Posté le 24 janvier 2025 - par dbclosc
1961, première nocturne : Henri-Jooris sous le feu des projecteurs
Après des décennies où la question de la lumière du jour est une contrainte pour organiser un match, le LOSC entrevoit la lumière en juin 1961, à l’occasion d’un match amical contre les Brésiliens de Porto Alegre : le stade Henri-Jooris inaugure son éclairage électrique. Mais, dans ces années de marasme, le LOSC ne voit pas encore très clair.
Remontons le temps :
_En janvier 1913, le match Olympique Lillois/Boulogne-sur-mer se termine à la 81e minute. En accord avec les deux équipes, le score de 9-3 pour les Lillois est officiellement entériné.
_En novembre 1913, en coupe du Nord, l’Amical Club Lillois et Fives en sont à 2-2. Une première prolongation est jouée, mais le score n’évolue pas. Le règlement prévoit alors qu’il faut jouer une deuxième prolongation. Mais l’arbitre et les équipes s’entendent pour la jouer un autre jour.
_En avril 1914, un « tournoi de Pâques » met aux prises sur deux jours l’Olympique Lillois, le Sporting Club de Courtrai (Belgique), Het Zesde Breda (Pays-Bas) et Croydon (Angleterre). En finale, Néerlandais et Anglais ne parviennent pas à se départager. Alors, prolongation, comme le prévoit le règlement ? Non, on s’arrête là. Et comme les équipes étrangères doivent rentrer chez elles, les organisateurs décident de ne pas attribuer la coupe : « force fut de remplacer la coupe par 22 breloques offertes aux finalistes » (La Vie Sportive du Nord et du Pas-de-Calais, 18 avril).
On pourrait ainsi multiplier les exemples issus de la presse, jusqu’à la fin des années 1920, qui racontent la fin prématurée d’un match, ou le report à une date ultérieure d’une prolongation.
Le point commun de ces événements ? La tombée de la nuit.
Dans le premier cas, malgré un coup d’envoi à 15h qui aurait dû garantir 90 minutes de jeu, le stade de l’avenue de Dunkerque est balayé par une tempête. Couplée au coucher précoce du soleil en plein hiver, elle provoque l’interruption du match. Etant donné le score, « à la demande des visiteurs, qui veulent regagner Boulogne le plus tôt possible, la seconde mi-temps est écourtée de 9 minutes » (Le Grand Hebdomadaire Illustré).
Dans le deuxième cas, également à une période où les journées sont courtes, la première prolongation s’achève à la tombée de la nuit, et il n’est pas possible de poursuivre.
Dans le troisième cas, nous sommes au printemps. En raison d’une course à l’hippodrome situé à côté du stade de l’avenue de Dunkerque, les organisateurs du tournoi ont retardé le coup d’envoi de la finale, afin que les amateurs de chevaux puissent également assister au match Breda/Croydon. Dès lors, même avec un coucher de soleil aux alentours de 21h en cette saison, le décalage de l’horaire de la finale n’a pas permis de jouer la prolongation : il faisait déjà nuit.
Plus récemment, on se rappelle qu’en décembre 1985, le match Lille/PSG fut interrompu (puis rejoué) à cause d’une panne de courant en ville ; en janvier 1997, le coup d’envoi de Lille/Bordeaux a été décalé en raison de la panne de deux projecteurs ; puis en novembre 1997, Lille/Caen, en prolongation (coupe de la Ligue), a été interrompu en prolongation pour la même raison.
On le comprend aisément : comme pour la grande majorité des activités humaines, le football a besoin de clarté pour être pratiqué, sans quoi on ne voit rien. Dans une telle situation, joueurs, arbitres, spectateurs et journalistes sont bien en peine de s’adonner ou d’observer leur loisir favori. C’est ce que regrette un journaliste de l’Auto le 29 novembre 1920 : la veille, un match entre le Stade Roubaisien et l’Olympique Lillois a été interrompu en seconde période durant de longues minutes en raison de bagarres entre joueurs, puis d’un envahissement de terrain. Le temps que tout revienne à peu près dans l’ordre, le soleil avait quasiment disparu. Mais, cette fois, le match a repris et est allé à son terme, malgré la disparition de la lumière du jour. Seulement, « malgré toute la bonne volonté qu’on puisse y mettre, il n’[était] plus possible de distinguer la balle ».
Le football s’est longtemps pratiqué le jour, en l’occurrence l’après-midi. Sa banalisation en soirée est relativement récente – avant qu’un mouvement inverse ne se produise dans les années 2000 avec le saucissonnage des journées de championnat pour maximiser le temps de retransmission télévisée – et correspond à la généralisation de la lumière artificielle dans les stades, qui elle-même conduit à un nouveau rapport au football, et par extension à l’organisation du week-end des amateurs de football.
Au niveau lillois, la première rencontre jouée en nocturne par un club de la ville remonte probablement à 1934, quand les Dogues de l’Olympique Lillois se sont rendus à Bruxelles pour y affronter l’équipe de Belgique. C’est un peu moins de 30 ans plus tard que le terrain de l’OL, devenu celui du LOSC, va pouvoir lui aussi accueillir des adversaires de nuit. Nous sommes à la fin de la saison 1960/1961, et le vieux stade lillois se dote de projecteurs.
Pour la Voix du Nord, l’installation électrique dont va bénéficier le stade Henri-Jooris est le « dernier cri de la technique française » (3 juin). Grâce un un « gros effort de la municipalité », deux poteaux de 41 mètres vont être érigés côté sud-est, avec 12 lampes de 3 000 watts sur chaque pylône. Cette installation est considérée comme « la plus moderne de France » et « la plus haute ». Sur ce dernier point, c’est sans doute oublier un peu vite la Tour Eiffel. En attendant l’inauguration, prévue le 7 juin, « les techniciens de Mazda règlent les projecteurs ». Mais pourquoi donc installer des projecteurs, alors qu’il ne fait pas davantage nuit qu’à d’autres époques ?
Une vue du stade Henri-Jooris, avant 1961, si vous suivez bien
Si l’on en croit quelques papiers dans la Voix du Nord, les goûts et les pratiques du public évoluent, notamment en raison de deux facteurs : « automobile » et « télévision ». Appliqués au football, ces deux facteurs dessinent deux tendances contradictoires pour les spectateurs : d’un côté, ils peuvent davantage se déplacer au stade (automobile) ; de l’autre, ils ont aussi la possibilité de glandouiller chez eux (télévision). Mais les retransmissions télévisées de football à cette époque sont très rares et, sur ce point, le football subit plutôt la concurrence d’autres sports, comme le vélo. Par exemple, lors du Paris-Roubaix 1961 (télévisé) devait se jouer au même moment le match LOSC/CORT (D2). Les dirigeants nordistes se sont alors entendus pour avancer le match au samedi. Bien leur a pris, selon eux, puisque 7 000 personnes ont assisté au match ; ils estiment que ce chiffre aurait été moindre si le match avait été maintenu le dimanche. Et pendant la course cycliste, le match Valenciennes/Lens (D1) a quant à lui été maintenu : là aussi, 7 000 personnes ont assisté au match, mais ce chiffre a déçu les dirigeants de VA qui ont estimé que la télévision leur avait « coûté » 3 000 spectateurs.
Ignacio Prieto choisit un Telefunken et assiste au coup d’Etat au Chili le 11 septembre 1973, décalé en semaine
Bref, les pratiques de consommation, les pratiques culturelles, et sans doute d’autres facteurs liés aux évolutions du monde du travail, changent, et le football doit s’y adapter s’il veut maintenir son public. Puisque le créneau du dimanche après-midi risque d’être encombré, on envisage désormais de jouer le samedi, et pourquoi pas le soir. D’ailleurs, mi-mai, les dirigeants du LOSC ont fait un autre test, en avançant Lille-Marseille au samedi 13 mai, car ils craignaient d’être concurrencés par les communions solennelles d’un week-end prolongé. 4 500 spectateurs étaient alors venus à Henri-Jooris et le tandem présidentiel Pierre Klès et Roger Deschodt disait : « nous n’aurions sans doute pas atteint un tel chiffre le dimanche ». Le LOSC remet ça le samedi 20, contre Strasbourg.
Sondant ses lecteurs, la Voix du Nord rapporte que le samedi après-midi convient aux amateurs de sport, qui peuvent dès lors pratiquer le dimanche ; en revanche, les commerçants, qui sont rarement contents de quoi que ce soit, sont plus rétifs. Le samedi soir fait quasiment l’unanimité, hormis du côté de Lens, où ce moment ôte à deux postes de mineur la possibilité d’assister aux rencontres. Spécificités locales mises à part, on se dirige vers une pratique du football le samedi, ceci entérinant les évolutions évoquées plus haut.
Le fait que le LOSC se montre à la pointe technologique ne masque pas les difficultés du club. Le club vient de terminer la saison à la 9e place de la deuxième division. Dès le mois de mai, Pierre Klès annonce qu’il n’y aura pas de recrue. Et que si Vandooren, l’entraîneur, veut rester, ce sera pour s’occuper des jeunes. Autrement dit, il est invité à trouver un nouveau travail. Le comité directeur officialise le départ de l’ex-taulier de l’OL fin mai, résumé dans ce communiqué : « à la suite d’un entretien avec le président du LOSC, nous vous informons que Jules Vandooren n’entraînera plus le LOSC à dater du 1er juillet 1961 ». L’éclairage nocturne est donc loin d’être une cerise sur un gâteau, mais résulte d’« une volonté de refaire du LOSC un club correct » : cela permettrait de « faire venir des Allemands, des Yougoslaves, des Espagnols », « même si ce n’est pas la fine fleur nationale » qui elle est bien trop chère pour les Dogues (15 millions pour faire venir le Real Madrid).
Le LOSC a trouvé un adversaire intéressant, malgré la difficulté à libérer des clubs aux calendriers bien fournis : il a longtemps été question de Fluminense ou de Saragosse, mais ce sera Porto Alegre, également en tournée en Europe. Ce club brésilien est champion de sa province ce qui, vu d’ici, ne nous renseigne pas beaucoup. On comprend davantage le niveau de l’équipe en considérant qu’elle comporte 8 internationaux (A et B), dont le champion du monde Orlando, a battu à Hambourg l’équipe nationale de Bulgarie 5-1, et n’a été battu à Strasbourg par le Real Madrid « que » 4 à 1. Pour la Voix du Nord, les Brésiliens sont d’« incomparables techniciens » ; « ils ont du football une conception différente de la nôtre. Tout, chez eux, est sacrifié au spectacle, à la beauté du geste, et à l’élégance de l’action ».
Allègre Porto
Pour mettre toutes les chances de leur côté, les Lillois effectuent quelques entraînements en nocturne à partir de la fin mai. En effet, existe une croyance selon laquelle jouer de nuit demanderait d’autres qualités que jouer de jour, ou demanderait a minima un temps d’adaptation. C’est déjà ce qu’on retrouvait dans la presse des années 1930 : quand, en 1932, le Sparta Prague est venu jouer à Lille, le Grand Echo indiquait que, quelques jours avant, en jouant à Bruxelles, les Tchèques s’étaient plaints des lumières toutes neuves du Stade du Heysel. De la même manière, le déplacement des Dogues dans la capitale belge en 1934 avait conduit le quotidien à attribuer le début de match laborieux de l’OL à un problème d’accoutumance à l’éclairage artificiel. Dans quelle mesure étayer ou non la véracité de cette croyance ? Impossible de le savoir.
En ce 8 juin 1961, le lumineux événement est doublé d’un autre : juste avant le match, à 18h30, le nom du nouvel entraîneur du LOSC sera dévoilé. Sans surprise, Jean Baratte, 38 ans, fait son retour. Depuis les tribunes, il pourra voir évoluer le lensois et international Français Maryan Wisniewski, qui vient renforcer le LOSC (juste pour ce match). En revanche, Yvon Douis, en partance pour Le Havre, n’est pas là.
Pierre Klès et Jean Baratte
La Voix du Nord, 9 juin 1961
Après un nul en lever de rideau entre les juniors de Lille et de Lens (6-6), c’est la « foule des très grands jours » à Henri-Jooris (9 800 spectateurs) pour une « inauguration majestueuse ». Le match commence à 21h. Si la lumière naturelle est d’abord suffisante, le public lillois, impatient de voir son stade éclairé, crie « lumière, lumière ! »
Baratto a dû déclarer forfait et est remplacé par Montagne
Sur le terrain, l’« équipe lilloise est dépassée par le rythme de la rencontre » : après 23 minutes, le score est déjà de 0-3. À la pause, c’est 0-4 : « la grande force de cette équipe, comme d’ailleurs de toutes les équipes brésiliennes, est de trouver à tout moment et en attaque comme en défense, trois joueurs autour du ballon, à tel point que Porto Alegre a toujours 6 joueurs qui se trouvent à la fois en défense et en attaque. Evidemment, cela suppose chez tous les joueurs de l’équipe des courses incessantes et un dévouement absolument magnifique ».
Photo Jacques Verhaeghe
Pour la deuxième période, Walczak et Thétard entrent aux places de Fatoux et Montagne. Résultat immédiat : 0-6 après 51 minutes.
Alors que l’éclairage démontre désormais toute son utilité, une éclaircie se produit aussi sur le terrain : Chiarelli frappe sur le poteau (54e) ! Puis « Milton envoie dans des conditions inattendues un bolide sensationnel de puissance qui tape la barre et qui rentre (0-7, 67e). En fin de match, Walzack profite d’une mésentente (à moins qu’il ne s’agisse d’une généreuse entente) entre Elon et le gardien pour piquer le ballon et marquer pour les Dogues (1-7, 82e).
La saison se termine par 3 matches amicaux : 6-1 à Bailleul, 2-2 contre Rot Weiss, et surprenante victoire 3-0 à Lens.
Personne ne reproche aux Lillois d’avoir lourdement perdu face aux Brésiliens mais, au-delà de ce match, le chantier est immense pour Jean Baratte. Un an plus tard, après une nouvelle saison sportivement moyenne, les difficultés financières sont telles qu’une fusion avec Sedan est sérieusement envisagée. Il faudra bien du temps au LOSC pour revêtir ses habits de lumière.
Laisser un commentaire
Vous pouvez vous exprimer.
0 commentaire
Nous aimerions connaître la vôtre!