Archive pour la catégorie ‘Derbys du Nord’
Posté le 10 mai 2022 - par dbclosc
Lille/Boulogne 1974 : le derby traîne dans la boue
En janvier 1974, Lille et Boulogne-sur-mer, en course pour la montée, s’affrontent au stade Henri-Jooris. Sur un terrain en piteux état, les deux équipes offrent un spectacle sévèrement jugé par la presse régionale, qui rappelle qu’historiquement, les rivalités régionales sont diverses.
Après être redescendu au niveau amateur en 1969, le LOSC a entrepris son renouveau et se retrouve de nouveau dans l’élite dès 1971. Mais le club retrouve la division 2 en 1972, et se classe troisième à l’issue de cette saison, laissant Lens retrouver l’élite, et Boulogne jouer les barrages. À l’aube de la saison 1973/1974, la situation est claire : le LOSC ne peut pas se permettre de rester à ce niveau et doit remonter.
Pour ce faire, les Dogues enregistrent l’arrivée d’Hervé Gauthier au poste d’ailier droit. L’équipe est quantitativement réduite, avec les départs de Bajic, Chouvin, Delangre, Loup, Levasseur et Baraffe. Mais les jeunes Tony Gianquinto (22 ans), Patrick Deschodt (21 ans) et Gabriel Desmenez (19 ans) sont amenés à jouer les premiers rôles. La saison verra notamment des confrontations régionales contre Valenciennes et Boulogne, également candidats à la montée.
Malheureusement, le début de saison est loin des espérances côté lillois : après un nul inaugural contre le promu La Rochelle (0-0), Lille parvient à battre Lorient (1-0), puis s’incline à Boulogne (1-3). Deux buts marqués en trois matches, c’est bien insuffisant, et c’est embêtant dans une saison où un point supplémentaire est accordé aux équipes qui marquent au moins trois buts par match. La défaite à Boulogne scelle le sort de René Gardien : contesté par certains joueurs et déjà invité à la démission par le public d’Henri-Jooris lors du premier match, il est écarté. Pour le replacer, le LOSC fait appel à un de ses anciens joueurs : Georges Peyroche qui, quelques jours avant sa nomination, était encore double buteur en D3 avec son club de Fossemagne (Dordogne).
Max Pommerolle et Georges Peyroche (La Voix du Nord, 8 septembre 1973)
Avec son nouvel entraîneur, le LOSC a retrouvé un standing plus proche de ses ambitions : juste avant Noël, il a même signé un gros coup en s’imposant dans le derby à Valenciennes. Avant de recevoir Boulogne, les Dogues sont très bien placés dans le haut de tableau… à égalité avec Boulogne. Surtout, le LOSC reste sur une très belle série : depuis une défaite à Rouen le 12 octobre, il est invaincu. Ce derby apparaît donc comme « un virage majeur et le club qui en sortira le premier s’offrira de grandes chances pour la dernière ligne droite » (La Voix du Nord, 12 janvier 1974). Pour le quotidien nordiste, grâce au soutien de son public, le LOSC est favori. Mais la Voix souligne que depuis le retour du professionnalisme à Lille, Boulogne n’y a pas perdu, avec deux nuls en 1971 (1-1) puis en 1973 (2-2). En outre, les Boulonnais ne sont pas maladroits à l’extérieur puisque, en huit rencontres, ils ont signé quatre victoires et deux nuls.
À Boulogne, manque à l’appel le « jeune et talentueux » Bruno Dupuis, qui est à l’hôpital militaire de Lille (service médecine, salle 4, chambre 11) depuis trois semaines et pour un mois encore, à cause d’un virus qui lui cause de graves crises de rhumatismes articulaires.
Le LOSC est au complet, même si le groupe est affaibli car trois joueurs « sont minés par le ver solitaire » : Iché l’a expulsé il y a 15 jours, Dusé a maigri de 5 kilos et s’est séparé du sien dimanche dernier, et Noguès vit avec et a déjà perdu trois kilos. Face à ce mal, la Voix du Nord donne le remède : « pour éliminer un ver solitaire, il y a toujours un moyen : c’est de lui en adjoindre un second, afin qu’il ne soit plus seul ».
Dans les tribunes, parmi les 13 364 spectateurs, les joueurs lensois et troyens, qui s’affrontent le lendemain, sont présents, de même que d’anciens Dogues comme Zamparini, Baratte, Staho et Bourgeois. Tout semble donc réuni pour voir un beau derby. La Voix du Nord n’a qu’une crainte : « souhaitons que l’importance de l’enjeu ne fasse pas perdre de vue aux acteurs les règles du fair-play. Le terrain sera gras, propice aux tacles longs et dangereux. Mais comme Lillois et Boulonnais savent pertinemment qu’un match trouve sa vraie valeur dans la correction, nous avons confiance… »
Le LOSC, 12 janvier 1974 (La Voix du Nord)
Finalement, comme le regrette la Voix du Nord, l’après-midi fut ratée : « c’est chaque fois la même chose ! On attend monts et merveilles d’un derby… et le match est médiocre, tendu, amer pour ne pas dire acide (…) Le derby se déroula dans une ambiance détestable, où la comédie parfois poussée au grotesque côtoya le drame (…) mauvais esprit de part et d’autre (…) dans de telles conditions, le football ne pouvait être brillant. Il ne le fut pas » (13 et 14 janvier 1974). Revenons sur les faits principaux du match.
Un terrain quasi-impraticable
La première péripétie est cocasse. Le match a débuté avec 7 minutes de retard. En cause, l’état du terrain, « affreux », « extrêmement boueux » : le concierge, en dernière minute, a dû répandre du sable dans les buts et n’avait pas fini de tracer les lignes à l’heure initiale du coup d’envoi… « sous les rires narquois du public, on vit Dusé tenir le décamètre tandis que le concierge traçait à la poudre blanche le point de pénalty à 9 mètres 15 ». Dans ce véritable « bourbier », difficile de construire quoi que ce soit. Les journaux notent que seuls Coste et Riefa sont parvenus, par leurs énergiques pénétrations, à se défaire de ces conditions de jeu. Cela étant, « la pelouse ne saurait être tenue pour seule responsable de la piètre qualité du spectacle ».
Des buts qui révèlent les approximations techniques des équipes
Le score de 2-2 pourrait laisser penser que le match a été de qualité. La Voix du Nord note néanmoins que les buts « n’enthousiasmèrent même pas » car « ils découlent tous d’erreurs défensives ». On note ainsi des défenseurs lillois « mal inspirés, trop souvent pris de panique », et apparemment perturbés par les fréquentes permutations des attaquants boulonnais Fuchs, Edom et Rether. « Le marquage était lâche, les passes de relance imprécises » : sur l’une d’elles, adressée par Le Roux à Verhoeve, Edom intercepte et file au but ; Iché hésite à aller au duel, et l’attaquant boulonnais pénètre dans la surface. Il sert sur sa gauche Navarro, qui a couru parallèlement à son coéquipier. Sa frappe sèche fait mouche (0-1, 10e).
Par la suite, Riefa est crocheté par Deschamps dans la surface : Prieto égalise sur pénalty (1-1, 22e). Boulogne, qui a décidé de jouer le contre, progresse vite vers l’avant : Rother centre, où ne se trouvent que deux Lillois, Iché et Gianquinto ; « dans un bel ensemble », ils sautent tous deux pour dégager, mais se heurtent. Le ballon retombe à 15 mètres du but sur Fuchs, qui ne se fait pas prier pour tromper Dusé (1-2, 32e). Juste avant la pause, Coste profite d’une déviation involontaire de Pelletier, qui le remet en position licite alors qu’il était hors-jeu. L’attaquant du LOSC, excentré sur la ligne de but, tente alors un lob du pointu « dans un angle impossible » : le ballon part vers la lucarne opposée, tape le poteau et entre ! Un but si « invraisemblable » qu’on se demande s’il est marqué volontairement (2-2, 45e + 3).
De nombreuses fautes et un blessé grave
« On côtoya les limites de la brutalité » pour la Voix du Nord. Dès le début du match, quelques tacles appuyés sont venus donner le ton. Rother, l’ailier boulonnais, a particulièrement été ciblé par les Lillois ; voulant répliquer, c’est finalement lui qui prend un avertissement. Justz avant la pause, pris en sandwich entre N’Diaye et Iché, il ne se relève pas, victime d’une fracture tibia-péroné. Si, pour le coup, la lutte a été régulière et que la blessure est malheureuse, « cet accident ne fit qu’augmenter les rancoeurs ». D’autant que le LOSC égalise au cours des arrêts de jeu provoqués par cette blessure, au moment où Boulogne était à 10.
Avec la sortie de Rother, Boulogne s’est contenté de défendre en seconde période. Delattre, entré en jeu a été « un peu dépassé » « dans ce match infernal », « cette galère » et n’a jamais osé aller au contact car il a joué sans protège-tibia. La raison ? « Il ne les supporte pas ». Ah bon.
Quant à Noguès, l’attaquant Lillois, « à chacun de ses départs il était cisaillé par les défenseurs centraux boulonnais ».
Un mauvais état d’esprit
Les comptes-rendus de la Voix du Nord et de la Voix des Sports font état d’incessantes discussions et invectives entre joueurs, qui illustrent des faits de match parfois étonnants. Ainsi, au moment où Prieto s’apprêtait à tirer son pénalty, Edom a lancé une boulette de terre sur le ballon. Le Chilien, après avoir marqué un temps d’arrêt, ne s’est pas démonté et a calmement marqué. Après le match, Conrath, le gardien boulonnais, a regretté d’avoir manqué la balle car elle « a ricoché sur une motte de terre ». « On est toujours puni par où l’on a péché » s’amuse la Voix du Nord.
Dès la pause, l’arbitre, Jean-Pierre Meeus, qui vient de Dourges, a convoqué les deux capitaines (Prieto et Pelletier) dans son vestiaire et leur aurait dit : « calmez-vous, ou je sortirai deux ou trois joueurs ». Si l’arbitre n’expulsera personne, la seconde période a été tout autant détestable avec, par exemple un incident entre Edom et Prieto : « nargué par le Chilien, Edom, qui effectuait alors une rentrée en touche, envoya le ballon sur la tête de son adversaire qui, après un court instant de réflexion, se laissa tomber dans un large moulinet de bras ». Carton jaune pour Edom : « je me suis énervé plus d’une fois et j’ai eu tort. Mais Prieto me faisait un cirque… Je n’aurais pas dû lui jeter le ballon dans la figure. Mais croyez-vous que j’étais le seul à mériter un avertissement ? ». Et en effet, la Voix des Sports stigmatise le comportement de Prieto : « il semblait prendre le stade Jooris pour un théâtre bouffon et jouait à arbitre et adversaires les mauvaises scènes du football sud-américain, et n’intervenait dans le jeu que par intermittences. Ses ouvertures étaient belles, certes, mais trop épisodiques ».
L’arbitre, dont on dit qu’il a été très affecté par la tournure du match et la blessure d’un joueur, il est tout autant navré : « quel sale match à arbitrer ! Trop de règlements de comptes, de chinoiseries… Que pouvais-je faire de mieux ? Je suis désolé que des joueurs professionnels aient osé se livrer à un tel cinéma. De part et d’autre un mauvais esprit n’a cessé de régner. Diriger un match dans de telles conditions n’a rien d’une sinécure ».
Dans l’immédiat, ce nul n’est ni une bonne, ni une mauvaise affaire pour Lille et Boulogne. Les deux équipes restent en course pour accéder la D1, mais Lille serait bien inspiré de marquer parfois 3 buts, pour espérer le bonus offensif. Mais à l’arrivée, le derby a été « un gâchis de football » et « laisse un goût amer ». Les qualificatifs dépréciatifs ne manquent pas : « heurté », « désagréable », « triste ». La Voix des Sports rappelle que la même confrontation, trois ans auparavant, avait présenté le même type de spectacle. L’arbitre, M. Wurtz « n’avait pu contenir les joueurs et avait failli stopper le match » ; « décidément, ces deux équipes ne savent pas s’affronter en un combat loyal ».
En effet, le déroulement de ce match de 1974 rappelle finalement que, historiquement (dès les années 1900), les rivalités régionales se situent surtout entre « terriens » (Lille, Roubaix, Tourcoing), « maritimes » (Dunkerque-Malo, Calais, Boulogne) et « artésiens » (Lens, Arras, Béthune, Bully, Noeux, Auchel), et que ces divisions territoriales reflètent autant qu’elles créent des différences identitaires, sur lesquelles se greffent parfois des choix structurels (amateurisme ou amateurisme marron), des différences socio-économiques et, surtout, des représentations sociales plus ou moins fantasmées.
Posté le 4 janvier 2022 - par dbclosc
Lille s’agrippe à la coupe
Après s’être affrontés lors de la finale 1948, Lens et Lille se retrouvent en janvier 1949 en 32e de finale de l’édition 1949. Mais l’affiche a du mal à passionner les foules : d’abord parce qu’elle arrive sans doute trop précocement dans la compétition, et ensuite parce qu’une épidémie de grippe se propage à une vitesse inquiétante dans le pays.
« Les amateurs d’émotions fortes et de matches sensationnels – prématurés au goût de certains – n’envisageaient pas de se voir offrir aussi tôt la réédition de la dernière finale » lit-on dans Nord-matin Sports le 8 janvier 1949 : en effet, en ce jour, Lillois et Lensois se retrouvent, 8 mois après la victoire des premiers sur les seconds, en finale.
La finale de 1948 (But, 10 mai 1948)
Cette confrontation, à ce stade de la compétition, n’aurait pas été possible quelques années en arrière : d’abord parce que le LOSC n’existait pas en tant que tel ; et ensuite parce que le principe du tirage au sort intégral dès les 32e de finale de la coupe de France n’a été adopté qu’en avril 1947 par le conseil national de la FFF. Auparavant, la fédé déterminait elle-même les affiches : officiellement pour proposer des matches favorisant la proximité géographique et donc la réduction des coûts de transports ; officieusement pour protéger les « gros » et maximiser les chances d’avoir de belles affiches pour la fin de la compétition. Voilà comment comprendre le propos lu dans Nord-Matin Hebdo, et « voilà ce qu’il est bien permis d’appeler un tirage au sort malin » ajoute l’hebdo. Pour la Croix du Nord, ce match est un choc « atomique » (8 janvier 1949). Le match se jouera sur terrain « neutre », au stade Amédée-Prouvost de Wattrelos, là où a joué l’Excelsior de Roubaix de 1928 à 1945, et où joue le Club Olympique Roubaix-Tourcoing, champion de France 1947, depuis 1945.
Nord-Matin Sports, 8 janvier 1949
Où en sont les deux équipes, quelques mois après cette finale « nordiste » (la deuxième, après le Roubaix/Roubaix de 1933) ?
Le LOSC va bien : quelques jours auparavant, il a repris la tête de la « division nationale » après une écrasante victoire contre Colmar : 8-0, avec un triplé de Jean Baratte ! Les Dogues sont désormais invaincus depuis 2 mois, jouent un football offensif et rapide, et le titre semble devoir désormais se disputer entre Lille, Reims et Marseille. Admirative, la Voix du Nord note : « on cherche en vain quelles sont les failles de la formation nordiste », même si l’adversité a été « d’une insigne faiblesse constructive » (4 janvier). Durant la semaine qui précède le match contre Lens, le journal L’Équipe tresse des lauriers à l’attaque lilloise (4 janvier) puis à sa défense (5 janvier), et clame tout le bien qu’il pense de la formation lilloise : « heureuses gens qui, à mi-parcours d’un âpre championnat, disposent d’hommes en aussi belle forme que Baratte, Tempowski, Vandooren, Dubreucq, Sommerlynck et Nuevo ; qui voient des jeunes tels que Strappe et Walter éclater dès les premières passes d’armes ; qui ont un ancien tel que Jadrejak capable de remonter irrésistiblement le rapide Lechantre (un remplaçant dont se régaleraient tous les autres clubs de France) ; qui peuvent enfin se permettre de désigner leur goal à la courte paille, la longue étant pour Witkowski ». Au final, « il ne semble pas possible que la synthèse lilloise puisse rétrocéder, dimanche, ses droits de propriété sur l’objet d’art qu’elle détient depuis 3 ans ».
Le classement de D1 après 21 journées (La Voix du Nord, 4 janvier 1949)
La référence au gardien de but tiré « à la courte paille » semble à peine caricaturale : le 8 janvier, le quotidien sportif place en Une un exercice de l’entraînement du LOSC à l’issue duquel est désigné le prochain titulaire. Félix Witkowski ayant « mieux plongé » que Robert Germain, c’est Witkowski qui gardera la cage lilloise.
Seule inquiétude du côté Lillois : le LOSC est favori, et se retrouve en outre dans la position de celui qui a un trophée à défendre. Comme le résume le président Louis Henno, « Lens n’aura rien à perdre dans l’affaire. Tandis que nous... ».
Lille est d’autant plus favori que Lens est en D2, après sa descente en 1947. Avant ce match contre le LOSC, les Sang & Or sont deuxièmes de leur championnat, avec un atout considérable : sa défense, qui n’a encaissé que 10 buts. Une défense qui est d’ailleurs composée d’anciens attaquants, puisqu’en 1939, Lens jouait avec Ourdouillié, Spechtl, Stanis, Siklo et Melul devant ; en 1949, Ourdouillié, Siklo et Melul jouent derrière, et seul Stanis a gardé son poste d’attaquant (Spetchl a terminé sa carrière). C’est « le plus ancien carré du football professionnel » selon L’Équipe.
Mais Lens fait de la montée sa priorité. Dès lors, ce 32e contre ce qui ressemble à la meilleure équipe française du moment n’a pas l’air de mobiliser outre mesure les Lensois. Comme l’affirme leur président, Louis Brossart : « nous irons à Roubaix le cœur léger. Si nous sommes battus, nous le serons par la meilleure équipe du moment. L’essentiel pour nous est de garder intact l’atout que nous avons en championnat » (L’Équipe, 6 janvier). Le quotidien est même allé chercher des informations du côté du masseur de l’équipe lensoise, qui tient un discours assez prudent quant à la forme des « mineurs » : selon lui, Dehon, Gouillard, Gailis, Pachurka et Melul sont « à la limite du claquage. Ils ont fourni beaucoup d’efforts jusqu’à maintenant et le match qu’ils ont joué dimanche contre Amiens n’a pas arrangé les choses ». à la très délicate question du journaliste de L’Équipe (« alors, on perd dimanche ? »), Elias Melul répond toutefois : « qui vous a dit ça ? Il ne faut pas que les Lillois se figurent tout de même que nous allons jouer aux Colmariens ».
Le classement de D2 après 19 journées (La Voix du Nord, 4 janvier 1949)
Alors, la température monte dans le Nord ? Oui, mais pas que pour ce match. Le RCL a encore des doutes sur le fait que Ourdouillié et Nemeur puissent tenir leur place. En effet, ils ne se sont pas entraînés de la semaine car ils sont grippés et placés à l’isolement. Comme quoi on peut avoir une bonne défense, et peu de défenses immunitaires.
Les deux joueurs lensois ne sont pas les seuls touchés par la maladie : depuis plusieurs jours, la Voix du Nord fait état d’une épidémie de grippe venue d’Italie qui, jusqu’à tout début janvier, n’alarme pas les professionnels de santé. Seulement, la contagion est favorisée en raison par « le temps doux et humide que nous subissons depuis quelques jours » (6 janvier). Si, pour le moment, ce sont surtout Paris et l’Est du pays qui sont touchés, la région n’est pas encore l’objet d’inquiétude particulière : « à moins de complications toujours à craindre, le repos à la chambre, accompagné d’une médication appropriée, suffit à faire tomber la fièvre et à vaincre définitivement l’affection ».
La Voix du Nord, 6 janvier 1949
Interrogé par le quotidien régional, le docteur Costemend, sorti d’on ne sait où, rejette l’idée d’un vaccin, qui serait de toute façon inutile : « il existe bien un vaccin utilisé couramment aux Etats-Unis. Malheureusement, son application sur une grande échelle est actuellement impossible et ne confère une immunité ne dépassant guère plusieurs mois (…) Le meilleur moyen d’éviter la grippe, voyez-vous, est encore de se prémunir contre les refroidissements, de coucher dans une chambre saine, bien éclairée, modérément chauffée et exempte de ces vapeurs de cuisine qui, dans tant de taudis, humidifient l’atmosphère et le rendent propice à la multiplication des microbes et en particulier au virus grippal.
Un conseil encore : on a remarqué que la grippe s’attaquait de préférence aux individus atteint d’avitaminose ou, pour parler plus simplement, de personnes dont l’organisme était pauvre en vitamines. Absorbez donc le plus de vitamines possibles. Mangez des carottes crues râpées. C’est le légume qui en contient le plus. Et exposez-vous le plus possible à la lumière – au soleil quand il daigne briller – parce qu’en définitive ce sont les rayons solaires qui permettent la transformation du carotène en ces vitamines précieuses qui, mieux qu’un vaccin, éloigneront de vous la grippe et ses complications ».
© Les actualités françaises/INA
La semaine passe, et la contagion s’étend. Le 7, la Voix s’inquiète désormais de ce qui se passe dans le Sud du département, par où la grippe semble devoir investir le Nord : « l’épidémie de grippe qui règne actuellement dans le valenciennois atteint plus particulièrement les sujets âgés, sans toutefois épargner la jeunesse. Selon les docteurs de la région qui se trouvent débordés de travail, une telle épidémie ne se serait pas rencontrée depuis une dizaine d’années. Elle entraîne dans la plupart des cas des complications graves telles que broncho-pneumonie, congestion, prurit, etc. Les hôpitaux de la région regorgent de malades et, pour faire face à la situation, les directeurs de ces établissements ont dû transformer certaines salles, voire même des corridors, en chambres pouvant accueillir ces malades »
Nord-matin Sports, 8 janvier 1949
Le forfait d’Ourdouillié, malade, est confirmé. Le jour du match, la place réservée au match et à la grippe est sensiblement la même en Une de la Voix du Nord.
Mais les nouvelles concernant la grippe commencent à être inquiétantes au niveau national : sur décision du préfet de l’Orne, les écoles d’Alençon ferment du 7 au 17 janvier. Le Ministère de la santé publique et de la population recommande d’« appliquer de façon très stricte les mesures habituelles d’hygiène corporelle. Les lavages des mains, en particulier, doivent être fréquents ; de désinfecter les voies respiratoires. De plus, il convient autant que possible d’éviter des sorties inutiles et la fréquentation des lieux publics (…) En cas de fièvre, l’enfant doit être immédiatement isolé (…) Il est également recommandé à toute personne approchant un grippé ou un autre suspect de grippe de porter un masque (simple compresse rectangulaire de gaze recouvrant le nez et la bouche ».
Le match Lille/Lens est-il visé par les « sorties inutiles » ? À ce stade (Amédée-Prouvost), il n’existe pas de consigne spécifique par secteur d’activité, mais seulement le communiqué reproduit partiellement ci-dessous. Il n’empêche que la panique est proche : « voilà que la grippe a pénétré dans nos départements. De là à penser qu’elle va déferler sur nos populations, à établir un pourcentage de victimes, à la comparer à un redoutable fléau, il n’y avait qu’un pas à franchir ».
15 169 spectateurs, parmi lesquels « des milliers de supporters bruyants des deux camps » (L’Équipe), ont pris place dans un stade « archi-comble » selon la Voix des Sports. Mauvais présage, le temps est nuageux. En somme, le ciel est comme l’épidémie : gris pâle. Mais la température est largement inférieure à 38°.
Voici les équipes alignées :
Lille :
Witkowski ; Jadrejak, Sommerlynck, Nuévo ; Dubreucq, Carré ; Vandooren, Tempowski ; Strappe, Baratte, Walter.
Lens :
Duffuler ; Gouillard, Dehon, Melul ; Siklo, Maresh ; Nemeur, Gailis ; Stanis, Danko, Cryspin.
Logiquement, les Lillois sont les premiers à l’attaque avec Strappe, mais les Lensois ne sont pas en reste et répliquent par Melul ; « à de nombreuses reprises, Duffuler doit faire preuve d’une maestria sans pareille » note la Voix des Sports. Ainsi, les premières minutes du match semblent confirmer le rapport de forces annoncé. Cependant, le match est marqué par « une intensité de jeu, une ambiance vraiment peu communes » : les deux équipes jouent à la limite de la brutalité, surtout les Lillois, « qui ne dédaignent pas l’obstruction irrégulière » ; « nous avons déjà vu le Lille OSC jouer plus élégamment, nous ne l’avons jamais connu aussi dynamique, aussi ardent ». En face, il apparaît très vite que les Lensois ne sont pas venus pour faire de la figuration. Ils rendent coup pour coup : « il eut fallu voir quelle énergie, quelle vitalité les « Sang et Or » apportèrent à la bataille pour être persuadé de leur entier désir de victoire » (La Voix des Sports) ; « c’était bien une galéjade de prétendre que les Lensois s’intéressaient peu à la coupe. Lors qu’ils furent pris par l’ambiance, portés par leur innombrables supporters, les Sang & or n’eurent plus qu’un objectif : prendre leur revanche » (La Voix du Nord). L’Équipe, qui a relayé dans la semaine la prétendue prudence des Lensois semble surprise : « lorsqu’on nous affirmait cette semaine que les Lensois ne tenaient pas vraiment à la revanche de Colombes, on peut se demander ce qu’il en eût été s’ils y avaient vraiment tenu ».
Nord-Matin Sports, 15 janvier 1949
Au quart d’heure de jeu, les Artésiens sont proches de marquer : les passes « judicieuses » de Nemeur « donnent le frisson aux supporters lillois. Sur l’une d’elles, Danko a le but au bout du pied, mais le goal lillois lui subtilise la balle dans les jambes »
Peu après, le LOSC attaque : Baratte lance Walter. Duffuler, sorti de ses buts, parvient à détourner le ballon sur sa gauche, d’où Baratte surgit et place une frappe à mi-hauteur qui fait mouche, en dépit d’un retour désespéré de Melul (1-0, 18e).
La Voix du Nord, 11 janvier 1949
Dans la foulée, Walter manque le 2-0 en tergiversant face au but adverse. Lens, toujours aussi étonnamment affûté, réplique encore : Siklo traverse le terrain en largeur vers la gauche « ce qui oblige Dubreucq à surveiller l’avant-centre et Nuévo l’inter » (La Voix des Sports). Gailis se porte alors à l’aile droite, reçoit la balle de Siklo et bat Witkowski (1-1, 24e).
Nord-Matin Sports, 15 janvier 1949
La suite de la première période est une succession d’incorrections : « ce match dépassa les limites, et les coups de pieds, de poing furent innombrables. Toutes les ficelles du métier furent mises en pratique, et cela n’assura pas un niveau technique de première classe. En revanche, l’intérêt de la rencontre fut constant » (La Voix du Nord). L’arbitre, M. Delesalle, a fort à faire, et tant la presse régionale que la presse nationale saluent sa prestation. Le LOSC domine mais Baratte, identifié comme le danger n°1, est systématiquement pris par deux arrières. Signe de la domination lilloise : à la pause, les Dogues mènent par 7 corners à 0. La Voix des Sports considère que les attaquants lensois sont lents, tandis que les attaquants lillois « pressent les défenseurs lensois qui trouvent, grâce au corner, le moyen d’écarter un danger pressant ». En attendant, ils se cassent les dents : « le Lille OSC s’évertue à créer une brèche dans cette rangée de poids lourds que forment les trois arrières lensois » et qui constituent une bonne couverture, très utile en période de grippe. Les équipes sont à égalité à la mi-temps.
Nord-Matin Sports, 15 janvier 1949
Changement de physionomie en seconde période : cette fois, Lille domine outrageusement et ne laisse plus de possibilités de contre-attaques aux lensois. Le danger est de plus en plus fréquent sur le but lensois, et les attaques loscistes sont plus ordonnées : « toute la défense lensoise, ainsi que les demi-ailes, sont sur les boulets ». Vandooren croit libérer son équipe à la 65e, mais son but est refusé pour hors-jeu. Acculés en défense, multipliant les fautes, les lensois semblent proches de céder ; les Dogues poussent et tentent de créer des brèches pour le porteur de balle en crochetant les adversaires qui pourraient se trouver sur son chemin : « la valeur athlétique l’emporte alors sur la valeur technique ».
Tout ceci est bien entendu parfaitement régulier
Nord-Matin Sports, 15 janvier 1949
Lille poursuit sa domination et, sur un 12e corner (contre 2), « Tempowski, pris en sandwich par les arrières adverses, parvient à glisser la balle à Strappe, dont le tir est impardonnable pour Duffuler. Dès lors, c’en est fini des espoirs lensois » (2-1, 73e).
Lens semble dès lors incapable de rivaliser. À quelques minutes du terme, Siklo et Tempowski, « gagnés par l’énervement, se livrèrent à un combat singulier ». L’arbitre considère que la première faute est lensoise, ce qui donne un coup-franc bien placé que frappe Carré. Duffuler, masqué, repousse, mais Vandooren suit et conclut de la tête (3-1, 88e). Le LOSC se qualifie pour les 16e de finale.
La Voix des Sports, 10 janvier 1949
Dans la presse, on souligne une partie « rapide, animée, crispante même par instants, elle fut empreinte d’un maximum d’ardeur » (L’Équipe) ; le « caractère passionné de la rencontre », un match « joué dans une ambiance « derby du Nord » vraiment prenante » (La Voix du Nord). 35 fautes ont été commises, ce qui est perçu comme un chiffre considérable reflétant la brutalité du jeu. Et en effet, en lisant la description de certaines actions, on croit comprendre que l’arbitre ne siffle qu’en dernier recours, et que les règlements de compte individuels sont tolérés, ou seulement sanctionnés par une réprimande verbale. D’ailleurs, les Lensois « ne contestèrent pas cette victoire, mais ils s’insurgèrent contre la manière forte employée par les Lillois ».
La prestation des deux équipes est saluée : Lens a proposé un beau visage en première période, avant de résister jusqu’au dernier quart d’heure. Les Sang & Or semblent avoir pêché à cause de mouvements offensifs trop lents et « imparfaits » : « les bons joueurs ne manquent cependant pas, mais l’habileté technique des Danko, Nemeur et Siklo est trop spasmodiquement démontrée pour trouver un rendement efficace et profitable pour l’ensemble de l’équipe. Maintes fois, les attaquants lensois se trouvèrent en excellente position, soit pour tirer au but, soit pour effectuer une passe précieuse à un partenaire. Mais le dixième de seconde de réflexion qu’ils laissèrent à l’adversaire annihila tous leurs efforts précédents » (La Voix des Sports). Les dirigeants lensois en sont persuadés : il ne leur manque qu’un grand attaquant pour rivaliser avec le LOSC. Ils donnent rendez-vous dans quelques mois… en première division.
Le LOSC a eu moins de facilité que lors de ses dernières sorties, mais il a su être patient : « le grand mérite de Lille fut d’avoir surmonté ses hantises de première mi-temps pour mener ensuite sa barque » (L’Équipe). Après le repos, les Dogues « parvinrent à imposer leur jeu clair et précis » (la Voix des Sports). Dans l’ensemble, le LOSC a fourni un jeu fait de « permutations et passes dont l’automatisme relève d’un entraînement étudié jusque dans les moindres détails ». Lille passe logiquement « et nous en sommes très heureux car il est mieux armé que Lens pour défendre le prestige de notre région dans la coupe » écrit la Voix du Nord.
Quelques jours plus tard, le 17 janvier, le docteur Lépine de l’Institut Pasteur de Paris, et le docteur Muller, aux Pays-Bas, parviennent à identifier les virus responsables de l’épidémie, qui décline progressivement. Le LOSC reste quant à lui immunisé contre la défaite en coupe, s’y agrippe, et s’affirme de plus en plus dans cette compétition comme une équipe aguerrie (ce qui n’a rien à voir avec une équipe anciennement malade).
Posté le 17 octobre 2020 - par dbclosc
Lens/Lille 1970 : un derby en catimini
En 1969/1970, Lille et Lens, moribonds, évoluent au niveau amateur. Le LOSC clôture sa saison en mai 1970 par un déplacement au stade Bollaert. Il n’y a plus guère d’enjeu pour les Dogues, et à peine plus pour les Lensois. Le fameux derby du Nord a perdu son lustre d’antan et se joue officiellement devant… 906 téméraires, qui assistent à un écrasant succès des Sang & Or (7-0). Un mal pour une salutaire prise de conscience de l’état du LOSC ?
14 mai 1970 : le derby du Nord est bien loin de la ferveur qu’il a jadis suscitée : sur la pelouse du stade Félix Bollaert, 906 spectateurs viennent assister à un match amateur entre… les équipes premières de Lens et de Lille. Dans cette poule de 15 équipes, le LOSC est 10e et finira à cette place, qu’importe l’issue du derby ; les Lensois sont mieux placés et peuvent encore espérer terminer troisièmes, à condition qu’ils battent leur voisin, puis qu’ils l’emportent à Saint-Quentin dans un match en retard. Pour les deux clubs, elle s’est jouée dans un anonymat que notamment le LOSC n’avait pas connu depuis sa création (Le RCL a une création antérieure – 1906 – mais n’a émergé au niveau national que dans les années 1930, là où le LOSC a atteint les sommets dès les premières années suivant sa fondation. Le LOSC est beau, le LOSC est grand).
Si, en début de saison, le LOSC parvenait encore à attirer près de 2 000 spectateurs, les résultats mitigés ont eu raison de la patience d’une large partie du public : quelques jours avant, Lille terminait sa saison à domicile en perdant contre Valenciennes (2-3) devant… 200 personnes à Henri-Jooris. La Voix des Sports ricane : « guère plus de 200 personnes autour du stade Henri-Jooris, et l’on ne dut pas mettre longtemps à compter la recette… C’est donc sans doute sans doute parce qu’on la trouva trop risible que l’on préféra ne pas nous la communiquer. On ne se serait pas arrêté à ce détail si l’on ne nous avait pas envoyé gentiment sur les roses en précisant, assez ironiquement on le devine, que la rencontre n’avait attiré qu’un public de connaisseurs. C’est encore ce que l’on trouva de plus rigolo (…) Les connaisseurs en question ne durent pas s’amuser au cours de ce match qui fut des plus banals » (11 mai 1970). S’il faut être prudent sur la mesure de du public de l’époque, dont on imagine qu’elle est plus lâche qu’à notre époque et qu’elle ne recense que les entrées payantes, nul doute que l’on tient ici les plus faibles affluences de l’histoire des clubs-phares du football nordiste, et que ce match de mai 1970 est le « moins vu » des derbies du Nord, jusqu’à celui d’octobre 2020. Comment le LOSC, deux fois champion de France et 5 fois vainqueur de la coupe depuis la Libération, et le RCL, double vainqueur de la coupe Drago (1959, 1960)1 et troisième de D1 en 1964, ont-ils pu en arriver là ?
Jacques Guimbault, LOSC/Amiens
Deux descentes consécutives
Depuis sa première descente en 1956, le LOSC a passé davantage de temps en D2 qu’en D1. De nouveau relégué de D1 vers la D2 en 1968, le LOSC n’est plus un club attractif : en partent Samoy, Adamczyck, Perrin, Petyt, Mezzara et Rustichelli. Si le club parvient à conserver Navarro, Stachowiak ou Watteau, voit éclore Gianquinto, S. Dubreucq ou P. Lechantre, et attire quelques joueurs (Savoie, Ferrié, Casolari), affirmant de nouveau sa prétention à remonter immédiatement, la saison 1968/1969 tourne en eau de boudin : l’entraîneur Daniel Langrand démissionne en avril 1969 ; Charles De Gaulle, dépité par cette situation, fait de même. Le club finit 13e mais semble confronté à de multiples problèmes : une demande du Groupement (ancêtre de la LFP) qui consiste en une garantie de 250 000 francs pour qu’il soit autorisé à conserver son statut professionnel ; un problème de diplôme pour le nouveau coach pressenti (Jean Strasser) à qui une dérogation n’est pas accordée ; le départ de Calleja à Grenoble alors qu’il était annoncé à Bordeaux… Face à ces difficultés, la mairie ne réagit pas, et le LOSC renonce au professionnalisme par un communiqué adressé au Groupement le 23 juin 1969.
Du côté de Lens, l’industrie des Houillères, qui emploie bon nombre de joueurs lensois, décline dans les années 1960, et la Compagnie des mines diminue ses effectifs. Les moyens donnés au club étant corrélées à la productivité des Houillères, le club chute là aussi lentement et arrive, comme le LOSC, en D2 en 1968, après 21 saisons consécutives dans l’élite. Après une saison en D2 terminée à la 7e place, la Compagnie des mines se désengage du club qui, le 13 mai 1969, renonce au professionnalisme.
Rumeurs de fusion
Avant d’en arriver à cette décision d’abandon du professionnalisme, la Voix du Nord a rapporté quelques bruits de couloirs relatifs aux solutions possibles pour surmonter cette crise. Un article de Jean Chantry part du constat de la baisse des affleunces, aussi bien à Bollaert qu’à Henri-Jooris, pour exposer quelques conjectures (« si le public vient de moins en moins, c’est qu’il a d’autres sujets de distraction… ou qu’il n’aime plus la forme du football qu’on lui offre« ) et interrogations (« Lens poursuit son opération « sauvetage », a trouvé 100 000 des 200 000 francs qui lui permettront d’équilibrer son budget. Mais il ne s’agit que de l’actuelle saison. De quoi sera faite la prochaine…? Perspectives grises, sinon noires…« ). Vieux serpent de mer du football régional : une fusion Lille/Lens est évoquée, et elle n’est même pas présentée comme une option inédite (« naguère avait été lancée une suggestion : la fusion Lille/Lens. Ou Lens/Lille si l’on veut ménager les susceptibilités« ). Si ce premier projet (quand ?) semblait avoir suscité une désapprobation générale, Jean Chantry rapporte ici une idée qui semble avoir été soufflée en off par des dirigeants d’un moins un des deux clubs : « peu à peu, les barrières se lèvent, les obstacles deviennent moins systématiques. A Lens, les opposants à une fusion deviennent plus souples ». On évoque des matches qui se joueraient alternativement à Lille puis à Lens : « l’idée chemine. elle n’a encore aucune forme, soulignons-le. Il ne s’agit que de conversations personnelles. Parfois, il faut peu de choses pour unir deux infortunes... »
Finalement, il n’en sera rien et c’est ainsi que les deux clubs, un an après une relégation sportive, sont contraints de démarrer l’exercice 1969/1970 au niveau amateur, en 3e division. Avec eux, dans une poule de 15 : Abbeville, Amiens, Aulnoye, Calais, Cambrai, Creil, Malakoff, Mantes, Quevilly, Reims, Saint-Germain, Saint-Quentin, et Valenciennes.
Une équipe du LOSC 1969/1970
Accroupis : Van Hecke, Dubreucq, Zagol, Paris, Lechantre
Debout : Michelin, Lestringuez, Guimbault, Gianquinto, Verschueren, Boutry
Fréquentation en chute libre
La saison démarre fort, avec un Lille/Lens dès la première journée : une petite montée d’adrénaline pour retarder l’ennui de la saison qui s’annonce. Devant 3650 spectateurs, les équipes se quittent sur un score nul : 1-1. Puis, en effet, la morosité s’installe. Du côté du LOSC surtout, la mayonnaise ne prend pas. Les Dogues se placent très rapidement à une 10e place qu’ils ne quittent que rarement. Les Lensois sont un tantinet mieux mais voient bon nombre de leurs matches remis au moment où l’équipe commence à tourner, si bien qu’au classement, elle ne parvient pas à se classer dans les 5 premiers jusqu’au printemps, au moment où s’enchaînent les matches en retard. Dans cette configuration, le nombre de supporters à Henri-Jooris va decrescendo, et l’hiver offre de maigrelettes affluences : 737 spectateurs pour recevoir Amiens en janvier, 1649 pour Cambrai puis 401 pour Aulnoye en mars, où ça ne repart pas ; puis 665 en avril pour recevoir Mantes. Et les Lensois sont à peine mieux lotis, ce qui vient très concrètement invalider l’audacieuse thèse « à Lens il y a un public fidèle depuis la nuit des temps quelles que soient les performances ». À Lens comme ailleurs, la fréquentation du stade est, avec une fréquence plus ou moins forte selon les époques, corrélée aux performances du club et au soutien des acteurs publics et économiques du coin.
But du LOSC contre Cambrai ! Inoubliable
Cette tendance avait déjà été amorcée à la fin de la saison précédente, en D1, avec des affluences bien faibles des deux côtés. En avril 1969, la VDN publiait ce tableau :
Sept de trop
Ce 14 mai 1970, c’est le dernier épisode de la saison pour le LOSC, l’avant-dernier pour le RCL. Signe du désintérêt global pour ce match, fût-il le derby Lens/Lille, la Voix du Nord n’y consacre que 10 lignes le jour et le lendemain du match là où, ordinairement, Lille et Lens ont droit a minima à un format entre un quart et un sixième de page (et les pages de la VDN sont grandes à l’époque). Alors certes, ça tombe en pleine semaine, le match ayant été avancé « pour permettre aux supporters de jouir pleinement des fêtes de la Pentecôte », mais tout de même. Lens espère « finir en beauté » souligne le quotidien. L’entraîneur artésien, Arnold Sowinski, revient sur quelques désagréments rencontrés durant les derniers mois : « dommage que le mauvais temps nous ait freinés au moment où nous avions trouvé le rythme, mais nous avons tout de même tiré quelques satisfactions de cette campagne ». La Voix ne donne que la compo de Lens, alors nous n’allons donner que la compo de Lens :
Lannoy ; Derouck, Cieselki, Morel, Deschamps ; Marie, Hélie ; Vasselle, Hédé, Lefebvre, Juraszek.
Remplaçants : Coustillet, Bachortz.
On apprend tout de même que c’est un peu le bazar du côté du LOSC, où on a manifestement déjà terminé la saison. Lechantre,militaire, est revenu de Brest dans l’après-midi et pourra tenir sa place in extremis ; le gardien Lestringuez est blessé et le (petit) compte-rendu du match indique que « c’est Delangre, à moitié valide qui jouait dans les buts lillois ».
Devant donc, officiellement, 906 spectateurs, le Lillois Vernoux et le Lensois Deschamps se téléscopent dès la 1e minute du match : le lensois est contraint de sortir et est remplacé par Coustillet, tandis que Marie passe en défense. Ce même Coustillet ouvre la marque sur pénalty (20e). La « nette supériorité » des Sang & Or se concrétiser de nouveau par Coustillet (27e), qui aurait mieux fait de rester sur le banc. D’autant qu’il inscrit encore un but à la 35e, avant que son collègue Juraszek ne marque de la tête « le plus beau but du match » (43e). 4-0 à la mi-temps, c’est mal barré. « Lens en voulait, Lille tremblait », Lens repart en seconde période « à cent à l’heure » et fait 5-0 par Vasselle (51e). Pendant que Delangre se tient constamment le genou et que Lille ne peut plus faire de changement, Coustillet marque encore (63e) puis Cieselki « de fort loin » fait 7-0 (64e). Pas de doute, Lille était « trop faible pour Lens déchaîné ». Lille termine 10e et Lens, qui n’a pas pu faire mieux que 0-0 à Saint-Quentin pour son dernier match, obtient la 4e place.
Une question se pose : ce match a-t-il vraiment eu lieu ? Une défaite du LOSC d’une telle ampleur est-elle crédible ? 906 spectateurs en 1970… Il est fort probable qu’il n’y ait plus de témoin oculaire de cette déroute, ou que les quelques spectateurs encore vivants aient la mémoire quii flanchent. Qu’on nous amène un témoin !
Qui veut du foot à Lille ?
À ce moment de l’année, la ville de Lille n’a footballistiquement aucun projet. Mais elle peut compter sur la bonne volonté de quelques supporters, qualifiés de « socios », qui mettent en place l’opération « Renouveau » dont on a abondamment parlé ici. En mars, un premier match amical de prestige entre Anderlecht et Botafogo est organisé. Suivent en mai Sao Paulo/Marseille (2-1) puis Feyenoord Rotterdam/La Gantoise (4-2). Si les deux premières affiches ont attiré 15 000 puis 10 000 spectateurs, le match entre les Néerlandais et les Belges n’a attiré « que » 6 700 personnes. Le 2 juin, la Voix du Nord, par Jean Chantry, revient sur ce match et s’interroge, inquiète : « comment le public nordiste peut-il être devenu « pantouflard » à ce point ? Comment est-il possible que le public de cette région ait perdu à ce point l’envie du beau football ? 6 700 spectateurs pour voir le meilleur club d’Europe…(…) il y avait 3 footballeurs extraordinaires : Moulijn, Van Hanegem, Vandaële. Vraiment, l’esprit sportif est tombé bien bas dans cette région. Les Nordistes seraient-ils incapables de discerner la qualité, ne connaîtraient rien au football européen ? Triste » ». Autre symptôme inquiétant quant au désintérêt du public lillois pour le football : fin juin, un match entre « anciens » du LOSC et de Marcq est organisé. En dépit de la présence de vedettes telles que Samoy et G. Bourbotte, « au point de vue public, ce fut un désastre : environ une cinquantaine de spectateurs ». Au passage, le but lillois a été marqué par… Charly Samoy, qui jouait avant-centre en seconde période ; Grégory Wimbée, avant-centre des « Anciens Dogues », n’est donc pas le premier gardien « ancien » à se reconvertir buteur.
Une nouvelle équipe dirigeante
L’opération « Renouveau » prévoyait la vente de 2 millions de billets de loterie. Cet objectif n’a pas été atteint, et si les 3 affiches proposées offrent tout de même une intéressante trésorerie, cette « loterie monstre fut un demi-ratage. Ou un demi-succès si l’on est optimiste » (VDN, 20 juillet 1970). La Voix pointe une organisation « laborieuse », le « manque de personnel » : il aurait fallu 6 mois de minutieuse organisation là où tout a été monté en 2 mois. Mais le journal salue l’initiative des organisateurs : « il était difficile de tout prévoir, de tout imaginer, pour la bonne raison que rien de tel n’avait jamais été mis sur pied. On ne possédait aucune base, aucune référence. Il a fallu improviser, s’adapter, réparer au fur et à mesure des découvertes. Les quelques « socios » qui se dévouèrent à cette cause étaient des néophytes et leur bonne volonté, leur cran, ne peuvent être mis en cause ». En outre, l’objectif « Tribune 2000 », qui consiste à rajeunir le public et « vendre 2000 places par match à des firmes commerciales » apparaît comme une innovation majeure dans le lien entre le club et ses « partenaires », une notion et des relations relativement nouvelles au LOSC.
Mais tout cela ne fait pas une équipe, alors que la saison 1970/1971 a presque repris. Nous sommes bientôt à l’été 1970 quand une équipe dirigeante et de nouvelles ambitions semblent se mettre en place. Alors que depuis un an, le LOSC tourne en rond, que le président Barbieux a laissé vacant son poste de président sans que personne du comité ne prenne sa suite, alors que les « socios » s’activent mais sans concertation avec l’équipe dirigeante (« cette dualité ne contribue guère à clarifier la situation » indique la VDN), le mois de juin voit apparaître de profondes inflexions dans la stratégie sportive et politique du LOSC. Cette fois, pas question de reproduire les erreurs du passé : « l’état major lillois alors en place crut pouvoir reconquérir le terrain perdu sans même moderniser son armement. L’erreur faillit coûter fort cher, beaucoup plus que les millions qu’il eut été nécessaire d’investir ». Alors que l’on attendait Paul-Mary Delannoy à la présidence du club, qui est cependant trop occupé par son commerce, c’est Max Pommerolle qui arrive à la tête du club et annonce un plan qui suscite l’espoir de sortir enfin de la morosité.
Max Pommerolle est un ancien joueur de l’OL et de Fives, qui a ensuite fait partie du comité directeur du LOSC avant de démissionner en 1965 pour « divergences de vues ». On prétend qu’il a notamment profité d’une AG de la fédération à Lille pour en rencontrer les membres du bureau fédéral, exposer les ambitions du club et apporter ainsi un crédit au LOSC dont on avait l’impression qu’il était à l’index des instances nationales depuis quelques années.
Pomerolle arrive avec une équipe composée de membres de l’ancienne équipe de Jean Denis (de P-M Delannoy, Roger Deschodt), de deux « bleus »(Yves Bonhomme – inspecteur pédagogique au rectorat-, Pierre Dubuisset – intendant au rectorat), et de Georges Verriest, célèbre figure du football roubaisien, qu’on a longtemps considéré comme hostile au LOSC mais « avec les années, les inimitiés ont moins de virulence » indique la Voix du Nord. Cette arrivée illustre la volonté de faire du LOSC un club « métropolitain », comme on en a également parlé ici. Outre ces 6 hommes de base, est constitué un « comité d’honneur » (avec, pour la première fois, la présence du maire de Lille, Augustin Laurent), le recteur Debeyre, le président de la chambre de commerce ; MM. Dewally et Blondel, bref, un ensemble de personnalités présentées comme « des amoureux du ballon » et une « caution morale et financière ». Enfin, des commissions sont créées, avec notamment Charles Crépin, président de la commission des amateurs, la présence de Jean Leclercq, ldu docteur Delzenne, et « les socios qui collaborent plus étroitement » sans que ne soient précisées dans le quotidien nordiste les modalités précises de cette collaboration. Le fonctionnement, sur le papier, est simple : « chaque commission suggère, le comité tranche ». Pommerolle présente également un plan d’équilibre entre les recettes de billetterie, les sponsors, les salaires. Nous voilà donc avec une équipe dirigeante qui semble enfin avoir pris le pouls des nouvelles donnes footballistiques, et notamment l’apparition du contrat à temps. Et cette fois, la mairie n’a pas hésité : elle fait voter une subvention de 250 000 francs et un prêt de 750 000 francs. « Rien ne prouve que je réussirai mieux que les autres, souligne Pommerolle. Mais nous essaierons de travailler de façon dynamique, rationnelle, moderne ». La Voix du Nord voit d’un œil positif cette évolution : « même s’ils font des erreurs, des dirigeants de bonne volonté essaient de remettre le club à flot. C’est une entreprise dont chacun peut mesurer la difficulté ».
De nouvelles têtes sur le terrain, en D2
Du côté de l’équipe, Max Pommerolle parvient à faire venir René Gardien, que le LOSC avait déjà tenté d’attirer l’année précédente : « j’ai voulu avant tout un entraîneur qui échappe le plus possible aux règles défensives dominantes. À Thiers, à Grenoble, nous avons eu la confirmation que Gardien préférait marquait un but de plus que sa défense n’en avait encaissé. Voilà un principe de base qui a été capital dans notre choix ». Arrivent également Jean Laffont, Alain Copé, André Loup, Claude Dubaele, Alain De Martigny, Alain Verhoeve, Bernard Defferez, ainsi que deux interntionaux yougoslaves : Mané Bajic et Slobodan Skrbic. Comme Ginaquito, Vernoux ou Lechantre restent, l’équipe annoncée a fière allure et peut légitimement prétendre… à la D1, puisque le LOSC fait partie des 19 clubs sélectionnés la Fédération le Groupement pour composer la nouvelle D2, élargie à 48 équipes ! Et Lens fait aussi partie des clubs « promus » en D2.
Après le naufrage à Lens en mai, la confiance est revenue, comme le relate la Voix du Nord : « depuis 15 années, on a connu bien des naufrages au LOSC. Souvent, le club avait réussi à redresser la tête, à revenir à flot, mais avait été incapable de se maintenir durablement parmi l’élite.
Cette fois, l’affaire paraît sérieuse, fort bien conçue, et menée avec un rare réalisme. Il reste à souhaiter que le LOSC reprenne au plus tôt une place brillante dans le football français. Cette région nordiste a besoin d’un club de tête, dans un périmètre où 2 millions d’habitants lui assureraient une prospérité et un public fidèle »
Document de la Voix du Nord : Dubaele, Loup, Verhoeve, Martigny, Laffont, Defferrez, Copé
Le 10 août 1970, le LOSC de Max Pommerolle et de René Gardien débute sa saison par un match amical à Cambrai : défaite 1-4. Fort heureusement, cette défaite n’est en rien significative des mois qui suivront. En décembre, le derby est de retour à Bollaert devant, officiellement, 11 972 spectateurs. Si le LOSC s’incline (0-1, encore un but de Coustillet), ce résultat ne fait que freiner la marche du leader lillois, de retour en D1 au printemps 1971, un an après sa déroute au niveau amateur à Bollaert. Une crise qui aura fait apparaitre les serpents de mer (métropolisation, suprématie régionale, fusion) et les instabilités chroniques du football régional (problèmes financiers, valse de dirigeants, ascenseur entre divisions). Autant de moments qui rendent d’autant plus savoureux les derbies de D1 et, si possible, dans le haut du tableau.
Note :
1 Comment ça, « c’est nul et ça compte pas, dans ce cas-là autant compter les trophées du Stadium Nord et Emile-Olivier que le LOSC a gagnés » ?
Posté le 26 août 2020 - par dbclosc
Lens/Lille 2001 : le LOSC confirme son renouveau
Fin août 2001, le LOSC se rend chez son voisin lensois pour la 5e journée de championnat. Après une saison 2000/2001 exceptionnelle, et quatre jours après avoir sorti Parme, les Lillois arrivent à Bollaert auréolés d’une réputation toute nouvelle : oublié, le club moribond depuis quelques décennies !
Bien loin des derbies de l’avant-descente, l’ambiance nordiste est « européenne » : en ce début de saison 2001/2002, les Dogues se sont qualifiés pour la première fois de leur histoire en Ligue des Champions, après un match suffocant : temps orageux, un LOSC sous pression constante des Italiens, Wimbée qui sort la balle de match… À peine cette qualification et ses images prenantes digérées (Vahid en larmes, communion de joueurs si peu considérés 3 ans auparavant, autour du maillot de Christophe Pignol, klaxons en ville…) que le LOSC doit se plonger dans une nouvelle bataille âpre : ce dimanche 26 août, quatre jours après, c’est le premier derby de la saison au stade Bollaert. Au vu de l’intensité du match joué en semaine et du tirage au sort des poules dans la foulée qui emmènera le LOSC à Old Trafford, il s’agit même plutôt de faire baisser la pression du côté lillois : cette confrontation contre le voisin apparaîtrait presque comme anecdotique au regard de la somme d’émotions déjà accumulée, qui justifierait quasiment qu’on laisse filer le derby sans que les supporters lillois ne soient affectés outre mesure.
On ne donne d’ailleurs pas cher de la peau des Lillois, qui ont dépensé tant d’énergie contre les Italiens ; de plus, en face, Lens est en pleine bourre : 4 matches, 4 victoires, 1 seul but encaissé (sur pénalty). Après une saison 2000/2001 compliquée qui les a privés d’Europe, les Sang & Or semblent bien partis pour reprendre la dynamique sur laquelle ils surfent depuis le milieu des années 1990, qui les a emmenés annuellement en coupe d’Europe (sauf en 1997), les a fait gagner le titre national (1998), une coupe de la Ligue (1999), et les a amenés en demi-finale d’UEFA (2000). Par ailleurs, Lens a une revanche à prendre sur les derbies de la saison 2000/2001, qui ont tourné en faveur du LOSC : à l’aller, les Lensois avaient l’occasion de prendre la tête de la D1 mais, renversés en fin de match, ils ont ensuite perdu pied en championnat ; au retour, le LOSC s’est de nouveau imposé face à une bien faible opposition et un club manifestement en crise, qui se séparait de Courbis 4 jours après. Nul doute donc que les Lensois ont à cœur de se racheter, d’autant plus face à un adversaire qui, cette fois, au vu de ses récentes performances, est attendu au tournant : si les deux clubs se portent bien, l’Européen, c’est Lille !
La presse nationale salue donc un derby qui souligne la bonne santé du football nordiste, « à croire que le centre de gravité du football français s’est déplacé vers le nord en ce début de saison » (Le Monde). Et cette fois, c’est le LOSC qui attire particulièrement l’attention. Aujourd’hui, « Lille, c’est fort », titrait l’Équipe après la victoire à Parme, alors qu’« il y a deux ans, Lille n’existait pas » rappelle Guy Delahaye, journaliste à la Voix du Nord, interrogé par Le Figaro. Pendant des années, le quotidien du Nord se remplissait des exploits du voisin lensois, pendant que Lille, médiocre, parfois calamiteux, n’avait qu’un lointain passé glorieux à faire valoir. Le Monde rapporte même que « de Calais à Arras, en passant évidemment par Lens, tous les bistrots en avaient une bonne sur la grande métropole bourgeoise et son football de pacotille ». Depuis l’arrivée d’Halilhodzic, et plus encore avec la montée, la 3e place en 2001, et enfin la qualification face à Parme, le football de Lille semble avoir montré qu’il sera désormais difficilement un sujet de railleries dans la région. Et les performances sont d’autant plus remarquables qu’elles arrivent avec des moyens relativement limités : L’Humanité souligne que rien qu’avec le coût du transfert de Zidane, le Real de Madrid a dépensé quatre fois plus d’argent que n’en dispose le budget du LOSC. Pascal Cygan déclare : « nous venons quasiment tous de milieux modestes. Nous n’avons pas des salaires époustouflants. Mais nous nous devons à nos supporters. Nous essayerons toujours de sortir du terrain la tête haute ». Le quotidien insiste par ailleurs sur « la solidité morale qui anime les Dogues », dont la victoire face à Montpellier 10 jours avant a été une nouvelle illustration.
Hors des terrains, le LOSC grandit aussi. La Voix du Nord consacre au même moment un article sur la stratégie marketing du LOSC qui accompagne sa récente réussite. L’occasion de voir qu’il y a pas mal de boulot en perspective, et que les « communicants », hier comme aujourd’hui, s’ils sont sans doute compétents pour proposer des formats qui collent à l’air du temps, restent assez ignorants quant au contenu historique et « culturel » qu’ils doivent y mettre. Loïc Yviquel, « directeur marketing et communication », constate jusqu’alors le désintérêt relatif pour la com’ et le marketing au sein du club, qui selon lui vient du manque de relation qu’entretient le LOSC avec ses supporters et avec sa ville : « on doit être un des plus mauvais clubs pour le merchandising. La problématique est simple : nous ne connaissons pas notre consommateur. Et plus grave, nous ne connaissons pas notre propre club. Il nous fallait une base de travail afin de savoir par exemple quelle charte graphique utiliser à l’avenir, ou quel animal exploiter pour représenter le club ». Le LOSC a alors confié à deux entreprises (une parisienne, une régionale) le soin de comprendre l’image portée par le club. Un questionnaire a été transmis aux joueurs, journalistes, partenaires, dirigeants, abonnés, « leaders d’opinion », avec des questions telles que : « qu’est-ce que le LOSC ? Si le LOSC était une personne, serait-ce une femme ou un homme ? Quel âge aurait-elle ? Et si c’était une planète, quelle serait-elle ? » Les réponses à ces questions sont censées déterminer les valeurs fondatrices du club. Dans l’immédiat, des accords avec Kipsta et Auchan doivent garantir au LOSC une visibilité nationale, et la boutique actuelle de 24 m2 (un préfabriqué en bas des tribunes Secondes), devrait passer à 120 m2 dans les prochains mois, en s’installant à la place du secrétariat, tandis que les bureaux administratifs seront déménagés.
Ce dimanche 26 août, devant les caméras de Canal + et 39417 spectateurs, ce « nouveau » LOSC va avoir fort à faire. Comme face à Parme, le temps est chaud et humide. L’avant-match est, comme d’habitude, animé, avec le traditionnel concours de banderoles, forcément hostiles à la venue du LOSC à Bollaert pour jouer la Ligue des Champions : « LOSC : commence par t’acheter un stade ! » ; « Lillois, avant de jouer les grands, achetez-vous un stade ». Notons qu’à cette période, le RCL n’a pas davantage acheté de stade, Bollaert appartenant à la mairie de Lens, mais on a compris où les supporters voulaient en venir. Les joueurs lillois ont en tout cas profité du déplacement pour prendre quelques repères sur la pelouse, l’UEFA ayant estimé que le vieux stade Grimonprez-Jooris ne pouvait recevoir de rencontre européenne. Par rapport au match contre Parme, Halilhodzic a effectué 4 changements : sont titularisés Delpierre, Be. Cheyrou, Murati et Bassir (soit 4 joueurs qui n’ont jamais joué de derby en équipe première), aux places de Pichot, Tafforeau, Br. Cheyrou, et Boutoille.
La première occasion franche arrive à la 19e minute : Pédron frappe un coup-franc excentré que Coulibaly, qui surgit entre Fahmi et Cygan, reprend de la tête sur la transversale. Le ballon rebondit devant la ligne et est dégagé par Bakari. Ouf ! 3 minutes plus tard, Benoît Cheyrou lance Bakari qui, seul face à Warmuz, se précipite et envoie le ballon dans la tribune, une action assez similaire à celle qu’il avait réalisée 6 mois avant, dans la même tribune (22e). Lens domine au niveau de la possession, mais le score de 0-0 semble logique à la pause.
En seconde période, Sakho se montre une première fois dangereux dans la surface lilloise (54e), et finit par trouver l’ouverture à la 61e : Diouf, Blanchard et Sakho mettent à mal la défense lilloise comme rarement, et elle n’arrive pas à dégager ; finalement, Sakho frappe du droit, c’est légèrement dévié par Fahmi et ça rentre (61e). La Voix du Nord signale le « geste irresponsable » de Diouf, qui envoie « une lourde frappe dans la tribune lilloise » après cette ouverture du score, qui entraîne. une ruée sur les grilles qui « aurait pu entraîner de plus graves conséquences ».
À ce moment là, on craint que ce ne soit insurmontable pour les Dogues, déjà éprouvés physiquement, et qui subissent depuis la reprise. Mais Halilhodzic procède à un double changement à la 66e : sorties de Delpierre et de N’Diaye, entrées de Pichot et de Sterjovski. Et ça va mieux ! Dès la 69e, Sterjovski envoie un centre que la défense lensoise renvoie n’importe comment, puis l’Australien allume une frappe que Wallemme repousse de justesse (75e). L’entrée de Boutoille achève de foutre la trouille aux Lensois (76e), qui continuent de reculer et de se recroqueviller sur leurs bases. Voilà bien le symptôme d’un LOSC qui fait peur : sans doute nourri des échecs de la saison précédente, l’adversaire doute et finit par faire advenir ce qu’il craint. À l’inverse, Vahid profite de cet avantage « psychologique », ne tergiverse pas et envoie ses atouts offensifs.
87e : coup-franc de Djezon Boutoille à 35 mètres du but lensois, excentré sur la gauche. Du haut du crâne, Bakari reprend aux 6 mètres, devance la sortie de Gugusse, et égalise (1-1). Une nouvelle fois, le LOSC revient en fin de match. C’est sur ce score que s’achève ce match engagé (9 jaunes), et l’affrontement se poursuit avec Johnny Ecker et Grégory Tafforeau qui s’en vont narguer le kop lensois après le match : « je ne pensais pas qu’il y avait un tel engouement, presque de la haine entre les deux clubs, déclare Tafforeau. Les autres m’en avaient parlé, je savais que c’était des matches importants pour le public, mais quand même pas à ce point ! »
Joël Müller, pourtant prévenu, a de quoi enrager : « c’est une déception, nous avions pris l’habitude de préserver nos résultats. Nous avons eu trop tendance à vouloir préserver le résultat, et c’est finalement ce qui nous coûte la victoire. Pour battre Lille, il faut mettre 2 buts. Un n’est pas suffisant. Je n’ai rien à reprocher à mes joueurs en ce qui concerne l’envie, mais on a besoin de travailler dans ce domaine-là. On aurait dû être plus entreprenants pour marquer le 2e ». Lens reste toutefois leader et, pour le coach des Sang & Or, « ça reste un début plein de satisfaction ». La Voix du Nord prédit d’ailleurs une belle saison pour Lens, une équipe au « physique taillé à la serpe », « une organisation offensive qui fait mouche », un « Pédron impressionnant ». Du côté lillois, on montre sa grande satisfaction, comme Vahid : « j’ai eu peur que l’on craque physiquement. Mais le LOSC est toujours présent. Ne pas perdre au stade Bollaert, c’est un exploit », Grégory Wimbée : « la force de cette équipe, c’est qu’elle a vraiment la haine de la défaite », ou Edvin Murati : « Cygan et Boutoille nous ont tenu dans le vestiaire un discours qui m’a bien plu. On avait tous en tête qu’il est impossible de perdre un derby. Et puis il y avait l’ambiance : les Lensois qui nous insultaient, nos supporters qui nous encourageaient »
La Voix du Nord insiste encore sur la « force morale » du LOSC, un LOSC « solide, combatif, tenace », qui se maintient à la 5e place. Le LOSC va retrouver Bollaert dans quelques jours, pour la coupe d’Europe. Il y a enfin de l’avenir pour le foot à Lille !
Un résumé du match (France 3 national) :
Posté le 13 août 2020 - par dbclosc
Lille/Lens 2006 : le LOSC en balade
Le 13 août 2006, pour la deuxième journée du championnat, le LOSC écrase son voisin lensois 4-0, un écart assez rare dans l’histoire des derbies du Nord. Une démonstration qui laissait entrevoir à l’époque une saison radieuse.
Après un an et demi de rodage, Claude Puel est parvenu à poser sa patte sur le jeu du LOSC. Depuis janvier 2004, Lille propose ainsi un jeu séduisant, récompensé par une belle remontée lors de la seconde partie de saison 2003-2004 (une 10e place qualificative pour l’Intertoto), puis une 2e place en 2004/2005, et enfin une 3e place en 2005/2006. Les Dogues se sont ainsi familiarisés à l’Europe et, derrière d’intouchables lyonnais, le modèle lillois, tant sportif qu’économique, passe pour un modèle de stabilité, tandis que les favoris supposés se signalent surtout par leur inconstance.
En ce début de saison 2006/2007, le LOSC a donc de nouveau rendez-vous avec l’Europe, tout comme son voisin lensois, alors que les deux clubs se rencontrent dès la deuxième journée. Les années 2000 offrent ainsi souvent des derbies au cours desquels au moins l’une des deux équipes est européenne. La dernière journée de l’exercice 2005/2006 a souri aux deux clubs régionaux, qui se sont qualifiés pour le tour préliminiare de la Ligue des Champions (LOSC) et pour la coupe UEFA (Lens) : au traditionnel enjeu de suprématie régionale se greffe donc un véritable sommet sportif. Et ce contexte a probablement tendance à électriser la confrontation. Ainsi, 3 mois avant ce match d’août 2006, le Lens/Lille d’avril 2006 avait révélé ce qu’un derby chargé d’enjeux en fin de saison pouvait produire : outre les habituelles provocations en tribunes, le match avait été marqué par plusieurs moments de tension, et notamment une bagarre générale en fin de match qui avait abouti aux expulsions de Yohan « poignet » Démont et de Kévin Mirallas. Sur le terrain, le spectacle avait été au rendez-vous : 4-2 pour les Sang & Or ; à cette occasion, la défense lilloise avait été d’une inhabituelle fébrilité, encaissant 3 buts avant la pause, à la grande joie d’Alou Diarra, ravi d’envoyer des bras d’honneur au kop lillois à chaque but de son équipe. C’est d’alleurs, jusqu’alors, la seule fois que le LOSC de Puel encaisse 4 buts, exception faite d’un désatreux déplacement à Rennes en novembre 2002, où les retrouvailles avec Vahid avaient semble-t-il fortement perturbé les joueurs de Lille.
Vidéo RCL Archives
Certains joueurs parlent de « revanche » : au moment de retrouver leurs rivaux, les Lillois resassent donc encore cette défaite d’avril à Bollaert, qui n’a manifestement pas été digérée, même si elle n’a finalement pas eu de conséquence désastreuse puisque le LOSC est bien parti pour retrouver la phase de poules de la Ligue des Champions. En effet, dans la semaine, les Dogues ont écarté sans forcer de tendres macédoniens (FK Rabotnički) pour leur match aller de tour préliminaire (3-0). Au vu de la faible opposition européenne, il semble donc bien que le grand rendez-vous de la semaine soit le championnat et ce derby, décalé au dimanche à 18h.
Les deux équipes ont parfaitement débuté leur championnat puisque Lille s’est imposé de façon convaincante à Rennes (2-1), tandis que les Lensois ont écarté Troyes à domicile (1-0). Les Dogues sont au complet ; côté lensois, Carrière et Barul sont blessés.
L’avant-match est bon enfant, avec des Lensois qui chantent « ils n’ont pas de stade ». Sur le terrain, la tendance est claire : Lille veut frapper d’entrée et se dispense de round d’observation. Un premier tir d’Odemwingie (4e), puis un centre-tir de Tafforeau font passer des premières sueurs froides à la défense lensoises. Le kop Sang & Or, de son côté, déploie une banderole « Non au LOSC à Bollaert » à la 7e minute. Qu’il profite de ce moment, qui constitue le point d’orgue de sa soirée ! À la 12e minute, la défense lensoise dégage déjà à l’emporte-pièce ; Makoun récupère et sert Bastos sur la gauche, qui centre : Odemwingie reprend aux six mètres, mais Hilton se jette en dégage en touche. Dans la continuité, Chalmé joue vite sur Plestan, qui trouve la tête de Bodmer au point de pénalty, qui conclut en lucarne (1-0).
Le LOSC attaque sans cesse, et Odemwingie n’est pas loin d 2-0 (16e). Il l’inscrit finalement à la 33e, après un ballon de Chalmé : Peter résiste à Hilton et enroule du gauche, poteau rentrant (2-0) !
Et comme rien ne va pour Lens, 3 minutes plus tard, Sidi Keita récolte son second carton jaune en 5 minutes, pour une faute assez peu évidente sur Bodmer. Piteusement expulsé, il se permet d’applaudir le public. Dépassés, voilà désormais les Lensois en infériorité numérique, ce qui n’arrange rien à la dépression chronique de Francis Gillot, qui déclare après le match : « c’est un naufrage complet. On avait déjà du mal à 11. Alors à 10… à la mi-temps, c’était déjà mission impossible ».
La Voix des Sports n’est pas tendre avec Lens : « la première mi-temps lensoise ne fut qu’un long moment de calvaire (…) les Lensois eurent toujours un temps de retard au niveau de l’engagement ». La réaction vient du banc : Francis Gillot remplace Thomert et Dindane par Lacourt et Boukari. « Mais rien ne pouvait enrayer la machine lilloise » selon l’hebdomadaire régional. Dès la reprise, une air-intervention de Démont sur une transversale de Chalmé permet à Bastos de servir Odemwingie qui manque inexplicablement le cadre vide (53e). Mais ce n’est que partie remise : Bodmer, en première intention, lance Keita côté droit qui prend le dessus sur Ramos et sa remorque ; son centre est coupé par le Nigérian qui inscrit son deuxième but (3-0, 57e).
10 minutes plus tard, le même Keita, « étourdissant », fait joujou avec Ramos dans son couloir et centre de nouveau pour Odemwingie qui conclut, cette fois de la tête (4-0, 67e).
Sur ce nouvel exploit, Claude Puel, jugeant probablement l’humiliation suffisante, sort Keita sous les acclamations du public (69e), tandis que le pauvre Ramos passe milieu gauche et que Vignal prend sa place derrière. Les 20 dernières minutes sont tranquilles pour les Lillois, alors que les Lensois attendent péniblement la fin. En tribunes, les Lensois, que l’on entend plus depuis un moment, subissent à leur tour les chants de leurs adversaires : « les Lillois à Bollaert », « on va chez nous ». Dépités, ils tentent de retirer leur banderole « non au LOSC à Bollaert », mais avec peine, si bien que durant quelques minutes, on peut lire « non à Bollaert ».
En prenant la tête du championnat, « Lille frappe un grand coup », « le LOSC a impressionné », souligne L’Équipe, insistant toutefois sur la faible opposition lensoise : « derby spectaculaire mais trop déséquilibré pour que l’on puisse parler de grand match ». Même tonalité du côté de la Voix des Sports, qui note que « Lille a plané sur ce match, offrant une partition de très haut niveau », et que les Lensois ont été « inconsistants » et « incroyablement absents » : « il arrive en football qu’une équipe passe à côté d’un match, mais hier, le RC Lens a donné l’impression de ne même pas avoir trouvé l’entrée du stade ». Ouh ça fait mal, ça. Dans les deux journaux, les Lensois prennent de sales notes : la Voix des Sports attribue 2/10 à 4 Lensois : Ramos « rude baptême », Jussiê « sans jus », Dindane « sans ballons », et Thomert « absent ». L’Équipe est plus sympa en attribuant sa plus mauvaise note à Ramos (3/10). À l’inverse, les Lillois obtiennent un bon bulletin : Keita obtient 8 dans la VDS et 8,5 dans L’Équipe ; Bodmer 8 et 7 ; Odemwingie 9 et 8. L’Équipe souligne en outre que Tony Sylva « toucha peut-être plus de ballons au pied qu’à la main. Éloquent ». Gervais Martel est dépité, en dépit de la présence de son « grand pote » Jean-Luc Reichman, qui l’avait pourtant prévenu (« attention à la marche ! ») : « nous avons été totalement absents, nuls. Quitte à perdre, on devait le faire les armes à la main. C’est assez incompréhensible. Nous n’avons pas eu une occasion de tout le match. On a été trop mauvais pour que ce soit vrai ». L’entraîneur Francis Gillot, tendu, se contente d’une seule déclaration pour la presse écrite et audiovisuelle : « toutes nos pertes de duels sont inexplicables. On ne courait pas non plus alors qu’on l’a fait contre Troyes. Ça me rappelle l’année dernière et je me dis qu’on n’a pas corrigé le tir. C’est une bonne claque (…) C’est avant tout un problème mental. Il y a 2 ou 3 joueurs qui ont fait leur match, et 7 ou 8 qui ne l’ont pas fait. On va considérer que c’est un accident ». Le gardien lensois, Charles Itandje, rajoute une couche : « on n’était pas du tout prêts à jouer un derby. On a manqué de mental, de solidité, de combativité… de tout. Putain ! On n’a pas le droit ! »
Côté lillois, énorme satisfaction. C’est la troisième fois dans l’histoire des derbies qu’une confrontation entre Lille et Lens s’achève par un 4-0. Et ça a été à chaque fois en faveur du LOSC (les deux fois précédentes, c’était le 11 mars 1945, et le 25 octobre 1964). Il y a même eu 2 5-0, là aussi en faveur du LOSC (22 octobre 1950 et 10 février 1952). Pour être tout à fait juste, soulignons que le pus grand écart est en faveur de Lens : 7-0 le 14 mai 1970, à l’époque où les deux clubs avaient quitté le monde professionnel. Bref, ça fait toujours du bien de mettre une pâtée à Lens, et c’est Stéphane Du mont qui le dit en des termes plus convenables : « pour nos supporters, ce n’est pas négligeable d’voir battu Lens ». Les joueurs montrent leur satisfaction d’avoir « effacé »la défaite d’avril : Mathieu Bodmer déclare qu’« on a sur réagir par rapport à la saison dernière et on l’a fait avec la manière » ; Peter Odemwingie, qui signe son premier (et dernier) triplé1 avec le LOSC, salue « une belle revanche » et s’enflamme : « nous sommes capables de rivaliser avec Lyon. Si on continue comme ça, on peut gagner le championnat »
Claude Puel, tout sourire, essaie toutefois de modérer un trop grand enthousiasme : « après deux journées, difficile de parler de grand coup, ce ne sont que des prémices, et si vous découvrez notre manière de jouer alors que cela fait 2 ans que l’on pratique ce football, c’est un peu embêtant. Ça montre simplement que l’on a un certain potentiel. On verra sur la durée ce que l’on est capable de faire ».
En l’occurrence, après une nouvelle démonstration face à Bordeaux 15 jours plus tard (3-0), le LOSC aura bien du mal à garder le rythme. Même s’il se place encore 2e (loin derrière Lyon) fin janvier après une victoire à Bordeaux, cette saison marque la fin d’un cycle que seule la qualification en 8e de Ligue des Champions permettait encore de prolonger. Après l’élimination contre Manchester, le groupe lâche prise physiquement, et les circonstances de la confrontation semblent l’avoir encore davantage épuisé moralement. En championnat, Lille lève le pied et termine 10e. Les Lensois, plus réguliers, sont encore en course pour la Ligue des Champions avant la 38e journée ; mais alors qu’elle semble leur tendre les bras, les Sang & Or passent à côté de leur match à Troyes, pourtant déjà relégué (0-3), comme un remake de cet après-midi ̶d̶e̶ ̶c̶a̶u̶c̶h̶e̶m̶a̶r̶ de rêve au Stadium.
Un résumé du match :
Note :
1 Avec un doublé et un pénalty manqué contre Bordeaux la saison précédente, il n’était déjà pas passé loin.
Posté le 16 avril 2020 - par dbclosc
Lille/Lens 2005 : en route vers la Ligue des Champions
Le 16 avril 2005, le LOSC bat son voisin 2-1 et s’ouvre une voie royale vers une deuxième participation en Ligue des Champions. Nicolas Fauvergue inscrit son premier but en professionnel.
Après 18 premiers mois compliqués en termes de jeu et de résultat, le travail de fond de Claude Puel manifeste des effets franchement positifs à partir du début de l’année civile 2004. À la faveur d’un mercato hivernal qui, en dépit d’inévitables « loupés » (qui sont aussi une marque des mercatos de Puel, comme en 2002), voit notamment arriver Tavlaridis et Acimovic, le LOSC parvient enfin à allier solidité défensive et créativité offensive. Encadrés par les expérimentés Tafforeau, Wimbée, Pichot ou Brunel, les jeunes joueurs régulièrement lancés par le coach depuis son arrivée s’installent comme titulaires, à l’image de Moussilou, qui « profite » de la blessure de Manchev pour évincer définitivement le Bulgare ; les Makoun, Bodmer, Be. Cheyrou, Dernis et Chalmé sont devenus de bons joueurs aux performances régulières ; et les Dumont et Debuchy pointent leur nez.
Cette dynamique se poursuit à l’aune de la saison 2004/2005 : en dépit de quelques départs majeurs (Wimbée, Abidal, Cheyrou), le LOSC s’appuie sur une ossature relativement jeune, qui s’étoffe avec des bonnes pioches (Sylva, Angbwa, Vitakic, Odemwingie), la percée régulière de jeunes joueurs (Cabaye, Fauvergue, Mirallas), et d’autres ayant franchement progressé, comme Rafael. La victoire en coupe Intertoto au mois d’août, qui sur le coup a pu paraître peu significative, laissait ainsi augurer une belle saison basée sur un jeu collectif très agréable et dans lequel, en dépit d’un important turnover, les performances ne changent pas. Après un mois d’août poussif (avec notamment une lourde défaite à Marseille 0-3 en ayant fini à 9, un 0-0 contre Bordeaux) laissant craindre une nouvelle saison mi-figue mi-raisin, le LOSC enchaîne une belle série, n’encaisse son premier but à domicile que mi-octobre, et se place même en tête du championnat à l’issue de la 9e journée. Parallèlement, le LOSC réussit un beau parcours en coupe UEFA, en terminant premier de son groupe devant Séville, et est donc qualifié pour les 16e de finale qui ont lieu en février. Et le LOSC réussit quelques « coups », comme l’élimination de Lyon en coupe de la Ligue (3-2).
Signe de la qualité collective de l’équipe : à mi-saison, en janvier, Claude Puel a utilisé 26 joueurs toutes compétitions confondues, dont 13 ont marqué au moins un but (Brunel, Dernis, Acimovic, Moussilou, Bodmer, Audel, Odemwingie, Dumont, Landrin, Debuchy, Tafforeau, Vitakic, et Manchev avant son départ).
C’est donc en deuxième position que le LOSC accueille le leader lyonnais, invaincu, le 23 janvier 2005. L’OL est 6 points devant et, au terme d’un match haletant et d’une grande performance de Tony Sylva, le LOSC s’impose 2-1. On aimerait s’emballer comme L’Equipe qui prétend que « Lille relance la L1 » (une expression courante de l’époque dès que Lyon perdait des points), mais on se réjouit surtout que l’équipe ait été à la hauteur dans ce sommet, et qu’elle semble manifestement entamer 2005 avec la ferme intention de maintenir sa place de dauphin.
Le LOSC va pourtant marquer le coup après ce match. À Caen, le gardien Planté détourne 13 frappes lilloises ; à Saint-Etienne, Rafael marque un but parfaitement valable mais refusé. Sans moins bien jouer, Lille n’a plus de réussite et enchaîne une série de 8 matches sans victoire, tout en ne perdant qu’une seule fois (ce qui fait 7 nuls si vous comptez bien – même si vous ne comptez pas bien d’ailleurs). En 8e de coupe UEFA, Auxerre élimine les Dogues. Le LOSC est redescendu 4e, tout en restant au contact du 2e : va-t-il rentrer dans le rang ? Claude Puel reste optimiste avec le retour du printemps : « nous avons atteint les limites d’un système sur des terrain en mauvais état. Balancer, on ne sait pas faire. La qualité du jeu revient avec les bonnes pelouses. On parvient à nouveau à déstabiliser l’adversaire ». Début avril, la pauvre équipe d’Istres va alors servir d’éxutoire : 8-0. Comme le dit Jean Makoun, « tous les buts qu’on n’a pas marqués depuis trop longtemps, on les a mis en seul match ».
Le LOSC est relancé et espère poursuivre à Monaco, deux points derrière, sa marche en avant. Mais le match est reporté pour cause de… décès du Prince Rainier. Le match suivant se joue donc contre Lens.
Si, au début des années 1990, on était au coeur d’une série de derbies pénibles et peu spectaculaires, on peut dire que, depuis la remontée du LOSC en 2000, à de rares exceptions près, les matches entre Lillois et Lensois offrent régulièrement un duel où au moins une des deux équipes est en haut de tableau, et ce jusqu’à la descente de Lens en 2008, comme l’illustre cet astucieux tableau :
Pour cette saison 2004/2005, à l’aller, au stade Bollaert, les deux équipes se sont séparées sur un nul 1-1, un score plutôt flatteur pour les Lensois, largement dominés en seconde période. Ce 16 avril, ce sera la troisième confrontation de la saison entre les deux équipes puisqu’en février, durant la série de non-victoires du LOSC en championnat, les Dogues ont battu les Sang & Or en coupe de France (3-2).
Avec un match en moins, les Dogues sont toujours deuxièmes, à égalité de points avec Marseille, tandis que les Lensois connaissent une saison moyenne : ils sont 10e mais peuvent encore espérer jouer l’Europe, même si Auxerre, 5e, est à 7 points.
Claude Puel aligne l’équipe suivante :
Sylva ;
Chalmé, Tavlaridis, Rafaël, Vitakic ;
Dumont, Makoun, Landrin ;
Dernis, Brunel, Moussilou
Le match est équilibré et pauvre en occasions. Le LOSC ouvre le score à la 39e minute : bien lancé par Geoffrey Dernis, et avec l’aide d’une lourde défense centrale, Moussilou s’échappe et trompe Itandje, parti trop tard, d’un tranquille plat du pied droit. Mais les Lensois égalisent 4 minutes plus tard par Jérôme Leroy. À la mi-temps, les deux équipes sont à égalité (1-1).
En seconde période, Lille domine de façon stérile, sans se créer d’occasion franche. Les entrées d’Odemwingie à la place de Dernis (59e) et de Debuchy à la place de Landrin (78e) n’y changent rien : on se dirige vers un nul. Le buteur, Matt Moussilou, est remplacé par Nicolas Fauvergue à la 88e minute.
Formé à Lens à partir de l’âge de 13 ans, Nicolas Fauvergue a quitté la formation lensoise deux ans plus tard en raisons de « lacunes techniques », selon ses formateurs. Après deux années à Béthune, il rejoint le LOSC, sous la direction de Rachid Chihab puis de Pascal Planque, et signe pro à Lille en 2003. Il a jusqu’alors été peu utilisé : il fait ses 30 premières minutes en L1 en octobre 2003 contre Ajaccio, en remplaçant Hector Tapia, puis ne réapparaît que durant la campagne Intertoto de l’été 2004, où il entre en jeu en fins de match, contre Minsk puis contre Leiria. Il fait également une apparition en championnat contre Bordeaux (août 2004), puis en UEFA contre Auxerre (mars 2005) : chaque fois, il est sur le terrain pour une dizaine de minutes.
Nicolas Fauvergue effectue donc sa 6e apparition sous le maillot lillois. La plus courte, et la plus décisive. Sur son premier ballon, il réceptionne un centre de Brunel et fait un mauvais choix en ne plaçant pas sa tête sur un ballon qu’il semble pouvoir reprendre ; son contrôle de la poitrine est approximatif, mais il semble garder le contrôle du ballon. Seulement, Jérôme Leroy revient et le lui enlève… du bras ! Pénalty pour Lille.
Le tireur attitré est Philippe Brunel : il en déjà transformés 4 depuis le début de saison, dont un lors du match de coupe contre le même adversaire. C’est toujours tiré à gauche du gardien, sans que ce ne soit très bien placé… Charles Itandje a peut-être bien révisé et renvoie le tir prévisible de Brunel : explosion dans le kop lensois. Mais ce n’est pas fini : Debuchy et Gillet se jettent sur le ballon, sans pouvoir le toucher. Ça arrive finalement à l’entrée de la surface, où Fauvergue arme du pied droit : le ballon est dévié sur la ligne des 6 mètres par Gillet, au sol avec Debuchy, et trompe le gardien lensois. 2-1 pour Lille, explosion dans le Stadium ! Nicolas Fauvergue est le 11e buteur lillois de la saison en championnat (le 14e en tout).
Avec cette victoire, le LOSC conforte sa position car, le soir, Monaco coule à Ajaccio (0-3). En dépit d’une défaite au stade Louis II lors du match en retard et d’un faux pas à domicile contre Ajaccio, le LOSC parvient à assurer sa deuxième place en s’imposant à Strasbourg, contre le PSG (avec un nouveau buteur : Mirallas), à Nantes (avec un nouveau buteur : Rafael), et enfin à Auxerre. Lille, pour la première fois de son histoire, se qualifie directement pour la phase de poules de la Ligue des Champions.
En juin 2018, quand il a raccroché les crampons, Nicolas Fauvergue confiait que le meilleur souvenir personnel de sa carrière était son premier but en pro, comme une revanche sur Lens où le coup des « lacunes techniques » « résonne toujours dans [s]a tête ».
Posté le 8 avril 2020 - par dbclosc
Où sont les derbies d’antan ?
En 1992/1993, le LOSC signe son record du plus petit nombre de buts marqués au cours d’une saison (26), loin des promesses offensives de l’été. Même la réception de Lens ne suffit pas à galvaniser les Dogues : en octobre 1992, Lille et Lens offrent un derby indigent, sévèrement jugé par la presse.
Après un nouvel épisode tumultueux au printemps 1992 avec les départs de Santini, Gardon et Dusé, le président Besson place Metsu (entraîneur), Gianquinto (direction sportive) et Defferez (centre de formation). Or, Tony Gianquinto a gardé quelques contacts en Amérique du Sud où, paraît-il, il va aller trouver les joueurs qui symboliseront le renouveau du LOSC.
Et c’est peu dire que la saison 1992-1993 a fait naître bien des espoirs pour le public lillois. Espoirs notamment suscités par quelques recrutements en attaque : si Lille peut encore revendiquer une réputation d’équipe solide grâce à sa défense, ça pêche (Gardon doit y être pour quelque chose) devant : 31 buts marqués en 91/92, et 39 en 90/91 malgré une belle 6e place. Le club parvient ainsi à maintenir l’ossature de son équipe (Nadon, Buisine, Rollain, Fichaux, Frandsen…) en la complétant par des éléments offensifs présentés comme prometteurs : Walquir Mota, qui vient d’inscrire 18 buts en D2 ; Samba N’Diaye, un jeune espoir prêté par Metz « amené à prendre la relève d’Abedi Pelé » selon la Voix des Sports en août, et Edgar Borgès, un milieu offensif Uruguayen. Ainsi, le nouvel entraîneur, Bruno Metsu, prépare une équipe a priori plus offensive que ce qu’on a vu depuis deux saisons, avec deux attaquants (Mota-N’Diaye) et deux milieux offensifs (Frandsen et Borgès ou Assadourian). Et les espoirs d’un LOSC offensif sont entretenus par une audacieuse campagne de publicité à coups de « Show devant ! », illustrée par le duo Mota-Borgès.
Une belle prise estivale (et, au premier plan : Edgar Borgès)
Dans le même temps, sur le terrain, les matches amicaux d’avant-saison semblent confirmer ces belles intentions. Lille marque et achève sa préparation estivale en explosant Lens 6-0 en finale du challenge Emile-Olivier ! Les buteurs sont N’Diaye, Borgès, et deux doublés de Mota (qui avait déjà permis de gagner la demi-finale 1-0) et d’Assadourian. Deux mois plus tard, le 3 octobre 1992, les deux équipes se retrouvent à Grimonprez-Jooris, qui accueille le premier derby de la saison en championnat (en vrai, c’est le deuxième, car il y a eu Valenciennes/Lille en août, mais on se comprend).
Le LOSC au Challenge Emile-Olivier 1992
Debout : Bray, Buisine, Rollain, Dieng, Oleksiak, Nadon
Assis : Mota, Borgès, Friis-Hansen, N’Diaye, Tihy
Lors de la dernière édition du derby en championnat, en avril, les Sang & Or sont venus s’imposer 2-1. Mais maintenant que le LOSC a une attaque de feu, cela ne devrait pas se reproduire ! Qu’en est-il d’ailleurs, après les 8 premières journées de championnat ?
Eh bien… Lille a 7 points (2 victoires, 3 nuls, 3 défaites). Jusque là, on reste dans les normes traditionnelles. En outre les Dogues ont conservé une solidité défensive avec 8 buts encaissés. Seulement, ils n’en ont inscrit que 3 ! On est bien loin des standards annoncés, et même largement en dessous de ce qu’a pu faire le LOSC au cours de toute son histoire. Dès la fin du mois d’août, après seulement 3 journées, le capitaine Thierry Oleksiak dressait un premier bilan qui pointait les lacunes devant : « plusieurs d’entre eux [les attaquants] découvrent la division 1. Il faut leur laisser un peu de temps. De toutes façons, il faut une période d’adaptation. Ce qui est sûr, c’est qu’après les matches amicaux, on a tous pensé très tôt que ça allait bien se passer ». Si Mota semble présenter quelques qualités (on en a parlé ici), les regards se tournent surtout vers Borgès, dont les prestations en championnat ont été « assez peu convaincantes » selon l’hebdo sportif régional. Au point qu’elles ont poussé Metsu à envoyer son joueur faire un petit stage avec la réserve en septembre. En raison de la limitation du nombre d’étrangers sur une feuille de match, il faut de toute façon en écarter un, et le choix paraît ici assez facile. Comme l’indique la Voix des Sports, « de deux choses l’une : ou l’Uruguayen est le bon joueur annoncé et il est censé mettre son talent au service de l’équipe professionnelle, ou sa réputation est surfaite et l’on peut s’inquiéter de son recrutement ». Les problèmes de l’équipe ont aussi contraint Metsu à revoir ses plans, en reculant Friis-Hansen libéro, en plaçant Frandsen en 10, et en écartant Fiard et Brisson.
Mets ton pull, et le survet’ tu le mets d’sus
Un match à enjeu peut être l’occasion de révéler les capacités jusque là enfouies d’une équipe. Ce derby tombe bien : après une défaite à Auxerre (0-2), il est l’occasion de rassurer le public, face à un adversaire lui aussi mal en point, qui n’a pas encore gagné (4 nuls, 4 défaites), et qui a l’avant-dernière défense de division 1, avec 14 buts encaissés. Les Lensois restent en outre sur 4 matches où ils ont encaissé au moins 2 buts, mais sortent d’un nul contre Marseille (2-2) après avoir égalisé en fin de match alors qu’ils étaient en infériorité numérique depuis la 33e minute. Bref, d’un côté comme de l’autre, ça ne va pas fort et Nord-Eclair annonce « un derby fiévreux » entre deux équipes malades : ça promet.
Voici la composition de Bruno Metsu, sans Leclercq, expulsé à Auxerre, et donc suspendu :
Nadon ;
Tihy, Dieng, Oleksiak, Rollain ;
Fichaux, Friis-Hansen, Bray ;
Frandsen, Borgès, Mota
Si les équipes étaient fiévreuses avant le match, la tournure du match aura au moins permis de confirmer ce diagnostic, sans pour autant trouver pour le moment de remède. Le derby n’aura accouché que d’une seule occasion, en seconde période, en faveur des Lensois : « à la suite d’un excellent travail préparatoire de Sirakov, Boli ratait l’immanquable » (57e). Pour le reste, rien, et il aura fallu chercher dans des événements extra-sportifs pour avoir de quoi sortir de sa torpeur avec, par exemple, la spectaculaire blessure de Cyrille Magnier après un choc aérien, ou l’interruption du match en première période après des jets de fumigènes en bord de pelouse, réprimés par… des jets de gaz lacrymogènes qui, pour les dirigeants lillois, provenaient du kop lensois, là où pour d’autres ils venaient « d’un policier un peu trop zélé ».
La presse régionale est consternée devant le « spectacle » proposé. On trouve pêle-mêle, dans la Voix des Sports, les passages suivants : « misère, misère… » ; « ce match n’en fut pas un tant il y eut d’approximations, de faiblesses techniques, de pannes de cerveau » ; « Encore un ou deux rendez-vous du même sceau et il faudra créer l’association « SOS Derby ». Que Lillois et Lensois aient dépensé beaucoup d’énergie n’est pas douteux, mais pour quel résultat ! Sans relief, sans saveur, sans but : il a manqué au spectacle tous les ingrédients indispensables. Le public de Grimonprez-Jooris a grondé. On le comprend ». La presse nationale lui emboîte le pas : L’Équipe évoque un match « triste à pleurer » : « le derby du Nord a été ennuyeux d’un bout à l’autre ».
Quant à la performance lilloise, elle est jugée « sans relief, terne et même franchement désolante en certaines circonstances », la faute à un « manque d’inspiration, d’organisation, de maîtrise technique ». Au cours de la deuxième période (« la plus lénifiante »), « les lillois furent presque toujours à côté du sujet, étant incapables de bâtir, incapables de lier leurs actions, incapables de jouer au ballon » ; « L’occasion était belle pour la bande à Bruno Metsu de tuer le scepticisme et la morosité qui l’enveloppent. Or, non seulement il eut échec sur toute la ligne, malgré le point du nul, mais encore la méthode lilloise, face au voisin lensois, a sûrement laminé les dernières illusions entretenues ici ou là ». À l’arrivée, ce sont les lensois qui ont fait la moins mauvaise impression.
Dans ces circonstances, les Sang & Or sont plutôt satisfaits, même s’ils sont conscients de n’avoir pas fourni une prestation de qualité. Leur entraîneur, Arnaud Dos Santos, souligne : « après coup, on a quelques regrets, évidemment, mais croyez bien que ce point nous procure un immense plaisir. Les gens auraient sûrement aimé un autre spectacle, mais en l’état actuel des choses, on ne pouvait certainement pas mieux faire ». Et leur président, Gervais Martel, est « content. Entre nous, sur ce que l’on a vu ce soir, il n’y a pas 3 points d’écart entre Lens et Lille. Dans ce derby, on se crée les meilleures occasions et, logiquement, on aurait dû gagner si Roger la met au fond sur le centre de Nasko ». Les voisins peuvent se satisfaire de la bonne prestation de Slater : « dans un derby souvent terne et ennuyeux, le rouquin fut le roi du flanc droit, multipliant les centres qui ne furent pourtant jamais de grands dangers de but pour Jean-Claude Nadon », mais l’Australien n’a tout de même « pas prononcé sa phrase-fétiche : « c’est sioupeeeer » », étant bien conscient que « le public ne s’est pas beaucoup amusé et c’est dommage. De telles rencontres devraient être des fêtes et c’est tout le contraire qui fut proposé aux spectateurs ». L’Australien peut désormais son concentrer sur son activité dominicale : il est juré du concours de Miss Artois à Méricourt.
Inévitablement, on pointe les criantes lacunes, notamment offensives, du LOSC, et on raille les promesses estivales : « voilà des années que ça dure ! À l’intersaison, le problème avait, pensait-on, été cerné. En gros, il suffisait de changer les hommes du devant, tout en continuant à assurer ses arrières. Tout faux. On invitera donc les « grands communicateurs » à réfléchir à deux fois avant de concocter leur prochaine campagne d’affichage ! ». Le courrier des lecteurs n’est pas tendre envers les Lillois, comme celui de G. Gosse, de Seclin : « les saisons se suivent et se ressemblent pour des Lillois qui n’arrivent pas à marquer. Où est donc l’équipe que les dirigeants avaient promis ? » ; « heureusement que la défense tient bon, sinon bonjour les dégâts ! Bruno Metsu ne fait guère mieux que Jacques Santini » selon E.Vandaele de Villeneuve d’Ascq. La Voix des Sports s’amuse à compter que le LOSC marque toutes les 4 heures et demi… L’entrée d’Assadourian à la pause à la place d’Oleksiak n’a rien changé : les Dogues ne se sont créé aucune occasion après la pause, et celui qui n’est pas encore titulaire indiscutable est le premier à s’en désoler : « en 45 minutes, j’ai eu un ballon, un seul. Un attaquant a besoin de 4 ou 5 ballon négociables par mi-temps pour pouvoir s’exprimer. Nous n’avons pas de fond de jeu (…) Nous sommes incapables de produire des décalages, des une-deux. Vous en avez vu vous, des une-deux ce soir ? On le sentait venir. Ce soir, ça a explosé aux yeux de tout le monde (…) Si on ne se ressaisit pas, le pire est à craindre ». Son compère d’attaque, Mota, insiste sur la dimension collective du problème lillois : « dans le football aujourd’hui, ce qui compte, c’est de bien préparer les actions. Pour pouvoir faire la bonne passe, décisive, au bon moment, et dans de bonnes conditions. L’attaque ne marche pas ? Mais c’est toute l’équipe qui est responsable. Nous sommes incapables d’aligner 3 ou 4 passes. On se précipité, on ne réfléchit pas, on balance. Il nous faudrait 4 ou 5 actions nettes par match pour conclure ». Cette belle ambiance est également partagée par Hervé Rollain : « on a vraiment touché le fond. C’est terrible des moments comme ça. On se dit que ce n’est pas possible, qu’il faut s’accrocher et puis rien ne vient. Toute l’équipe plonge ».
0-0, ça peut quand même faire deux satisfaits
Même l’entraîneur ne blâme pas spécifiquement les attaquants et assure que « le problème ne vient pas de là. Le drame dans l’histoire, c’est qu’entre l’envie d’aller de l’avant et la peur de perdre, le doute s’installe. On fait alors n’importe quoi, on n’attaque plus, on ne défend plus. En première mi-temps, on a fait illusion avec notamment 2 ou 3 bonnes inspirations de Borges. Mais après on a plongé. Ce fut une répétition de Lens/Lille de l’an dernier. Finalement, on constate que peu de choses ont changé. Des joueurs sont arrivés, d’autres sont partis, mais les lacunes demeurent ». Le lensois Slater a lui aussi souligné que « ce triste derby [lui a] a étrangement rappelé le 0-0 de l’an dernier au stade Bollaert ». Entre un LOSC qui est parti pour durablement s’installer en fond de classement, jusqu’à la chute finale en 1997, et un RCL encore faiblard mais qui va progressivement monter en puissance jusqu’à son titre national en 1998, on est en effet au coeur d’une série de derbies quelconques, que l’enjeu ne parvient pas à électriser : le match retour, juste après le licenciement de Metsu, accouchera aussi d’un immonde 0-0, tout comme le premier derby de la saison suivante, avant deux matches nuls 1-1 sans réelle saveur en décembre 1993 puis en juillet 1994. Mais n’est-ce pas toujours mieux que pas de derby du tout, comme c’est le cas depuis plusieurs années, le derby du Nord (au-delà de Lille/Lens) étant par ailleurs une espèce en voie de disparition ?
Technique moyenne ce Borgès, qu’en pensez-vous Arsène ?
Dans l’immédiat, ça ne s’arrange pas pour les Lillois, qui n’inscrivent que 2 buts lors de leurs 7 matches suivants : l’arrivée d’un joker s’impose. Début novembre, on profite d’une trêve internationale pour mettre à l’essai Chérif Oudjani : son but vainqueur (sur pénalty) contre Amiens n’est pas suffisant pour convaincre les dirigeants lillois, qui jettent finalement leur dévolu (car ils avaient un dévolu à l’époque) sur Pascal Nouma. Mais les Lillois resteront dans le brouillard toute la saison et l’année sera scandée par diverses affaires témoignant de la mauvaise santé du club. Au contraire des Lensois qui, s’ils ne gagnent qu’au bout de 14 journées, se classent 3e sur les matches retour et terminent le championnat à la 9e place.
Mota ne marquera jamais en championnat avec le LOSC ; Borgès inscrit son seul but fin octobre contre Lyon ; Nouma parviendra à marquer 2 fois ; et Samba N’Diaye 4 fois. Saluons notre meilleur buteur, Eric Assadourian : 6 buts. Avec 26 buts marqués en 38 matches, c’est un miracle que Lille ne soit pas relégué.
Bref, contre Lens et durant toute la saison 1992/1993, on aura plutôt été « manchots devant » : de quoi alimenter durablement, chez les faibles d’esprit, les pires fantasmes sur le climat de la région.
Posté le 8 février 2020 - par dbclosc
Dernier derby lillois avant la fusion
Ils ne le savent pas encore, mais ce 16 mai 1943, les deux rivaux historiques de l’Olympique Lillois (OL) et du Sporting Club de Fives (SCF) s’affrontent pour la dernière fois. Les « Diables Bleus » sont ainsi les derniers vainqueurs de ce derby, malgré la vaillante résistance dans les buts de l’OL d’un certain… Jean Baratte.
C’est dans la presse collaborationniste que nous trouvons quelques compte-rendus de la vie sportive de l’époque : de fait, les journaux qui paraissent sont collaborationnistes, sans quoi ils ne seraient pas publiés, ou alors clandestinement, comme le fait, avec une fréquence aléatoire, la Voix du Nord (VDN) jusque septembre 1944, mais vous devinez, bien évidemment, que la VDN ne consacre pas une ligne au football. C’est donc bien souvent en page 4 du Grand Echo du Nord de la France, dans les pages intérieures du Réveil du Nord, ou dans l’hebdomadaire Les Sports du Nord qu’il est possible d’avoir un aperçu de la vie footballistique, dont on a peine à croire, au-delà de son organisation chaotique, qu’elle soit absolument imperméable à la situation politique et militaire du pays, comme la lecture de ces journaux nous en donne l’impression. Alors qu’en Une de ces journaux, on se réjouit des pertes supposées des « Bolchevistes », des bombardements sur Londres, que la moindre déclaration d’Hitler, de Laval ou de Pétain est relayée et qu’on déplore « le Juif, ce fléau », le football passe pour une oasis qu’il est certes facile de placer au milieu d’un champ de ruines idéologique 80 ans après, mais qui dans l’immédiat a aussi une fonction idéologique claire (ce qui n’exclut pas qu’il distraie effectivement) : faire comme si tout était normal et servir de continuité avec la vie d’avant.
Fives vainqueur à l’aller
En mai 1943, le championnat 1942/1943 touche à sa fin. Durant les années d’occupation, les formules du championnat de France de football ont changé, sans que jamais on en trouve une bonne, mais c’était là une bien ambitieuse idée. Cette saison-ci, il est divisé en deux groupes de 16 équipes : le groupe Nord, avec notamment la présence du Sporting Club Fivois, de l’Olympique Lillois, du Racing Club de Lens et de l’Excelsior Roubaix ; et le groupe Sud. Depuis la professionnalisation du football en 1932, la ville de Lille attend avec impatience les confrontations entre les deux clubs rivaux de sa ville : l’OL (qui est désormais OICL puisque l’OL et l’Iris Club de Lambersart ont récemment fusionné), premier champion de France professionnel en 1933, et le SCF, qui a atteint son meilleur classement en 1934 (2e). D’ailleurs, cette saison a débuté le 31 août par « une sensationnelle réouverture » au stade Jules-Lemaire, avec d’emblée un SCF/OICL devant 10 000 spectateurs, dont le maire de Lille, M. Dehove, qui a vu les Fivois s’imposer par 4-1 (Triplé de Prouff et Stefaniak csc, alors que Vernay avait égalisé juste avant la pause pour l’OICL).
Le SCF (presque) au sommet, l’OICL à la peine
Ce score était annonciateur d’une belle saison des Fivois, surnommés les « Diables Bleus », et d’une saison en demi-teinte pour les « Dogues Irisés » comme l’appelle la presse régionale. En revanche, en coupe (où le territoire est là divisé en « zone occupée », « zone libre » et « zone interdite », l’OICL est parvenu jusqu’en finale de zone interdite (battu par Lens 0-2) là où le SCF a perdu dès les quarts de finale (éliminé là aussi par le RCL qui, rassurons-nous, a perdu en finale interzones contre Bordeaux, 1-2).
Lens est largement en tête de la compétition, qui ne débouche sur aucun titre, ça c’est dommage pour eux. Les Fivois, qui viennent de s’incliner 4-5 face aux « mineurs » – c’est ainsi qu’on les appelle – et ne peuvent plus les rattraper, sont deuxièmes et entendent bien conserver cette place. Les Dogues, de leur côté, après un début de championnat correct, se sont vite positionnés dans le ventre mou : les voilà 10e (sur 16) sans plus rien à espérer ni à craindre. Ils restent sur 3 défaites consécutives et viennent même de perdre 0-5 à Reims : « il semble bien qu’ils aient perdu toutes leurs qualités maîtresses (…) Il est grand temps que la saison se termine pour les Dogues, dont le moral, pour des raisons diverses, semble vraiment affecté » écrit Les Sports du Nord à la veille du derby. Si bien que ce OICL/SCF a perdu de son prestige, et les Fivois sont bel et bien les favoris : « sans doute l’avantage du terrain permettra-t-il aux ‘blanc cerclé rouge’ de se comporter mieux que précédemment devant leurs redoutables rivaux locaux. Mais il n’est reste pas moins vrai que Fives est aujourd’hui bien supérieur au ‘onze’ oïecéiste et qu’il entendra le prouver en s’assurant un sensible avantage à la marque finale ».
Le 16 mai 1943, au stade Victor Boucquey pas encore rebaptisé Henri-Jooris, le match est prévu à 15 heures. L’OICL est « privé du concours de nombreux joueurs de premier plan (…) nous sommes néanmoins certains qu’ils vont fournir pour ce classique derby un effort exceptionnel et que la lutte sera des plus serrées ». Pour faciliter le déplacement des supporters, un service spécial de trams est assuré entre la gare et le stade.
Voici les équipes annoncées par la presse le matin du match :
OICL :
Darui ou Leporcq ; Laurent, Deschodt, Mahieu, Stefaniak, Cheuva, Pollart, Staho, Baratte, Bigot, Lechantre
SCF :
Dessertot, Somerlynck, Dutilleul, Bourbotte, Jadrejak, Debruyckère, Tempowski, Tancré, Bihel, Prouff, Waggi.
En fait, par rapport à ces compositions annoncées, deux changements, dans les buts : à Fives Dessertot est finalement blessé et est remplacé par Arnould. Et, du côté de l’OICL, pas de Da Rui ni de Leporcq dans les buts mais Jean Baratte, l’habituel avant-centre de 19 ans ! Le plus extraordinaire est qu’aucune explication n’est avancée et que cette titularisation ne semble susciter aucune surprise dans la presse. Voyons-y un symptôme de la fin de saison, mais tout de même…
Fives sans problème
Le match est moyen : l’OICL, manifestement en roue libre, ne crée que peu de danger, tandis que les Fivois, supérieurs, ne forcent pas. Selon Le Grand écho, « le match a été joué avec beaucoup d’ardeur – exagérée de la part d’un Bigot, par exemple, au début du match, alors qu’il aurait pu s’employer à autre chose – d’enthousiasme, mais le plus souvent sans grande habileté de la part des uns et des autres ». Le Réveil du Nord insiste aussi sur la « trop grande virilité » de Bigot. Dans l’ensemble, le match se joue de façon courtoise, et on souligne notamment la qualité des joueurs « qui savent dominer leurs impulsions et qui ne se laissent jamais dépasser par l’énervement et la colère » : Stefaniak et Cheuva côté olympique ; Bourbotte et Jadrejak côté Fives.
Dans ce « qui n’était pas la grand ambiance de jadis » et dans une certaine « lassitude », la première période est marquée par un but refusé au SCF. En fin de première période, Baratte est sauvé par sa transversale et les deux équipes rejoingnent les vestiaires sur le score de 0-0. Les Dogues semblent dans un bien meilleur jour que lors de leurs précédentes sorties. On se dit que si Darui avait pu tenir sa place dans le but et que si Baratte avait été avant-centre, l’avantage pourrait revenir à l’OICL. Stefaniak maitrise parfaitement Bihel « qui ne fit rien d’utile ». Mais en seconde période, la supériorité des Fivois se révèle : à la 62e, Tempowski place une tête sur la barre mais, à l’affut, François Bourbotte reprend et ouvre la marque pour le SCF (0-1) !
Quelques minutes plus tard, Lechantre croit égaliser mais son but est refusé pour « off-side ». Si les Dogues ne contestent pas la décision de l’arbitre, ce refus provoque un premier « chahut » dans les tribunes, le public estimant qu’il n’y avait pas hors-jeu. À la 78e, « Prouff qui, pour une fois, oubliait de dribbler, expédiait un boulet qui battait Baratte » : 0-2 ! Dans les dernières minutes, alors que les Dogues poussent pour sauver l’honneur, Dutilleul commet une main : pénalty, pour le public ! Mais l’arbitre n’accorde qu’un coup-franc, à juste titre selon les journalistes. Le match s’achève sur cette victoire des Fivois.
Protestations en tribunes
La rencontre a été marquée par la forte véhémence du public et des « vociférations », à deux reprises : d’abord sur le but refusé à Lechantre, ensuite sur l’action de la fin du match. La presse régionale déplore ces comportements : « certains spectateurs n’ont point su commander leurs nerfs (…) il y eut des cris d’ensemble contre l’arbitrage dont on devrait se garder, dans l’intérêt même d’un club qu’on prétend aimer. Ces sortes de manifestations lui sont toujours préjudiciables ». Le Grand Echo prend la défense de l’arbitre car « aucun des supporters – ou soit-disant tels – ne peut prétendre en savoir plus sur les règles que MM. Boez, Sdez et Herbaut, qui dirigeaient la rencontre. Il y a vraiment des quantités incroyables de critiques de l’arbitrage et malheureusement trop peu de candidats à cette fonction difficile qui forme les caractères ». En outre, il se peut qu’il y ait eu des protestations d’un autre ordre : c’est ce que nous laisse penser des formulations plus alambiquées qui, à coup sûr, concernent autre chose que l’arbitrage, dont il est question très clairement dans d’autres passages. Ainsi, il y eut « quelques incidents dont on se serait bien passé. Les supporters de nos matches de football ont encore beaucoup de choses à apprendre avant de savoir discerner le vrai du faux. De plus, certains d’entre eux se laissèrent trop aller à des impulsions regrettables. C’est le signe d’un manque d’autorité et d’équilibre certains contre quoi il faudra réagir sans tarder ». Peut-être y projette-t-on ce qu’on aurait aimé qu’il s’y passât, mais ces phrases elliptiques qui en appellent à l’ordre renvoient peut-être à des manifestations plus politiques, qui ne peuvent être relayées dans les journaux que nous avons trouvées.
Baratte aussi habile avec ses mains qu’avec ses pieds
À l’arrivée, le SCF a fait preuve de « plus de robustesse », mais Lille « s’est comporté avec courage et, parfois, une certaine habileté. Lille aurait mérité de marquer au moins une fois ». Et Jean Baratte, dans tout ça ? Pour le Grand Echo, « ce petit diable de Jean Baratte a été excellent dans les buts ». Pour le Réveil du Nord, « il se défendit avec beaucoup d’à-propos », tandis que son acolyte fivois fit « une prestation qui fit souvent passer un frisson dans le dos des supporters des Diables Bleus ». Ainsi, le gardien fivois, fut-il le second, a été moins convaincant que Jean Baratte dans le but !
Nous connaissions l’épisode de la demi-finale de coupe de France 1952, où Jean Baratte, en raison de la blessure de Val, l’habituel titulaire, et du manque de confiance placé en D’Archangelo, le remplaçant, avait été titularisé dans le but ; là, c’est presque par hasard que nous avons trouvé ce précédent qui, sauf erreur de notre part, n’est relaté dans aucun ouvrage consacré au LOSC ou à ses ancêtres. Et puisque que nous allons de révélation en révélation, sachez que nous avons trouvé un troisième cas : en mars 1956, alors que Jean Baratte est désormais joueur du CO Roubaix-Tourcoing en D2, on le retrouve dans le but lors d’un déplacement au Havre.
Le gardien Baratte (à droite) s’interpose devant Tempowski
Dans le Grand Echo du 18 mai 1943, qui relate donc des faits qui se sont pour la plupart déroulés le 17 mai, lendemain du derby, on apprend que l’OICL, dont l’équipe de football ne constitue qu’une section, organisait son premier tournoi de tennis « réservé aux premières séries du club ». Le tournoi a été remporté par… Jean Baratte. Ce serait une drôle de coïncidence qu’un autre jeune lambersartois, sportif, de l’OICL, s’appelle également Jean Baratte, alors on a de bonnes raisons de penser qu’il s’agit du même. Dans les buts le 16, sur les courts le 17, de nouveau avant-centre en fin de semaine, c’est la vie que Jean Baratte mène.
La saison s’achève dans une relative indifférence. Lens remporte la compétition sans décrocher de titre ; Fives termine 2e, et l’OICL 9e, après 2 dernières victoires à Roubaix et contre Amiens.
Dans la foulée, l’ « équipe des Flandres » affronte à Paris l’équipe de Champagne dans le cadre de la finale de la Coupe des Provinces Françaises. On trouve parmi cette équipe des Fivois (Bourbotte, Bihel, Prouff), des Lillois (Da Rui, Stefaniak) et des Lensois (Marek, Mathieu, Lewandowski, Stanis, Ourdouillié, Siklo). Les Flandres l’emportent mais, au-delà du score, l’organisation de cette coupe est en quelque sorte le prélude à la (nouvelle) réorganisation du championnat de France pour la saison 1943-1944 dont il est déjà question dans la presse : c’est en effet cette forme de regroupements régionaux qui feront office de championnat, un championnat fédéral composé de 16 équipes, dont celle de « Lille-Flandres », qui reprend les meilleurs éléments de l’OICL, du SCF et de Roubaix, et qui annonce le futur LOSC, en 1944. Il n’y aura plus de derby Lille/Fives.
Posté le 16 février 2019 - par dbclosc
1956, la chute d’un monument
La saison 1954-1955 avait été un avertissement sans frais : à la faveur d’un barrage remporté contre Rennes, le LOSC s’était maintenu in extremis dans l’élite. Un an plus tard, pas de miracle : l’équipe, vieillissante, enchaîne les prestations calamiteuses et s’incline finalement en barrage contre Valenciennes. Pour la première fois de sa courte histoire et après une glorieuse décennie, le LOSC va connaître la deuxième division.
Le 11 juin 1955, le LOSC souffle : au Parc des Princes, il vient de remporter son barrage retour contre Rennes, 3e de D2, par 6 à 1 ; 5 jours plus tôt, à Reims, les Lillois avaient déjà battu les Bretons 1-0. Les Dogues joueront donc de nouveau en D1 en 1955-1956. Avec le gain de la coupe de France quelques jours avant contre Bordeaux (5-2), cette saison, qui avait débuté de manière désastreuse avec l’affaire Zacharias, est sauvée. On imagine désormais que le LOSC va retrouver les sommets du championnat : depuis la Libération, il a été au pire 4e : ce mauvais championnat 1954-1955 ne peut être qu’une péripétie. À l’intersaison, le gardien César Ruminski, trop handicapé par des blessures récurrentes, part pour Évreux ; Jacques Van Cappelen signe à Revin. Côté renforts, on note les arrivées de Jacques Delepaut, venu de Roubaix-Tourcoing, fraîchement relégué en D2 ; et de Enzo Zamparini, espoir de Jeumont, une sorte de Pavard, coiffure correcte en prime.
Dernier moment de joie dans les rangs du LOSC avant un long moment : le président René Coty salue le capitaine du LOSC, André Strappe, le 29 mai 1955, avant la finale de coupe de France que Lille va gagner 5-2 contre Bordeaux. Les autres joueurs, de gauche à droite : Van Gool, Pazur, Lemaître et Clauws.
Les fondations s’effritent
Pas d’histoire farfelue de faux recrutement cette fois mais hélas, le nouvel exercice démarre sur de bien mauvaises bases qui semblent déjà traduire des tensions au sein de l’effectif d’une part, et entre une partie de l’effectif et la direction du club d’autre part. Quelques jours avant la reprise du championnat, prévue le 21 août 1955 contre Monaco, Jean Vincent, dont le statut de vedette ne fait plus de doute après sa sélection durant l’été dans « l’équipe du Continent1 » qui battu l’Angleterre 4-1 à Belfast, refuse de reprendre le championnat avec le LOSC. Bernard Lefebvre et Yvon Douis, internationaux B, le soutiennent et se joignent à la grève. Leur revendication : qu’on rende la prime aux internationaux qui leur a été supprimée. Le président Louis Henno ne cède pas et Lille, sans ses grévistes, bat Monaco 2-0. Les 3 contestataires rentrent dans le rang, s’acquittent d’une amende de 15 000 francs chacun, mais bonjour l’ambiance. Ce succès inaugural est vite évacué : si le LOSC parvient à faire des performances honorables à domicile, sa défense est catastrophique. Dès le 14 septembre, pour le trophée des champions contre Reims, le LOSC signe une inquiétante défaite 1-7 contre Reims ; 4 jours plus tard, le 18 septembre, pour la 5e journée, le LOSC remet ça signe ce qui est encore à ce jour sa plus lourde défaite en championnat à l’extérieur : 1-7 à Nice. Du 14 au 18, 4 jours dramatiques que les historiens nomment la « boucherie de 14-18 ». Résultat, le club se retrouve vite englué en fond de classement. Dans L’équipe, André Cheuva déclare : « si le LOSC continue à jouer de la sorte, si on ne fait pas d’efforts pour réagir, le LOSC descendra en seconde division ». À l’issue des matches aller, le LOSC compte déjà 10 défaites, et se retrouve 17e sur 18, c’est-à-dire en position de relégable (le 16e jouera un barrage contre le 3e de D2).
Si l’entraîneur, André Cheuva, considère que la parcours du LOSC jusqu’alors n’est qu’un « accident », il fait tout de même venir en cours de saison Alphonse « Fanfan » Cassar de Perpignan et Robert Meuris de Nîmes. De façon plus surprenante et signe de la panique qui s’empare du club, alors qu’il avait pris une licence amateur et préparait sa retraite, l’ancienne gloire Marceau Somerlinck est rappelé en urgence en équipe première.
En coulisses, ce n’est guère mieux : l’un des dirigeants, Marcel Veroone, le directeur des finances, également passé par l’Olympique Lillois et le SC Fives, démissionne en mars à la fin d’un hiver qui a vu les révélations s’accumuler sur l’état catastrophique des finances du club : 18 millions de déficit, et probablement bien plus à attendre en fin de saison, sans compter que le LOSC rémunère grassement des joueurs amateurs ; Henri Kretzschmar, ancien président de l’OL (et ancien sélectionneur de l’équipe de France de basket, qui fit 3e au championnat d’Europe de 1937 ! Il est aussi le père de Jean-Jacques, losciste entre 1945 et 1948, puis qui a surtout marqué l’histoire du CORT), désormais vice-président du LOSC, décède en mars 1956 : on dit de lui qu’il assurait des liens précieux entre les joueurs et la direction.
Le printemps est là, mais rien n’y fait : Lille est toujours en bas de classement.
Nous allons à partir de maintenant nous intéresser à la fin de saison de ce LOSC 1955/1956, avec de longs extraits de presse dont les formulations nous ont bien amusé.
Le LOSC 1955-1956
Debout : Delepaut, Pazur, Van Gool, Clauws, Bieganski, Lemaître
Assis : Bourbotte, Douis, Taisne, Strappe, Lefevre
Y a le printemps qui déchante
Voilà la situation début avril :
_Lille a joué 25 matches de championnat, il en reste donc 9 à disputer.
_Les Dogues sont 16e avec 21 points, en position de barragiste, juste derrière Strasbourg, devant au goal-average. Derrière, Bordeaux est à 4 points ; Troyes à 6 (la victoire est à 2 points). Devant, Metz, Nancy et Nîmes ont 24 points.
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Joués |
Victoires |
Nuls |
Défaites |
BP |
BC |
Points |
12. Nîmes |
26 |
9 |
6 |
11 |
53 |
47 |
24 |
13. Nancy |
26 |
9 |
6 |
11 |
43 |
50 |
24 |
14. Metz |
26 |
9 |
6 |
11 |
40 |
51 |
24 |
15. Strasbourg |
26 |
9 |
3 |
14 |
41 |
51 |
21 |
16. Lille |
25 |
9 |
3 |
13 |
46 |
49 |
21 |
17. Bordeaux |
26 |
6 |
5 |
15 |
33 |
53 |
17 |
18. Troyes |
26 |
4 |
7 |
15 |
33 |
58 |
15 |
_Le LOSC est éliminé de la coupe de France depuis les 16e de finale et un déplacement à Saint-Etienne (0-2)
_En revanche, le LOSC reste qualifié pour la coupe Drago après avoir sorti Grenoble en 1/8e : cette coupe est un lot de consolation pour les équipes prématurément éliminées de la coupe de France. Vous allez voir que ce « cadeau » se révélera empoisonné pour la fin de saison des Lillois et leur lutte pour le maintien.
Avez-vous remarqué ? Les adversaires du LOSC ont joué un match en plus. Les Lillois ont un match en retard, à Sedan, qui aurait dû être joué en février. Le classement ne le laisse pas penser quand on le découvre, mais ça va mieux pour nos Dogues, qui viennent successivement de battre à Henri-Jooris le leader niçois (2-1) puis Strasbourg (4-0). Voilà une bonne occasion de laisser la place de barragiste à Strasbourg ! Hélas, le renouveau est de courte durée. La Voix du Nord donne le ton : la confiance règne. En évoquant les Lillois, le journal écrit : « c’est un match qu’en principe ils doivent perdre ». Les Sedanais sont en effet bien placés : 5e, et le LOSC est privé de son buteur Jean Vincent, touché aux reins (probablement lors d’un match contre Strasbourg). Devant un public nombreux au stade Emile Albeau, Gérard Bourbotte ouvre le score à la 54e minute et semble prolonger la bonne série lilloise. Mais les sangliers égalisent à la 65e et, 5 minutes plus tard, ils inscrivent un second but par… Bieganski, contre son camp, qui manque son contrôle sur un corner. Lille s’incline 1-2 aux buts, 3-8 aux corners, et reste barragiste. Attention, c’est le début d’une série cataclysmique : après cette défaite dans les Ardennes, le LOSC enchaîne en effet 5 défaites consécutives.
Tout d’abord à Monaco : toujours privé de Vincent et de Douis, le LOSC doit affronter des monégasques motivés par le mariage de leur Prince avec Grace Kelly trois jours plus tard. Monaco s’impose 2-0 grâce à des buts de Valoryzeck (23e) et de Stopyra (35e) sur une contre-attaque initiée alors que les Dogues venaient de frapper la transversale. L’ASM prend sa revanche par rapport au match inaugural de cette saison, et les deux points qu’espéraient le LOSC sont en principe ôtés. Tandis que les mariés roucoulent sur le trône, on se dit de plus en plus que le LOSC a fini de régner. Et pour couronner le tout, Strappe s’est blessé ! Eh ben y a qu’à mettre un strap ! Il a dû finir le match ailier droit, puisqu’on rappelle que les remplacements ne sont pas autorisés avant 1967. Dans le même temps, Strasbourg a battu le leader niçois (2-1) et se retrouve de nouveau 2 points devant. « La fin de saison s’annonce bien difficile », écrit la VDN le 17 avril 1956. Le LOSC reste bloqué à 21 points. Le prochain adversaire ? Bordeaux et ses 17 points.
Des images insupportables quand on a conscience du drame qui se joue au LOSC au même moment
Mais alors que le LOSC a l’occasion d’écarter Bordeaux de manière quasi-définitive, il chute à nouveau. La VDN semblait pourtant confiance en décrivant une équipe girondine vieillissante, bien que son dernier coup d’éclat fut une finale de coupe de France 10 mois plus tôt : on y trouve désormais une « absence à peu près complète d’éléments jeunes, dynamiques et rapides. Pour n’avoir pu ou voulu rajeunir les cadres en début de saison, les dirigeants girondins assistent maintenant, impuissants, à la chute verticale que rien, sauf un miracle, ne peut arrêter. Est-ce à dire que les Girondins jouent mal ? Certes non, ils produisent au contraire un jeu classique calme, pondéré. Mais rien de tout cela ne vaut si, chaque fois, l’adversaire vous prend de vitesse. Les Girondins jouent bien, mais ils jouent vieux ». Après tout, si la VDN avait voulu parler du LOSC sans le dire explicitement, elle ne s’y serait pas prise autrement. Malgré le retour de Vincent, le LOSC s’incline (1-2) et voit Bordeaux se rapprocher dangereusement à 2 points.
Journal de tradition facétieuse, la VDN profite le même jour d’un article sur les basketteurs du LOSC pour égratigner ses footballeurs, assimilés désormais au fond du panier.
« Le rush du muguet »
Mais tout va s’arranger : le 29 avril puis le 1er mai, le LOSC reçoit deux fois consécutivement à Henri-Jooris, Sochaux puis Toulouse (entraîné par Jules Bigot). Une opération commando en deux jours que la presse locale appelle le « rush du muguet » : misons donc sur la fée Clochette ! « Que peut-on attendre, se demande la VDN, d’une formation lilloise qui n’a pas su battre une équipe bordelaise pourtant bien faible ? Nouvelle déception ? Sursaut revanchard ? ». En fait, on comprend bien que quel que soit l’adversaire et sa façon de jouer, le LOSC rencontrera des difficultés. Sochaux sera difficile à battre car il est « un adversaire sérieux, solide, très rapide. Or, le LOSC ne prise guère ces équipes dynamiques, au football prompt ». Et Toulouse sera également difficile à battre, parce que son système de jeu semble inverse : « Toulouse a une fâcheuse tendance à choisir des méthodes purement défensives. Le LOSC, dont les avants ne sont pas toujours des modèles de spontanéité et de décision, aura, là encore, une tâche bien difficile ». On en conclut logiquement que le problème, c’est bel et bien notre équipe ! Le LOSC s’incline deux fois sur le même score (1-2) et se retrouve 17e, même pas en position de barragiste, car Bordeaux a pris des points, tandis que Strasbourg s’échappe. La VDN n’est pas tendre avec des Lillois « ridiculisés » contre Sochaux. Quant à Jules Bigot, l’entraîneur toulousain, il s’étonne même de gagner en dépit de la médiocrité de son équipe : « nous n’avons jamais réussi à prendre la surmultipliée, et pourtant nous avons battu Lille. C’est dire à quel point l’équipe est très loin de ce qu’elle était autrefois ». Sous la plume d’Augustin Charlet, la VDN tire donc le bilan du « rush du muguet » : « les grands vaincus de la période à cheval sur avril et mai sont donc les Lillois, en raison de la position maîtresse qu’ils ont occupée durant tant d’années dans la hiérarchie du football français. C’est absolument navrant ». Dans le cul les petites clochettes !
Robert Lemaitre échappe au marquage de René Pleimelding (le papa!) et trompe le gardien toulousain, Guy Roussel (le cadet !)
Après 30 journées, voilà le bas de classement. Il reste 4 matches.
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Joués |
Victoires |
Nuls |
Défaites |
BP |
BC |
Points |
14. Nancy |
30 |
10 |
6 |
14 |
44 |
56 |
26 |
15. Nîmes |
30 |
9 |
8 |
13 |
57 |
53 |
26 |
16. Bordeaux |
30 |
9 |
5 |
16 |
41 |
59 |
23 |
17. Lille |
30 |
9 |
3 |
18 |
50 |
59 |
21 |
18. Troyes |
30 |
4 |
8 |
18 |
37 |
67 |
16 |
Les joueurs s’agacent, la Voix du Nord contre-attaque
Pour le moment, il y a une trêve de 8 jours. La VDN y avait déjà fait allusion dans un éditorial le 2 mai, après les deux défaites du « rush du muguet » : il va y avoir des révélations sur le comportement des joueurs lillois, vous allez voir ce que vous allez voir. Le lendemain, Jean Chantry écrit dans un article intitulé « la recherche du coupable » que les joueurs lillois accusent la VDN d’être en partie responsable de leurs mauvais résultats ! La rédaction fait le point et en profite pour révéler les conceptions journalistiques du président Henno :
« Il y a 6 mois que, dans ce journal, sont soulignées les erreurs d’une direction molle, incapable de faire front à ses responsabilités, qui tolère les pires abus. Il y a 6 mois que nous ne cessons de dire aux Lillois qu’ils sont sur la mauvaise pente, sans que quoi que ce soit ait été tenté pour redresser la barre. Contrairement à ce que seuls les sots peuvent penser, ce n’est pas une entreprise de démoralisation (…)
Depuis 6 mois, les dirigeants du LOSC pratiquent la politique de l’autruche, limitent leur champ d’action à quelques querelles intestines de comité, alors que l’équipe est en péril. Quant à prétendre que notre journal est responsable, voilà qui est vite dit. On inverse les rôles… et le tour est joué. Le but raté, c’est la faute d’une critique abusive ; ce but concédé, c’est à cause d’une phrase acerbe. La puérilité de telles excuses n’échappe à personne (…)
Les footballeurs professionnels ont vraiment une conception comique de leur rôle. La moindre phrase qui ne vanterait pas leurs mérites diminuerait donc leur potentiel ? Certes, on sait bien que ce qu’il faut, c’est une presse à l’eau de rose, qui exclurait les critiques pour n’adresser que louanges. M. Henno ne l’a d’ailleurs pas caché. Un après-midi de juin 1953, alors que l’on recevait les joueurs lillois qui venait de remporter la coupe de France, il déclara sans vergogne, dans notre salon de réception : « ce qu’il nous faut c’est une presse nordiste ! » . Nous sommes navrés, mais notre conception du journalisme est de n’être à la solde de quiconque, de garder notre liberté d’expression, de jugement, de critique.
Admettez plutôt, messieurs les footballeurs du LOSC, qu’il était difficile, dimanche et mardi soir, de vous tresser des lauriers. Chaque fois que cela était votre dû, les félicitations n’ont pas été marchandées. Souffrez qu’aujourd’hui le ton ait changé (…)
Ne rendez pas responsable de vos errements le journaliste qui fustige, le spectateur qui siffle ou le sportif qui ne partage pas vos sentiments. Le coupable, c’est vous, et ceux qui vous dirigent. Et personne d’autre ».
Histoire de montrer que les avis de la VDN ne sont pas isolés, l’édito reprend des critiques récentes, pas vraiment plus tendres à l’égard des joueurs loscistes, formulées par les concurrents Nord-Eclair (« Vincent et Strappe ont couru dans le vide », « Rivet a manqué son entrée »), Nord-Matin (Lefèvre y a été qualifié de « boulet » et de « poids mort »), et Liberté (« on se demande avec effroi ce que fera l’équipe de Lille, même en seconde division, dans sa forme actuelle »).
Après ces propos acides, peut-être pour désamorcer les tensions, la VDN, dès le lendemain, propose un article dont nous n’avons pas bien compris l’intérêt ni si cela voulait dire que le 1er avril avait été repoussé cette année-là au 4 mai. Sous le titre « Ce que pense l’homme de la rue de la situation du Lille O.S.C. », la VDN propose une « enquête » – en fait, un micro-trottoir – pour recueillir l’avis de passants sur le LOSC, mais pas n’importe quels passants, puisqu’il est explicitement écrit : « qu’en pensent les sportifs de Lille ? ». En guise de sportifs : l’agent 843 de l’ELRT (Electrique Lille-Roubaix-Tourcoing, l’ex-tram) ; M. Vergracht, pâtissier ; M. Renard, commerçant de la Grande Chaussée à Lille ; le marchand de billets de la loterie place du théâtre ; l’agent 239 717 affecté Grand’place ; M. Wanin, militaire et footballeur à l’US Maubeuge ; M. Marle, gérant de café ; ou M. Neuwiart, dont on ne sait pas ce qu’il fait, mais voici sa déclaration : « quand le LOSC jouera ses matches à la Porte des Postes, j’y retournerai. Et ça ne tardera pas ! ». Citons enfin in extenso la déclaration de l’abbé Desrumeaux, 52 ans, particulièrement éclairante : « Je n’y connais rien du tout en football. Pourtant, j’entends dire que ça « cloche » au Lille OSC. Mais je ne sais pas quoi ». Un reportage qui rappelle les plus belles heures de Groland.
L’abbé Desrumeaux (oui parce qu’il y a la photo de tout le monde aussi)
Lille et Lens, destins liés
Retour à la compétition. Rappelez-vous : le LOSC est toujours engagé en coupe Drago, cette coupe de consolation. Et Lille brille : 3-0 contre Monaco (Lemaître, Vincent et Lefèvre) ! Cette coupe est bien moins prestigieuse que la coupe de France, et les résumés de matches ne sont l’objet que d’un petit encart. Impossible de savoir si Monaco a aligné son équipe-type, et pas un mot d’étonnement sur cette bonne performance des Dogues. Quoi qu’il en soit, voilà le LOSC en demi-finale.
Côté championnat, on en est à 4 défaites consécutives. Voilà la cinquième : à Nîmes (0-2). Dans la continuité de leurs précédentes prestations, les Lillois ont déçu et inquiété : « l’équipe lilloise a donné l’impression d’être complètement de coton. Ses hommes ne se sont jamais trouvés, ses actions ont été pauvres, sa défense a souvent paru désespérée. Les hommes de base ont souvent erré sur la pelouse (…) On peut encore s’étonner d’une chose. Notre correspondant Roger Chabaud mentionne que c’est Rivet qui a été chargé de veiller Kominek, qui est le meilleur avant, le stratège de l’équipe gardoise. Déjà, la même erreur avait été commise contre Toulouse, avec Di Loretto. Le meilleur avant contre le Lillois le moins expérimenté et le mois rapide. C’est à peine pensable. On appelle cela donner des armes à l’ennemi ». Lille 17e avec 21 points, est presque largué par Metz, 15e avec 27 points. Bordeaux est 16e avec 23 points. Nancy, Nîmes et Strasbourg sont hors de portée. La cause des Lillois est presque entendue : il reste 3 matches et, s’ils se sauvent, ça ne peut plus qu’être via le barrage.
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Joués |
Victoires |
Nuls |
Défaites |
BP |
BC |
Points |
14. Nancy |
31 |
11 |
6 |
14 |
46 |
58 |
28 |
15. Metz |
31 |
10 |
7 |
14 |
44 |
61 |
27 |
16. Bordeaux |
31 |
9 |
5 |
17 |
41 |
62 |
23 |
17. Lille |
31 |
9 |
3 |
19 |
50 |
61 |
21 |
18. Troyes |
31 |
4 |
9 |
18 |
38 |
69 |
17 |
Et pendant ce temps, lors de cette 31e journée, Lens bat Nice 4-0. Cela signifie que les Sang & Or, deuxièmes, reviennent à 2 petits points de Nice, leader. Alors qu’une victoire des Aiglons aurait quasiment acté le titre niçois, et par la même occasion anéanti les espoirs lensois, ces derniers abordent la dernière ligne droite avec un enjeu de taille : un éventuel premier titre. Et où se rendent donc les Lensois pour la 32e journée ? À Lille, bien évidemment. Autant dire que ça pue, et la VDN écrit : « tels que l’on a vu les Lensois hier, et tels que l’on connaît les Lillois, il ne semble pas que les Loscistes aient grand chose à espérer ».
Faudra nous donner la définition de « sensationnel »
Le derby se joue le 13 mai 1956, tandis que dans le même temps, Bordeaux se déplace à Strasbourg. Le quotidien régional regrette presque cette opposition : « quoi qu’il arrive, même dans le cas d’un match nul, l’un des clubs sera perdant ». Lens est logiquement favori, et se crée rapidement 3 occasions : l’une finit sur la barre (8e), une autre sur Van Gool (18e), et la dernière sur Strappe (20e). Mais les Lillois résistent et ouvrent même le score par Lefèvre, reprenant un centre de Walzack (22e). Les Lensois sont alors désorientés et subissent, mais ni Lefèvre (53e, 59e) ni Vincent, qui trouve à son tour la transversale sur un « heading » (on suppose qu’il faut comprendre « une reprise de la tête », 61e) ne parviennent à doubler la mise. Et ce qui devait arriver arriva, mon p’tit Jean-Mimi : Lens égalise par Jonsson (73e). Lens termine fort le match mais Van Gool permet de prendre 1 point. Somme toute, le LOSC a (enfin) montré un visage assez séduisant. La Voix du Nord écrit avec amertume : « on est au regret de vous dire que si les Lillois s’étaient plus souvent battus de la sorte, ils n’en seraient pas là ». Bordeaux a aussi pris 1 point à Strasbourg, donc statu-quo de ce côté du classement : Bordeaux, 16e et barragiste, a 24 points, et le LOSC, 17e, en a 22. C’était presque acté depuis la dernière journée mais c’est désormais officiel : le LOSC finira ce championnat au mieux 16e, c’est-à-dire barragiste, et au pire 18e, Troyes n’étant que 3 points derrière. Par ailleurs, mauvaise nouvelle pour les Lensois et maigre consolation pour nous : Nice s’est imposé contre Metz (1-0) et reprend 3 points d’avance alors qu’il ne reste que 2 journées. Il y a une tournure des événements à laquelle la VDN n’avait pas pensé : que les deux clubs nordistes soient perdants avec ce nul. C’est bien parti.
Strappe en plein « heading », avec le Lensois Polak
À l’ATAC !
La situation est simple : le LOSC, 17e, a 2 points de retard sur le barragiste Bordeaux. Il reste 2 matches, la victoire est à 2 points, et a priori, si on ne déconne pas, le goal average est favorable au LOSC. Prochain déplacement : Troyes, 18e ! L’occasion soit de préparer le bouquet final en terminant dernier, soit de se donner une chance de passer devant Bordeaux, qui reçoit… Nice, qui peut être sacré champion de France. « Raisonnablement, on peut penser que le LOSC gagnera à Troyes » lit-on dans le quotidien, d’abord en raison des « forces » sportives en présence, mais aussi parce que Troyes joue la finale de coupe de France une semaine après, contre Sedan : « or, huit jours avant un tel événement, inédit chez les Troyens, on songe plutôt à se garer les tibias ». Autrement dit : il y a fort à parier que les Troyens, qui ne peuvent même plus accrocher le barrage, lèveront le pied, ou qu’ils aligneront une équipe de réservistes. Et puisqu’on peut toujours compter sur pire que soi, on apprend que c’est un merdier sans nom à Bordeaux : la direction vient de collectivement démissionner, aucun responsable n’a assisté au « training », et Manuel Garriga, défenseur central des Girondins, a frappé son entraîneur, un dénommé Gérard, qui a déposé plainte.
Le 21 mai 1956, le LOSC se rend au stade de l’Aube. Sa première relégation peut être officialisée à l’issue du match. Il n’a pris jusqu’alors que 2 points à l’extérieur… La VDN souligne que l’esprit des Troyens est à Colombes pour la finale, mais que l’équipe-type devrait être alignée, sauf en attaque. On note notamment les absences, de Flamion (blessé) et de Hjalmarsson (suspendu), ce qui fait se demander très sérieusement au journaliste si l’entraîneur de Troyes, Roger Courtois, 43 ans et 11 mois, va rechausser les crampons pour l’occasion. Il paraît que ça lui arrive encore de temps à autre, lui qui fut meilleur buteur du championnat en 1936 et 1939 avec Sochaux.
Allez, c’est parti ! En fait, Troyes a bel et bien aligné une équipe-bis. Tentative de déstabilisation évidente : Roger Courtois est titulaire ! Résultat : dès la première minute, but pour Troyes ! Mais Lille réagit vite par Vincent, qui égalise d’une frappe lointaine. Et puis, certes face à une équipe limitée, les Lillois jouent un football « splendide » : « les Lillois avaient, d’un seul coup, retrouvé la plénitude de leurs moyens, et étaient devenus l’équipe irrésistible qu’on avait connue jadis ». Score final : 1-6. Et comme Bordeaux s’est incliné 1-2 face à Nice (qui est officiellement champion, en dépit du carton des Lensois, 7-3 contre le RC Paris), Lille reprend la place de barragiste grâce à son goal average.
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Joués |
Victoires |
Nuls |
Défaites |
BP |
BC |
Points |
16. Lille |
33 |
10 |
4 |
19 |
57 |
63 |
24 |
17. Bordeaux |
33 |
9 |
6 |
18 |
43 |
65 |
24 |
Bon sinon, le club de Troyes, à l’époque, ce n’est pas l’« ATAC », mais l’« Association Sportive Troyes Sainte-Savine ». Cependant, un intertitre « à l’ASTSS ! » n’aurait rien signifié. Prochain match de championnat dans 15 jours.
Les complots se mettent en place
Dans toute histoire mettant en scène des déboires du LOSC, il y a forcément un complot. Comme nous l’avons déjà brillamment démontré, il y a même parfois des complots-gigognes : quand on pense découvrir un complot, d’autres apparaissent. C’est typiquement ce qui va arriver pour clôturer la saison. Vont se liguer contre le LOSC : l’armée française ; la ligue nationale de football ; la propre réserve du LOSC ; les maladies infantiles. Suivez bien, c’est limpide et cela va apparaître progressivement.
On en a peu parlé jusque là, mais en fouillant les archives de l’époque, on est frappés par la prégnance de l’actualité internationale. C’est la guerre en Afrique du Nord, et l’Afrique du Nord à l’époque, c’est encore un peu la France.
Si la Tunisie et le Maroc sont officiellement indépendants depuis quelques semaines, la situation est dramatique en Algérie : conséquence notable, le service national a été allongé au mois d’avril ; les Algériens se révoltent, et notamment en mai 1956 où « l’embuscade de Palestro », causant la mort de 20 militaires, suscite une émotion considérable en métropole ; près de 50 000 réservistes sont appelés à rejoindre l’Algérie, ce qui suscite durant tout les mois de mai et juin des émeutes à Paris entre forces de l’ordre et manifestant hostiles au départ des rappelés vers l’Algérie. Les informations sont partielles, et la VDN sert régulièrement de carte postale pour rassurer les familles des militaires basés en Afrique du Nord.
Or, parmi les appelés se trouvent… Gérard Bourbotte et Roland Clauws. Après le match à Troyes, ils rejoignent immédiatement Sissonne (Aisne), centre de rassemblement. Mais on va toutefois pouvoir compter sur eux encore un peu.
La coupe Drago, ce boulet
Mais si le LOSC finit en barrage, qui affrontera-t-il ? Lors de la dernière journée, et dans des conditions semble-t-il suspectes qu’on ne va pas relater ici, Béziers, jusqu’alors 3e, concède un étonnant nul à domicile contre le Stade Français (1-1), si bien que Valenciennes profite de son succès au Red Star (9-1) pour lui chiper la place de barragiste, au goal-average. Apparemment le gardien du Red Star, un dénommé Hugues, n’est pas très content sur le 8e but, car il a raté son dégagement : « c’en était trop pour le malheureux portier parisien, qui quitta le terrain. Son entraîneur dut aller le chercher et lui offrir le poste de demi-droit », tandis que Pasik passe dans les cages. C’est écrit comme si on décrivait une touche. Donc on aura en barrage, sur deux confrontations en terrain neutre : Valenciennes/Lille ou Bordeaux.
« Terrain neutre » ? Pas exactement. Voici venir un autre complot. On apprend fin mai que si Bordeaux joue le barrage, les matches se dérouleront à Rennes, puis à Paris. Mais si c’est le LOSC, on jouera le premier match… à Lens. Très belle idée déjà dans l’absolu, et d’autant plus après avoir contribué à empêcher le premier titre des Lensois. C’est une décision du « groupement des clubs autorisés », ancêtre de la Ligue de Football Professionnel. Merci le Groupement !
Souvenez-vous : le LOSC est en demi-finale de la coupe Drago. L’adversaire : le FC Metz, que le LOSC affronte à Boulogne-sur-mer le 29 mai, avec ses 2 rappelés, Bourbotte et Clauws, qui bénéficient d’une permission exceptionnelle. Comme d’habitude, ça ne fait l’objet que d’un petit encart dans la presse, mais on apprend qu’au bout de 90, puis de 120 minutes, il y avait 1-1. Et en prime, Bourbotte a joué toute la prolongation avec une élongation. Donc on fait quoi ? Eh bien on rejoue, bien sûr. Ce sera le 6 juin, à Longwy.
Arracher le barrage
Ne voyez pas dans cet intertitre une référence à nos amis de Fréjus : l’humour noir, très peu pour nous. Le dernier match de championnat, avant un éventuel barrage, a lieu le 4 juin à Marseille, 5e. Bordeaux, de son côté, va à Monaco, qui peut encore accrocher la 2e place. A priori, on peut encore compter sur Gérard Bourbotte, qui vient d’avoir un deuxième enfant, et bénéficie « des dispositions spécialement prévues dans ce cas ». En clair, il vient d’avoir un enfant à Lille et est donc autorisé à se rendre à Marseille. Tiens, Clauws est aussi autorisé à jouer, c’était bien la peine de s’encombrer d’un marmot.
Le suspense du bas de tableau conduit à une décision qui nous paraît farfelue aujourd’hui : pour assurer l’équité sportive, le Groupement a interdit toute retransmission radiophonique des matches Marseille/Lille et Monaco/Bordeaux. Que le Groupement en ait le droit est déjà étonnant, qu’on considère que l’interdiction assure l’équité l’est tout autant. De toute façon, Marcel Dassonville, directeur sportif du LOSC, se tiendra informé par téléphone de ce qui se passe à Monaco.
Nous sommes le 3 juin 1956, notez l’usage des parenthèses : « le même jour, à la même heure, dans la même ignorance voulue par le Groupement, se disputeront, à 300 kilomètres de distance, deux matches capitaux. Et une heure et demie plus tard, Bordeaux (ou Lille) sera condamné à descendre en deuxième division ». La VDN souligne qu’a priori, la tâche des Lillois est moins ardue que celle des Bordelais, car leurs adversaires n’ont plus rien à espérer du championnat. « Nous croyons que le LOSC, à cause de l’enthousiasme et du dynamisme qui l’animera (ce serait un comble s’il n’en était pas ainsi!) aura raison de l’OM ».
Il fait très chaud, note le journal ; or, « jouer sous un tel climat est difficile quand on n’est pas Sénégalais ». Bon… Douis, blessé, est remplacé par Walzack. Les Lillois semblent tétanisés par la peur. Dès la 9e minute, l’OM marque, sur, apparemment, une très belle action : « Anderson, le centre-avant sudiste, après une feinte se trouva à gauche du but. Van Gool parvint à repousser le shot, mais Anderson eut une chance extraordinaire en captant la balle au retour et son heading, monté en chandelle, retomba dans la cage. Somerlinck aurait peut-être pu dégager, mais il fut gêné par l’ailier Rusticelli qui, fonçant dans le tas, entérina le point ». Et 10 minutes plus tard, c’est 2-0 ! Voilà qui est très mal parti. 33e minute : Bourbotte redonne de l’espoir et fait 2-1. Cheuva joue alors l’offensive, mais « les actions n’allaient pas au-delà de 3 passes » ; « Walzack et Bourbotte shootèrent souvent. Ils le firent si mal qu’on souffrait pour eux ». À la mi-temps, les Lillois sont menés d’un but, et sont virtuellement en D2, puisque Bordeaux, qui avait ouvert le score, tient le nul à Monaco (1-1). Après la pause, le LOSC domine largement, mais sans parvenir à marquer, tandis que les Marseillais semblent déjà en vacances : « Anderson, Durant, Mercurio devaient disparaître au point d’être minables au cours d’une seconde mi-temps jouée au pas par les Marseillais ». Les Lillois sont maladroits : « ils ne ralentirent jamais leurs efforts (…) mais ils ne donnèrent pourtant pas l’impression de jouer le match de leur vie » ; « il n’y avait plus de jeu collectif, rien que des coups de boutoir, des actions individuelles que, seul, Vincent, savait mener jusqu’à l’approche des buts », tandis que Marseille, sous les huées de son propre public « jouait à 5 arrières, se contentait de défendre la zone, refusait visiblement de porter le jeu dans le camp adverse. Si les Marseillais avaient voulu faire un cadeau aux Lillois, ils n’auraient pas agi autrement (…) Même dans ces conditions, Lille était incapable de marquer un but ». Les Lillois semblent « désemparés », cherchent à savoir ce qui se passe à Monaco, et multiplient les vaines attaques, « et sous les huées du public qui avait pris fait et cause pour les Lillois et insultait violemment les dirigeants locaux se termina cette partie ». On doit avouer que la relation entre l’équipe de l’OM et ses supporters nous échappe un peu. Mais bref, Lille a perdu.
Mais Lille s’en sort bien : Bordeaux a finalement été battu à Monaco (2-4), et accède au barrage, par la toute petite porte. André Strappe ne cache pas sa déception : « je suis écoeuré. Chaque dimanche, je mets toute la gomme et, à ce jeu, j’ai acquis la réputation en France d’être un matraqueur. Mais ici, la passivité de certains m’a navré. Je n’arrive plus à comprendre ». Le quotidien régional n’est pas tendre avec les joueurs du LOSC : « on sent le désarroi le plus complet » ; « ils ont lutté sans entrain » ; « une équipe a bord du naufrage aurait dû s’accrocher avec une énergie plus farouche ». Côté marseillais, toujours des mots sympas pour notre équipe : ainsi, l’entraîneur Jean Robin déclare que « si Lille avait eu une équipe moyenne, nous aurions été battus par 4 ou 5 buts ».
Sinon, Roger Courtois, vous vous rappelez ? L’entraîneur de Troyes. Eh ben il a décidé de se titulariser pour le dernier match de la saison, à Lens. Troyes a perdu 1-3. Le but troyen a été marqué par… Roger Courtois, 44 ans et 4 jours. Ah, ça rigole moins là. Par prudence, on a vérifié les stats d’Amara Simba, mais Roger Courtois est bien à ce jour le plus « vieux » buteur de la première division française.
Le sort s’acharne
Trois mauvaises nouvelles avant de se projeter vers le barrage : cette fois, Clauws et Bourbotte qui « pleurent à chaudes larmes » vont embarquer de Marseille pour l’Algérie, dès le mardi 5 juin : si le LOSC espère les garder en arguant du fait qu’ils sont volontaires, et que Clauws a déjà fait une partie de la campagne d’Algérie, on ne pourra donc plus compter sur eux cette saison. Si Lille est mal embarqué, espérons au moins que nos deux appelés embarquent bien. Ensuite, Jean Vincent a été victime d’un choc en fin de match. Il semble souffrir et annonce lui-même une absence de 15 jours. La VDN signale « il a les deux genoux touchés sérieusement. Il boîte et souffre à chaque pas ». Notez que nous ne sommes pas médecins mais, en effet, ce n’est pas très encourageant. Lueur d’espoir (ou pas) : il va consulter « un rebouteux à Noeux ». Enfin, le malheureux Yvon Douis a perdu son deuxième enfant, né prématurément, le 5 juin.
La coupe est pleine
Voilà le programme : dimanche 10 juin, match aller du barrage Lille/Valenciennes, à Lens, stade Bollaert. Samedi 16 juin, match retour du barrage Lille/Valenciennes, à Paris, Parc des Princes. L’équipe qui inscrit le plus de buts sur les deux matches jouera en première division lors de la saison 1956/1957. Comme les matches se déroulent sur terrain « neutre » (lol), il n’y a pas de considération de buts marqués « à l’extérieur » qui auraient valeur double en cas d’égalité. En l’occurrence, en cas d’égalité, une belle sera jouée. Et si, au cours de cette belle, les deux équipes ne parviennent pas à se départager, c’est l’équipe de D1 – le LOSC – qui sera déclaré gagnante !
Oui mais vous n’avez pas oublié : le LOSC a toujours cette coupe Drago sur les bras, et un match contre Metz à rejouer, le 6 juin. La priorité est désormais claire pour les dirigeants lillois : objectif maintien. Hop, on évacue la coupe et on se centre sur l’essentiel. C’est donc la réserve qui est envoyée à Longwy pour refaire ce match.
Voilà l’équipe alignée : Schmidt ; Pazur, Delepaut ; Wezolek, Meuris, Rivet ; Cassar, Viaene, Lenglet, Taisne, Walzack.
Vous sentez qu’il y a une connerie à faire… ?
Eh bien elle va être faite. La réserve du LOSC, avec « rapidité », « vitalité » et « conviction », écrase le 15e de première division 5 à 1, grâce à Taisne (10e), Viaene (30e), et Lenglet (62e, 87e, 88e), les Lorrains ayant marqué par Rangoni (53e). Il faut dire aussi que les faits de jeu ont tourné en faveur du LOSC, un joueur messin se blessant à la 34e et ne revenant en jeu qu’à la 66e, le défenseur Rigoulot, touché à la 62e, a alors été placé ailier droit, et enfin le messin Imbernon, auteur d’un « tackle trop appuyé » a subi une « éviction » à la 70e2.
Voilà donc le LOSC avec une finale à jouer (après la confrontation aller/retour… et avant une éventuelle belle contre Valenciennes !) et, surtout, désormais, de nouvelles incertitudes sur la composition à aligner. La VDN ne manque pas de souligner que « la prestation aura fait regretter à André Cheuva de n’avoir pas fait appel, en cours de saison, à ces jeunes éléments. Il aura fallu attendre la fin de saison pour comprendre qu’il y avait au LOSC, inemployés, des footballeurs de valeur ». Le président du FC Metz, Raymond Herlory, se fiche carrément de notre gueule, puisqu’il déclare à Louis Henno : « j’aurais préféré rencontrer votre équipe première. Elle court moins que votre réserve ». Voilà André Cheuva face à une situation inattendue et compliquée, que résume bien la VDN : « faut-il maintenir les titulaires fatigués, qui ont donné maintes preuves de leur incapacité, ou faire confiance sans hésiter à ceux qui viennent de se distinguer contre Metz ? ». L’heure est-elle aux expériences avant un barrage ? André Cheuva doute, et fait jouer de nouveau sa réserve contre une sélection régionale. Résultat : 6-2, voilà qui n’aide pas car comme dit le proverbe, 6-2, méfie-teu.
Première manche à Bollaert
Surprise : on apprend que Clauws et Bourbotte ne sont finalement pas partis pour l’Algérie, mais ont été affectés au centre sportif de l’armée, à Vincennes, si bien qu’ils sont candidats à une place de titulaire. Les jeunes Lenglet et Cassar, après leur excellente prestation en coupe Drago, devraient être alignés devant une défense qualifiée de « vieillissante » par la VDN, une faiblesse que connaît aussi le LOSC. En face, Valenciennes est présenté comme une équipe « rapide », « soudée » et « collective », avec un avant-centre redoutable : le Néerlandais Petrus Van Rhijn. Sa préparation a également été perturbée par les allers et retours de ses deux militaires, Stako et Chiarelli, qui sont présents.
Très vite, Valenciennes semble bien meilleur collectivement face à une « équipe lilloise souvent affolée et désorganisée ». VA multiplie les corners, mais c’est sur un coup-franc que vient l’ouverture : de la droite, Chiarelli dépose un ballon vers le point de pénalty, et Van Rhijn surgit entre le gardien et les défenseurs pour placer un coup de tête gagnant : 1-0 pour Valenciennes !
Juste avant la pause, le LOSC réagit : Bourbotte sert Lenglet, qui frappe le poteau. En seconde période, les Valenciennois fléchissent physiquement, mais le LOSC n’en profite pas car « ses avants shootèrent horriblement mal ». Seul Strappe, de loin, inquiétait le portier adverse. La première manche est perdue.
Somme toute, le résultat de ce premier barrage est logique. Valenciennes a joué en équipe et le LOSC n’a mis en relatif danger son adversaire que par le biais d’actions individuelles : autrement dit, les deux équipes sont sur la dynamique de leur saison. Mais les jeux sont loin d’être faits. L’entraîneur de VA, Robert Domergue, met en garde ses joueurs : « Bravo, mais de grâce, ne vous leurrez pas. Vous n’avez qu’un but d’avance et si vous vous endormez sur vos lauriers, vous pourriez avoir un réveil terrible. Je vous demande d’oublier que vous avez gagné la première manche. Tout est à recommencer ». Domergue est particulièrement inquiet sur un point : il a vu ses joueurs inférieurs au LOSC sur la condition physique. Les Lillois admettent une défaite logique mais ne sont pas abattus pour autant. André Cheuva : « l’équipe ayant le plus désiré la victoire s’est imposée. Ce revers, loin de nous abattre, doit nous servir. Puissions-nous profiter de la leçon ! Que chacun se batte comme André (Strappe) et nous marquerons les deux buts indispensables à notre maintien ». De nouveau, les militaires sont retenus durant la semaine. D’ailleurs, les hésitations sont légion : on parle de Rivet milieu gauche ; Viaene, habituellement junior et réserviste, est pressenti en attaque ; la condition physique de Douis est incertaine ; Lefevre sera suspendu ; les entraînements laissent penser que Strappe restera en milieu de terrain même s’il a été le plus dangereux offensivement dimanche dernier. Vincent fait une apparition, mais il est « incapable de faire un effort brusque, il sentait fléchir son genou gauche à la moindre tentative brutale ». On apprend en outre que Lemaître, mécontent d’avoir été écarté du match aller, ne s’est même pas rendu à Lens pour soutenir ses équipiers. Les supporters s’énervent.
Il faut pas lâcher
Le 15 juin, la Voix du Nord publie une lettre du groupe de supporters « Allez Lille », évoquant l’« amertume profonde qui s’est emparée de tous nos membres sincères à la suite de votre match de dimanche dernier à Lens ». Voici le document.
Nous avons par ailleurs mis la main sur un enregistrement audio d’époque, un véritable document historique, diffusé aux joueurs lillois pour les motiver avant le match retour. Nous le partageons volontiers :
Deuxième manche
Parc des Princes, 16 juin. La semaine a été sereine pour les Valenciennois, et marquée par l’incertitude pour les Lillois. Il semble que Walzack sera titularisé en attaque côté lillois (rappelons qu’on joue le plus souvent à l’époque avec 5 avants) : on justifie cette titularisation parce qu’il a bon « shoot », et parce que sa « puissance de tir » a même blessé la main gauche du gardien de VA, Schaeffer, à Lens. Douis est incertain jusqu’au matin du match, ce qui pose question sur le positionnement de Bourbotte : avant-centre ou sur l’aile ? Quoi qu’il en soit, le LOSC se présentera avec une composition inédite, ce qui ne manque pas d’inquiéter face à la stabilité valenciennoise. VA a misé sur des « cross en forêt » pour favoriser la récupération physique durant la semaine.
Voici la composition lilloise : Van Gool ; Bieganski, Zamparini, Lemaître ; Somerlinck, Rivet ; Clauws, Bourbotte, Strappe, Viaene, Walzack. Les Lillois peuvent compter sur le soutien de supporters : une agence de voyage de Lille a organisé un déplacement ; on trouve… 8 personnes sur le quai de la gare pour Paris ! (ce qui n’empêche pas que d’autres supporters se soient rendus à Paris par d’autres moyens).
Le match est fermé. Seul le Valenciennois Flament manque une grosse occasion à la 28e minute, il échoue sur le gardien du LOSC. À la pause, c’est 0-0, sans qu’on ne puisse dire dans quel camp va basculer la partie. En seconde période, les Lillois, volontaires, parviennent à marquer par Lemaître à la 65e, sur un centre de Bourbotte. Le jeu cette fois trop « classique » et « prudent » des Valenciennois est sanctionné. Lille pense tenir son succès, qu’il espère creuser et ainsi se sauver, mais en fin de match, un centre de Van Rhijn est exploité par Legrand, qui élimine Somerlinck dans la surface avant de tromper facilement Van Gool. 1-1, il reste 8 minutes, et le LOSC n’a jamais été aussi proche de la D2. En tribunes, les trompettes des supporters valenciennois se font entendre.
Les dernières minutes sont « poignantes », voire « inhumaines ». Face à des Lillois « furieux, énervés », qui attaquent à tout-va, les Valenciennois, « massés dans leurs 18 yards », restent calmes et « détruisent méthodiquement chaque attaque ». Signe de l’âpreté des débats, Clauws et Bourbotte côté lillois, Stako et Schaeffer côté valenciennois, se blessent durant le match.
89e minute : le défenseur de VA, Pleuwa, concède un bête corner par manque de communication avec ses équipiers. Lemaître le frappe. Strappe « dans une détente désespérée » dévie de la tête au premier poteau. Toute la défense de Valenciennes est surmontée et, au second poteau, Bourbotte est à 2 mètres de la cage, dos à celle-ci. Il tente alors un retourné qui finit miraculeusement dans le but valenciennois : Lille prend l’avantage !
Le match ne reprend même pas : Lille remporte la seconde manche 2-1. 2-2 sur l’ensemble des deux matches il faudra donc jouer un dernier match, le 25 juin à 18h, toujours au Parc. Pour la presse, si VA a une nouvelle fois fait preuve d’une bonne solidité collective, les Lillois ont cette fois eu le mérite d’être à l’initiative des principales attaques. Certes, ce n’est plus le LOSC d’antan car il a encore joué « petit, étriqué, lent mais avec vaillance ».
Dans le vestiaire lillois, c’est la joie, voire l’euphorie. Ainsi, Cheuva déclare : « j’ai eu chaud, quand Flament a raté le coche à la 28e. J’ai cru la partie perdue lorsque Legrand a égalisé, mais le but de Bourbotte a récompensé in extremis nos efforts car, pour une fois, nous nous sommes battus. Je ne veux pas vendre la peau de l’ours. Néanmoins, je crois que nous nous en tirerons encore ». Pour le président Henno, l’affaire est entendue : « nous sommes sauvés, les enfants ! Si nous ne descendons pas ce soir, c’est que nous ne descendrons jamais. La prochaine fois, nous récupérerons Douis, Lefevre et, sans doute, Vincent, et nous l’emporterons plus nettement ».
Côté VA, Pleuwa pleure « à chaudes larmes ». L’entraîneur Domergue est déçu : « je craignais un manque de cohésion dû à l’absence de mes militaires à l’entraînement. Cette éventualité s’est malheureusement produite, d’autant qu’on n’y a pas cru, alors que la cause paraissait gagnée. Nous avons mal joué, mais nous essaierons de nous reprendre : tout n’est pas perdu, nous repartons de zéro. Ah ! Si seulement j’avais mes militaires sous la main ! »
La D1 se fait la belle
C’est donc l’heure de la belle. Le Nord est en ébullition : le groupe « Allez Lille » organise un déplacement pour ses membres à jour de cotisation : renseignements et inscriptions au Moulin d’Or, 15 rue du Molinel, et au café Michel, place Rihour.
Ah mais non, on a d’abord une finale de coupe à jouer ! Coupe Drago, contre Nîmes, le 20 juin, au Parc des Princes, encore.
La coupe Drago 1956 pour le LOSC, allégorie
André Cheuva est bien ennuyé pour composer son équipe : est-ce un avantage sur Valenciennes de jouer un match à ce moment-là ? La conséquence sera-t-elle de fatiguer ses joueurs, ou de les maintenir dans un certain rythme ? À ces interrogations s’ajoutent les habituelles incertitudes sur les participations de Clauws et de Bourbotte. Lefèvre revient de suspension, et Douis, qu’on espère meilleur que lors du match à Lens, devrait retrouver une place de titulaire. On ne va pas s’appesantir : le LOSC a perdu la finale de la coupe Drago (1-3). Devant 10 000 personnes (dont l’équipe de Valenciennes), le LOSC était déjà mené de 2 buts à la pause, avec un deuxième but ainsi décrit : « il fut la conséquence d’un coup-franc indirect accordé à 6 mètres du but à la suite d’un hors jeu ». Si vous avez compris, n’hésitez pas à nous transmettre vos éclaircissements, ou à écrire au Moulin d’Or, rue du Molinel, ou au café Michel, place Rihour. Nîmes inscrit un troisième « point à la suite d’un bon travail d’approche » à la 62e, et Delepaut réduit l’écart en fin de match. Pour la VDN, Lille a montré « qu’il pouvait conserver sa place en division nationale si les circonstances lui permettent d’aligner lundi prochain sa meilleure formation ».
Venons-y. À Valenciennes, on rumine sur le corner largement évitable de la 89e minute, et sur le raté de Flament en première période. Les joueurs semblent touchés physiquement et moralement. Depuis la deuxième manche, ils ont un programme basé sur la « décontraction », avec mise au vert de 3 jours « dans un endroit reposant d’où tout contact sera coupé avec l’ambiance, devenue déprimante, du valenciennois ». Habituellement, VA se met au vert au Quesnoy. Cette fois, l’équipe est à Brunoy, en Seine et Oise (ex-78), plus proche de Paris, et plus proche de ses militaires à Vincennes. Au programme : « cross en forêt le matin, pêche à la ligne dans la Seine l’après-midi ». Bon, c’est toujours mieux que l’inverse. Domergue revient sur le match de Paris : « nous avons joué uniquement avec nos nerfs et nos muscles et non avec nos têtes, alors que notre force réside dans notre jeu collectif. Que nous surmontions notre crise et le LOSC, heureux samedi, n’aura bénéficié que d’un sursis (…) Dans les deux matches, notre football a été meilleur, plus précis, plus pensé, plus rapide. Il n’y a aucune raison de croire en la supériorité de Lille ».
Côté lillois, malgré la défaite, on est plutôt rassurés par le visage montré par l’équipe face à Nîmes. Les Dogues ont notamment fait preuve d’une excellente condition physique en fin de match, et c’est précisément sur ce point que Valenciennes semble prenable. Mais c’est bel et bien cet optimisme qui inquiète : « lorsque les Lillois ne craignent pas l’adversaire, c’est mauvais signe. Mais dans un tel match, la confiance peut être aussi un atout important ». Deux absences d’importance : Bourbotte et Clauws sont en Algérie. On aura donc la même équipe que contre Nîmes.
La confrontation s’annonce équilibrée. Comme le résume la VDN : « pour oser affirmer que telle équipe triomphera, il faut être guidé par un esprit partisan d’ailleurs très louable ». On salue la meilleure organisation collective des valenciennois ; les Lillois ont peur eux le physique et la « volonté ». Et un but d’avance, finalement : pour rappel, en cas d’égalité, on jouera une prolongation, et si le départage est impossible, Lille restera en D1.
Le LOSC perd le Nord
Les Lillois ne sauvent pas les apparences très longtemps. Ce qui était en germe depuis des mois éclate soudainement au grand jour : cette équipe est dépassée. Les Dogues sont la caricature d’eux-mêmes : quelques actions individuelles çà et là ne résistent pas au « football de mouvement » des Valenciennois. C’est un miracle si le LOSC n’est pas mené de 3 buts dès la 6e minute ! À la 2e, Van Gool réalise un superbe arrêt ; il ne peut rien à la 4e face à Legrand (1-0) ; Van Rhijn échoue encore devant le portier lillois à la 6e. Le deuxième but valenciennois arrive à la 24e : le centre de Chiarelli est repris de la tête par l’inévitable Van Rhijn. Déjà 2-0 malgré l’« évidente bonne volonté » côté lillois. On se dit que la mi-temps va permettre au LOSC de se remobiliser. Mais la première action de la seconde période est pour VA : à la 55e, Gaillard récupère une mauvaise passe de Somerlinck, ouvre sur Van Rhijn qui envoie une lourde frappe que Van Gool repousse… dans les pieds de Zamparini, qui envoie malencontreusement le ballon dans ses propres filets. 3-0, bravo le veau. Enfin, à la 63e Westwood fait 4-0. Quelle catastrophe !
En Une de la Voix du Nord, 26 juin 1956
Sur le terrain, il n’y avait pas photo : « Valenciennes domina le LOSC de cent coudées » ; « le football des valenciennois fut nettement supérieur » ; « Combat inégal : on n’oppose pas des pur-sang à des chevaux de trait » ; « Les Valenciennois bâtissaient leurs actions à toute allure. Le plus remarquable était de constater qu’ils savaient ce qu’ils voulaient faire, alors que les Lillois laissaient à tout coup l’impression de jouer au petit bonheur, sans but bien défini ». Outre l’attitude des joueurs sur le terrain, on fustige, comme durant les semaines précédentes, certains choix tactiques grossiers. Par exemple, la VDN souligne que dès la 25e, l’arrière de VA Gaillard se blesse en arrêtant Douis. Il boîte ; « personne n’a alors l’idée de le confronter à l’avant le plus rapide. Non, c’est Rivet, lui-même claqué, qui lui fait face ». Ça devait être beau à voir ! Beau perdant, Henno félicite les valenciennois, en division nationale pour la première fois depuis 18 ans.
Dans les jours qui suivent, c’est l’heure du bilan. Ce barrage est le point final d’un processus entamé depuis de nombreux mois : « c’est dur de tomber de si haut. C’est pourtant l’aboutissement logique d’une belle brochette d’erreurs et d’entêtements ». On l’a évoqué en début d’article, les problèmes de gestion, et les extravagances d’un président qui peuvent toutefois amuser quand ça tourne bien, ont plombé ces deux dernières saisons. Sur le terrain, le LOSC n’a pas su se renouveler, préférant s’appuyer sur ses glorieux cadres au risque d’un conservatisme dont il fut puni dans le jeu. La VDN pointe une formation losciste « vieille avant l’âge, lente, incapable de réagir » ; « un LOSC à la dérive » ; « Lille, résigné, las, écroulé, anéanti » ; « Lille, c’est le triomphe de l’immobilisme » ; « Prisonnier de sa routine, Lille a vécu de souvenirs ».
Les méthodes d’André Cheuva sont discutées, avec un argument qui nous semble en partie fallacieux. La VDN le qualifie de « rétif à la nouveauté », lui reproche « un football désuet », « une méthode aussi lente que rétrograde ». Son tort : avoir insisté (ou persisté, si on veut le voir sous un jour négatif) sur des principes « dépassés ». Mais ils ne sont « dépassés » que parce que les résultats n’ont pas suivi ! « Quand un nouveau arrivait, c’était à lui de s’adapter et de changer son jeu » stigmatise la VDN. En soi, avoir voulu créer une sorte d’identité de jeu n’est pas blâmable, bien au contraire. Quand Arribas est arrivé en 1977 avec les mêmes arguments et que ça a plutôt bien marché, il n’y avait personne pour lui reprocher de l’entêtement. Disons qu’en football, à l’arrivée, ce sont les résultats qui priment, et que les arguments sur les moyens sont réversibles en fonction de ce que ça donne sur le terrain. Sinon, contre la chute de Cheuva, y a Pétrole Hahn. Bref, sans vouloir enlever toute responsabilité à l’entraîneur, puisque l’opposition de style avec VA était apparemment frappante, on ne peut en tout cas lui attribuer tous les malheurs du club.
Louis Henno concède des « erreurs de recrutement », annonce un élargissement du comité de direction, renouvelle sa confiance à Cheuva pour la prochaine saison (alors que naissaient des rumeurs annonçant l’arrivée de François Bourbotte comme entraîneur). Sur le plan financier, le LOSC respire grâce à la vente de Jean Vincent à Reims, à un prix record pour l’époque (le montant du transfert varie selon les sources : dans la presse de l’époque, on parle de 10 MF + Templin, ailier de Reims + la recette d’un amical Lille/Reims ; d’autres sources évoquent directement la somme de 19 MF, ce qui peut d’ailleurs correspondre au résultat de l’addition précédente) ; la municipalité de Lille accorde de plus une subvention de 7 MF au LOSC. Pazur (qui a la côte), Lemaître, Cassar et Meuris quittent aussi le club. La VDN n’oublie pas d’égratigner la présidence : « nous estimons que les Lillois terminent à très bon compte deux années de gestion désastreuse : pas de bilan à présenter, pas d’opposition, pas d’autre objection que les sarcasmes de supporters déçus. Bravo, donc, pour l’adroite façon adoptée pour éluder les problèmes. Vraiment, M. Henno est un matois de la meilleure veine. Il l’est d’autant plus que les opposants ont brassé de l’air, ont joué les « Don Quichotte » ».
L’avenir du LOSC est incertain. Il dispose désormais de 11 joueurs professionnels (dont deux sont en Algérie, et trois – Zamparini, Douis, Walzack – probablement bientôt rappelés), deux stagiaires (Viaene, Kechichian) et 3 amateurs (Rivet, Somerlinck, Taisne). Il va découvrir la deuxième division après une décennie marquée par 2 titres de champion (et quatre positions de dauphin), 5 coupes de France (et 2 finales perdues), faisant de son club le plus performant et régulier d’après-guerre. Il faudra attendre très longtemps pour le retrouver à pareille fête.
FC Notes :
1 À ne pas confondre avec « l’équipe d’incontinents », composée des mêmes joueurs 60 ans plus tard.
2 Ce qui peut interroger car le carton rouge, officiellement, n’existe pas avant la fin des années 1960, mais cet exemple montre qu’en pratique, l’exclusion était appliquée : il revenait alors à l’arbitre de la signifier oralement et gestuellement.
Posté le 11 décembre 2018 - par dbclosc
Juin 1999 : la mésentente sportive de Wasquehal
En juin 1999, un accord d’association est signé entre le LOSC et l’Entente Sportive de Wasquehal (ESW). Alors que l’on s’attend à ce que soient posées les bases d’une entente à long terme, l’ESW fait faux bond au LOSC et se marie finalement avec le Racing Club de Lens (RCL) quelques jours plus tard. À l’origine de ce retournement, un enchevêtrement complexe d’intérêts sportifs et politiques.
Résumé :
Nature des faits : complot
Cible du complot : le LOSC
Comploteurs : Gérard Vignoble maire de Wasquehal), Guy Decock (président de l’ESW), Gervais Martel (président du RCL)
Nous sommes au printemps 1999. En coulisses, le LOSC prépare son changement de statut, vers la privatisation. Un certain mystère entoure encore l’identité des repreneurs. Une candidature a été révélée : celle de Foot en Nord, une association présidée par Jean Evin, avec le soutien de près de 400 sociétés de la région. On parle également de deux autres candidatures dont les identités ne sont pas révélées. Cela ne saurait tarder, et l’identité du ou des repreneurs devrait être connue autour du 10 juin. En attendant ce changement majeur de la vie du LOSC, le club gère les affaires courantes et des histoires plus locales. Sur le plan sportif, le club vient d’échouer à remonter en première division pour la deuxième saison consécutive, et cette fois-ci à la différence de buts. En dépit d’une fin de saison en boulet de canon, les hommes de Vahid Halilhodzic n’ont pas pu rattraper une première partie de championnat insuffisante, et ont chèrement payé une défaite à domicile contre Amiens lors de la 35e journée (0-1). Ils vont donc repartir pour une 3e saison en D2, mais sans leurs voisins wasquehaliens qui, s’ils ont assuré leur maintien sur le terrain, ont été relégués administrativement en National par la DNCG pour cause de difficultés financières.
Contrat d’association entre le LOSC et l’ESW
Le 3 juin, la Voix du Nord reçoit un fax annonçant une conférence de presse le lendemain, à l’initiative de la Lille Métropole Communauté Urbaine (LMCU, qui a remplacé depuis 1996 la Communauté Urbaine De Lille – CUDL – et qu’on appelle aujourd’hui la MEL). Au programme : du football, avec une communication « très importante » du président de l’institution, Pierre Mauroy, par ailleurs maire de Lille, et de Gérard Vignoble, maire de Wasquehal. Les délais sont courts. Est-ce le signe d’une urgence ou de légèreté ? Le quotidien avance diverses hypothèses quant au contenu de cette conférence : il s’agit d’évoquer les « projets communautaires » des deux clubs. Une fusion entre Lille et Wasquehal ? Improbable. LMCU viendrait-elle à la rescousse de l’ESW pour assurer son avenir ? Ce serait étonnant car le LOSC serait exclu du projet alors qu’on ne parle que de « grand Lille » et d’un stade unique (le Stadium) pour les deux clubs. Troisième hypothèse, la plus probable : LMCU a décidé de poser les bases d’un grand club et va annoncer une alliance entre le LOSC et l’ESW, dont les modalités vont être dévoilées. Et en effet, on apprend très rapidement qu’un « contrat d’association » a été conclu entre les deux clubs. Par ailleurs, la VDN signale que le président de l’ESW, Guy Decock, est en réunion le 3 à 15h, mais on ne sait pas où ni avec qui. Et que le président Lecomte est injoignable. Attendons donc cette fameuse conférence de presse. Rendez-vous est pris à 17h à l’hôtel de la communauté.
L’ESW s’associe avec Lens !
Mais le 4 juin à 17h, pas de Pierre Mauroy ni de Gérard Vignoble à LMCU. À leur place, Bernard Roman, adjoint de la mairie de Lille en charge du dossier losciste. Et il n’a pas la partie facile. Penaud, il doit expliquer aux quelques journalistes présents que l’annonce qui devait être faite est caduque : Gérard Vignoble l’a appelé dans la matinée et l’ESW ne veut plus s’associer avec le LOSC. Pire : l’ESW s’associe avec le RCL ! Et au même moment, il y a bien plus de journalistes à la mairie de Wasquehal, qui a convoqué tout le monde. Surprise : sur le parking de la mairie, une Jaguar bien connue, immatriculée dans le Pas-de-Calais. C’est celle de Gervais « euh » Martel. À côté, une affiche : « avec votre maire, dites non à la fusion ». Dans la salle des mariages (!), on le retrouve en effet en compagnie du maire de Wasquehal, Gérard Vignoble. Les deux lâchent l’info, qui fait l’effet d’une bombe : il y a à peine 30 minutes, l’ESW et le RCL ont conclu un accord d’association de 9 pages, qui a mobilisé depuis la veille les services administratifs des deux clubs et deux avocats.
Pierre Mauroy, initiant une ola, et Bernard Roman dans le vestiaire lillois, quelques mois plus tard
Pour l’ESW, un « enterrement de première classe »
La Voix du Nord ne manque pas d’expressions pour exprimer sa surprise : « coup de Trafalgar » ; « coup de Jarnac » ; « coup pas franc », « stupéfiant ». Que s’est-il donc passé ? Bien évidemment, les versions diffèrent d’un camp à l’autre. Ce qui est certain, c’est que c’est bel et bien le maire de Wasquehal, Gérard Vignoble, qui est allé chercher de l’aide pour l’ESW, d’abord du côté du LOSC. Dans un premier temps, la fusion n’a pas été exclue, mais finalement tout le monde s’est accordé pour sauvegarder les identités de chacun. Le contrat d’association conclu avec le LOSC prévoyait de ne pas faire appel auprès de la DNCG quant à la rétrogradation de Wasquehal en National. En revanche, le LOSC permettait à l’ESW de se sauver financièrement. Pour Bernard Roman, « le contrat d’association avait pour ambition de jeter les bases d’un grand club métropolitain tout en conservant les identités de chacun. Cela correspondait à la mise en commun des enjeux et notamment du futur grand stade ». Mais dans le même temps, les responsables politiques et spoortifs wasquehaliens, manifestement insatisfaits, démarchaient aussi le RCL. Ainsi, le 1er juin, alors que Lecomte, Roman et Vignoble discutent (le président Lecomte ayant même décalé sa soirée d’anniversaire en famille pour discuter de cet accord), Guy Decock rencontrait déjà Gervais Martel. Le RCL assurait alors la survie financière du club et conseillait même à l’ESW de faire appel devant la DNCG, avec la quasi-garantie que le maintien assuré sportivement serait confirmé administrativement. En regardant avant tout leur intérêt sportif à court terme, les Wasquehaliens ont donc scellé un accord avec Lens. Pour Gérard Vignoble, « la proposition lilloise ne correspondait à rien d’autre qu’à un enterrement de première classe. Un enterrement avec de la joyeuse musique, certes, mais un enterrement quand même ». Pour Guy Decock, « à l’intérieur du club, tous ceux qui se sont battus pour hisser Wasquehal en D2 ne pouvaient pas accepter cette mesure. Lens, de son côté, ne nous demandait rien. Nous avons ressenti de la part du Racing un profond respect de notre identité. Tout le monde s’est mobilisé pour parvenir à un partenariat qui nous assure ce maintien en D2 que nous avons gagné sur le terrain. Et surtout, Lens nous offre de véritables perspectives d’avenir ».
Gervais Martel, Gérard Vignoble et Guy Decock
Donc, résumons : la condition d’un accord avec le LOSC était de ne pas faire appel auprès de la DNCG, donc d’aller en National. Du côté de Wasquehal, accepter cela, c’est laisser la voie libre au LOSC, qui finira par écraser son petit voisin. Donc l’ESW se marie avec le RCL, qui lui permet de rester en D2, de « garder son identité », et de ne pas vivre sous perfusion et dans l’ombre du voisin lillois.
Mais au-delà des questions sportives, les positions de Gérard Vignoble et de Gervais Martel sont à comprendre à partir d’un cadre plus général : l’hostilité du maire de Wasquehal vis-à-vis de LMCU d’un côté, et la volonté de Gervais Martel de se poser en leader régional de l’autre, au moment où le LOSC pose les bases de sa refondation.
Vignoble est hostile au « Grand Lille »…
En apparence, Bernard Roman n’est pas plus froissé que ça, du moins pour ce qui concerne le domaine sportif : « nous n’étions pas demandeurs. Cela ne change rien à notre perspective de faire un grand club à Lille ». Si, à Wasquehal, on salue « la victoire du sport sur la politique », tout de même, outre que Lens vient ainsi s’implanter en pleine métropole lilloise comme pour narguer son rival, cette décision du côté de Wasquehal a des conséquences au niveau politique, et les dirigeants de Wasquehal ne sont pas très amènes dans leurs déclarations. Pour Gérard Vignoble, « on ne fait pas un grand club avec des gens qui ne connaissent pas le football, ni avec des finances, ni même avec de la politique. Encore moins en écrasant les identités ». Pour enfoncer encore le clou sur l’incompétence supposée des dirigeants et élus lillois, il fait référence à la candidature non retenue de Lille pour les JO de 2004 et valorisant à l’inverse le fait que Lens a pris le bon wagon, celui d’un football moderne : « pendant que certains faisaient des conneries avec les Jeux Olympiques, il y en a d’autres qui préparaient la coupe du monde et se construisaient un grand stade » assène Vignoble. Voilà le LOSC et l’ESW comme chien et chat.
« Vérard, vous vêtes Vignoble ! »
Surtout, la VDN rapporte que cette décision porte un coup au « Grand Lille ». Le « Comité Grand Lille, c’est un groupe informel, encore actif, réunissant les élites politiques et économiques de la métropole lilloise. En gros, c’est une espèce de lobby, basé sur divers partenariats. Par extension ou métonymie, c’est un projet politique, qui vise à faire rayonner la métropole lilloise, économiquement, culturellement… C’est notamment au Comité Grand Lille qu’on doit, par exemple, l’initiation de la candidature de Lille au JO de 2004, ou au titre de « capitale européenne de la culture ». Bref, ça fait chier qu’il y ait un désaccord aussi explicite au cœur de la métropole, et ce d’autant plus que Gérard Vignoble est l’un des vice-présidents de LMCU ! Peut-il encore le rester ? La VDN évoque désormais un « Grand Lens »…
Bernard Roman déplore alors « l’inconséquence » du voisin. La VDN rapporte qu’au sein de LMCU se tiennent des propos bien moins diplomatiques sur l’attitude de Gérard Vignoble. Le quotidien régional appelle ça « marquer contre son camp » : Gérard Vignoble « a donné un coup de sabre dans le dos de la métropole » en portant un coup à la construction d’une grande métropole régionale. Qualifié d’ « imprévisible » (il a déjà quitté le PS pour l’UDF ans les années 1980), il est « opposé » à l’agrandissement de l’influence de Lille,et « irrité » par le voisinage de Roubaix. Mais rien à foutre : il prétend qu’il perd 1,5 M€ par an, alors que LMCU ne lui verse « que » 1,4M€ annuels.
…et Gervais Martel veut l’hégémonie footballistique sur la région
Officiellement, Gervais Martel est désintéressé et n’agit qu’en bon samaritain : « je suis comme ça. J’aime profondément ma région. S’il avait fallu aider les basketteuses de Valenciennes, je l’aurais fait. Je préfère voir les gamins de Lens jouer à Wasquehal plutôt qu’à Troyes ! ». Et il assure vouloir « de tout cœur voir le LOSC en D1 ». En réalité, c’est probablement un peu plus complexe que ça. Son club vient d’être champion de France (1998) puis a remporté la coupe de la Ligue un mois auparavant. Quand Lille était sportivement à l’agonie deux ans avant, il n’avait pas hésité à avancer qu’il n’y avait « pas la place pour deux ». Partant de cette croyance, qu’on imagine sincère, il entend bien profiter de l’âge d’or de son club pour anéantir son rival historique. Plus loin, il énonce des propos qui rappellent la concurrence entre les deux clubs, et la volonté de Martel de s’imposer, forcément au détriment du LOSC : « 30 à 40% de nos partenaires viennent de la région lilloise. Nous avons un rôle de locomotive et de rassembleur ».
À gauche, Guy Decock, président de l’ESW. À droite, Dominique Carlier, son entraîneur.
Le 10 juin 1999, Gervais Martel est à la DNCG pour défendre le dossier wasquehalien en compagnie de Francis Collado, directeur administratif et financier du RCL. Et en effet, pas de problème : en apportant son savoir-faire, l’aide de son cabinet comptable, de ses services administratifs, et en nouant de plus un partenariat sur 3 ans selon lequel le RCL prêtera des jeunes à l’ESW (on aura par exemple les redoutables Ducatel et G’Badie la première année, Oulmers les deuxième et troisième), le statut professionnel de Wasquehal est maintenu, et le club reste en D2. Le hasard fait que c’est ce même jour, le 10 juin, qu’on apprend que Luc Dayan et Francis Graille vont reprendre le LOSC. Pour confirmer ses inimitiés à l’égard du LOSC, et comme pour allumer un contre-feu médiatique au moment où Lille se donne les moyens de concurrencer Lens à terme, Martel joue sur la fibre régionale : « la véritable bonne nouvelle pour la région aujourd’hui, c’est quoi ? Voir deux investisseurs de Paris ou d’ailleurs reprendre le LOSC, ou savoir qu’un club du Nord-Pas-de-Calais est sauvé en D2 ? ». Savoureux, quand on sait que quelques années plus tard, lui trouvera un repreneur qui s’avérera être un escroc, à 6 000 km de Lens, en Azerbaïdjan, et pas à bas coût.
Francis Graille, Luc Dayan, Bernard Lecomte et Bernard Roman, 10 juin 1999
On peut supposer avec un peu de recul que Martel voyait d’un mauvais œil la reprise du LOSC, et a tenté d’abord d’en faire un non-événement en volant la vedette à Dayan/Graille le jour J, et ensuite a essayé de poser les bases d’un projet sportif qui aurait forcément fait concurrence au LOSC, en profitant qu’un maire hostile au Grand Lille et la métropolisation soit dans la dèche, Vignoble faisant passer ça pour du sport uniquement, alors que sa position le marginalisait de fait à LMCU et posait aussi, peut-être, les bases d’un positionnement atypique, prélude à des ambitions politiques ultérieures, et vous venez de lire une phrase de 8 lignes.
Au moment de quitter le LOSC, en mars 2000, Bernard Lecomte est revenu sur ses relations avec Gervais Martel, et plus particulièrement sur cet épisode, qui a abouti à une rupture entre les deux hommes : « avec Gervais Martel, mes rapports étaient bons. Il m’avait même demandé d’être le représentant des clubs de D2 pour le compte de l’UCPF. C’est pourquoi je n’ai pas compris sa décision de voler au secours de Wasquehal, dans notre dos. J’ai considéré que c’était une mesquinerie. Depuis, les ponts ont été coupés ». En 2011, pour le titre du LOSC, Nord-éclair est allé retrouver le président Lecomte qui, revenant sur un épisode de 1993, semble faire un ultime croche-pied à Gervais Martel, tout en douceur : « j’ai refusé la fusion qui consistait à ne garder qu’un grand club du Nord, Lens. Maintenant, je dirais simplement que la roue tourne ».
L’accord entre Lens et Wasquehal a tenu 3 ans, comme convenu initialement. Et pourtant, Wasquehal a un peu pris le LOSC comme modèle avec sa « politique des frangins » (Thierry Cygan, Oumar Bakari, Patricio D’Amico) plus Loko, sans compter tous les autres joueurs qui ont aussi des frères. Le RCL a apporté au total une aide de 6MF. Entretemps, le LOSC est remonté en D1 et a largement contesté la domination régionale de Lens en Nord-Pas-de-Calais, rendant de fait peu utile toute ingérence lensoise en métropole lilloise, d’autant que le LOSC signe à cette période de nombreux accords avec des clubs voisins. L’Entente, de son côté, a été reléguée en 2003, et a depuis toujours joué au niveau amateur. Elle n’existe même plus en tant que telle mais sous le nom de « Wasquehal Football », après une fusion avec l’AS Wasquehal en 2017, fusion à laquelle s’est opposée… Gérard Vignoble, qui n’est plus maire de Wasquehal depuis 2014.
Gérard Vignoble a une dernière fois montré son hostilité au LOSC. C’était en 2011, quand le LOSC et l’ESW se sont affrontés en 1/16e de coupe de France. En 1/32e, Wasquehal a réalisé l’exploit de sortir Auxerre. Mais une polémique est née juste avant le 1/16e : Vignoble affirme que le LOSC est « incapable de s’intéresser au football d’en bas ». En cause, une incompréhension entre les deux clubs qui a fait croire un temps à Vignoble que le LOSC ne laissait à disposition de l’ESW qu’un terrain annexe du Stadium. En fait, il n’en était rien. Pour le match ESW/LOSC, c’est initialement Wasquehal qui devait « recevoir » le LOSC. À la demande des dirigeants de l’ESW, pour des raisons de sécurité, la rencontre a été inversée : c’est donc Lille qui reçoit Wasquehal au Stadium. Vignoble en remet une couche, en râlant sur la répartition des billets : « la réalité de ce match me faisait croire que le ‘grand frère’ était plus habilité que nous pour organiser l’évènement. La seule chose que je me reproche, c’est d’avoir validé cette inversion, même si c’était une bonne décision. Je pensais qu’on me dirait :’Allez, on vous donne 4000 places’. Au lieu de ça, les ‘petits comptables’ nous ont dit froidement : ‘Vous allez dans le poulailler des supporters adverses’ : il n’y a que 1047 sièges. Bref, ce ‘grand frère’ nous dédaigne. C’est indigne par rapport à l’amitié qui devrait être la fibre essentielle de nos relations. M. Seydoux n’est pas le problème. C’est l’un des problèmes du LOSC ». Le LOSC avait alors sèchement répondu dans un communiqué (voir plus bas), qualifiant les propos du maire de Wasquehal d’ « injustes » et de « choquants ». Gérard Vignoble avait ensuite calmé le jeu, en acceptant de jouer ce match le dimanche, alors que la préférence de Wasquehal allait au samedi, car le LOSC affrontait Nancy en match en retard dans la semaine. Ironiquement, il souligne tout de même : « vu les bonnes relations entre les deux clubs, nous n’allions pas bloquer ». Puis : « chacun pourra être respecté dans son identité. Le LOSC a ses supporters, et nous, nous avons montré contre Auxerre (3.400 entrées) que nous avons un public chaleureux, qui a envie de voir une compétition de qualité. La bourrasque de l’avant 32e de finale va se gommer au fur et à mesure ».
Wasquehal-Lille, février 2000. Franck Chaussidière, prêté par Lens,
et Christophe Landrin.
Le communiqué du LOSC : (8 janvier 2011)
« Suite à la parution, dans l’édition de L’Equipe de ce samedi 8 janvier, d’un article intitulé « Lille ne nous respecte pas » et relatant les propos des dirigeants de l’ES Wasquehal à l’encontre du LOSC et de son président Michel Seydoux, le LOSC souhaite apporter une réponse et quelques éclaircissements.
Les dirigeants du LOSC regrettent que les représentants de l’ES Wasquehal aient profité de la vitrine médiatique unique qui leur était offerte pour exprimer leur frustration envers un club voisin qui tente de hisser haut les ambitions sportives de toute une métropole et de ses habitants. Alors que Wasquehal a quitté le football professionnel il y a plusieurs années, ce 32ème de finale de Coupe de France aurait sans doute été mieux employé à valoriser le club, le travail de ses bénévoles et le football amateur.
L’aigreur et la passion partisane ont, semble-t-il, pris le dessus sur la raison. Les propos tenus par Messieurs Vignoble et Docquiert apparaissent ainsi aussi inattendus qu’injustes et choquants.
Des réflexions ont logiquement été menées par Lille Métropole Communauté Urbaine pour définir le lieu où se tiendrait la rencontre de coupe de France Wasquehal-Auxerre. N’est ce pas une attitude respectueuse et raisonnée de la part de LMCU, gestionnaire et responsable des installations sportives de la métropole lilloise, que de considérer les intérêts de tous, d’étudier les différentes options et de veiller à préserver des conditions de jeu convenables au Stadium Lille Métropole alors que le climat fut extrêmement difficile ces derniers mois ? Pour rappel, deux matches du LOSC ont déjà été reportés en décembre et le LOSC devra disputer dans les 4 prochains mois une vingtaine de matchs de championnat et de coupe d’Europe.
Si l’orgueil et la susceptibilité des dirigeants de l’ES Wasquehal ont pu être touchés par ses interrogations, LMCU a bien donné son feu vert pour l’organisation de ce match de coupe de France au Stadium Lille Métropole. Le président de Wasquehal a par ailleurs étrangement omis d’évoquer dans son interview les moyens logistiques et humains mis gracieusement à disposition par le club lillois pour la bonne organisation de la rencontre.
De nombreux élus et dirigeants de clubs amateurs, parmi les 40 clubs partenaires que compte le LOSC, nous ont manifesté leur indignation suite aux propos retranscrits par L’Equipe. Toutes les personnes qui connaissent le LOSC et son président ne peuvent être que surprises et choqués par ces paroles, en totale contradiction avec les valeurs de l’homme, comme avec les valeurs qui animent le club, ses dirigeants, ses salariés et ses projets.
N’en déplaise à quelques nostalgiques, Michel Seydoux, les dirigeants et salariés du LOSC, forts du soutien de leur environnement, n’ont jamais été aussi motivés par le formidable projet qu’ils poursuivent : faire du LOSC un club qui compte en France et en Europe. Ils sont convaincus d’avoir prochainement le plaisir immense de pouvoir partager spectacle et émotions avec toute la Métropole lilloise, ses habitants, les supporters du LOSC, au Grand Stade Lille Métropole ».