’une altercation avec un adversaire : trois toulousains ont alors surgi pour entourer Santos quand, côté Lillois, seul Bentaleb est venu protéger son équipier. Ce manque de solidarité peut aussi être pointé. Ou encore le fait que nos milieux offensifs, s’ils ont toujours une très belle note artistique avec leurs dribbles et leurs passes à n’en plus finir, ont de sérieuses lacunes dans la finition.
Dans la gueule du loup
Dès lors, même si le LOSC a été mauvais, le principal enseignement de ce match réside sans doute dans la capacité de nuisance de l’utilisation de la VAR et des réactions qu’elle suscite.
Contraints de commenter les matches à l’aune de la grille de lecture qu’elle propose (focalisation excessive sur les décisions arbitrales qui sont autant de « faits de match », multiplication de ralentis à la recherche de mini-contacts, émotions sous condition, jeu haché par de longues interruptions aboutissant à des décisions qui n’en sont pas moins contestées, temps additionnel étiré, commentaires journalistiques trop peu portés sur le jeu et les analyses tactiques), les acteurs du football offrent le triste spectacle d’une extension du domaine de la lutte interprétative entre des positions qui ne peuvent par principe pas s’accorder, et un prétexte de plus pour s’écharper ou théâtraliser les conférences de presse avec des images qui ne prouvent rien.
Tant qu’on y est, pourquoi ne pas demander à rejouer le match ? En Belgique, Anderlecht/Genk va être rejoué suite à une « erreur » d’arbitrage…
À ce titre, la VAR est loin de régler les problèmes qu’elle était censée résoudre. Elle élargit la base de la critique de l’arbitrage sans donner en retour la possibilité d’apporter des éléments incontestables sur les faits (de fait, ils ne sont pas incontestables). Ses partisans avancent même l’idée que son champ d’application devrait s’étendre (notamment aux mains), comme si cela n’allait pas déplacer les mêmes polémiques sur d’autres aspects du jeu ; il parait aussi que la sonorisation des arbitres va tout résoudre, alors qu’elle porte d’autres risques. Sur ce dernier point, il existe pourtant des arguments qui s’y opposent (ici par exemple), tout comme il en existait contre la VAR, mais ils ne semblent pas pouvoir s’exprimer au-delà des cercles de quelques spécialistes critiques, qui viendraient peut-être perturber ce avec quoi les diffuseurs adorent meubler l’antenne.
On n’imagine pas que le tweet du LOSC soit une initiative isolée du Community Manager du club : si le club et son président souhaitent s’immiscer sur le terrain de l’arbitrage, il aurait été souhaitable de prendre parti pour un meilleur football, plutôt que de hurler avec les loups.
2 commentaires
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7 mars 2024
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Michel a dit:
Comme d’habitude. Au top DBC.
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5 mars 2024
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delcroix a dit:
Bien arbitré ! Bel article dépassionné et bel objet de lutte contre les discours radicaux. Merci