Posté le 26 avril 2024 - par dbclosc
Lille/Metz 1939, le match qui n’eut jamais lieu
Été 1939 : la nouvelle saison de Division Nationale se prépare en dépit de la menace d’un conflit imminent. Fin août, les Dogues de l’Olympique Lillois doivent recevoir Metz. Mais, bien qu’arrivés seulement le 31 mai 1940, les Allemands arrivent avant les Grenats dans la capitale des Flandres. Mauvais signe.
« Allez l’OL ! » : pour qui se passionne depuis des années pour le football lillois, ce cri, scandé à pleins poumons par des milliers de supporters des Dogues, est un incontournable d’un après-midi footballistique sur les bords de la Deûle. Mais quand il est repris ce 3 novembre 1939, il prend une dimension particulière.
Au stade Victor-Boucquey, un match oppose deux équipes de militaires : celle, française, du premier corps, et celle, anglaise, de la Royal Air Force. Côté français, rien que des vedettes nordistes, soit évoluant dans les clubs du coin (OL : Défossé, Cheuva ; Fives : Jadrejak ; Lens : Marek, Siklo ; Roubaix : Urbaniak , Kups – qui lui est Polonais), soit revenus au bercail depuis quelques semaines (Duhamel, Nicolas). Le public s’est empressé de venir voir ces footballeurs-militaires nordistes, qui ont rarement l’occasion de fournir une exhibition commune, dépassant les rivalités régionales. Mais c’est la première fois depuis la fin de l’été que le public lillois a l’occasion de voir un match de football. Lors de l’entrée des deux équipes sur le terrain, un frisson parcourt la foule : « les nombreux gars du Nord cantonnés eurent une douce émotion lorsque l’équipe du premier corps pénétra sur le terrain, vêtue du maillot blanc cerclé de rouge de l’Olympique Lillois » (Le Grand Echo).
On l’aura compris : la mobilisation générale, décrétée le 1er septembre, a interrompu toute activité sportive. Beaucoup de footballeurs sont désormais des militaires, et ceux de la région se sont unis pour affronter leurs alliés anglais, présents sur le sol national. Et puisque la guerre ne semble pas (encore) prendre le chemin des champs de bataille, pourquoi ne pas rejouer ? La réapparition du maillot de l’OL, rangé au placard depuis des semaines, est une belle surprise de la part des « régionaux », qui suscite en retour une belle ovation du public. Elle symbolise le fol espoir d’un retour à la normale ; à défaut, et de façon plus réaliste, elle vient très ponctuellement éclairer un quotidien qui s’est brusquement assombri. Retournons quelques mois en arrière.
De Metz à Metz
28 mai 1939 : à Metz, l’OL vient obtient un match nul (0-0) pour son dernier match de championnat 1938/1939. C’est encore une saison réussie pour les Dogues, même si des clubs comme Sète, Marseille ou le Racing ont sans doute montré davantage de qualités et constance depuis l’avènement du professionnalisme. Les Lillois terminent à la cinquième place, tout en étant parvenus à se hisser en finale de la Coupe de France.
Début juin, les Lillois disputent un tournoi à Marseille avec l’OM, Sète, et le RC Paris. Après avoir battu Sète (2-1), ils s’inclinent en finale contre Marseille (1-4). Un dernier amical à La Gantoise, perdu 0-1, conclut la saison 1938/1939 de l’OL.
Au cours de l’été, les nouvelles classiques tombent : mi-juillet, l’Olympique Lillois communique sur le prix des abonnements, et annonce un premier match amical contre Breda le 20 août. Et un peu plus tard, la calendrier préparé par le Groupement est annoncé : les Dogues commenceront la saison le 27 août au stade Victor-Boucquey, contre Metz.
On n’arrête pas le progrès
Il règne une certaine légèreté à Lille durant cet été 1939. En effet, le 14 mai, l’Exposition du Progrès Social est ouverte.
Jusqu’à octobre, à Lille et à Roubaix, cette exposition est une sorte d’exposition universelle miniature, où des régions françaises, quelques pays voisins (Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, et même Allemagne) viennent mettre en avant de récentes évolutions notamment technologiques, urbanistiques, et architecturales. En outre, les colonies sont également mises en scène pour mettre en avant l’Empire français : et voici, dans la ville des Dogues, des chameaux, dromadaires, et autres éléphants, que peut admirer le président Albert Lebrun, venu inaugurer la fête le 5 juin, un joli Luna Park (une ducasse).
L’objectif de cette Exposition est de montrer que les régions dévastées par la guerre 14-18 se sont relevées et sont désormais tournées vers un monde nouveau, fait d’équipements collectifs, de villes assainies, où le sport occupe une place importante. En somme, il s’agit de marquer symboliquement la fin de la Grande Guerre et de ses effets.
L’entrée de l’Exposition se fait à l’extrémité du Boulevard Louis XIV, via une Porte d’Honneur en acier de 45 mètres de haut, qui donne sur une espèce de village géant où apparaît d’abord le bâtiment principal de l’annuelle Foire commerciale (détruit en 1993), appelé Grand Palais, de 30 mètres de hauteur, et qui a donné son nom à l’actuel Grand Palais (qui n’est pas situé exactement sur l’endroit du bâtiment précédent).
Ainsi, sur une vaste surface située de la gare Saint-Sauveur à la gare Lille-Flandres, en suivant globalement le tracé des anciens remparts, Lille est le centre d’une intense activité de propagande visant à promouvoir la « modernité ».
L’esprit festif de cette exposition tranche avec climat international, particulièrement électrique, de cet été. Depuis plusieurs années, à la suite de divers événements qu’on ne va pas retracer ici, un conflit d’envergure semble inévitable. Il l’est désormais à ce point que, désormais, les journaux titrent non pas sur la probabilité du conflit, mais sur les diverses stratégies qu’il faudra adopter quand on y sera : qui a la meilleure flotte, en cas de guerre maritime ? Qui et par où les Allemands comptent attaquer leurs voisins ? Peut-on compter sur le soutien des Russes ? L’alliance entre l’Allemagne et l’Italie est-elle sincère ?
Le Tournoi de l’Exposition, ancêtre du Challenge Emile-Olivier
Dans les deux villes nordistes, sont greffés à l’Exposition proprement dite des activités sportives et récréatives. À Lille, l’érection d’une piscine et d’un stade, grâce au jumelage de l’Union des Sociétés de Gymnastique de France, permet aux sportifs de démontrer leurs talents et ainsi prouver que l’effort de « regénération des corps » entamé après-guerre a porté ses fruits.
Clou sportif de l’Exposition : est annoncé seulement début août ce que la presse nordiste qualifie de « véritable coup d’envoi de la saison nordiste ». Et pour cause : il s’agit d’un tournoi réunissant les quatre équipes de la région engagés dans le championnat 1938/1939 : l’’Olympique Lillois, le Sporting Club Fivois, l’Excelsior Roubaix-Tourcoing et le Racing Club de Lens. Ainsi, les samedi 12 et dimanche 13 août, dans un stade aménagé dans l’enceinte même de l’Exposition, l’équipe gagnante remportera le Coupe de l’Exposition du Progrès Social, et nul doute que ce sera « un énorme succès populaire ». La coupe sera remise par Albert Mahieu, sénateur du Nord, vice-président du Sénat, et président de l’Exposition. Un peu moins d’un an plus tard, il fera partie des parlementaires votant les pleins pouvoirs à Pétain (comme 85% d’entre eux)1. Mais en attendant : football, nous voilà.
Au niveau de l’organisation, c’est assez simple : deux demi-finales le samedi et, le dimanche, la petite finale suivie de la grande. Dans leur grande sagesse, les organisateurs prévoient que la petite finale aura lieu entre les deux battus du samedi, et que la grande finale opposera les deux vainqueurs.
Le tirage au sort a décidé des matches suivants :
Samedi à 15h : SC Fivois/RC Lens
Samedi à 17h : O. Lillois/E. Roubaix-Tourcoing
Petit point réglementaire : en cas d’égalité dans les demi-finales, le gagnant sera désigné par tirage au sort. En cas de résultat nul dans la finale, on jouera une prolongation de 30 minutes divisée en deux périodes 15 minutes. Et si c’est encore égalité ? « Le comité d’organisation verrait alors ce qu’il convient d’envisager pour l’attribution de la Coupe » précise Le Grand Echo du Nord.
Ce tournoi estival, exceptionnellement greffé à un événement d’envergure, deviendra près de 40 ans plus tard un rituel annuel, avec quelques variantes das un premier temps : de 1977 à 1988, le Tournoi de la Communauté Urbaine de Lille permettait souvent à deux équipes nordistes, accompagnées de belles équipes étrangères, de terminer leur préparation ; puis, de 1992 à 1998, le Challenge Emile-Olivier a quant à lui uniquement opposé les meilleures équipes nordistes.
Fives au top, l’OL en difficulté
Samedi 12 août 1939, Fives et Lens alignent les joueurs suivants :
Fives : Cros ; Fabreguettes, Méresse ; Bourbotte, Kapta, Laune ; Nowicki, Doly, Bihel, Van Caeneghem, Waggi (Wawrzeniak de son vrai nom)
Lens : Evin ; Mathieu, Beaucourt ; Ourdouillier, Lewandowski, Calinski ; Dugauguez, Spechtl, François, Pruss, Melul.
Voici pour le match de 17h :
OL : Dupont ; Vandooren, Szezesny ; Carly, Cheuva, Cleau ; Delannoy, Winckelmans, Koranyi. Muller, Bigot.
Excelsior : Gonzalès ; Arana, Dhulst ; Cholle, Thomas, Walravens ; Renard, Hiltl, Sécember, Buge, Liétard.
Selon le Grand Echo, près de 5 000 spectateurs assistent aux deux matches. Pour accéder au stade, les amateurs doivent se munir d’un billet spécial en plus d’un billet pour l’Exposition. Cela fait partie des « trois combinaisons intéressantes pour visiter l’Exposition ».
« On s’attendait à un succès de curiosité. Que valent nos team ? Qu’est-ce que le stade de l’Expo ? Le public s’est vite trouvé chez lui et a si vite reconnu ses équipes qu’au bout de 10 minutes il vibrait comme aux plus beaux jours du championnat »
Sur le terrain, Fives bat Lens 3-1 (Bihel, Doly, Waggi/Specht).
Ensuite, OL et Excelsior font match nul 1-1 (Koranyi/Hiltl sp). Il faut donc recourir à un tirage au sort, et qui gagne bien sûr… ?
La grande finale opposera donc Fives à l’Excelsior, et la petite Lille à Lens.
Notons que le pénalty obtenu par l’Excelsior est consécutif à une nouveauté dans le règlement. Cette nouveauté est diffusée durant tout l’été aux arbitres, joueurs et amateurs de football. Les joueurs de l’OL et du SCF ont ainsi communément assisté à une conférence le 7 août au café du Pélican, Grand’Place. Voici ce qu’écrit le Grand Echo quant à la nouvelle règle :
« En vue de rendre le jeu plus scientifique, plus intelligent, plus « fair-play » et, par suite, moins brutal, il a été décidé que l’arbitre ne devait plus tolérer la « charge », même correcte, contre un adversaire qui n’est pas en possession du ballon ou qui ne tente pas définitivement de jouer le ballon. Cette décision ne causerait aucune émotion dans le monde du football si l’infraction à cette nouvelle réglementation n’était sanctionnée que d’un « coup franc » simple. Mais toute charge, même correcte, qui n’est pas exécutée à bon escient, devra être sanctionnée d’un « coup franc » direct ou d’un « penalty » si la faute est commise dans la surface de réparation. Ajoutons qu’un joueur qui veut barrer un adversaire peut toujours avoir recours à l’obstruction qui reste permise ».
Il est amusant de lire qu’une charge « même correcte », est maintenant considéré comme « incorrecte ». En revanche, reste tolérée une pratique qui passerait aujourd’hui pour une sérieuse incorrection : la simple « obstruction ». Ces règles semblent tomber sous le sens avec nos yeux contemporains, mais rappelons que le football est, à l’origine, un jeu bien plus brutal, voire violent, qu’il ne l’est aujourd’hui, où presque tous les contacts sont désormais considérés comme fautifs. Il était donc possible de faire tomber à terre un adversaire qui n’était même pas en possession du ballon. Dans les faits, il semble que cette règle ait mis du temps à être intégralement appliquée, puisque lors d’un match de coupe Lille/Lens en 1949 dont nous avons parlé ici, une des techniques des Dogues était libérer le passage du porteur de balle en mettant à terre les adversaires qui pourraient se trouver sur leur chemin. Une pratique rigolote très clairement illustrée sur cette photo :
En petite finale, Lens et Lille se présentent de la sorte :
OL : Dupont ;Vandooren, Secesny ; Rémy, Cheuva, Cléau ; Dangléan, Stefaniak,Koranyi, Muller, Bigot.
RCL : Mathieu, Beaucourt ; Calinski, Pruas, Hadelberger, Boucher, Ourdonillier, Stanis, Specht, François
Lens s’impose 2-1 (Stanis, Boucher/Mathieu csc ou Koranyi selon les sources).
Pour la finale, Fives et Roubaix-Tourcoing alignent les joueurs suivants :
SCF : Cros ; Fabreguettes, Méresse ; Bourbotte, Kapta, Laune ; Novicki, Doly, Bihel, Prouff, Waggi.
Excelsior : Gonzalès ; Aréna, Dhults ; Cholle, Dubois,Walravens ; Tobia, Hiltl, Sécember, Buge, Filez.
Les Fivois gagnent 5-1 (Kapta sp, Prouff, Wagi, Bihel, Bihel/Buge) et remportent donc le tournoi ; « aussitôt le match terminé, les joueurs, en cortège, musique en tête précédés de la Coupe, et entourés de supporters enthousiastes, parcoururent les allées de l’Exposition et se rendirent sur le terre- plein du Théâtre de Plein Air. Et pour clôturer, on sabla le champagne ».
Quels enseignements tirer du tournoi ? Difficile à dire, car l’OL ne disposait pas encore de ses recrues (Da Rui, Moré, Kalocsaï), le RCL n’avait ni Siklo ni Marek. Mais le SCF évoluait aussi sans sa recrue annoncée, Finta. Mais au niveau de l’affluence, le Grand Echo estime que près de 10 000 personnes sont venues sur les deux jours, et le public nordiste semble impatient que le championnat reprenne. Au passage, on note que le principal club de la ville peut encore ajouter un stade à la liste de ceux dans lesquels il a joué « à domicile ».
Par la suite, la préparation des deux clubs lillois confirme la tendance : l’OL ne fait que match nul contre Valenciennes (2-2) puis ne bat Breda « que » 1-0, alors que l’Excelsior avait battu les Néerlandais la veille par 3 à 1. En outre, l’arrivée des recrues tarde. Les Dogues se renforceront-ils ? Quant au SCF, il termine sa préparation en gagnant largement sur le terrain de l’Union Saint-Gilloise (5-0).
C’est reparti comme en 14
Arrive enfin la semaine de reprise du championnat. La belle préparation des Fivois est notamment attribuée à l’arrivée de René Bihel – futur avant-centre du LOSC – auquel l’Auto consacre un article le 24 août.
Dimanche 27, l’OL recevra Metz, tandis que Fives ira à Saint-Etienne.Chez les Dogues, on se méfie beaucoup de l’équipe de Metz, qui a recruté deux internationaux d’Europe centrale : un gardien hongrois (ou Autrichien – c’est-à-dire Allemand – selon les sources) et un demi tchécoslovaque – c’est-à-dire un peu Allemand aussi. Les lorrains comptent aussi d’autres internationaux, français (Fosset, Marchal, Rohrbacher, Kowalezyk), néerlandais (Bakhuys), et hongrois (Weiskopf).
Mais à mesure qu’avance la semaine, l’Auto annonce que certains clubs professionnels font face à des effectifs tronqués, car plusieurs joueurs sont déjà mobilisés.
En milieu de semaine, la nouvelle tombe : les matches de D1 qui devaient se dérouler dimanche 27 sont remis à une date ultérieure. Le lendemain, la Ligue du Nord annonce une remise pour tous les matches de niveau amateur dans la région.
Même les pages de l’Auto se remplissent progressivement des actualités internationales tandis que, même dans la presse régionale, les dernières tractations diplomatiques occupent une grande partie des journaux.
À partir de l’invasion de la Pologne, la place du football dans les journaux est réduite à la portion congrue. La mobilisation générale est décrétée. L’Exposition du Progrès Social ferme ses portes précipitamment. Son bâtiment principal sera bombardé quelques mois plus tard. Puis, comme en 1914, c’est par quelques lignes elliptiques que l’on obtient des nouvelles des footballeurs mobilisés.
En septembre, un lecteur inquiet du Grand Echo adresse cette lettre à l’OL :
Où sont donc les Dogues ? Difficile de le savoir. Le Grand Echo rapporte que Gabriel Caullet, le président du club, serait démissionnaire, puis aurait disparu. Pourtant, après quelques semaines, le football reprend. Le championnat de D1 aussi, mais sans certains clubs, dont l’Olympique Lillois, alors que le Sporting Fivois est bien là.
Cette période de l’histoire du club est très peu claire. Y a-t-il encore une section football à l’OL ? Si oui, où est-elle ? Pourquoi le championnat – ou ce qui est désigné comme tel – se fait-il sans les Dogues ? Le souvenir de 1914 a-t-il poussé les dirigeants à se retirer d’eux-mêmes, avant que les événements n’empirent ? L’OL était-il en difficulté financière, comme cela était fréquemment rapporté depuis deux ans… ?
Toujours est-il qu’on ne reverra pas le maillot de l’OL avant le 3 novembre 1939, jour de ce match entre militaires. Le club, sous cette appellation, aura donc joué le dernier match de son histoire professionnelle à Metz, en mai 1939. On retrouvera les Dogues dans un autre monde.
Note :
1 Notons que A. Mahieu est expulsé de Vichy en 1941 pour avoir tenu des « propos injurieux » à l’égard de Pétain et pour avoir critiqué Darlan. Sans que ceci ne soit la conséquence de cela, il est mort en 1943.
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