Posté le 7 septembre 2024 - par dbclosc
Ces Diables de Lillois : les Dogues au Heysel en avril 1934
Fait exceptionnel dans la vie de l’Olympique Lillois en avril 1934 : si le champion de France en titre a l’habitude de jouer contre de grandes équipes étrangères, il affronte pour la première fois une sélection nationale. Ce sera celle, voisine, des Diables Rouges de Belgique.
Les liens entre la Belgique et l’Olympique Lillois sont presque aussi anciens que la création du club lui-même : la proximité de la frontière a fait de Lille une ville privilégiée pour que des liens se développent.
Rijsel-sur-Deûle
Avant même que l’OL n’existe, des clubs belges rendent visite au nord de la France ; ayant un temps d’avance dans leur développement, ils sont considérés comme les meilleurs au niveau continental. Ainsi, dès 1898, la première édition du Challenge international du Nord voit s’affronter quelques clubs français, la plupart nordistes (Iris Club Lillois, SC Tourcoing, US Tourcoing, RC Roubaix…) à des clubs étrangers, exclusivement belges (Football Club Brugeois, Daring de Bruxelles, Racing Club de Bruxelles, Léopold Club Bruxelles).
Jusqu’en 1908, ce tournoi annuel – que rejoint l’Olympique Lillois en 1903 – est remporté à 10 reprises par des belges, Union Saint-Gilloise en tête (3 victoires). Pendant un temps, jusqu’en 1913, les clubs nordistes ne peuvent plus jouer de matches internationaux1 : mais les liens demeurent, et Jooris, dont les responsabilités à l’OL vont croissant – il était en effet entre autres boulanger industriel – garde un œil attentif sur ce qui se passe chez les Belges. Ainsi, en 1912, le recrutement – ou plutôt l’enlèvement – d’Alphonse Six, joueur de l’Union Saint-Gilloise, est indéniablement dû à cette proximité. Au-delà de l’aspect purement sportif, l’évolution des clubs nordistes (supportérisme, projets de stade, militantisme pour la reconnaissance du football en tant qu’enjeu d’intérêt social…) s’est faite pour partie par mimétisme avec ce qui se passait en Belgique.
C’est donc grâce à ces liens de voisinage que le football nordiste, juste avant la guerre, s’est affirmé comme un des meilleurs, si ce n’est le meilleur, de France, ce qui a permis à Lille d’accueillir le premier match de l’équipe de France hors de Paris : c’était en janvier 1914… contre la Belgique, évidemment.
Après-guerre, les liens persistent durant un temps mais ont tendance à se raréfier. Surtout, ils n’ont plus leur prestige d’antan. L’émulation suscitée avant-guerre a été brisée par le conflit. Dans les années 1920, les clubs nordistes ne brillent pas dans la seule compétition nationale (la Coupe de France), ce qui rend plus complexe l’organisation de matches contre des Belges qui, eux, semblent retrouver plus rapidement leur niveau. Mais les Nordistes montent en puissance, avec une présence de plus en plus tardive dans la compétition : quart de finale pour l’OL en 1927, 1928, puis 1932, et pour l’Excelsior Roubaix en 1931 ; demi finale pour Dunkerque-Malo en 1929, puis pour le RC Roubaix en 1932.
Le foot ne perd pas le Nord
L’avènement du professionnalisme en France en 1932 correspond donc à un moment où le Nord a en partie comblé le retard subi depuis 15 ans. Lors de cette première saison professionnelle, les trois clubs nordistes (Lille, Fives, E. Roubaix) font rapidement bonne figure. Les confrontations amicales de l’OL contre ce qui est alors considéré comme la crème du foot européen, l’Europe centrale, montrent que le Nord, s’il ne gagne pas, rivalise de nouveau (défaites 2-4 contre Sparta Prague en novembre, 0-1 en février contre First Vienna, 1-2 en avril contre Admira de Vienne, nul 1-1 en janvier contre les Roumains d’Oradea).
Au printemps, le succès de l’OL dans le championnat de France, et le choc E. Roubaix/RC Roubaix en finale de coupe, replacent objectivement le Nord en très bonne place sur la carte footballistique nationale.
En 1933/1934, l’Olympique Lillois confirme ce retour au sommet : le 11 avril 1934, retour en Belgique, mais pour y affronter l’équipe nationale ! Après un nul Nord/Allemagne de l’Ouest en février (3-3), le printemps international a débuté début avril avec un tournoi entre l’OL, Tournai et Malines (à Tournai), Fives/Fribourg le 7, et ont été fixés un Nord/Sunderland fin avril puis un OL/Polgon Lviv (deuxième du championnat de Pologne en 1933) début mai.
A, A’, B… ?
En Belgique, l’Union Saint-Gilloise vient d’enlever son 10e titre national. Ses joueurs sont donc fortement représentés dans l’équipe nationale. Mais celle-ci n’est pas très en forme, la faute à qui ? En partie aux Lillois : trois d’entre eux (les Olympiens Défossé et Vandooren, le Fivois Libérati), membres de l’équipe de France, sont venus gagner à Bruxelles en janvier. En février, les Belges ont obtenu un pénible nul (4-4) à Dublin, face à l’équipe de l’Etat libre d’Irlande, en éliminatoire de la coupe du monde. Puis en mars, en amical, les Diables ont perdu 9-3 chez leurs voisins néerlandais. Autant dire que, face à une équipe qui n’est pas une sélection nationale, on attend des Belges qu’ils gagnent et rassurent un peu avant de jouer la coupe du monde en Italie.
Pour l’OL, affronter une sélection est une première. Du côté belge, même s’il s’agit d’un match de l’équipe nationale, ce match n’a pas de caractère officiel : c’est une rencontre amicale hors-calendrier et hors-agenda, qui ne figure pas dans le palmarès de l’équipe des Diables Rouges. Celle-ci s’autorise quelques rencontres officieuses contre des équipes de niveau national.
À vrai dire, il y a un doute sur le statut de cette équipe belge : il existe une équipe A’ depuis 1924, mais les coupures de presse relatives à ce match n’en font pas mention. Le Grand Echo rapporte que le seul club qui a battu les Diables est Sochaux, en 1930. Rencontre non comptabilisée officiellement mais jamais présentée comme ayant été celle d’une équipe « B »… A priori, c’est donc bien l’équipe A des Diables Rouges que l’OL affronte, d’autant que les joueurs sélectionnés sont à peu près les mêmes que lors du précédent match officiel, et que lors du suivant (officiel).
Ce match est organisé à l’occasion de l’annuelle Marche de l’Armée, ce qui peut aussi constituer un gage de solennité de l’événement, qui justifie qu’on aligne son équipe première.
Il sera précédé d’autres festivités, notamment, une course, un match de basket et un autre de volley. La fête sera présidée par un représentant du Roi des Belges (le général du Roy de Blicquy). Celui-ci, depuis deux mois, s’appelle Léopold III, tout juste intronisé après que son père, Albert Ier, est parvenu à avoir un accident d’alpinisme au Plat pays.
Des Dogues déforcés
Les Dogues viennent de se faire sortir de la coupe de France au stade des demi-finales, contre Sète (à Colombes). Dans l’autre demi-finale, le RC Roubaix (D2, finaliste la saison précédente) a été éliminé par Marseille. L’espoir d’une deuxième finale nordiste consécutive s’envole.
Vandooren face à un attaquant Sétois (Miroir des Sports)
En championnat, l’OL est encore bien placé car, à 4 journées de la fin, il n’est qu’à deux points du leader sétois. Mais le championnat est très serré et Marseille, Fives, Antibes et même l’Excelsior Roubaix sont dans la course au titre.
Au niveau de l’effectif, Delannoy est absent. En effet, il est dans une période militaire et n’a pas obtenu de permission de ses chefs. C’est donc l’Autrichien Windner qui joue avant-centre. Vandooren et Winckelmans se sont blessés lors du précédent match à Sète (demi-finale de coupe de France) et ne pourront pas non plus tenir leur place. Ils sont remplacés par Théry et Laurent. Quant à Simonyi, il est momentanément mis à pied pour « manque d’activité » à Sète. McGowan, lui, est laissé au repos à l’issue d’une « éprouvante saison ». Voilà donc l’OL fort diminué, d’autnat que son entraîneur, le Belge Robert De Veen, confie à la Dernière Heure que ses joueurs viennent « sans enthousiasme ».
Le match est prévu à 20h00 ; le Grand Echo du Nord indique que les Lillois se mettent en route à 13h, et que « de nombreuses voitures automobiles et quelques autocars transporteront joueurs, dirigeants et supporters vers la capitale belge ». Une chose est donc sûre : aucun de ces Lillois n’est responsable de la disparition du panneau des « Juges intègres » des frères Van Eyck, qui a été volé dans la nuit du 10 au 11 avril dans la cathédrale de Gand. À ce jour, on ne l’a toujours pas retrouvé.
Voici la composition lilloise :
Défossé ;
Beaucourt (cap.), Théry ;
Meurisse, McGowan, Delassus ;
Decottignies, Lutterlock, Windner, Laurent, Béranger.
L’équipe proposée par le Comité Belge de Sélection :
Badjou (Daring Bruxelles) ;
Pappaert et Smellinckx (Union Saint-Gilloise) ;
Peeraer (Antwerp), Welkenhuysen et Claessens (Union Saint-Gilloise) ;
Versyp (FC Bruges), Voorhoof (Lierse), Lamoot (Daring Bruxelles), Vanden Eynde et Van Caelenberg (Union Saint-Gilloise), Van Beeck (Antwerp)
L’arbitre est néerlandais.
Et la lumière fût (de bière)
Au coup d’envoi, la nuit tombe. Mais pas de panique ! Ce match se joue en nocturne, une innovation depuis le début des années 1930 dans les stades les plus modernes. Si l’on en croit les premiers compte-rendu, la lumière artificielle nécessiterait un temps d’adaptation, dès lors favorable aux Belges. Ainsi, en 1932, le Sparta Prague, avant de passer par Lille, avait aussi joué au Heysel et ses joueurs s’étaient plaints de la lumière.
Or, selon le Grand Echo, « le football aux lumières ne semble pas particulièrement familier aux Lillois » : en effet, le début du match est brouillon, et le Soir note même un « jeu assez incohérent » de la part des Dogues. Le ciel s’assombrit un peu plus quand, à la 9e minute,Vanden Eynde trouve Van Beeck, qui remise vers Lamoot, qui crochète et conclut (1-0). Quelques instants après, une combinaison Versyp/Van Caelenberg aboutit encore (2-0 , 13e). « On put croire que les Français allaient au devant d’un écrasement » note le Grand Echo. Lille ne se montre guère dangereux, mais son gardien veille : « un « save » de Défossé est très applaudi » (Le Soir).
Juste avant la pause, les Lillois reviennent après une erreur de Classens dont profite Windner (2-1, 41e). On en reste là jusqu’à la pause.
Dès la reprise, Windener marque de nouveau, mais le but est justement refusé pour un hors-jeu. Ce n’est que partie remise pour les Dogues qui, après un centre de Béranger, égalisent par Decottignies (2-2, 61e).
Le Lillois Decottignies (à gauche), en janvier contre Sochaux (Miroir des Sports)
La Belgique prend alors le jeu à son compte. Défossé repousse quelques assauts, puis est sauvé par sa transversale (64e). Mais une minute plus tard, Van Beeck trouve Vandern Eynde, qui conclut du gauche (3-2, 65e). Limités, les Dogues cèdent de nouveau après un cafouillage dont profite Van Caelenberg (4-2, 79e).
On croit alors le match plié, mais Laurent surprend tout le monde en crochetant puis en frappant de loin (4-3, 86e). Les dernières minutes sont marquées par quelques cafouillages devant le but belge, et il s’en faut de peu pour que Badjou n’aille chercher le ballon au fond de ses filets une quatrième fois, ce qui pour un Belge équivaut à une fois + une fois + une fois + une fois. Les Belges s’imposent 4-3.
Les deux équipes en avril 1934 (La Dernière Heure)
Les presses nordiste et belge s’accordent : pour la première, « le jeu ne fut guère de grande classe », « rares furent les instants où il dépassa une honnête moyenne » ; pour la seconde, « ce n’est que par instants que la rencontre a été intéressante » (La Dernière Heure). Selon elle, l’OL « n’a pas laissé l’impression d’une forte équipe », est « bon en technique mais lent en exécution », mais a de solides circonstances atténuantes en raison des nombreuses absences dans son effectif.
Ainsi s’achève la première opposition entre l’OL et une sélection nationale. Dans les jours qui suivent, les Lillois s’inclinent de nouveau face à Sète, cette fois en championnat (0-1). Les Dogues finiront quatrièmes du championnat, à seulement deux points de Sète, et derrière le Sporting Club de Fives (deuxième).
Un « match-revanche » est mis en place en mai 1935. Cette fois, il est parfois fait mention de l’équipe « B » des Diables, sans que ce ne soit très clair. Au stade Victor-Boucquey, Dogues et Diables se séparent sur un 2-2.
Après-guerre, en 1946, le LOSC se rendra à Saint-Gilles pour y affronter, très explicitement cette fois, l’équipe « B » de Belgique.
Note :
1 A cette époque, il existe plusieurs fédérations de football sur le territoire national. L’OL appartient à l’USFSA – Union des Sociétés Sportives de Sports Athlétiques – et c’est cette fédération qui représente la France auprès de la FIFA. Son représentant est d’ailleurs André Billy, le président de l’Olympique Lillois. Or, en 1908, Billy, défenseur de l’amateurisme, croit pouvoir faire un putsch auprès de la FIFA, défenseure d’une professionnalisation. En démissionnant , il pense emporter avec lui de nombreux soutiens étrangers. Sauf que pas grand monde ne le suit, et l’USFSA est exclue de la FIFA. C’est une autre fédération qui représente alors la France. Concrètement, cela interdit désormais à l’USFSA d’organiser des rencontres internationales.
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