Archive pour la catégorie ‘Donne-nous des nouvelles …’
Posté le 19 septembre 2023 - par dbclosc
Acimovic, vidi, vici
Hommage à la légende Milenko « Mile » Acimovic, tandis que le LOSC affronte en Conférence League l’Olimpija Ljubljana, club de jeunesse du milieu slovène dont il fut directeur sportif à deux reprises après sa carrière de joueur. On vous donne même de ses nouvelles à la fin.
Milenko Acimovic a littéralement grandi sur un terrain de football. En effet, au tournant des années 90, son père, d’origine serbe, est gardien de stade au Bezigrad Stadium de Ljubljana. C’est donc dans la capitale slovène qu’Acimovic fait ses gammes. D’abord au Zeleznicar (club aujourd’hui disparu) puis à l’Olimpija. Après deux ans à jouer sur la pelouse de son enfance, « Mile » s’envole pour son autre club de cœur, celui de ses parents : l’Etoile Rouge de Belgrade.
Là-bas, il explose aux yeux de l’Europe du football. Et encore plus un soir de novembre 1999. De retour sur sa pelouse fétiche du Bezigrad Stadium avec l’équipe nationale slovène, il affronte l’Ukraine pour une place à l’Euro. Tandis que les deux équipes sont bloquées à un partout, le gardien ukrainien foire sa relance qui arrive sur Acimovic au milieu de terrain. Sans hésitation, tel un Beckham de l’ex-Yougoslavie, il envoie un lob direct dans le petit filet. Et qualifie son pays, huit ans après son indépendance, pour sa première compétition internationale. Un but dont tous les slovènes se souviennent encore aujourd’hui. Enfin on n’a pas de pote slovène mais on imagine.
« A l’image du Lavallois Crucet »
« Mile » signe par la suite à Tottenham à l’été 2002 après une coupe du monde réussie (1 passe décisive et un but). Désiré par Daniel Lévy, déjà en poste à l’époque, il joue pourtant très peu la première saison avant d’être carrément mis au placard la seconde. Son salut vient alors du LOSC de Claude Puel, mal en point, quatorzième à la trêve, qui le prend en prêt. Pour cette dernière saison à Grimonprez-Jooris, Acimovic aide les lillois à redresser la barre (6 buts en 16 matchs) pour finir dans le ventre mou. La fameuse zone de confort « Jocelyn Gourvennec ».
Assez pour convaincre le LOSC de le transférer définitivement. Et c’est donc à l’été 2004, qu’Acimovic démontre son talent dans la plus prestigieuse des compétitions, la Conférence League des années 2000 : la coupe Intertoto. Il offre le sacre au club d’un but au bout des prolongations face à l’UD Leira. Titre qui est encore aujourd’hui célébré chaque année par des milliers de supporters devant le Leroy Merlin de Villeneuve d’Ascq. Mais bientôt, cette réalisation est éclipsée par une autre bien plus significative dans une vraie grande compétition européenne. Et non pas une Coupe des villes de foires.
En septembre 2005, le LOSC est en Ligue des Champions après avoir terminé second la saison précédente. Les Dogues étrennent leur deuxième campagne dans cette compétition par une défaite à Lisbonne, avant de faire nul contre Villareal, puis à Manchester, sur le même score de 0-0. Pour l’anecdote, après le match à Old Trafford, Cristiano Ronaldo, impressionné par la prestation d’Acimovic viendra échanger son maillot avec lui. Mais, une fois à l’aéroport de Manchester pour prendre l’avion du retour, le Slovène est apostrophé par l’un de ses jeunes coéquipiers. En effet, le belge Kevin Mirallas part dans un long monologue pour lui expliquer que Cristiano Ronaldo est son idole et qu’il l’inspire au quotidien (sûrement pour la coiffure au gel Vivelle Dop Fixation Béton). Acimovic, le cœur sur la main, accepte alors de lui donner le maillot du futur quintuple ballon d’or. Et Mirallas de s’effondrer en larmes sous le coup de l’émotion.
Début novembre 2005, le LOSC, qui n’a donc marqué aucun but sur la phase aller, affronte de nouveau le grand Manchester United de l’époque, cette fois au Stade de France. Le LOSC est contraint à la victoire pour espérer une qualification en huitièmes de finale. En face Rooney, Van Nistelrooy, Cristiano Ronaldo et Mikael Silvestre attendent de pied ferme. Mais à la 38ème minute du match c’est Milenko Acimovic qui l’a pour catapulter la balle sous la barre de Van Der Sar. Après une folle chevauchée du capitaine Tafforeau sur le côté gauche, le Slovène se jette pour mettre un plat du pied. Rideau, chapeau l’artiste. Ça restera le seul but du LOSC dans cette phase de poules de Ligue des Champions. Mais à jamais le symbole de la victoire du jeune LOSC sur l’ogre mancunien.
Que des beaux noms (puisque que Giggs n’est pas là)
Il reste en mémoire quelques autres exploits d’Acimovic avec le LOSC. Dont un but magnifique face à ce bon vieux Steeve Elana ou un autre face à l’ami Wimbée.
Il part finalement en 2006, après une fin de saison tronquée. S’ensuivent l’Arabie Saoudite pré-fièvre mercantile et l’Austria Vienne. Puis « Mile », touché par une lourde blessure au genou, ne peut pas pousser plus loin et prend sa retraite à 33 ans. Il revient alors à ses premiers amours à Ljubljana. Et fait deux piges en tant que directeur sportif de l’Olimpija. Mais des différences de points de vue avec la direction le poussent à se tourner vers le rôle d’éducateur et d’entraineur. Il ouvre sa propre école de football qui accueille chaque été des jeunes footeux du monde entier. Puis en novembre 2020, quinze ans après l’épique nuit mancunienne, il prend le poste d’entraineur des espoirs de la Slovénie.
♪ Prendre un enfant par la main ♫
En novembre de cette année, pour la confrontation face à l’Olimpija, le LOSC de Paulo Fonseca ne se déplacera pas sur la pelouse du Bezigrad Stadium, détruit depuis. Mais quitte à parier que Milenko Acimovic aura tout de même ses aises en tribunes. Le cœur tiraillé entre deux clubs, le temps d’une de ces soirées européennes qu’il a si bien connu.
Posté le 25 août 2023 - par dbclosc
Gloire et mort d’Alphonse Six (4/4) : Disparition d’un champion, l’OL en première ligne
De 1912 à 1914, l’Olympique Lillois a compté dans ses rangs un attaquant venu de Belgique dont les qualités ont été unanimement louées par la presse, par ses équipiers, et par ses adversaires : il s’appelait Alphonse Six. Grâce à lui, l’OL a conquis deux titres régionaux avant de s’imposer en 1914 dans la compétition nationale suprême : le « Trophée de France ». Appelé à un destin toujours plus glorieux, il meurt dans les premiers jours de la guerre 14-18.
La série complète :
1/4 : Révélation d’un footballeur belge hors-norme
2/4 : 1913, la suprématie régionale, en attendant mieux
3/4 : 1914, Six et l’OL au sommet
4/4 : Disparition d’un champion : l’OL en première ligne
Les succès sportifs de l’Olympique Lillois n’entraînent pas de domination durable du grand club nordiste sur le football national : dès le 2 août 1914, la mobilisation générale est déclarée en France. Le lendemain, l’Allemagne déclare la guerre à la France, et entend passer par la Belgique qui, elle, a mobilisé ses hommes le 31 juillet. Parmi eux, la vedette de l’équipe lilloise : le buteur Alphonse Six. Il trouve la mort dès le début du conflit. Cette mort, couplée à celle d’autres sportifs, fait sortir l’OL et le football de leur seule dimension sportive.
Nous sommes le 19 août 1914 : trois mois et demi après avoir emmené l’OL à la victoire dans le Trophée de France, le soldat Alphonse Six, matricule 141/15763, est mort. La percée des Allemands sur le territoire belge a eu raison de sa vie, comme de celle de 41 000 autres Belges durant le conflit. Avant de nous pencher sur les circonstances de la mort du champion lillois, intéressons-nous au contexte général dans lequel il s’est retrouvé.
L’Allemagne déclare la guerre à la Belgique le 4 août, et l’envahit quelques heures après. C’est le début d’un épisode d’une quinzaine de jours que l’historiographie nomme « la bataille des frontières ». Le premier obstacle majeur de l’armée allemande est la ville de Liège : ville fortifiée, en hauteur, elle comporte 12 forts. Mais Liège n’a pas de défense proprement dite, et les Allemands considèrent que la vaincre sera une formalité. Or, Liège résiste, et parvient à freiner l’armée allemande durant une quinzaine de jours, avant de céder, le 16 août. Cette résistance est vue du côté belge comme héroïque et est presque considérée comme une victoire, alors que les Allemands l’interprètent également comme leur première victoire.
Après la chute de Liège, l’armée allemande se dirige vers Anvers. Le 19 août, l’attaquant de l’OL est mort au front, selon la formule consacrée. Cependant, en raison des circonstances, l’officialisation de la nouvelle, notamment du côté de Lille, prend plusieurs années.
Alphonse Six en tenue militaire, probablement en 1914.
Brugsch Handelsblad Archives
Le football au front
La presse des années 1914 à 1918 est évidemment dominée par l’évocation du conflit, qui fait systématiquement la Une des journaux (du moins, chez ceux qui publient encore), tant aux niveaux national que régional. Mais le football n’est pas absent : il est même frappant de constater à quel point la presse écrite y consacre de nombreuses rubriques. En effet, après les premiers temps de la mobilisation générale, les structures encore en activité s’organisent. Ce constat général ne vaut certainement pas pour Lille et sa région. Une grande partie du département du Nord, comme de l’Est de la France, a vécu pendant quatre années à l’arrière du front sous une occupation allemande marquée par la sous-alimentation, le travail forcé, les réquisitions et les exactions.
Mais ici dans la région comme sur l’ensemble du front, il semble historiquement avéré que des matches de football entre poilus ont eu lieu ; et peut-être même des matches entre soldats « ennemis », notamment durant la « trêve de Noël » de 1914 aux alentours de la frontière franco-belge. Le film Joyeux Noël (2005), notamment, accorde une large place à l’une de ces confrontations supposées. Les témoignages directs restent imprécis et, si des photos ont été tirées, comme l’ont prétendu des soldats, elles sont aujourd’hui introuvables car elles ont probablement déplu à la hiérarchie militaire. Cependant, à Ploegsteert (à une quinzaine de kilomètres de Lille en remontant la Deûle), au lieu-dit Saint-Yvon, sur la base de témoignages de soldats anglais, une croix a été plantée dès 1999 sur le lieu supposé d’une de ces rencontres. Et comme on le constate aisément, la presse rapporte que les soldats jouent au football : il est d’ailleurs régulièrement fait appel à la population pour leur fournir des ballons et des équipements.
La trêve à Saint-Yvon aurait duré une semaine et aurait été marqué par des échanges de cadeaux, l’enterrement des morts et, donc, un match de football. En 2014, pour le centenaire de l’événement, un monument financé par l’UEFA y a été érigé.
Le monument Christmas Truce de l’UEFA représente un culot d’obus surmonté d’un ballon portant la mention UEFA 1914-2014 ©Designwerk
Incertitudes, rumeurs, espoirs
Qu’un match de football ait eu lieu ou non à la frontière franco-belge à Noël 1914, un fait est certain : Alphonse Six n’y a pas pris part. Pour lui, la guerre était déjà finie depuis plusieurs mois. Le cas d’Alphonse Six est exemplaire de l’incertitude qui règne autour du destin des uns et des autres : dans la presse, les informations sont parcellaires et contradictoires, suscitent inquiétudes et espoirs.
Au sein de différentes rubriques (« Nos footballeurs au feu », « les footballeurs sur le front », « les matches sur le front » ou « Nouvelles des nôtres », elle-même déclinée en « en bonne santé », dans L’Auto ; « Les sportsmen et la guerre » dans L’Ouest-éclair ; « Nos glorieux morts », « Les Sportsmen au feu », et « Nos chers blessés » dans le Bulletin des réfugiés du département du Nord…), il est donc possible d’avoir des nouvelles des footballeurs jouant en France, désormais soldats.
Au début du conflit, ces nouvelles sont le plus souvent transmises aux journaux par la direction des clubs sportifs. Pour les Lillois, c’est par Henri Jooris, le secrétaire général du club, que semblent transiter toutes les informations relatives à l’Olympique Lillois. Pas un article de presse relatif à l’OL ne manque de le remercier pour ce que son travail de centralisation permet, depuis Lille, pas encore occupée (jusque octobre 1914). C’est donc principalement dans les rubrique mentionnées ci-dessus que l’on trouve dans un premier temps quelques nouvelles des joueurs de l’OL, désignés comme étant « les nôtres », « nos sportifs », « nos sportsmen », « nos footballeurs », tant dans la presse nationale que régionale. Au compte-gouttes, avec des intervalles de plusieurs semaines sans nouvelles, s’égraine la situation des uns et des autres, rarement rassurante. L’attaquant Maurice Gravelines aurait été « emmené en captivité après le siège de Maubeuge, et interné à Brückenhof-Zirma » (L’Auto, 21 novembre 1914). En mars 1915, toujours grâce à l’aide de Jooris, L’Auto parvient à faire le point sur la situation de tous. Alors que Six est porté disparu (et en fait, mort depuis plusieurs mois), on s’interroge : « que sont devenus les équipiers qui se firent applaudir en France et à l’étranger ? » (5 mars 1915)
C’est l’Auto qui, le 11 août, est le premier à donner des nouvelles de Six : « Six est sous-officier dans les lanciers belges et il se bat comme un Lion (De Flandres) devant Liège ». En novembre 1914, la revue Sporting évoque celui qui est « peut-être le meilleur joueur d’association pratiquant en France depuis deux ans » et assure qu’il se porte « à merveille » : on lui prête lors des premiers jours de mobilisation une action de résistance héroïque : « il musait aux environs d’un passage à niveau, près de Lierre, lorsque dans le lointain il aperçut un motocycliste fonçant à toute vitesse (…) La barrière était ouverte. Il la fit fermer, pas avec assez de rapidité pour que le soldat belge à moto n’essayât de foncer. Alors, ne doutant plus qu’il eût affaire à un espion, Alphonse Six plongea et, dans une étreinte vigoureuse, mit l’officier allemand déguisé – car c’en était un – hors d’état de nuire ». L’Auto relate aussi l’anecdote en mars 1915 en ajoutant quelques détails (« ses camarades et lui luttaient un contre dix, il resta seul debout, se déguisa en paysan et rejoignit son dépôt »). On apprend qu’il aurait été depuis gravement blessé, mais qu’il serait hospitalisé à Manchester. On est cependant sans nouvelle certaine de lui depuis, déjà, le 19 août. Au cours de l’été 1915, le Bulletin des réfugiés du département du Nord note que « l’hospitalisation d’Alphonse Six à Manchester est controuvée. Ses deux frères mobilisés dont l’un est en convalescence à Londres et l’autre, médecin militaire de retour d’Allemagne, la démentent. Ils ont écrit à notre ami Henri Jooris qu’ils sont toujours sans nouvelles du brillant attaquant international qu’était Alphonse Six, disparu le 19 août à Louvain » (Bulletin des réfugiés… 4 août 1915). Dans l’Auto, le 15 mars 1916, on lit que « les lillois manquent toujours de renseignements précis sur le sort de Alphonse Six, leur merveilleux centre-avant, disparu depuis les premières semaines de la campagne ». Au printemps 1916, on est toujours sans nouvelles précises de lui.
Sporting (12 novembre 1914) annonce que Six se porte « à merveille »
Pris au piège
En recoupant plusieurs sources, on peut se figurer comment est mort Alphonse Six.
La bataille de Liège a ralenti les Allemands. A l’arrière, ce ralentissement a permis de s’organiser un peu. La division dans laquelle se trouve Alphonse Six (3e régiment de lanciers), stationne à partir du 12 août dans une zone proche de Léau (Zoutleeuw), à peu près à équidistance de Liège et de Bruxelles. Son but est de protéger le repli des combattants liégeois, et d’organiser la résistance d’Anvers et de Bruxelles, où se dirigent les Allemands.
Le 18, le roi Albert Ier ordonne le repli de l’armée belge vers Anvers. Au sein des Lanciers belges, dont a parlé précédemment, Alphonse Six est « éclaireur-lancier » : cela signifie qu’il est chargé de transmettre des messages entre le front et l’arrière. Ainsi, il est probablement de ceux qui sont chargés de porter le message du roi à une partie de l’arrière-garde belge près de Boutersem. Cependant, le 19, en chemin, il doit mettre pied à terre en s’apercevant du nombre de soldats allemands qui remontent vers lui. Il parvient à se cacher derrière un tas de bois à proximité d’une ferme. Mais les Allemands y mettent le feu ; Alphonse tente alors de fuir : il est abattu.
Son ordre de retrait n’est donc jamais parvenu aux hommes à qui il était destiné, et vingt d’entre eux ont été tués. Ces corps sont enterrés dans une fosse commune sur place, au lieu-dit Kromme Herent. En 1915, ils sont transférés au cimetière de Boutersem, puis en 1925 au cimetière militaire de Veltem-Beisem.
L’OL monte au front
Alphonse Six n’est que le premier mort de l’omnisports OL. Il y en aura 75 autres (ou 74, selon les sources). Parmi eux, d’autres footballeurs de l’équipe de 1914 : le gardien Elie Carpentier, et le demi Jacques Mollet.
Dans la presse, les footballeurs (et, plus globalement, les sportifs) morts au combat sont héroïsés. Rappelons-nous ce qui a été écrit au sujet de Six : faits avérés ou en partie mythifiés, ils visent en tout cas à attester le courage et la bravoure des individus. Leurs mérites individuels sont salués, et présentés comme ayant trouvé leurs racines sur les terrains sportifs, avec l’idée que les footballeurs sont de bons soldats, précisément en leur qualité de footballeur, comme l’illustre bien ce passage à propos de la mort du garidne lillois, Carpentier : « le sport est la meilleure école pour former et des hommes et des soldats. Pour qui connaissait Carpentier, pour qui l’avait vu souvent dans ses bois, rien d’étonnant à ce que ce joueur énergique et modeste, courageux et posé, ait fait un excellent officier d’artillerie. Il y était, en effet, prédisposé – nous ne craignons pas de l’affirmer bien haut – par ses qualités de footballeur développées notamment à leur maximum par sa dernière saison, précédant immédiatement la guerre. Nommé sous-lieutenant sur le champ de bataille, il nous disait, à Commassous [un journaliste] et à moi, quelques jours avant de tomber, qu’il était à son poste d’officier comme… dans ses bois. Et nous l’avons cru immédiatement. Et tous ceux qui l’ont connu le croiront aussi volontiers » (Bulletin des réfugiés…, 12 mai 1915).
L’OL n’est pas en reste : alors que le club n’a pas d’actualité sportive, il lance sa propre publication en 1915 : Allez l’OL. Henri Jooris, retiré à Elbeuf (Normandie), centralise les informations relatives au club : combattants, blessés, prisonniers, morts… Les nouvelles sont rarement bonnes. Pendant ce temps, à Lille, les Allemands ont fait du café Bellevue, siège de l’OL, leur QG. La Taverne Viennoise (qui deviendra La Taverne Liégeoise après-guerre, pour effacer toute trace « germanique » et saluer la résistance liégeoise), lieu de réunion de l’OL, a été incendiée, mais les trophées seraient saufs.
On le comprend : Allez l’OL a pour but de donner des nouvelles des membres de l’OL engagés dans la guerre ; et au-delà, d’inscrire Henri Jooris, l’OL, et plus largement le football, comme un acteur à part entière du conflit. Ainsi, le club tente d’ancrer le football comme une pratique d’autant plus légitime socialement et politiquement qu’elle participe à l’effort de guerre. Le lien entre terrains sportif et militaire est alors fait. L’OL offre ainsi une remarquable illustration de la diffusion d’une « culture de guerre » sportive[1].
Progressif retour au football
Les années passent, l’OL ne joue toujours pas. L’Auto annonce le 18 février 1918 une confrontation Ligue de Paris/Lions de Flandres pour le 24. Comme avant-guerre, la rencontre est présentée comme « sensationnelle ». Du côté nordiste, l’Auto l’assure : il s’agit de « prouver aux absents qui triomphèrent par 3-0 qu’ils ont été dignement remplacés ». Le ton employé est étonnant : il laisse penser que la guerre n’a rien changé sur la façon d’aborder le match, et que les forces en présence sont les mêmes que 4 ans auparavant. Seule l’affectation de la recette, au profit des footballeurs nordistes prisonniers de guerre, rappelle le cadre tragique du match.
Seul le capitaine Ducret est rescapé du précédent match. À cette date, on connaît les situations suivantes, rappelées tout de même par le quotidien : Dubly, Chandelier, et Lesur sont prisonniers ; Degouve et Moigneux ont été amputés ; Dujardin, Six, et Carpentier sont morts. Pour compenser ces pertes, les Lions de Flandres font appel à Dussart et Van den Driesche (Roubaix), Filez (UST), Warot (Malo-les-bains), Lozinguez et Courquin (deux jeunes de l’OL), et enrôlent, pour la deuxième folis après Six, des internationaux Belges : Goetinck, Wertz, Verbecke, Vlaminck, Bayu, Hubin.
La ville de Lille est libérée le 17 octobre 1918 ; le 4 novembre, l’Auto annonce une grande nouvelle dans sa rubrique « le sport dans les pays reconquis » : l’Olympique Lillois a retrouvé les terrains. « Nous avons à annoncer, avec un très grand plaisir les résultats d’un match qui s’est joué vendredi dernier, en même temps que s’effectuait la reconstitution du vaillant club nordiste, l’Olympique Lillois. Le résultat d’abord : Olympique Lillois bat une forte équipe anglaise, par 6 buts à 5 ». Cette équipe de l’OL était constituée d’étudiants et d’anciens étudiants en médecine conservés de force par les Allemands comme sanitaires et qui, grâce à la Croix Rouge, ont pu échapper à la dernière rafle. Parmi eux, Albert Eloy, le compère d’Alphonse Six à la pointe de l’attaque lilloise, amaigri de 15 kilos et désormais docteur en médecine. Paul Chandelier, présent à Lille, n’a lui pas joué, mais « chacun se sent prêt à reprendre sa place au poste de combat, le bon combat cette fois ».
À la mémoire des morts de l’OL
Quelques années après l’armistice, l’OL entreprend la construction d’une mémoire collective. Le 29 avril 1923, le club inaugure « son » monument aux morts.
Le Grand Echo du Nord relate une « journée consacrée au souvenir », « une page unique d’histoire », qui s’achèvera par un OL/Daring de Bruxelles, en présence de membres de l’Union Belge Dans « un silence impressionnant », Henri Jooris procède à l’appel des 76 morts de l’OL : « dans le silence qui plane à ce moment sur l’assistance, on perçoit les sanglots étouffés des parents et amis que cette cérémonie touche directement, parce que, sur la pierre, figure le nom d’un fils, d’un mari, d’un frère ».
Henri Jooris prononce ensuite un discours dont nous reproduisons des extraits :
« Messieurs,
1914 fut une date mémorable dans les fastes de l’Olympique Lillois.
Douze ans de labeur acharné nous avaient permis d’enlever de haute lutte le trophée ambitionné par tous, le titre glorieux de champion de France de football-association, c’est-à-dire du sport athlétique le plus populaire.
Notre Onze représentatif était composé d’éléments jeunes, ardents, scientifiques pour la plupart, et pendant quelques années nous pouvions légitimement espérer briller au premier rang du football et du sport français.
Mais 3 mois après que nous avions fêté notre victoire et que nous caressions tout haut ce beau rêve, la guerre s’est déclarée et, le 1er août, nos onze équipiers premiers avaient déjà rejoint leurs unités respectives.
Ce fut pour tous ceux qui avaient été les artisans de ce mémorable succès un crève-coeur terrible.
Grandes étaient nos appréhensions, mais jamais nous n’aurions supposé que le conflit qui venait de se déchaîner aurait pris une telle ampleur.
Ce ne furent pas seulement nos équipiers premiers et nos camarades qui avaient atteint l’âge de la mobilisation qui furent appelés au glorieux honneur de défendre nos couleurs, en des compétitions autrement sanglantes que nos luttes sportives, mais peu à peu rejoignaient le front les éléments qui formaient les équipes de jeunes espoirs dont nous aimions suivre avec intérêt les progrès.
76 des nôtres sont tombés. Ils n’ont pu assister à la victoire ; ils n’ont pu être les témoins des manifestations de l’affectueuse reconnaissance du peuple français, lors des journées fameuses de l’armistice, lors de l’entrée triomphale de nos troupes dans les cités dévastées et reconquises.
Mais, pour nous, qui avons été le confident de ces jeunes héros, car c’est pendant la guerre que nous avons créé le bulletin de notre club, qui permit à des centaines et des centaines de nos amis mobilisés de se retrouver, il nous reste cette ardente conviction que le sport est une merveilleuse école d’énergie, d’endurance, et d’enthousiasme, et que c’est faire œuvre utile au pays que d’apprendre à nos fils à mépriser le froid, à surmonter les défaillances physiques, et à aimer se délasser des travaux de la semaine dans des sports mâles, rudes énergiques.
Le sport est une préparation de premier ordre à la carrière des armes, car il trempe les caractères, fortifie les volontés, il enseigne la discipline et l’obéissance aux capitaines.
(…)
Nous associons les pères, les mères, les familles, à l’hommage public que nous avons voulu rendre à ces héros.
Leur douleur que nous comprenons doit faire place uniquement à une grande fierté. Le sacrifice des leurs a servi la France : il n’est point une plus belle mort ; il n’en est pas de plus glorieuse ; c’est ce que nous avons voulu affirmer par ce monument, qui dira aussi à nos jeunes camarades de sport, comme aux spectateurs de nos matches, que parmi les vertus morales et patriotiques développées dans nos club doit être pieusement pratique le culte du souvenir »
On comprend donc bien que ces cérémonies, et cette construction d’une mémoire collective, dont l’OL est un acteur majeur, ne serait-ce qu’au titre de champion de France de football, contribuent à faire de la première guerre mondiale un moment-charnière de l’histoire du football en France : via ses clubs, qui ont fait un trait d’union entre le front et l’arrière, « l’union sacrée ». L’OL, en particulier, s’est paré d’une légitimité sociale qu’il n’avait pas auparavant.
Le monument aux morts, un bas-relief illustrant un footballeur abandonnant son ballon pour un fusil que lui tend une allégorie de Marianne, est entouré de plaques sur lesquelles sont gravés les noms des 76 morts de l’OL. Dont, bien sûr, celui d’Alphonse Six. Ce monument, devant lequel a été scellée l’alliance entre l’OL et Fives, a été déplacé à Grimonprez-Jooris avant de disparaître, probablement quand le stade a été abandonné.
Que reste-t-il donc aujourd’hui du grand attaquant de l’OL ?
Du côté de la Belgique, les mêmes cérémonies ont eu lieu pour célébrer les footballeurs morts à la guerre. A Bruges, à côté du Jan Breydelstadion, un monument aux morts des footballeurs du Cercle a été érigé en 1921. Mais contrairement à ce qu’affirment certaines sources, le nom d’Alphonse Six n’y apparaît pas, puisqu’il était à l’époque à l’Olympique Lillois.
Le monument aux morts du Cercle de Bruges (juillet 2023)
Le nom d’Alphonse Six est aujourd’hui lisible à deux endroits, en Belgique : sur sa tombe, bien sûr, mais aussi dans une rue de Bruges, la rue des Chartreuses (Kartuizerinnenstraat), dans laquelle figurent des plaques sur lesquelles sont gravés les centaines de noms de Brugeois morts durant les deux guerres mondiales. Alphonse y apparaît, de même que l’un des frères aînés, Rodolphe, médecin, mort le 29 septembre 1918, au premier jour de la contre-offensive belge.
Rue des Charteuses à Bruges (juillet 2023)
Faire-part de décès d’un des frères aînés d’Alphonse Six, Rodolphe Six
Ainsi s’est achevée la vie d’un grand champion lillois, à l’âge de 24 ans, mort dans des circonstances similaires à celles de millions d’autres. On a évoqué ses exceptionnelles performances en Belgique, puis son apport essentiel dans le triomphe de l’OL en 1914. Il semblait promis, comme son club, à un avenir radieux. Dans un ouvrage de référence publié en 1979[2], l’historien Richard Henshaw évoque Alphonse Six comme étant « le meilleur joueur belge de la période avant-guerre (…) Il fut souvent considéré comme l’attaquant le plus doué hors d’Angleterre ».
Pourtant, en raison des circonstances, il n’a probablement pas eu l’hommage qu’il méritait. En 1925, quand son corps a été transféré au cimetière de Veltem-Beisem, une brève cérémonie, pour la mémoire de tous ces soldats, a eu lieu. La mère d’Alphonse Six était présente. Mais aucune mention de son passé de footballeur n’est évoquée sur sa tombe : il est enterré comme Wachtmeester (sergent), qu’il n’aura été que trois semaines.
Après-guerre, l’OL doit tout reconstruire, sans certains de ses glorieux joueurs de 1914. Le club est désormais relégué au niveau national, n’ayant pas pu poursuivre ses activités footballistiques, contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres régions.
Le dimanche 25 janvier 1920, l’OL se déplace chez son vieux rival de l’US Tourcoing. Mais le match n’a plus la même saveur que six ans auparavant. Si l’OL se maintient vers le haut du classement du championnat du Nord, il ne possède plus les joueurs qui l’ont tant fait briller. Le Grand Echo regrette : « où est la ligne d’avants de l’OL d’avant-guerre ? Quand Alphonse Six entraînait ses coéquipiers et, par sa science et son shoot puissant, décidait de la victoire ? S’il avait pu laisser à ses successeurs un peu de sa vaillance et de son courage… »
[1] Nous empruntons l’expression à l’historien Julien Sorez, pour qui cette « culture de guerre » liée au football « prend forme avec les récits de matchs de poilus et l’évocation de la mobilisation des footballeurs et des dirigeants de l’arrière pour la guerre. Elle se construit avec la multiplication des rubriques concernant le comportement héroïque des joueurs durant le conflit. Elle est également portée dès 1914 et jusqu’à la fin de l’entre-deux-guerres par l’héroïsation des footballeurs et l’édification d’une mémoire sportive de la guerre », « Le football français et la Grande Guerre : une pratique sportive à l’épreuve du feu », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 2012/2, n°106, p. 11-19, https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2012-2-page-11.htm#re3no79
[2] Richard Henshaw, The Encyclopedia of World Soccer, Washington, D.C., New Republic Books, 1979
Posté le 23 août 2023 - par dbclosc
Gloire et mort d’Alphonse Six (3/4) : 1914, Six et l’OL au sommet
De 1912 à 1914, l’Olympique Lillois a compté dans ses rangs un attaquant venu de Belgique dont les qualités ont été unanimement louées par la presse, par ses équipiers, et par ses adversaires : il s’appelait Alphonse Six. Grâce à lui, l’OL a conquis deux titres régionaux avant de s’imposer en 1914 dans la compétition nationale suprême : le « Trophée de France ». Appelé à un destin toujours plus glorieux, il meurt dans les premiers jours de la guerre 14-18.
La série complète :
1/4 : Révélation d’un footballeur belge hors-norme
2/4 : 1913, la suprématie régionale, en attendant mieux
3/4 : 1914, Six et l’OL au sommet
4/4 : Disparition d’un champion : l’OL en première ligne
Après une première saison à Lille au cours de laquelle il a contribué au titre régional de l’OL, Alphonse Six entame la nouvelle saison 1913/1914 avec la même ambition que celle de son club : maintenir la suprématie régionale et, cette fois, briller au niveau national. 1914 sera un triomphe absolu.
Alphonse Six a vite été adopté dans le Nord, et cela ne doit pas seulement à ses qualités de buteur. Il est régulièrement qualifié de « sympathique » et de « chaleureux » dans la presse locale. La Vie Sportive signale qu’ « il se plaît beaucoup à Lille » (3 mai 1913). Les Lillois lui ont même trouvé un petit surnom : « Fonsèque » ou « Phonsèque », comme c’est écrit dans la presse. À vrai dire, on a tendance à penser que les journalistes ont francisé un surnom néerlandais qui doit être « Fonsekje » (« fonsequieu » ou en effet « fonsèque » si on ne fait pas d’effort de prononciation) : on a ainsi le « Fons » d’Alphonse (Alfons en néerlandais) suivi d’une terminaison (kje) utilisée pour donner soit une réalité plus petite (comme maison/maisonnette en français) ou un surnom (Grégory/Petit Grégory) qui marque un rapport affectif.
Aimé à Lille, et regretté en Belgique : l’hebdomadaire La Vie Sportive signale que l’arbitre du match décisif UST/OL joué en mars 1913 était un Belge (M. Barette) qui était très ennuyé qu’Alphonse ne joue plus avec la Belgique car les Belges « n’avaient pu le remplacer comme centre-avant dans l’équipe nationale belge, Brébart lui étant nettement inférieur ». Mais « Fonsèque » ne renie pas son pays d’origine puisque, durant l’été 1913, on apprend qu’il est capitaine de l’équipe des Maschicots : il s’agit d’un Onze brugeois formé de joueurs de football condamnés à des travaux forcés à perpétuité (cela ne concerne pas Six lui-même…). Durant l’été, ils jouent le dimanche sur les plages belges. Leurs couleurs : tête de mort blanche sur chemisette noire.
Avec les Lions des Flandres
En plus d’être bien intégré à la ville de Lille, l’aura d’Alphonse Six dépasse les frontières de la ville. Le 1er novembre 1913, l’équipe des Lions des Flandres affronte une « Entente Gantoise », venue de Belgique. L’équipe des Lions des Flandres est une sélection régionale composée des meilleurs joueurs de Lille, de Roubaix et de Tourcoing. Originellement, il s’agit de « l’équipe du Nord », fondée par André Billy, et mise sur pied notamment pour affronter Paris au cours de matchs annuels, à partir de 1905. L’équipe est rebaptisée « Lions des Flandres » en 1912.
Si l’équipe du Nord était une sélection plus large que celle limitée à Lille et ses voisins immédiats, l’équipe des Lions des Flandres se limite donc à Lille, Roubaix et Tourcoing. Certes, ce sont les trois meilleures équipes de la région. Mais le « comité des Lions des Flandres » met en pratique ce que les « petits » clubs de la région redoutaient : composé de Léon Dubly et Léon Desremieux (RCR), Henri Jooris et Wuillaume (OL), Fernand Desrousseaux et Charles Van de Weegaete (UST), il ne sélectionne désormais que des joueurs de ces clubs pour le grand match.
Mais qu’il s’agisse de l’équipe du Nord ou des Flandres, n’ont été sélectionnés jusqu’alors que des joueurs français. Or, pour ce match de novembre 1913, pour la première fois, un étranger est convoqué : bien évidemment, c’est Alphonse Six. Certes, être Belge aide à intégrer une équipe des « Flandres », mais quelques Britanniques passés par Lille, Roubaix ou Tourcoing n’ont jamais eu cet honneur, même dans une équipe avec l’appellation « Nord ».
En attendant le match contre cette Entente gantoise, la presse rapporte que « le brave Alphonse est tout heureux de jouer contre ses compatriotes; il a d’autant plus l’intention d’en mettre que certains d’entre eux se permirent de battre, il y a 15 jours, son ancien club, le CS Brugeois ; aussi va-t-il leur faire passer le goût du pain (de l’Indépendante, naturellement[1]) (…) S’il est dans un bon jour et que ses ailiers lui fournissent de beaux centres, Phonsèque est capable d’assurer à lui seul, par son puissant shoot de volée, la victoire à l’équipe nordiste. Voilà qui serait drôle ! ».
Bien entendu, au vélodrome de Wattrelos, devant 3 500 personnes, ça ne rate pas : à la mi-temps, les Lions mènent 3-1 et Six a déjà marqué deux fois. Score final : 4-2. Selon le Grand Echo du Nord, « Six, ex-international Belge fut grand joueur. Il sortit le grand jeu, son jeu des grandes rencontres, et une fois de plus, fit l’admiration… de ses compatriotes, les Belges ».
Contre Paris, Six toujours plus haut
Mais cette performance est sans commune mesure avec ce qui se déroule début janvier 1914 à Lille : c’est la grande confrontation annuelle Paris/Nord.
Ce match marque l’apogée de l’hostilité entre d’un côté clubs nordistes rattachés à l’USFSA, et de l’autre les clubs parisiens rattachés à une autre fédération, le Comité Français Interfédéral. Au-delà de son intérêt sportif, cette rencontre est donc celle des « ligueurs parisiens » contre les « Flamands de l’USFSA ». En marge des championnats régionaux, le match est présenté comme « le plus intéressant, le plus passionnant, le plus palpitant ,le plus attendu, le plus désiré, le plus important, le plus magnifique », « le nec plus ultra du football français » (la Vie Sportive) : en effet, pas moins de 18 internationaux y prennent part !
Alphonse Six est de nouveau sélectionné, et est mis en valeur dans La Vie Sportive, tant pour ses exploits sur le terrain que pour sa gentillesse en dehors : « le sympathique Alphonse Six a donné, cette année, la mesure de ses moyens (…) L’excellent joueur est surtout un travailleur et un modeste qui a su s’attirer à Lille et dans le Nord des amitiés indéracinables ». Nul doute qu’il devrait se distinguer pour « la plus importante partie de l’année au point de vue national » ; un véritable « derby national » : « Le nord a jusqu’ici montré une supériorité marquée en football-association, tout comme le Midi s’est assuré une prépondérance indiscutable en matière de football-rugby. Paris, par alternance, ravissait aux Nordistes de temps à autre le titre de champion ou triomphait dans le match annuel Paris/Nord ; mais dans l’ensemble les joueurs septentrionaux représentaient pour le gros public les meilleurs élément du football national ».
Officieusement, cette rencontre est même censée servir de test-match en vue du match France/Belgique qui se déroulera à Lille fin janvier : « avec les enseignements de cette journée, les sélectionneurs devraient être à même de former une équipe de France qui soutienne honorablement les couleurs françaises ». On suppose que le record d’affluence pour un match de football dans le Nord, obtenu lors du Tourcoing/Lille de mars 1913, sera battu.
L’équipe des Lions des Flandres en janvier 1914.
De gauche à droite: Charles Dujardin (US Tourcoing), M. Desrousseaux (sélectionneur), Henri Moigneu (US Tourcoing), Henri Lesur (US Tourcoing), Gabriel Hanot (US Tourcoing), Albert Eloy (Olympique Lillois), Alphonse Six (Olympique Lillois), Paul Chandelier (Olympique Lillois), Maurice Gravelines (Olympique Lillois), Raymond Dubly (RC Roubaix), Albert Parsys (US Tourcoing), Jean Ducret (Olympique Lillois).
Agence Rol./Gallica/BNF
Du côté des Parisiens, voici l’équipe annoncée : dans les buts, Chayriguès (Red Star Athletic Club)
Arrières : Gamblin et Gravier (RSAC)
Demis : Bigué (CA Paris), Devic (RSAC), Barreau (FEC Levallois)
Avants : Morel, Rouchès, Maës (RSAC), Romano, Triboulet (FECL)
D’un point de vue sportif, la Vie Sportive et L’Auto sont d’accord : le match est très agréable : « de part et d’autre, on pratique un football de toute beauté » (L’Auto) Très rapidement, le gardien parisien Chayriguès se distingue par des arrêts spectaculaires, signe que les Lions dominent. Mais jusqu’à la demi-heure, les « Ligueurs » tentent d’approcher le but nordiste, sans réussite.
Le match se débloque peu après : sur un centre de Lesur, Six reprend à 3 mètres, et le ballon entre avec l’aide du poteau (1-0, 34e). Le reste du match n’est que démonstration des Lions des Flandres, qui inscrivent un deuxième but par Six, après un une-deux avec Lesur (2-0, 72e), puis un troisième par l’ailierDubly, qui déborde et arme un « shot foudroyant » (3-0, 78e). Le Nord s’impose, et assez nettement.
Après ce triomphe de la « Flandre », Six contribue désormais à faire rayonner le football nordiste tout entier. Le « Fonseque adoré des habitués du ground de l’OL », donne ses impressions :
« Avant le match, j’étais, comme à mon habitude, tres gai, mais cette fois je l’étais plus encore à voir la mine réfléchie de mes camarades. Pensez que les 21 autres joueurs pouvaient espérer porter le maillot tricolore, qu’ils furent couvés par les prunelles ardentes des sélectionneurs, qu’il fallait qu’ils se dépensent, tandis que tous mes camarades de l’OL m’avaient confié : « Joue bien, mais surtout ne te fais pas amocher », ce que j’ai traduit, peut-être très mal: « Ne te dépense pas ».
Après le match, je fus très triste (…) Je me suis rendu au Théâtre ; j’ai compati aux malheur des « Deux Gosses » et j’ai failli pleurer.
Une belle journée ne pouvait mal se terminer ; la vertu – d’origine nordiste – fut récompensée, et le vice – évidemment parisien – fut puni. Et le Lion de Flandre » s’endormit comme il ‘s’était levé, très joyeux ».
Le classique duel OL/UST
Qu’en est-il de la saison régulière ? Comme l’année précédente, l’OL jongle entre le championnat du Nord et de nombreux matches amicaux. Le 25 décembre 1913, l’OL reçoit le Club de Bruges, l’ancien club d’Alphonse Six : pour le Grand Echo, « il était impossible à l’Olympique Lillois de fournir un plus beau Noël à ses nombreux adhérents et supporters » (24 décembre). L’équipe brugeoise compte encore quelques internationaux qui ont joué avec Six : les frères Baes, Pruvost, Van Houte, Verbruggen[2] et Saeys : « Saeys, avec Van Houte et Alphonse Six, forma la fameuse triplette d’internationaux la plus formidable qu’il y ait eu en Belgique ».
En raison de l’absence de quatre joueurs, l’OL présente un visage un peu remanié, avec Bournonville, Verbruggen (le frangin), et Lesage, tandis que Jouvel va pour une fois jouer devant et, derrière, Alphonse Six prend sa place ! Après tout, il avait déjà joué à ce poste lors du derby brugeois de 1911 : « ce ne sera pas le moindre attrait de cette rencontre que de voir le brillant joueur lillois briser les savantes descentes d’un Saeys ou d’un Van Houtte, considérés comme les meilleurs dribbleurs ».
Sur un terrain gelé, et finalement sans Saeys, le début de match est « plutôt pénible : l’Olympique se présente avec neuf équipiers. On attend le dixième quelques minutes. Quant au onzième, il est sur le terrain, mais en tenue de ville, de sorte que l’OL doit commencer à 10. Le public assez nombreux et les visiteurs étrangers ne méritaient pas cette organisation légèrement défectueuse ».
L’OL s’impose 1-0 et selon la Vie Sportive, la polyvalence de Six est un atout considérable puisque « Six fut le meilleur homme sur le terrain. Il est extraordinaire, Alphonseque ! » (27 décembre).
Quant au championnat du Nord, il est de nouveau marqué par un duel entre l’OL et l’UST. Là encore, Tourcoing rempote la première manche face à l’OL (1-0), un match au cours duquel « à l’OL, l’attaque – toujours Six excepté – [a été] faible »
Comme au cours de l’année précédente, c’est lors de la confrontation directe entre les deux équipes que va se décider l’issue de la compétition nordiste. Le 15 février, au stade de l’avenue de Dunkerque, l’OL, deuxième, reçoit Tourcoing, premier. Après 12 journées, L’UST a un point d’avance sur l’OL (34 contre 33), est invaincue (10 victoires, 2 nuls), mais sa différence de buts est moins bonne que celle de l’OL : si Tourcoing a une défense de fer (seulement 4 buts encaissés, contre 9 du côté de l’OL), l’attaque lilloise est nettement plus performante : 47 buts marqués, contre 28 pour Tourcoing.
« Qui sera champion du Nord ? » interroge la Vie Sportive du 14 février. Les données sont assez simples : le vainqueur devrait enlever le titre. Comme il reste deux journées à disputer, ce sera une certitude mathématique si ce vainqueur est l’UST ; une grande probabilité si le vainqueur est l’OL, car l’OL et Tourcoing affrontent respectivement le Racing Club de Roubaix et Boulogne pour la dernière journée et, sauf énorme surprise, tous deux devraient s’imposer. En cas de nul, on comprend donc que l’UST fera aussi un grand pas vers le titre régional.
Se présente donc « une rencontre qui marquera dans les annales du football-association nordiste . D’abord en raison de cet enjeu immédiat, mais aussi parce que les joueurs présents sur le terrain sont en quelque sorte les premières stars du ballon rond nordiste et forment un exceptionnel plateau : 10 joueurs des Lions de Flandres, et 11 internationaux français rien que sur la saison en cours (sachant qu’on peut être les deux à la fois). Les internationaux sont Eloi, Lesur, Chandelier, Montagne, Gravelines, Moigneu, Hanot, Dujardin, Degouve, Parsys, Ducret, auxquels on peut ajouter Six.
Six, évidemment
Le match débute à 14H30 : l’OL est encouragé par les « Amis de l’OL », tandis que l’UST est supportée par ses « frangins ». Dès la 7e minute, Six profite d’un dribble puis d’un centre de Chandelier pour marquer le premier but de l’OL. Un avantage que le même Six accentue en seconde période.
L’OL s’impose 2-0 et prend la tête du classement. Comment en 1913, c’est sur doublé de son irrésistible attaquant belge, dans la confrontation avec Tourcoing, que le championnat bascule.
Voici comment Alphonse réagit à son premier but : « La foule est simpliste : elle ne voit que l’homme qui marque le but ou celui qui arrête, le ballon ; elle ne voit que le résultat final et ne voit pas toujours l’effort qui l’a amené. Mais que serait, le meilleur gardien de but sans de bons arrières, que pourrait tenter le shooteur le plus effectif sans de bons demis, de bons ailiers, de bons inters pour lui passer la balle au moment propice ?
Certes, j’ai entré le premier but qui décida de notre victoire, mais ce fut à la suite d’une belle combinaison Mollet, Chandelier, Eloy, et d’un intelligent effort du beau joueur qu’est Chandelier. Il dribbla Dujardin et, instinctivement, comme devait le faire tout avant au moment d’une attaque, je me démarquai. Je n’eus pas le temps de penser « Ah ! Si Paul pouvait… » que d’une passe sèche et précise, je reçus la balle dans les pieds : le temps de regarder à quel endroit du but se trouvait Parsys et je plaçai le ballon dans le coin opposé. Vous voyez que tout le mérite de ce goal n’est pas pour moi : bien au contraire, personnellement je suis d’avis que mes coéquipiers y contribuèrent plus que moi
Le point d’avance acquis, nos demis ne jouèrent plus autant l’attaque et plus la fin du match approchait, plus nous nous tenions sur notre, défensive. Cette tactique nous valut plusieurs critiques et plusieurs approbations. Voilà plusieurs années que l’OL domine dans des parties importantes et qu’il est néanmoins battu : notamment deux fois par Rouen (…)
En championnat et surtout dans les parties décisives comme fut celle de dimanche dernier, jouons le « cup game » ! Gardons, surtout, dans la seconde mi-temps, l’avance acquise et si les attaques faites par 4 ou même 3 avants ne sont plus aussi nettes, elles sont autrement dangereuses pour une équipe qui a mis tout à l’avant. C’est cette tactique qui valut le championnat de Belgique au Cercle Sportif Brugeois et qui seule, peut nous conduire au Trophée de France (…)
Notre dévoué capitaine et ami Ducret n’eut pas à nous passer la consigne et notre système plutôt défensif qu’offensif s’organisa. Je restai seul à l’attaque avec mes deux lévriers Mollet et Vignoli ; notre coup réussit plus que nous ne l’avions espéré puisque je parvins à entrer un deuxième but, qui nous assura la victoire certaine. .
Ah ! que j’étais heureux de voir mes camarades sauter de joie et d’être embrassé par eux. Eloy, habitué à mieux depuis qu’il est marié, trouvait même que j’avais la barbe bien dure !!! (…)
J’étais heureux aussi d’entendre nos braves et dévoués supporters clamer leur allégresse, un peu haut peut-être pour certaines oreilles… et de voir la figure rayonnante de bonheur de nos actifs dirigeants qui, par leurs,conseils et exhortations, nous avaient mis sur la route de la victoire » (21 février).
Comme prévu, les deux équipes s’imposent lors de la dernière journée : ce fut laborieux pour l’OL (2-1 à Roubaix) et une formalité pour l’UST (12-0 à Boulogne). L’OL, pour la deuxième saison consécutive, est champion du Nord et va donc concourir pour le championnat USFSA.
Un match de 150 minutes à Rouen
C’est devenu une tradition : pour son quart de finale de championnat USFSA, Lille se déplace à Rouen. Le match est fixé au dimanche 1er mars. Après deux défaites à ce stade de la compétition, contre ce même adversaire, en 1911 puis en 1913, les Lillois réussiront-ils enfin à franchir l’obstacle normand ?
Le match est âpre. Les Rouennais effectuent un marquage individuel sur les 3 centre-avants de l’OL, Six, Eloy et Chandelier. Pour une fois démarqué, Six envoie une lourde frappe qui tape la transversale et rebondit juste devant la ligne. Pas de chance… Le score est vierge à la pause. En deuxième période, rien de nouveau : 0-0 après 90 minutes. Prolongation, comme en 1911 ! 0-0 après 105 minutes, 0-0 après 120 minutes. Que fait-on alors, puisque les tirs aux buts n’existent pas encore ? Eh bien ce sera une nouvelle prolongation. Après 135 minutes, rien n’a encore été marqué. Il reste désormais 7 minutes dans la seconde période de la deuxième prolongation : Mollet déborde et centre sur Vignoli, qui met enfin le ballon dans le but normand, à la 143e minute ! L’OL se qualifie pour la demi-finale du championnat de France USFSA.
La promenade des demis
Henri Jooris a tenté de faire jouer la demi-finale à Lille, mais il n’a pas obtenu gain de cause. C’est donc à Charentonneau qu’il faudra se déplacer pour y affronter le 22 mars l’Union Sportive Saint-Servannaise, champion de Bretagne depuis 5 ans. Saint-Servan est à l’époque une commune qui jouxte Saint-Malo (c’en est aujourd’hui un quartier), dont l’équipe, selon la Vie Sportive, est « fougueuse », et a éliminé le champion de la ligue parisienne lors du tour précédent. Alors méfiance.
Si l’on en croit le niveau affiché par les deux équipes, les craintes d’une contre-performance lilloise n’étaient pas justifiées. Après quelques secondes de jeu, le défenseur breton Forrest, pressé par Eloy, veut passer la balle à son gardien mais « il lance la balle avec trop de force » : c’est le csc. Eloy, Chandelier puis Six permettent aux Lillois de mener 4-0 à la mi-temps. La pause ne change rien à la dynamique lilloise : Chandelier fait 5-0 puis Carpentier sort dangereusement de son but et offre sur un plateau aux Bretons de quoi sauver l’honneur. Un sixième but lillois est bien sûr inscrit par Six (6-1), Chandelier porte la marque à 7-1, puis Six y va de son triplé et clôt la marque (8-1).
L’OL champion USFSA
L’OL est désormais en finale du championnat de France ! Ce sera contre Cette, qu’on n’écrit pas encore Sète. La finale Lille/Cette a lieu le 5 avril 1914 à Paris, sur le stade de l’avenue Olivier-de-Serres, aussi connu sous le nom de stade la Légion Saint-Michel, dans le XVe arrondissement. Un train spécial de près de 1000 supporters lillois fait le déplacement ! L’OL, sous la houlette officieuse Charles Bunyan, peut-il accéder au Trophée de France ?
C’est parti : les premières occasions sont lilloises, mais Six et Chandelier ne cadrent pas. La première occasion nette est la bonne : sur un centre de Mollet, Six reprend de la tête et marque (1-0, 26e). Dans la foulée, un long coup-franc de Degouve est dégagé par le gardien cettois, mais Eloy reprend et marque encore (2-0, 29e). En 3 minutes, l’OL a pris un sérieux avantage, que les sudistes sont bien en peine de contester. En seconde période, sans être très inquiétés, les Lillois inscrivent un troisième but, par Six, qui traîne après une reprise croquée d’Eloy (3-0, 71e).
L’addition aurait pu être plus salée si, à 3-0, l’arbitre n’avait pas refusé un autre but à Six (« on ne saura jamais pourquoi » écrit la Vie Sportive ». Lille est champion USFSA, et haut la main !
Il existe un extrait vidéo de cette finale, dans laquelle on aperçoit la grande carcasse d’Alphonse Six :
Champion du Nord en mars, champion de France (USFSA) en avril, il ne reste qu’une étape pour que le triomphe lillois soit total : remporter le Trophée de France. En 1914, y sont représentés :
_le champion de France USFSA : l’Olympique Lillois
_le champion de la LFA (Ligue de Football Association) : Football Etoile Club de Levallois
_le champion de la FCAF (Fédération Cycliste et Athlétique de France) : Vie au Grand Air du Médoc (Bordeaux)
_le champion de la FGSPF (Fédération gymnastique et sportive des patronages de France) : Patronage Olier (Paris)
Dans un premier temps, ce sera Olympique/Lillois/Levallois et Vie au Grand Air du Médoc/Patronage Olier, le 19 avril.
Le match se déroule en sur le terrain où joue habituellement le Racing Club de Roubaix. Devant 3 000 personnes, les Lillois affichent assez rapidement leur supériorité. Ils ouvrent la marque sur un corner de Vignoli repris par Eloy (1-0, 27e) ; en seconde période, selon L’Auto, « Lille se porte carrément à l’attaque », et Chandelier marque d’une frappe de 30 mètres (2-0, 46e) ; un troisième but survient à la 69e après un cafouillage tel qu’on ne trouve pas l’identité du buteur, puis Six fait 4-0. Levallois sauve l’honneur à la dernière minute (4-1). C’est une « nette et indiscutable victoire des Nordistes » selon l’Auto : « les Lillois eurent constamment le meilleur », « les meilleurs ont gagné », « une excellente défense ». Au niveau des individualités, « le meilleur homme sur le terrain fut Six ».
En finale, les Lillois seront opposés à la Vie au Grand Air du Médoc, qui a battu Patronage Olier 3-2 dans l’autre demi-finale.
Victoire totale de l’OL
Comme pour la finale du championnat de France USFSA contre Cette, un train spécial venu de Lille se rendra à Paris, où les Lillois rejoindront ensuite le stade de Charentonneau, le terrain habituel du CAP. L’OL a donc l’occasion de confirmer sa montée en puissance depuis quelques années, en tant que représentant d’un football nordiste lui-même en haut de l’affiche, et d’enlever le dernier titre qui rendra encore moins discutable la suprématie lilloise sur le football français.
Il est 15h30 ce dimanche 26 avril 1914, et onze joueurs s’apprêtent à franchir la dernière étape d’une saison triomphale.
Les joueurs lillois, de gauche à droite : Maurice Gravelines, Elie Carpentier, Jean Degouve, Albert Eloy, Jacques Mollet, Alphonse Six, Jean Ducret, Charles Montagne, Paul Chandelier, Marcel Vignoli. Charles Jouvel n’est pas visilbe sur cette photo.
Agence Rol./Gallica/BNF
L’OL entame le match tambour battant avec un premier but de Ducret, refusé pour hors-jeu mais, peu après, Gravelines sert Chandelier qui ouvre la marque (1-0, 7e). Pendant que Carpentier garde ses buts « avec une parfaite vigilance », Lille attaque toujours : Vignoli centre sur Chandelier qui frappe, le gardien Macé dégage, Six reprend avec la poitrine, 2-0 ! Si la VGA pointe le bout du nez, la réussite est du côté lillois, en témoigne cette dernière action avant la pause : Ducruet sauve une balle sur sa ligne, dégage vers Mollet qui déborde, centre, et Six fait 3-0 !
La seconde période est moins intéressante. Six, à l’aise, ajoute un quatrième but d’une frappe de 20 mètres. « C’est alors que les affaires commencent à se gâter » : Bordeaux se met à jouer plus sèchement et Six est touché à l’arcade sourcilière. Il restera fort handicapé jusqu’à la fin du match. En fin de match, Sample sauve l’honneur. La fin du match est sifflée : Lille s’impose 4-1 et remporte le Trophée de France !
L’après-match illustre bien les caractéristiques d’un football nordiste réputé « dur » : Ouest-Eclair fait passer les Lillois pour de piètres tacticiens qui s’en remettent à un jeu direct, profitant de leur physique massif : « pratiquant le même jeu qui leur a valu toutes leurs récentes victoires, les Blanc & Rouge n’ont jamais cherché à montrer aucune finesse. Mais aussitôt en possession du ballon, les avants allaient droit devant eux, jusqu’à ce que l’obligation de passer leur fût imposée ou qu’ils obtinssent une chance de shooter »
En outre, la Vie Sportive s’étonne du comportement du public parisien : « injures », « vociférations », « huées », « systématiquement, pendant et même après le match, les Parisiens nous furent hostiles et applaudirent nos adversaires. M. Rimet ne peut faire son discours, sa voix étant couverte par des cris de « Vive Bordeaux ! ». Nous dûmes nous sauver avec le bouclier. Et pourtant, alors que notre jeu à tous était très correct, nos adversaires furent très brutaux et Six, en particulier, fut littéralement massacré ».
Il faut sans doute voir dans les réactions parisiennes un témoignage de l’hostilité suscitée par l’opposition Paris/Nord, tandis que le traitement spécial infligé à Six montre bien que les Bordelais avaient identifié le principal danger pour leur équipe. Gabriel Hanot écrit de lui : « Je ne sais pas comment il dribble, mais la balle semble lui coller au pied et quand il veut marquer un but, le nonchalant Alphonse le marque malgré la plus vigoureuse ou la plus scientifique défense ».
Cinq buts en trois matches de championnat USFA, puis quatre buts lors dans les deux matches du Trophée de France : Alphonse Six réussit une performance exceptionnelle. Dans son sillage, l’Olympique Lillois rayonne, et Six peut se targuer d’être le premier footballeur belge à remporter un titre à l’étranger.
Des lendemains qui chantent
Lille a sans contestation la meilleure équipe française de football. L’ascension progressive de l’OL se traduit en 1914 par un triomphe national. Dès lors, la saison s’achève tranquillement, avec quelques matches amicaux et deux tournois en Allemagne (Mulhouse) puis en Suisse (Zurich). Il ne fait aucun doute que la réputation, la solidité, et la qualité des joueurs de l’OL lui garantissent un avenir radieux.
Le 9 juin 1914, l’assemblée générale de l’Olympique Lillois prend une importance exceptionnelle en raison de ses récents succès. De très nombreux membres sont présents à la Taverne Viennoise, rue de Paris, où il est possible d’admirer le bouclier du Trophée de France. Des récompenses et des cadeaux sont offerts aux joueurs de l’OL. Deux d’entre eux sont particulièrement distingués : Charles Montagne et Alphonse Six.
Le comité de l’OL est légèrement renouvelé pour la saison 1914/1915 : à la présidence, le docteur Hennart ; vice-présidents : Jooris et. Jourdain ; trésorier : Vancostenobel ; secrétaire général : Jooris ; membres : Boucquey, Simon, Serracin, Wuillaume, Parent, Scrive. Des bans sont battus en l’honneur des nouveaux élus.
En soirée, un banquet est organisé. Le président d’honneur de l’OL, Achille Drieux, y accueille des sommités locales, civiles et militaires : « en terminant. M. Drieux eut d’aimables paroles pour les dirigeants de l’Olympique Lillois, et il leva sa coupe aux succès futurs des nordistes ». Le capitaine de l’OL, Jean Ducret, clôt les prises de parole et la série des toasts en remerciant son hôte ; « il l’assura que tous, l’an prochain, auraient à coeur de triompher encore ».
La soirée s’achève sur une Marseillaise. Alphonse Six peut partir l’esprit serein en Belgique : à la reprise en août 1914, d’autres succès lui sont promis. Mais durant quatre ans, l’Olympique Lillois va être contraint de cesser ses activités.
Et Alphonse Six, dès le mois d’août 1914, est mort.
Posté le 21 août 2023 - par dbclosc
Gloire et mort d’Alphonse Six (2/4) : 1913, la suprématie régionale, en attendant mieux
De 1912 à 1914, l’Olympique Lillois a compté dans ses rangs un attaquant venu de Belgique dont les qualités ont été unanimement louées par la presse, par ses équipiers, et par ses adversaires : il s’appelait Alphonse Six. Grâce à lui, l’OL a conquis deux titres régionaux avant de s’imposer en 1914 dans la compétition nationale suprême : le « Trophée de France ». Appelé à un destin toujours plus glorieux, il meurt dans les premiers jours de la guerre 14-18.
La série complète :
1/4 : Révélation d’un footballeur belge hors-norme
2/4 : 1913, la suprématie régionale, en attendant mieux
3/4 : 1914, Six et l’OL au sommet
4/4 : Disparition d’un champion : l’OL en première ligne
Arrivé à Lille après un transfert annulé à l’Union Saint-Gilloise, Alphonse Six, réputé buteur belge, rebondit à Lille à l’orée de la saison 1912/1913. Avec lui et grâce à ses extraordinaires performances, l’Olympique Lillois va enfin dominer le football nordiste, et parviendra même à arracher le « Trophée de France », compétition nationale suprême de l’époque.
Il convient de rappeler brièvement le contexte institutionnel du football français au moment où Alphonse Six arrive en 1912. Il n’existe alors pas de fédération unique (ce sera le cas à partir de 1919 avec la création de la FFF), mais quelques-unes qui, chacune, organisent leurs propres championnats régionaux. L’Olympique Lillois, pour sa part, est rattaché à l’Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques (USFSA), une fédération multisports. André Billy, un des premiers présidents de l’OL, en a été vice-président. Sans entrer dans les détails, il existe des rivalités entre fédérations, qui se matérialisent par des rivalités sportives : en effet, ce sont les rencontres inter-fédérations qui permettent, en l’absence d’un championnat national, de servir d’étalon pour savoir quelle est la meilleure région de football.
Pour être champion, il faut être trois fois champion
Dans ces conditions, pour être « champion de France », il est nécessaire de passer par trois étapes successives :
- Être champion de sa région
- Être champion de sa fédération
- Battre les champions des autres fédérations dans un tournoi final appelé « Trophée de France ».
La formule est souvent contestée car il existe des fédérations « faibles » qui peuvent tout de même envoyer un représentant au tournoi final, alors que des régions dotées de plusieurs équipes performantes, qui pourraient largement rivaliser dans le Trophée, ne peuvent donc qu’en envoyer qu’un, leur champion. C’est par exemple le cas du championnat du Nord, où trois équipes trustent les premières places depuis des années : l’OL, l’Union Sportive de Tourcoing (UST), et le Racing Club de Roubaix (RCR).
Le RCR a longtemps dominé le championnat du Nord (vainqueur de 1902 à 1908), jusqu’à ce que l’UST se distingue (1909 et 1910). En 1911, l’Olympique Lillois s’impose. Les efforts d’André Billy (président de 1905 à 1908) et d’Henri Jooris (secrétaire général à partir de 1911) payent : ils ont fait en sorte de multiplier les rencontres contre de prestigieux adversaires, notamment belges et parisiens, pour que l’OL se fasse une réputation avant même d’avoir gagné quoi que ce soit. L’OL s’est donc qualifié pour le championnat USFSA, qui consiste en des oppositions à élimination directe : malheureusement, l’OL tombe d’entrée contre le champion de Normandie, à Rouen (1-4).
En 1912, l’UST assure de nouveau sa suprématie régionale. Pour le comité directeur de l’OL, il manque encore un grand buteur pour accompagner la ligne d’attaque composée de joueurs tels que Paul Chandelier, Paul Voyeux ou Albert Eloy. Ce sera Alphonse Six. Outre le gain du championnat régional, il s’agit de faire bonne figure dans le championnat USFSA et, pourquoi pas, se qualifier pour le Trophée de France.
C’est donc un OL ambitieux qui reprend l’entraînement fin août 1912, Porte de Béthune, sur le « terrain de la solitude ». Il semble qu’à ce moment là, Six ne soit pas encore arrivé ; la presse régionale n’en parle pas non plus au cours du premier match amical joué à Roubaix le 9 septembre. Son nom apparaît pour la première fois dans Le Grand Echo du Nord le 15 septembre : il est dans le groupe de l’OL pour un match au Touquet contre les londoniens de Old Malvernians. Après le match, la presse rapporte que « les avants, notamment Six, se firent remarquer« . Il faut dire que ça a fait 5-5. Nous n’avons pas la liste des buteurs mais on peut supposer que Six en fait partie. Le 21 septembre, Six est qualifié de « nouvelle et brillante recrue dont les shots sont irrésistibles« .
13 octobre 1912 : match amical à Arcueil entre l’OL et le Club Athlétique du XIVe.
Au premier plan, Alphonse Six. Agence Rol./Gallica/BNF
Étant donné la rareté des sources et leur incomplétude (il y a rarement une feuille de match et une liste des buteurs, là où les Belges sont bien meilleurs), il est difficile à ce stade d’avoir des données exhaustives sur les performances d’Alphonse Six avec le maillot « blanc cerclé de rouge ». Mais dès que ces informations sont là, force est de constater que Six brille : en octobre, il marque un triplé et réussit deux passes décisives lors d’un amical contre Le Havre (7-0). D’ailleurs, « l’Olympique Lillois exagère » écrit même La Vie Sportive du Nord et du Pas-de-Calais : l’OL s’impose 14-0 à Malo. Si Malo n’a pas le niveau, à la même époque, de Calais, Roubaix ou Tourcoing, cette victoire contribue tout de même à marquer les esprits et à confirmer que Lille est une place forte du football régional. Après 4 journées, l’OL a marqué 30 buts et n’en a encaissés que 4.
La Vie Sportive du Nord et du Pas-de-Calais, 7 décembre 1912
Lors de cette saison 1912/1913, l’OL, Calais et l’UST sont aux premières places. Bien que l’OL rencontre quelques difficultés (l’équipe est victime de nombreuses blessures, et ce n’est que début décembre qu’elle peut enfin aligner consécutivement le même Onze de départ ; à Arras, en janvier 1913, les Lillois, privés de Six, Gravelines et Eloy, s’imposent tout de même, alors même que des blessures l’ont contraint à jouer le match à 10 dès la fin de la première période), il se place en tête du championnat juste avant Noël grâce à une victoire à Calais. Dès lors, le championnat se transforme en duel entre l’OL et l’UST, jusqu’à la dernière journée, au cours de laquelle les deux équipes s’affrontent. À l’aller, Tourcoing s’est imposé à Lille 1-0. Désormais, les équipes sont à égalité avec 37 points (12 victoires et une défaite chacune), mais l’OL a un meilleur goal-average (70/15 contre 57/12)
Victoire à Tourcoing : l’OL champion du Nord
Le dimanche 2 mars 1913, sur le terrain de la rue de Gand à Tourcoing, le match décisif annoncé depuis plusieurs semaines entre le tenant du titre et son challenger, vainqueur, lui, en 1911, est arrivé.
Les Lillois gagnent le toss et laissent l’UST attaquer avec un vent favorable en première période. La presse lilloise rapporte un début de match équilibré, puis une emprise progressive des Lillois sur la rencontre. Ainsi, en première période, « les deux équipes attaquèrent alternativement sans aucun succès » pour le Grand Echo, la faute à deux « défenses très sûres ». À la pause, le score est de 0-0 et le suspense reste entier. En seconde période, la rencontre reste très indécise puis se débloque à la 75e minute : après une passe contrée d’Eloy, le Six récupère, feinte une frappe du droit puis envoie un « puissant shoot » du gauche aux 18 mètres et ouvre la marque pour l’OL ! Le croquis de match ci-dessous, paru dans La Vie Sportive, aide à imaginer le but :
Sonnés, les Tourquennois ont à peine le temps d’engager que les Lillois inscrivent un deuxième but, toujours par Six : la frappe du droit de l’attaquant est déviée par Dujardin, qui cherchait à tacler, et trompe une deuxième fois le gardien de l’UST. 0-2 !
Les Noir et Blanc tentent le tout pour le tout : Hanot passe devant, mais Lille tient bon « au milieu des applaudissements des nombreux supporters lillois qui avaient tenu à accompagner leur favori ». Pour La Vie sportive, aucun doute, la victoire lilloise est entièrement méritée : « toute l’équipe est à féliciter pour le courage et la résistance dont elle fit preuve (…) la défense fut excellente et ne commit aucune faute ; elle joua sa meilleure partie de la saison (…) ». Dans une presse moins partisane, le récit du match est plus nuancé : L’Echo des sports de Paris évoque un match globalement équilibré, là où L’Auto écrit que « les Lillois ont triomphé après une partie passionnante où les deux équipes déployèrent un égal courage ; les deux teams méritaient la victoire ».
La supériorité de ceux que l’on n’appelle pas encore les Dogues est probablement due à « un cross nocturne décisif couru la semaine précédente » pour la Vie Sportive, tandis que Vélo Sports, un journal bruxellois, insiste sur le fait que « les Lillois s’entraînaient tous les jours à 18h, même lors des dernières gelées ».
Avec cette victoire, l’OL est champion du Nord pour la deuxième fois, et est donc qualifié pour le championnat de France de l’USFSA. L’OL aura donc marqué 72 buts au cours de cette saison. Si nos données ne sont pas exhaustives, on peut toutefois estimer que Six a inscrit une trentaine de buts, suivi de près par Eloy.
Avec ce deuxième titre en deux ans, qui plus est acquis sur le rival tourquennois, champion en 1909, 1910 et 1912, l’OL paraît désormais dominer le football nordiste. Reste à confirmer ces résultats au niveau national.
Championnat USFSA : encore raté
Voici enfin le championnat de France : cette fois, la compétition commence par un match éliminatoire. L’OL, à Charleville, écarte Braux, champion des Ardennes (2-0), le 16 mars.
Puis l’OL dispute le Challenge du Nord Illustré et de la Vie sportive, en compagnie des Anglais de Tunbridge Wells, du Club Athlétique de Vitry-sur-Seine, et des Belges de La Gantoise. Face aux Anglais, au terrain de l’avenue de Dunkerque, les Lillois, qui « manquèrent cruellement de réalisme », s’inclinent 1-3 face à des adversaires qui n’auraient tiré que 3 fois au but, « une belle leçon à méditer », pendant que les Lillois tapaient les poteaux ou se heurtaient à un excellent kepper. Dans la petite finale, le lendemain, l’OL se montre plus réaliste en gagnant 10-0 contre Vitry. Alphonse Six inscrit un sextuplé.
Pour le quart de finale du championnat USFSA, comme en 1911, l’OL est opposé à Rouen, champion de Haute-Normandie. La presse, aussi bien régionale que nationale, s’accorde pour faire des Lillois les favoris.
Le match se déroule à Auteuil, le 30 mars 1913. L’Auto se réjouit de la confrontation car « le Parisien connaît mal le football provincial qui est pourtant supérieur à celui de la capitale ». L’équipe de Lille est présentée comme ayant une ligne d’attaque redoutable, « surtout dans le trio du centre qui est bien le plus remarquable qu’on puisse trouver présentement en France : Eloy au centre, aidé de Six et Chandelier, on ne peut trouver trio plus puissant ». La revue L’Aéro, hebdomadaire de la locomotion aérienne met en valeur Alphonse Six avant le match, le qualifiant de « grand, vite, doté d’un shoot terrible. Fut, lors du match OL/Tunbridge Wells, dimanche dernier, le meilleur avant sur le terrain » (29 mars).
Malgré le mauvais temps, 1 500 spectateurs sont venus, ce qui est considéré comme une belle affluence, à laquelle la présence d’Alphonse Six n’est pas étrangère. Hélas, « déjouant les pronostics », les Normands s’imposent 2-1. Ils ouvrent le score dès la 3e minute grâce à un de leurs joueurs parti seul en dribble ; mais dès la 5e minute, Chandelier égalisait après une déviation d’Eloy. En seconde période, l’OL est plutôt dominateur mais un pénalty donne la victoire à Rouen. En fin de match, Six, « qui ne se loupe jamais » frappe au-dessus, seul à quelques mètres des buts.
L’équipe de l’OL battue par Rouen. Derrière le gardien, Alphonse Six.
Agence Rol./Gallica/BNF
Comme en 1911, après avoir remporté le titre régional, les Lillois échouent dès les quarts de finale du championnat de France, contre le même adversaire, Rouen. Les Normands s’inclineront en finale contre le Stade Helvétique de Marseille, qui devient ainsi champion USFSA, mais déclinera l’invitation à participer au Trophée de France. Les Rouennais s’y rendent donc et sont éliminés en demi-finale.
Malgré ce relatif échec, une passation de pouvoir semble être faite au niveau régional, tant l’OL a semblé supérieur à Tourcoing à mesure que la saison avançait. En outre, l’émulation sportive dans le Nord porte ses fruits : le champion du Nord est devenu un gros calibre, dont l’attaque portée par Six est redoutée, tandis que les confrontations Paris/Nord, avec l’équipe des Lions des Flandres, sont un événement incontournable qui confirme l’ascension du football nordiste. Le tour de Lille est-il bientôt arrivé ? Comme le prophétise L’Auto : « Que les Lillois ne perdent pas courage, 1914 sera peut-être plus favorable à leurs couleurs ». Bien vu.
Posté le 19 août 2023 - par dbclosc
Gloire et mort d’Alphonse Six (1/4) : révélation d’un footballeur belge hors-norme
De 1912 à 1914, l’Olympique Lillois a compté dans ses rangs un attaquant venu de Belgique dont les qualités ont été unanimement louées par la presse, par ses équipiers, et par ses adversaires : il s’appelait Alphonse Six. Grâce à lui, l’OL a conquis deux titres régionaux avant de s’imposer en 1914 dans la compétition nationale suprême : le « Trophée de France ». Appelé à un destin toujours plus glorieux, il meurt dans les premiers jours de la guerre 14-18.
La série complète :
1/4 : Révélation d’un footballeur belge hors-norme
2/4 : 1913, la suprématie régionale, en attendant mieux
3/4 : 1914, Six et l’OL au sommet
4/4 : Disparition d’un champion : l’OL en première ligne
Fin des années 1900 : la Belgique découvre un jeune attaquant qui, progressivement, conquiert distinctions individuelles, battant plusieurs records, et un premier titre national avec le Cercle de Bruges. Son histoire sportive avec son pays natal finit malheureusement en queue de poisson. Pour le plus grand bonheur de l’Olympique Lillois.
C’est peu dire que l’arrivée d’Alphonse Six à Lille en septembre 1912 est un événement : depuis quelques années, il est réputé être l’un des plus redoutables buteur du championnat belge qui, avec ce qui se passe outre-Manche, est probablement ce qui se fait de mieux à l’époque en matière de football.
De Bruges à Lille, via l’Union Saint-Gilloise
Pourtant, au cours de l’été, Six s’est engagé avec l’équipe bruxelloise de l’Union Saint-Gilloise (USG), trois fois championne de Belgique sur les cinq dernières années. Avec son ancien club du Cercle de Bruges, il venait d’achever une saison (1911/1912) au cours de laquelle il a inscrit 24 buts (en 22 matches !). À une époque où le football n’est pas professionnel (hormis en Grande-Bretagne), les footballeurs ne sont pas rémunérés pour leur activité sportive (en théorie. Dans les faits, certains le sont officieusement, c’est ce qu’on appelle « l’amateurisme marron »). Dès lors, les footballeurs ont souvent un emploi dans la vie « civile » : en l’occurrence, Alphonse Six est employé de commerce, suivant en cela la trajectoire de ses parents, qui tiennent une orfèvrerie réputée à Bruges (sa mère tient la boutique tandis que son père, souvent en déplacement, en est le représentant). Dès lors, l’Union Saint-Gilloise, en plus de lui proposer un poste sur le front de son attaque, lui offre un poste de commercial. Mais l’Union Saint-Gilloise, après avoir engagé Alphonse Six, ne tient pas sa promesse d’emploi : à Alphonse de se débrouiller pour gagner sa vie. Se sentant floué, il refuse de jouer avec le club de la capitale.
La maison où se trouvait l’orfèvrerie des Six à Bruges, Sint-Amandsstraat 18
(juillet 2023)
C’est alors que se manifeste l’Olympique Lillois : les Lillois, qui connaissent bien le talent d’Alphonse Six en raison des nombreux matches et tournois amicaux que le club a joué avec et contre des clubs belges, saute sur l’occasion. À l’orée de la saison 1912/1913, Alphonse Six est un joueur de l’Olympique Lillois, même si son transfert à l’USG n’est officiellement annulé qu’en novembre.
Révélation au Cercle de Bruges
Alphonse Six est le septième fils d’Emiel (non, il n’y a pas de faute de frappe) Six et de Sophie Claeys. Il est né à Bruges le 1er janvier 1890 dans un milieu plutôt aisé, le football ayant encore avant-guerre la marque de ses origines aristocratiques.
C’est à l’âge de 16 ans qu’il se fait remarquer pour ses qualités de footballeur : sur les terrains, il acquiert déjà une réputation de joueur agressif.
Parallèlement au football et à ses premiers boulots comme commercial, il s’engage en novembre 1907, c’est-à-dire au même moment que pour ses premiers pas en D1 belge, dans le 3e régiment de Lanciers du 7e régiment de Ligne. Il s’agit d’un régiment de cavalerie cantonné à Bruges. Cet engagement militaire lui permet de remporter en 1908 la « coupe du Prince Albert », disputée au Léopold Club à Uccle. Autrement dit, il est champion militaire de Belgique, en compagnie des internationaux belges que sont Arthur Cambier, Désiré Paternoster, Hector (Torten) Goetinck, ou encore Raoul Daufresne de La Chevalerie (sélectionneur de l’équipe de Belgique qui remporte les Jeux Olympiques d’Anvers en 1920).
Au cours sa première saison dans l’élite (1907/1908), il joue 12 fois et inscrit un but ; en 1908/1909, c’est 2 buts pour 15 matches joués ; en 1909/1910, ses statistiques explosent : il inscrit 27 buts en 18 matches.
Premières sélections
Lors de la saison 1909/1910, en mars, il connaît sa première sélection avec l’équipe de Belgique, dans laquelle il devient rapidement titulaire. Le nouveau sélectionneur belge, l’Écossais William Maxwell, fait appel à lui pour un match contre les Pays-Bas, avec qui la rivalité footballistique est souvent exacerbée. Depuis la comptabilisation de matches officiels (à partir de 1904, année de création de la FIFA), les Belges ne se sont imposés que deux fois, contre 8 victoires pour les Néerlandais.
Le match, comme prévu, est heurté. Les Belges marquent deux fois par Robert de Veen, futur entraîneur de l’Olympique Lillois champion de France en 1933, mais les Pays-Bas égalisent deux fois : 2-2 après 26 minutes, puis au bout de 90 minutes. Il faut jouer une prolongation. À la 114e minute, Alphonse Six inscrit le but de la victoire (3-2). Cette victoire est un événement considérable en Belgique.
Mais ce n’est rien en comparaison de ce qui se passe 15 jours plus tard, à Uccle, sur les installations du Léopold Club : ce 26 mars 1910, la Belgique accueille l’équipe des amateurs d’Angleterre, invaincue depuis 1906.
Il y a eu précédemment trois confrontations entre les deux équipes, toutes largement perdues par les Belges : 0-12 à Londres en 1906 (non officiel) ; 2-8 à Bruxelles en 1908 ; puis 2-11 à Londres en 1909. Autrement dit, on ne donne pas cher de la peau des Belges, qui risquent une nouvelle fois de se faire ratatiner. On se dit alors que le seul événement de la journée sera l’exécution, pour la première fois, des hymnes nationaux des deux équipes.
Les Anglais marquent dès la 16e minute. Mais, sept minutes plus tard, les locaux égalisent. Le buteur est Alphonse Six. De la tête, il reprend un centre de Goetinck mal maîtrisé par le gardien anglais. Et, dans la foulée, Paternoster permet à la Belgique de mener ! En seconde période, les Anglais égalisent (2-2), mais l’exploit est là : la Belgique n’a pas perdu ! À l’issue de la rencontre, le public envahit le terrain et porte les joueurs belges en triomphe. Le journal Le XXe siècle écrit : « qui l’eut cru ? Qui l’eut cru ? Contrairement à toute attente, nos nationaux ont réussi à faire match nul contre la formidable équipe que la fédération anglaise leur opposait (…) Il s’en fallut de peu que, pour la première fois, l’équipe nationale anglaise enregistrât une défaite, et ce, de la part des vaillants p’tits Belges« .
Une semaine plus tard, le 3 avril 1910, l’équipe belge se déplace à Gentilly pour y affronter la France : 4-0 pour la Belgique, et trois buts pour Alphonse Six !
Belgique/Londres le 1er novembre 1911. Alphonse Six est le plus grand, à la droite du gardien. Troisième en partant de la gauche, Robert de Veen, alors joueur de l’autre club de Bruges, le FC Bruges (Club Brugge) – Histoire du Football en Belgique et au Congo Belge
Le « monstre brun » est champion
La saison 1910/1911 est celle de son triomphe national : le Cercle de Bruges est champion de Belgique pour la première fois de son histoire. Avec son attaque Van Houtte/Saeys/Six, l’équipe a marqué 76 buts durant la saison dont… 38 (ou 40, selon les sources) pour le seul Alphonse Six, soit exactement la moitié. En 20 matches joués. Si on retient le chiffre de 38, ce total n’a été battu qu’en 1943 (41 buts pour Jules Van Craen et Arthur Ceuleers, en 30 matches), en 1947 (39 buts pour Joseph Mermans, en 34 matches) puis en 1980 (39 buts en 27 matches pour Erwin Vandenbergh, futur lillois). Autrement dit, même si son record a été battu dans l’absolu, il reste le détenteur du meilleur ratio matches joués/buts marqués sur une saison en Belgique, devançant même le Saint-Gillois Gustave Vanderstappen en 1904 (30/16).
Alphonse Six avec le maillot du Cercle de Bruges, probablement en 1911
La presse flamande donne à Alphonse Six le surnom de « bruine monster », que l’on peut aisément traduire par « monstre brun ». Son entente avec Frans Van Houtte est remarquable, tant en club qu’en sélection. Et, tel un Jean Baratte dépannant dans les buts de l’OICL et du LOSC, quand il y a un problème dans l’effectif, il abandonne l’attaque et montre sa polyvalence : ainsi, lors de la dernière journée décisive du championnat en mars 1911, le Cercle et le Club de Bruges sont au coude à coude, le Cercle n’ayant qu’un point d’avance sur son voisin. À la surprise générale, Alphonse Six est titularisé à un poste défensif afin que ne se reproduise pas la déroute du match aller, où le Club avait gagné 3-0. Ses qualités physiques sont censées barrer la route au Club. Dans la presse, ce changement tactique est perçu comme « très intelligent » (La Gazette de Charleroi) : « Six joue quatrième demi et même troisième arrière« . En revanche, dans l’extrait ci-dessous (Le Petit Bleu du Matin), la perplexité domine face à un « coup tactique » peu répandu à l’époque : « [le Cercle] a désorganisé volontairement son attaque en mettant son center forward à la défense et en se contentant d’un jeu défense que beaucoup ont trouvé trop exagéré« . Il n’empêche que ça a marché : en s’assurant un nul (1-1), le Cercle conserve la tête et est sacré champion. Pour la première fois, le championnat de Belgique sacre un champion flamand.
En 1911/1912, en dépit de 24 buts inscrits par Six (en 22 matches), le Cercle ne parvient pas à conserver son titre et le cède au Daring Club de Bruxelles. Cette saison-là, c’est Maurice Bunyan, du Racing Club de Bruxelles, et futur entraîneur de l’Olympique Lillois, qui termine meilleur buteur (33 buts).
Même si le titre est perdu, Alphonse Six signe toutefois un nouveau record pour le Cercle en février 1912 : les Brugeois s’imposent 6-0 à Bruxelles (contre l’Excelsior Sports Club), et Six inscrit un quintuplé. Ce record tient toujours à l’échelle du Cercle de Bruges, mais a été égalé et même battu depuis, au moins par Wesley Sonck (Genk), qui a marqué un sextuplé en 2002 contre Malines. En en août 2021, un buteur de l’Antwerp a marqué 5 fois sur la pelouse du Standard de Liège. Un certain… Michael Frey.
Exil forcé
Parallèlement, Alphonse Six poursuit sa carrière internationale, en étant presque systématiquement sélectionné jusque février 1912, où il inscrit un doublé (de même que De Veen) lors d’une victoire 9-2 contre la Suisse. Ses non-sélections pour la suite de la saison sont étonnantes, mais on peut avancer trois hypothèses : soit ses performances sont jugées insuffisantes (ce qui semble étonnant), soit il s’est blessé (ce qui est peu probable car il joué cette saison-là tous les matches de championnat), soit encore c’est son engagement militaire qu’il privilégie mais, là encore, cela semble peu vraisemblable car, selon les informations qu’on a trouvées, Six aurait été mis en congé par le 3e Lanciers (dans lequel, rappelons-le, il a été intégré en novembre 1907) à partir de novembre 1911. Son absence face aux Pays-Bas, face à l’Angleterre, puis de nouveaux aux Pays-Bas en mars/avril 1912 restent donc bien mystérieuses.
Et Alphonse Six n’aura guère plus l’occasion de briller en sélection nationale. À l’issue de la saison 1911/1912, il doit donc s’engager avec l’Union Saint-Gilloise, qui ne tient pas sa promesse d’emploi. Il quitte alors le pays et rejoint Lille : Lillois, il ne sera jamais réincorporé en équipe nationale en dépit de performances toujours exceptionnelles (et comme par hasard, plus de 75 ans plus tard, Guy Thys ne sélectionne plus non plus Vandenbergh quand il devient lillois).
À cela, probablement deux explications, cumulatives : d’abord, en rompant unilatéralement son contrat avec l’Union Saint-Gilloise, Alphonse Six a été suspendu par la fédération belge, et on peut imaginer que cette suspension concernait tant le fait de jouer dans un club belge que dans la sélection ; ensuite, il semblerait que ce soit Six lui-même qui ait refusé de jouer de nouveau pour la Belgique. Il en restera donc à 8 buts marqués en 9 matches avec l’équipe de Belgique.
Alphonse Six est toujours détenteur, en sélection nationale belge, d’un record : avoir marqué lors de ses trois premières sélections.
Il a désormais 22 ans. Direction l’Olympique Lillois.
Posté le 14 juillet 2023 - par dbclosc
Edgar « Pompa » Borges, le crack uruguayen désormais chez lui à Lille
A l’été 1992, le LOSC s’est séparé de Jacques Santini dans des conditions rocambolesques amenant à la « mutinerie de Sedan » au cours de laquelle le LOSC se saborde lors d’un match de coupe de la ligue perdu 9-1. Bruno Metsu vient pour le remplacer et les dirigeants veulent rompre avec l’image d’une équipe défensive, promettant le « show ». Pour ce faire, le club compte sur son nouvel avant-centre brésilien Walquir Mota et encore davantage sur un milieu de terrain offensif uruguayen présenté alors comme Edgar « Pompa » Borges.
Né en 1969 à Minas de Corrales en Uruguay, le jeune Edgar grandit dans la misère et doit très vite s’assumer tout seul. Il n’a que 11 ans quand il perd sa mère et se retrouve à la rue, son père ne parvenant pas à assumer son éducation. Sans domicile fixe, il se fait héberger chez des amis ou squatte là où il peut. Il a au moins pour lui un talent certain pour le football qu’il exprime avec le petit club local de Potencia. Il est alors remarqué par Antonio Griecco, le gérant d’un magasin de Montevideo, lequel fait parler ses relations dans l’optique de le faire signer au Nacional. Cela ne se fera finalement pas, et c’est un autre club montevidéen, le Danubio, qu’Edgar rejoint à l’adolescence. A 14 ans, Borges retrouve désormais un toit et il est nourri et blanchi par le club, pouvant désormais se consacrer au football et à ses études à l’école industrielle pour apprendre le métier d’électricien. Comme il le raconte à l’Observador, il est toutefois moins doué dans ce domaine que balle au pied. « A l’école industrielle, j’ai commencé une formation d’électricien, mais ça a été une catastrophe, ça a pris feu quand j’ai branché les câbles ». Belle anecdote.
Champion national à cinq niveaux différents et ramassage de dents
D’après plusieurs sources, Edgar serait le seul joueur de l’histoire à avoir remporté le championnat national uruguayen dans cinq divisions différentes, les 6ème, 5ème, 4ème, 3ème et première division. Il fait surtout partie de l’équipe du Danubio qui remporte le championnat de 1988, ce qui constitue le premier titre de champion national du club. Cette année-là, le petit club montevidéen s’appuie sur sa « génération dorée », l’essentiel de l’équipe étant constitué de jeunes issus de la formation. Eber Moas (18 ans), Luis Da Luz, Ruben Da Silva (19 ans), Nelson Cabrera, Ruben Pereira, Juan Goñez (20 ans), Edison Suarez, Fernando Kanapkis (21 ans), et donc Edgar « Pompa » Borges (18 ans) forment ainsi l’ossature du champion et ne sont accompagnés que d’une poignée de joueurs (un peu plus) expérimentés comme Gustavo Dalto (24 ans) et Daniel Sanchez (26 ans). « Pompa » (« bulle » en français) – et non « Pampa » – car c’est le surnom qu’il a reçu d’un camarade de Potencia alors qu’il n’était qu’un jeune pré-adolescent, en référence au fait qu’il était « rapide comme une bulle de savon ».
Bulle et Bill
On note au passage qu’Edgar se voit affublé par Panini d’un nouveau surnom : Claudio
Cette saison-là, Danubio écrase le championnat uruguayen qu’il remporte avec 40 points, son dauphin échouant à 9 points de lui. Non sans une certaine insouciance, comme quand Edgar préfère ramasser ses dents plutôt que d’égaliser pour les siens. Il raconte ainsi à l’Observador : « A l’époque on m’avait fait de nouvelles dents et mes dents sont tombées quand j’étais seul face à Picun [le gardien adverse]. J’ai laissé le ballon et je suis allé chercher mes dents. Je les ai retrouvées et les ai remises pleines d’herbe ». Ce qui n’a vraisemblablement pas plu à son coéquipier Ruben « raciste » Pereira qui lui lance « espèce de de fils de pute noir ! Qu’est-ce que tu as fait ?! » Une autre fois, le même Pereira lui déclare : « Noir, tu es comme un œuf de Pâques, Noir à l’extérieur et plein de bêtises à l’intérieur ». Pompa fait également ses débuts en sélection le 27 septembre 1988 et se fait remarquer d’emblée en … se faisant expulser quelques minutes après ses débuts internationaux ! L’Uruguay n’est alors certes plus au niveau de la Celeste qui remportait le tournoi olympique en football (1924 et 1928) et la Coupe du Monde (1930, 1950), mais elle demeure une valeur sûre : vainqueur de la Copa America en 1983, elle remporte également l’édition de 1987 dont elle est alors tenante du titre quand la bulle fait ses débuts.
Edgar (en bas à g.) avec le Danubio champion d’Uruguay 1988
Source: El Observador
Le Danubio se qualifie donc pour la Copa Libertadores 1989. en phase de poule, ça commence plutôt mal, le club uruguayen ayant un bilan d’une victoire et trois défaites après quatre journées. Quasiment éliminé, le Danubio finit pourtant par se qualifier après deux victoires successives, d’abord contre Bolivar puis contre The Strongest, à chaque fois sur le score de 1 à 0. C’est un derby qui l’oppose au Nacional en huitièmes de finale, duel que le Danubio remporte (0-0, 3-1). Opposés aux Chiliens de Cobreloa en quarts, les Montevidéens l’emportent à l’aller comme au retour. Ils affrontent ensuite les Colombiens de l’Atletico Nacional où joue René Huiguita, entretiennent l’espoir à l’aller, mais s’écroulent au retour (6-0). Marqué de prêt par Leonel Alvarez, Edgar passe son match à l’insulter et lui lance : « quand le match sera fini, je te tuerai ! », déclaration qui fit apparemment rire son garde du corps du jour. Edgar ignore alors que le club colombien est la propriété du narco-trafiquant Pablo Escobar et qu’Alvarez fait partie de ses proches. Fort heureusement, le cartel de Medellin a alors d’autres priorités sur sa (pas si) short-list d’individus à éliminer.
Star au Danubio, Borges n’est toutefois pas sélectionné avec la Celeste pour la Coupe du Monde 1990 en Italie. « Ça a été ma plus grande déception dans le football car, lors de la Coupe du Monde en Italie, il y avait 22 joueurs et j’étais le 23ème, et je l’ai appris 3 ou 4 jours avant de partir. C’était un sentiment d’amertume très fort, ça m’a beaucoup marqué. Je ne l’oublierai jamais ». Il conserve toutefois une belle cote en Uruguay et le Nacional fait le forcing pour le signer en 1991. Il y est vice-champion et contribue activement au parcours des siens en Copa Libertadores, le Nacional atteignant les quarts, la « Pompa » marquant 3 fois en 10 rencontres dans cette compétition. La même année, Borges fait partie du groupe uruguayen qui dispute la Copa America. L’Uruguay échoue à se qualifier pour le groupe final à quatre, se faisant dépasser par le Brésil qui a la même différence de buts mais aurait « une meilleure attaque » (alors qu’il apparaît beaucoup plus juste de dire qu’il a une moins bonne défense). Sur le banc en début de compétition, Edgar est titulaire pour les deux derniers matchs et commence alors à s’imposer au sein de la Celeste.
En 1992, il est encore au Nacional avec lequel il dispute 7 matchs (1 but) de Copa Libertadores et fait la course en tête en championnat aux côtés de Julio Cesar Dely Valdes, l’avant-centre panaméen du club de Montevideo. Le LOSC aurait alors fait le forcing pour le faire signer offrant semble-t-il 1 million de dollars (ce qui est étonnant pour un club français, lesquels ont à l’époque des francs).
Edgar « Pampa » (sic) Borges au LOSC
Lors de ce que l’on n’appelle pas encore le « mercato estival », la presse nordiste annonce l’arrivée au LOSC d’une petite pépite uruguayenne qui s’intitulerait Edgar « Pampa » Borges. Dans un article de La Voix des Sports de janvier 2022, Antoine Gianquinto, alors directeur sportif au LOSC, raconte comment s’est fait le choix de le recruter. « On nous l’avait décrit comme un joueur très vif, très technique, explosif. Avec Bruno Metsu [qui arrivait comme entraîneur], on a pris l’avion et on est allé le voir jouer lors d’un gros match entre le Nacional et Danubio, son ancien club. C’était un gros derby, ils ne faisaient pas semblant, il y avait de vraies agressions. Edgar savait qu’il était supervisé, non seulement il s’en était sorti indemne mais il avait été bon. On a traité l’affaire ».
Lille signe aussi Walquir Mota, un avant-centre brésilien qui vient du club de Tours (en D2 française). Ca n’a l’air de rien aujourd’hui, mais recruter deux Sud-américains d’un coup est le genre de choses qui fait alors rêver à un grand spectacle à une époque où les clubs ne peuvent aligner que trois étrangers. Le club fait d’ailleurs sa communication en mettant en avant son duo dans une campagne intitulée « show devant ! » annonçant un grand spectacle pour la saison 1992/1993. Et la phase de préparation est des plus encourageantes, avec en point d’orgue une victoire en finale du Challenge Emile-Ollivier contre le RC Lens remportée par 6-0 ! Mota met doublé, Borges est convainquant et inscrit également un but.
C’est en réalité plus difficile que prévu et, surtout, moins spectaculaire : après 17 rencontres disputées en D1, le LOSC n’a ainsi inscrit que … 5 buts ! (non, il n’y a pas d’erreur et vous avez bien lu). Après des premiers matchs encourageants, les performances de la « Pompa » deviennent plus ternes et l’Uruguayen est la cible toute désignée des critiques, lui qui arrivait comme un leader technique devant animer une attaque qu’on annonçait explosive. S’il existe une part d’injustice, Borges reconnaît lui-même que son arrivée à Lille a coïncidé avec une perte de motivation. « Les petites lumières de l’indien se sont éteintes, cet indien qui écrivait sur les murs qu’il voulait être le meilleur » raconte-t-il à l’Observador [NDDBCLOSC : quand il parle de l’ « indien », il fait référence à lui-même]. Cette saison-là, Edgar marque 1 but en 17 rencontres.
L’année suivante, il est cantonné à la réserve et ne dispute qu’un match en D1. Il signe en 1994 à Beauvais (D2) où il joue 17 matchs jusqu’à son départ en janvier 1995. Il est licencié en janvier 1995 par les dirigeants beauvaisiens pour « faute lourde », semble-t-il parce qu’il avait refusé de faire le déplacement à Montauban en Coupe de France. Il revient alors au Danubio, son club formateur.
Le Chili, Grenoble, Liverpool et retour à Lille
Quel point commun y a-t-il entre Divock Origi et Edgar Borges ? L’un et l’autre ont joué au LOSC et à Liverpool. Bon, ok, pour le premier, c’est le Liverpool dominant en Europe, Origi jouant même un rôle décisif pour la conquête du sacre européen en 2019, marquant un doublé contre Barcelone en demi-finale, puis un autre but en finale contre Tottenham. Pour Borges, c’est plutôt le Liverpool d’Uruguay dans lequel il joue en 1999 et 2000 et qui est relégué en D2 à l’issue de la dernière saison de la « Pompa ».
Après son départ de France, Edgar continue ainsi sa carrière professionnelle, avec un parcours toutefois bien plus modeste que celui qu’on lui annonçait, lui le crack qui explosait avec le Danubio à 18 ans en devenant le chef d’orchestre d’une équipe qui allait remporter son premier titre national. Après un bref retour au Danubio, Borges a ensuite fait un petit tour au Chili, d’abord aux Rangers Talca (D2), puis au Deportes Antofagasta (D1). Il ne convainc pas et fait un bref retour en France, à Grenoble, alors au 4ème échelon national. Après quelques mois de chômage, il rejoint donc son Uruguay natale et les couleurs bleues et noires de Liverpool (qui joue toutefois en rouge à l’extérieur) où il termine sa carrière de footballeur professionnel.
Fin de l’histoire ? Pas tout à fait. L’histoire d’Edgar Borges avec Lille est loin de s’arrêter là. Quand sa carrière s’arrête, c’est à Lille qu’il s’installe. Il se forme à la cuisine et ouvre son propre restaurant. Il doit malheureusement le fermer. (On a pu lire qu’il en avait même eu plusieurs restaurants différents, mais nous n’avons pas d’informations claires à ce propos). On le retrouve ensuite comme entraîneur dans le domaine sportif, même si les informations sur son activité exacte en la matière restent peu claires à ce propos. Il semblerait qu’il a conjointement mené les activités de coach sportif et d’éducateur sportif dans une/des école/s, toujours sur la métropole lilloise. Début 2019, on le retrouve comme serveur à La Planque puis, quelques mois plus tard, au Glaz, comme le relate la VDS, deux établissements situés dans le Vieux-Lille.
Edgar « Pompe à » Bière
Il y a des joueurs qui passent par chez nous, deviennent des légendes auprès des supporters, mais ne se souviennent même plus de nous quatre ans après leur départ, la gloire semblant nuire à la mémoire. C’est l’inverse pour Edgar, lui qui arrivait à Lille lors du feux d’artifice du 14 juillet 1992 et qui croyait alors … que les festivités étaient en son honneur (!), lui qui fêtait ses 23 ans (alors que tout le monde sait que c’est en l’honneur de Damien, avec 4 jours d’avance) et qui quittait la ville deux ans plus tard dans l’anonymat. Il est fort probable qu’on n’aurait pas parié un kopeck (mot-valise constitué à partir de « Kopa » et « Popeck ») sur le fait qu’il revienne chez nous ensuite, lui qui semblait avoir plus de raisons de nous en vouloir que de nous chérir. C’est pourtant bien à Lille qu’il a décidé de faire sa vie. Et on trouve que c’est une sacrément belle histoire.
Posté le 21 décembre 2022 - par dbclosc
Lille/Bastia 2000 : contexte chaud, Valois fait le show, Noël au chaud
Le 21 décembre 2000, le LOSC bat Bastia 1-0, grâce à un but d’un revenant : Jean-Louis Valois. Ainsi s’achève une formidable année civile pour le club, qui se place deuxième à la trêve. Pourtant, le match a failli ne pas avoir lieu : peu avant le match, le président du club corse a été pris dans une échauffourée dans les couloirs de Grimonprez-Jooris.
Après trois ans en D2, on ne donnait pas forcément très cher de la peau du LOSC lorsqu’il retrouve l’élite à l’été 2000. Même si le club a survolé le championnat en 1999/2000, les souvenirs des décennies sans saveur persistent, et le recrutement de l’été n’a pas soulevé d’enthousiasme délirant. Les ambitions sont donc modestes, et on se satisfera largement d’un maintien sur le fil, pour reprendre des habitudes bien ancrées. Pourtant, le LOSC se place rapidement dans le haut du classement, surtout après deux matches en septembre, à Saint-Etienne puis contre Lens. Dans un championnat certes serré, les Dogues se placent régulièrement parmi les 6 premiers, et se permettent même d’être deuxièmes au soir de la 13e journée, après une victoire sur Toulouse (1-0).
Début décembre, à cinq jours d’intervalle, Lille bat le leader Sedan (2-0), puis le PSG (2-0), un match qui a été rejoué après avoir été interrompu à 1-1. Suit un nul à Metz (1-1) qui place le LOSC au pied du podium alors que se profile le dernier match de l’année civile, contre Bastia. Surprenant promu, Lille profite et se dit que les points pris ne sont plus à prendre : à coup sûr, des temps plus difficiles arriveront, les « gros » reprendront progressivement les premières places, et le LOSC rentrera dans le rang : pourquoi pas 15e ? C’est sur cette base plus réaliste que Luc Dayan, le président du club depuis mars, a budgetisé l’exercice 2000/2001.
Dayan, l’univers parallèle
Les bons résultats de l’équipe permettent de s’enlever un fardeau et de structurer le club, en voyant grand à moyen voire court terme. La privatisation est présentée comme un processus d’autonomisation vis-à-vis de la mairie, marquée par différentes étapes qui symboliseraient la « modernité ». Début décembre, Luc Dayan, annonce ainsi dans la Voix du Nord qu’il espère prochainement « signer l’acte de vente d’un immeuble dans le centre-ville qui aura pour objectif d’être un centre de vie du club avec une partie commerces, une brasserie, une salle de fitness. Si tout va bien, nous ouvrirons en fin de saison ». Il parle de « l’entreprise LOSC », de la cession de 25% du capital du club à des entreprises régionales, et de la possibilité d’attribuer des stock-options aux joueurs, indépendamment d’une éventuelle entrée en bourse : « notre principe serait de fidéliser les joueurs avec des actions donnant droit à une plus-value en fonction des résultats financiers du club, au cas où ils effectueraient l’intégralité de leur contrat. Les 10% d’actions seraient ponctionnées sur les 72% que possédera bientôt notre société, Socle ». Bien parlé président, voilà le football qu’on aime ! Il est aussi question d’un nouveau stade (ou d’un aménagement de Grimonprez-Jooris) « à l’horizon 2003 », une tâche que Dayan cède volontiers aux acteurs publics, probablement parce qu’il n’est pas certain de faire de la thune avec ça. Privatisons les profits, socialisons les pertes, le LOSC est un club moderne !
La Voix du Nord, 8 décembre 2000
Le « contexte corse » s’exporte à Lille
En attendant, Luc Dayan va devoir revenir à des réalités bien plus terre-à-terre et montrer autre chose pour rivaliser avec Bernard Lecomte, qui vient d’être désigné « dirigeant de l’année » par France Football : ce jeudi 21 décembre, Lille/Bastia doit commencer à 20h30. Mais le président lillois arrive un peu plus tôt que prévu, en catastrophe, dès 19h45 : il se retrouve face au président du Sporting Club de Bastia, François Nicolaï, griffé sur une joue, les chaussures et le pantalon couverts de terre. Une demie heure auparavant, il aurait été pris à partie par des stadiers du LOSC, qui l’auraient envoyé par terre, et l’un d’eux lui aurait même asséné un coup de tête, occasionnant un beau roulé-boulé sur la pelouse boueuse. En riposte, quatre dirigeants corses « faisant valoir la loi du Talion » auraient roué de coups un stadier. La Voix du Nord, présente juste après les échauffourées, interroge les deux parties, qui n’ont pas l’air d’accord : selon un agent de sécurité, « ils n’avaient pas les cartes valables pour entrer sur le terrain on a voulu les empêcher ». François Nicolaï, lui, attend Luc Dayan de pied ferme : « si le président Dayan ne m’explique pas pourquoi la sécurité s’est conduite ainsi, on ne jouera pas. Si ces messieurs souhaitent régler le problème corse, ils doivent voir avec Matignon », référence au Premier Ministre, Lionel Jospin qui, depuis quelques mois, a fort à faire avec la Corse, quelques mois après l’assassinat du Préfet Eyrignac suivi de la toute belle aventure des paillotes brûlées, qui a conduit au renvoi du préfet suivant, Bernard Bonnet, dont les fans de foot connaissent davantage la fille, Anne-Laure (authentique)
Selon la Voix, « le visage marqué du président bastiais met mal à l’aise les dirigeants lillois ». Très énervé, Nicolaï tente de joindre le président de la Ligue, Gérard Bourgoin, et dépose une réclamation auprès de M. Glochon, l’arbitre du match. Enfin, il assure vouloir porter plainte pour « coups et blessures volontaires ».
Arrive alors Luc Dayan qui, après un moment d’échange avec son homologue, se présente devant la presse : « c’est désastreux. Je suis extrêmement triste. Je présente mes excuses au président Nicolaï ».
Apparemment, personne ne comprend réellement ce qu’il s’est passé : « il y a des mécanismes qui m’échappent, je veux savoir » affirme Dayan. Pendant ce temps, les joueurs sortent pour s’échauffer et sont mis au courant. Vahid Halilhodzic, informé de l’incident, prend à part Frédéric Antonetti, l’entraîneur du SCB, puis déclare seulement : « ce qui s’est passé est anormal. Il n’y a aucun problème entre les deux clubs. Là-bas, nous avons été reçus superbement bien ». Apparemment, la diplomatie de Dayan et d’Halilhodzic a permis de faire retomber la tension : le match aura lieu.
Jean-Louis Valois, de Calais à Bastia
Du côté du LOSC, Cygan, blessé à un mollet, est absent depuis quelques semaines. Manquent aussi Laurent Peyrelade, Bruno Cheyrou et Edvin Murati. Devant, la nouvelle vedette, Sterjovski, est titularisée aux côtés de Beck et de Boutoille. Au milieu, Vahid surprend son monde en ne titularisant pas Sylvain N’Diaye : Landrin prend sa place à la récupération avec D’Amico. Sur l’aile gauche, un revenant : Jean-Louis Valois qui, jusqu’alors, n’avait fait que 6 entrées en jeu, pour 74 minutes jouées. Joueur essentiel en 98/99 (29 matches dont 27 titularisations, 5 buts), Jean-Louis Valois reste un élément important de l’année du titre de D2 (25 matches dont 12 titularisations) au cours de laquelle il inscrit deux buts particulièrement marquants : d’abord, contre Guingamp, de la tête, pour une victoire dans un match au sommet (2-0), puis contre Valence, dans le match de l’officialisation de la montée, où il envoie une frappe en lucarne qui provoque un envahissement de terrain et une brève interruption du match.
Si son pied gauche a beaucoup apporté en D2, Jean-Louis Valois semble faire partie ce ces rares joueurs du LOSC qui ne parviennent pas à performer au niveau supérieur. D’ailleurs, lorsqu’il jouait à Auxerre, il n’a fait que 2 petites apparitions en D1, pour seulement 23 minutes jouées (en 96/97). Il faut dire aussi que, cette année, il ne semble pas avoir la confiance d’Halilhodzic qui, à son poste, a recruté durant l’été Murati, qui lui-même sera progressivement barré par l’éclosion de Bruno Cheyrou. Si l’on ajoute à cela la belle surprise Sterjovski, la satisfaction Beck dans son jeu si spécifique, l’explosion de Bakari en 2001, et le fait que le statut de Collot fait de lui le favori pour entrer en fin de match, il reste peu de place devant pour Valois.
Mais alors, pourquoi se retrouve-t-il titulaire ce soir là ? Pour répondre à cette question, il faut remonter à janvier 2000, presque un an auparavant.
Buteur contre Guingamp, novembre 1999
Le 22 janvier 2000, sans Vahid Halilhodzic, malade, le LOSC s’incline en 32e de finale de coupe de France, à Calais, pensionnaire de quatrième division (1-1 ; 6-7 aux tirs aux buts). Même si le parcours ultérieurs des Calaisiens peut relativiser la portée de cette défaite, c’est un affront pour Halilhodzic. 11 mois après, il n’a pas oublié ; le 17 décembre 2000, la réserve du LOSC reçoit Calais, qui est alors largement en tête (44 points en 14 journées, 0 défaite1), alors que les Lillois sont 16es, n’ont gagné que deux fois, et auraient bien besoin de points. L’occasion est trop belle : Halilhodzic envoie en réserve tous ses pros qui n’ont pas joué la veille à Metz ! Dès lors, l’équipe d’Eric Guérit est renforcée par 9 professionnels : Allibert, Hammadou, Delpierre, Santini, les frères Cheyrou, Valois, Dernis et Beck. Ils sont tous titulaires pour ce match au Stadium Nord, et seuls Dumont et Michalowski complètent le 11 de départ, sous les yeux d’Halilhodzic, qui n’a manifestement pas digéré l’élimination. Sont également présents en tribunes : Mottet, Lambert, Cygan, Sterjovski, Pichot, N’Diaye et Bakari.
La Voix des Sports, 18 décembre 2000
Et ce qui devait arriver arrive : même si Calais se montre dangereux en premier avec un sauvetage d’Hammadou sur la ligne devant Lefebvre (2e), Beck ouvre le score (38e), Valois double la mise (59e). Le capitaine calaisien, sans réussite, envoie ensuite un pénalty dans les nuages (75e), avant que Jean-Louis Valois ne marque encore (83e, 92e). 4-0, avec un triplé de Valois : l’affront n’est sans doute pas lavé, mais probablement que « Vahid content ».
La Voix des Sports, 18 décembre 2000
Valois buteur, le LOSC dauphin
Triplé contre Calais : voilà comment Jean-Louis Valois a gagné sa place pour ce match contre Bastia. Voilà la composition du LOSC : Wimbée ; Pichot, Fahmi, Ecker, Pignol ; D’Amico, Landrin, Valois ; Boutoille, Sterjovski, Beck.
Dans un match sans grand attrait, Lille domine globalement et se crée des occasions par Beck (tête repoussée par Durand) ou Boutoille (frappe au-dessus). En seconde période, l’éclair vient de Djezon Boutoille qui, servi par Pichot, crochète un défenseur et centre au second poteau ; le ballon surmonte le gardien de Bastia et, au second poteau… Jean-Louis Valois reprend du plat du pied gauche et conclut (1-0, 70e). Luc, voilà une action qui amène une belle plus-value !
Le but sur Fréquence Nord :
Pour la 10e fois en 22 journées, Lille gagne et compte 37 points à la trêve. Et comme Sedan et Bordeaux ont perdu, le LOSC se place deuxième : les Dogues se muent en dauphins (de Nantes, 2 points devant).
S’il est encore un peu tôt pour s’emballer, les fantômes du passé semblent envolés. L’équipe est sur sa lancée des deux dernières années et paraît solide, au moins pour assurer un maintien tranquille. Elle a déjà marqué 2 points de plus que sur l’entièreté de sa dernière saison en D1, en 96/97 (qui, en outre, comptait 4 journées supplémentaires) ! Le LOSC peut passer Noël au chaud. Et on est loin de s’imaginer que le meilleur reste à venir. En revanche, du côté de Bastia, on s’inquiète pour François Nicolaï qui, le lendemain du match, est hospitalisé après avoir été pris d’un malaise lors d’une réunion pour évoquer les événements de Grimonprez-Jooris.
Épilogue
Jean-Louis Valois ne sera qu’un acteur très intermittent de la formidable fin de saison du LOSC. Il ne jouera plus qu’en janvier, pour deux entrées en jeu, et 14 minutes jouées. Il part ensuite du côté de l’Angleterre et de l’Ecosse.
Le lendemain de Lille/Bastia, le LOSC porte plainte contre X, ce qui permet l’ouverture d’une enquête judiciaire. Selon Luc Dayan, « nous sommes responsables de ce qui se passe chez nous, et donc de la sécurité des visiteurs. François Nicolaï, que je connais bien, est très affecté, de même que les stadiers. Je souhaite montrer à tous que personne à Lille n’est de mauvaise foi et permettre ainsi que ce genre de problème ne se reproduise plus ». En janvier 2001, le club est sanctionné par la commission de discipline de la LNF à 500.000 francs d’amende et à un match de suspension de terrain avec sursis. Élégamment, le club fait appel. La sanction est confirmée en février. On s’en fout, on est en tête du championnat.
Un résumé du match (France 3 Nord-Pas-de-Calais) :
1 La victoire est à 4 points, le nul à 2, et la défaite (hors forfait) à 1.
Posté le 18 décembre 2022 - par dbclosc
Georges Heylens : « Lille, c’était pas mal, hein ? »
Georges Heylens, ce sont cinq années de la vie du LOSC dans les années 1980. Pas forcément les plus glorieuses, mais de celles qui ont laissé des souvenirs marquants chez les supporters qui les ont vécues. Rencontre avec un morceau d’histoire.
« C’était notre quartier ici, notre rue » : depuis une table de La Tribune, une brasserie populaire du cœur d’Anderlecht, où nous avions rendez-vous, Georges Heylens semble regarder au-dehors avec nostalgie. Juste à côté se trouve la rue de Formanoir, où il avait une boutique d’articles de sports, de 1961 à 2014, qu’a dirigée son fils Stéphane : « on était livreurs de l’équipe d’Anderlecht, et de l’équipe nationale. À l’époque, à Bruxelles, il n’y avait pas de boutique de sports. On a été pionniers là-dessus ».
Les Heylens vivent toujours à Anderlecht, « leur » commune. À quelques dizaines de mètres se trouve le Lotto Park – anciennement stade Constant Van Den Stock – l’antre des « Mauves », où Georges Heylens a réalisé l’entièreté de sa carrière de joueur professionnel, de 1960 à 1973, avec 7 titres de champions de Belgique et trois coupes, glanant au passage 67 sélections avec les Diables Rouges. Les Diables, justement, ont été éliminés la veille de la coupe du monde : « pas de chance » juge-t-il laconiquement. Une élimination au premier tour, comme en 1970 au Mexique, où Georges Heylens était arrière droit de l’équipe nationale : « c’était autre chose, ça n’avait rien à voir avec aujourd’hui… ».
On sent que les souvenirs s’effacent peu à peu, mais Stéphane, « [son] patron, [son] secrétaire » se charge de stimuler la mémoire de son père, désormais 81 ans : « je crois que j’ai eu une belle carrière ». Une carrière notamment passé par le LOSC, de 1984 à 1989.
L’arrivée à Lille
Après avoir été contraint de stopper prématurément sa carrière de footballeur à l’âge de 31 ans en raison d’une blessure à la jambe, Georges Heylens a entraîné l’Union Saint-Gilloise (73-75), Courtrai (75-77), Alost (78-83), puis le petit club de Seraing, qu’il a mené jusqu’à la 5e place du championnat belge en 1984. A cette occasion, il est élu « entraîneur de l’année » en Belgique.
Pendant ce temps, les dirigeants loscistes cherchent un nouvel entraîneur après le départ d’Arnaud Dos Santos. Jean Parisseaux ne souhaite pas quitter la formation des Dogues et, alors que l’on s’attend à la signature du Hongrois Pazmandy, on apprend le 22 juin que le FC Seraing est placé en liquidation judiciaire, et son entraîneur, licencié. Le LOSC saute sur l’occasion et fait signer un contrat d’un an à celui qui a mené si haut ce petit club de la banlieue liégeoise : « on a eu beaucoup d’ennuis financiers à Seraing. J’avais rencontré les dirigeants du LOSC à plusieurs reprises, et la mise en liquidation a tout changé ».
Direction le Nord de la France pour Heylens, alors qu’on le disait sollicité par Lausanne, Benfica et le PSG. Le précède une réputation qui colle bien à la région : travail et rigueur.
Le LOSC des années 1980
« Mes trois premières années à Lille ont été super. Par la suite, on s’est essoufflés. Le LOSC était un club familial. Je n’en garde que des bons souvenirs : Dewailly, Samoy, Parisseaux, Amyot, Robert… Des gens très biens. Sur le plan personnel, j’ai habité La Madeleine la première année, puis le quartier Vauban, et Lambersart. Lille, c’était pas mal, hein ? ».
« Avec moi, ça s’est moins bien passé avec Bernard Gardon. Mais c’est du passé ». On se rappelle en effet les circonstances rocambolesques du départ de Georges Heylens en 1989, dont on peut supposer qu’il avait été fortement « encouragé » par le directeur sportif de l’époque, Bernard Gardon, qui tenait à faire signer Gérard Houiller… qui n’était pas libre.
Sur le terrain, les années 1980 ne sont certainement pas les plus glorieuses du club ; elles oscillent entre le moyen et quelques éclaircies, le temps d’un bon parcours en coupe, ou pour admirer la technique de quelques vedettes « on a tout de même eu de très bons joueurs : Périlleux, Angloma, Lama, Mobati, Pelé, les frères Plancque… Avec ces joueurs-là, je pense qu’on aurait dû mieux faire, au moins atteindre une fois une coupe d’Europe ».
Grimonprez-Jooris n’a en effet que trop rarement vibré durant cette période, hormis, par exemple, lors du retournement de situation contre Bordeaux en coupe en 1985 (1-3 ; 5-1) : « oui mais on se fait éliminer derrière. J’ai davantage de regrets sur notre parcours en coupe en 1987 [Lille est éliminé en quarts par Bordeaux 1-3 ; 2-1]. On n’est pas passés loin de la demi, et le tableau me semblait plus abordable » ; ou lors d’une victoire contre le PSG en janvier 1986 : « le match avait été joué une première fois, et interrompu à 5 minutes de la fin à cause d’un problème d’éclairage. Il y avait 1-1, et on était très contents. Il a fallu tout rejouer ! Luis Fernandez était en colère de rejouer… Et on a gagné 2-0 ! »
« Je me rappelle aussi qu’on avait la possibilité de partir loin, assez longtemps, car il y avait une vraie trêve de quelques semaines en hiver. On est allés au Niger, au Cameroun. On est aussi allés en Guyane, chez Bernard Lama ».
« Il y avait une grande rivalité avec Lens. D’ailleurs, peu après mon arrivée, le quarantième anniversaire du club coïncidait avec la réception des Lensois. On a gagné 2-0 ! Et on a gagné aussi une ou deux fois à Bollaert… Dont une fois 4 à 1. On m’avait dit que Lille n’avait pas gagné là-bas depuis 20 ans »
Les deux entraîneurs nordistes sur RVN, avant le derby de septembre 1984
« J’ai été le premier à ouvrir la filière scandinave au LOSC, avec la venue de Kim Vilfort. Malheureusement, il n’a pas trop réussi à Lille ».
Le duo Desmet/Vandenbergh
« J’ai eu du plaisir à les avoir ces deux-là ! » S’il est bien un duo qui a marqué les années Heylens, c’est celui formé par ses deux compatriotes. Au cours de l’été 1986, les dirigeants du LOSC sont orientés vers la Belgique par leur entraîneur. Signe, dans un premier temps, Filip Desmet, révélation de la saison à Waregem, qui a joué une demi-finale de C2. Puis Heylens s’envole pour le Mexique, cette fois en tant que consultant pour Sports 80 (devenu Sports Magazine). La Belgique se classe quatrième, avec le même Desmet, et Erwin Vandenbergh, meilleur buteur du championnat belge en 1980, 1981 et 1982, et Soulier d’Or 1981.
Peu après la coupe du monde, Vandenbergh signe au LOSC (et Heylens rempile cette fois pour 3 ans) : « Vandenbergh avait été mis sur la liste des transferts par Anderlecht. Je l’ai su… ». La promesse d’une attaque de feu qui, là aussi, n’a finalement brillé que de façon intermittente, comme on l’a évoqué ici ou ici.
« La venue de Desmet et de Vandenbergh a fait venir pas mal de Belges à Grimonprez-Jooris : beaucoup venaient de Moucron, de Courtrai, de Menin, ou de Waregem. Le LOSC a toujours eu des liens privilégiés avec la Belgique ».
Après le LOSC, Georges Heylens a vite rebondi, d’abord au Berschoot puis, entre autres, à Charleroi (où il a retrouvé Desmet, et a participé au Tournoi de Liévin 1992), Malines ou Seraing, avec qui il a participé au fameux « tournoi de Liévin » en 1994. à l’issue de la saison 1993/1994, le petit club liégeois découvre la coupe d’Europe : « on a joué un tour d’UEFA contre le Dynamo Moscou. On a été battus 3-4 à la maison, et on rate un pénalty pour égaliser. Au retour, on gagne 1-0 là-bas. Insuffisant, malheureusement… Roger Lukaku, le père de Romelu, a tiré sur la latte à la dernière minute ! »
Après bien d’autres expériences, en Belgique et ailleurs, Georges Heylens a tiré sa révérence après une dernière pige chez les filles du White Star Fémina (club de Woluwé-Saint-Lambert), en 2015 : « au cours d’une rencontre d’anciens, j’ai rencontré le président du club, qui m’a proposé de m’occuper des féminines deux fois par semaine, de 20h à 22h. Ce sont souvent des étudiantes, donc il faut leur aménager des horaires. J’ai accepté avec plaisir ».
Georges Heylens suit toujours attentivement les performances du LOSC et d’Anderlecht, même s’il se rend de moins en moins au stade « quand les deux clubs se sont affrontés en Ligue des Champions en 2006, on a été invités à Anderlecht par les dirigeants d’Anderlecht, et à Lille par les dirigeants du LOSC. En 2014, Patrick Robert nous a invités pour les 70 ans du LOSC. J’espère qu’on a laissé de bons souvenirs. Saluez bien tout le monde à Lille... »
Merci à Stéphane et Georges Heylens pour leur disponibilité
Une sélection d’articles sur les années Heylens :
1984-1986 : quand le David lillois tyrannisait le Goliath Lensois
Erwin Vandenbergh, la classe belge
Quand Soler et Bureau semaient la terreur. Retour sur 40 jours de feu (1986)
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Posté le 2 décembre 2022 - par dbclosc
Jean Baratte, sportif « touche-à-tout » de l’OICL
Si l’on connaît bien les exploits footballistiques de Jean Baratte, c’est principalement pour les nombreux buts qu’il a marqués dès ses débuts au haut niveau, à l’OICL. Mais Jean Baratte a également gardé les buts de l’OICL lors d’un derby contre Fives en mai 1943. Alors qu’il n’a pas encore 20 ans, ce fils de sportif est également champion de tennis avec l’OICL ! Il a de qui tenir : son père est un personnage reconnu de la vie sportive lambersartoise.
La première mention de Jean Baratte dans la presse écrite remonte au 19 août 1928. Ce jour-là, on apprend dans Le Grand Echo que les fêtes du 15 août à Lambersart ont rassemblé un grand nombre de familles et d’enfants dans les avenues Soubise et de l’Hippodrome, où étaient organisés des activités telles que des lancers de ballons, un « jeu de ciseaux », un concours de cerceaux et un concours de trottinette, remporté par le petit Jean Baratte, 5 ans.
En 1928, le nom de Jean Baratte n’est pourtant pas inconnu pour les sportifs du Nord, et plus particulièrement pour celles et ceux de Lambersart. En effet, le père de l’enfant est une figure locale, non seulement parce qu’il est le propriétaire de la guinguette « La Laiterie de l’Hippodrome », situé au 128 avenue de l’Hippodrome, lieu réputé pour recevoir des événements tantôt mondains, tantôt populaires ; mais aussi parce que dès qu’un événement sportif est organisé à Lambersart, il n’est pas loin : et cet homme s’appelle aussi Jean Baratte. Dans la presse des années 1920 et 1930, on trouve ainsi régulièrement son dans les pages sportives de la presse régionale. Sa passion première est le rugby : il est d’ailleurs un des meilleurs éléments du « quinze » de l’Iris-Club de Lambersart. Cela lui vaut une sympathique réputation, d’autant que son commerce, situé entre l’hippodrome de Lambersart, le terrain de l’avenue de Dunkerque, et le terrain de l’Iris, est au cœur d’un espace sportif d’où démarrent de nombreuses épreuves. Ainsi, en janvier 1927, le Grand Echo indique que le coup d’envoi championnat du Nord de cross cyclo-pédestre est donné le 27 à 9 heures, « avenue de l’hippodrome, à hauteur de « la laiterie », tenue par le sportif si connu M. Jean Baratte » (31 janvier).
Mais on le sait également président actif du Vélo-Club Lillois à partir de l’année 1926 (Le Grand Echo du Nord, 16 décembre 1925). Jean Baratte père est ainsi impliqué dans l’organisation d’épreuves cyclistes, comme en 1927, où il organise la course de vitesse de l’« omnium interclubs », qui consiste en un « match de vitesse » sur l’avenue Pasteur à Lambersart (entre la Laiterie et l’Hippodrome). À cette occasion, on peut encore lire dans le Grand Echo la sympathie que suscite Jean Baratte, qualifié de « sympathique rugbyman de l’Iris Club » (23 juillet). L’année suivante, il profite du passage du tour de France cycliste à Lambersart pour faire partie de l’organisation de la sécurité qui permet de « transformer le carrefour de l’avenue de l’hippodrome en une cité en réduction pimpante et ordonnée » (Le Grand Echo, 14 juillet 1929).
On lui connaît une troisième passion : la moto. Jean Baratte est en effet membre du « Moto Sporting Club ». À ce tire, il est aussi l’organisateur d’événements, comme le cross moto pédestre du 10 mars 1929, pour lequel le Grand Echo souligne que tout renseignement est à prendre auprès de lui (22 févier 1929). En tant que membre de ce club, il fait aussi partie de la délégation qui remet à une association de « gueules cassées » un chèque pris sur les bénéfices d’une compétition sportive qu’il a contribué à mettre en place (12 juillet 1928). Le 2 août 1931, il est président du comité d’organisation de courses motocyclistes sur prairie, sur le terrain de l’Iris Club Lillois, avenue de l’hippodrome.
Le Grand Echo, 30 juillet 1931
En 1933, il est l’« âme et cheville ouvrière » (3 juillet 1933) d’une journée de « dirt track » (course de motos sur piste en terre), sur le terrain du Colysée.
Mais Jean Baratte n’est pas qu’organisateur : en tant que motard, il remporte en avril 1929, le même jour qu’un nouveau titre de champion du Nord pour l’OL, le « rallye-ballon du printemps ».
Sur sa moto de marque Terrot, il remporte une course entre Lille et le bassin minier lensois dans laquelle concourraient « vingt autos de toutes marques et une demi-douzaine de motos » (22 avril 1929).
Jean Baratte est donc aussi évoqué comme « champion motocycliste bien connu » (18 juillet 1930), cette fois à l’occasion d’un fait divers : sa tante de 60 ans, qui vit aussi à La Laiterie, est renversée par une voiture, devant la guinguette.
Sur sa moto, Jean Baratte est régulièrement chargé de s’occuper des « pédards1 » qui pourraient gêner les courses cyclistes. Ainsi, dans le Grand Echo du 28 juillet 1929, on peut lire que « notre ami Jean Baratte sera le seul motocycliste officiel du 16e circuit minier. Nous savons comment M. Baratte accomplit la tâche délicate qui consiste à avertir les usagers de la route du passage de la course, et à assurer les dégagements de la route. Quant à convaincre les pédards du dangers qu’il font courir à eux-mêmes et aux coureurs. Jean baratte a le doigté voulu pour parvenir à ses fins en ne recourant aux moyens extrêmes que lorsqu’il y est absolument obligé » : il fait de même lors du 8e Paris/Lille cycliste en mai 1930 avec sa « fidèle Terrot » (12 mai)
Enfin, Jean Baratte est parfois arbitre de football (comme lors de Ronchin-Thumesnil/Ennevelin en mars 1932) et s’implique dans les épreuves d’athlétisme : le 4 mai 1935, le Grand Echo fournit les indications d’itinéraire du « critérium des Italiens » entre Lille et Cassel, sur les conseils de Jean Baratte, parti en repérage sur sa moto. La Croix du Nord signale dès juillet 1934 qu’il est président du jury des annuels championnats d’athlétisme de l’Union de Flandre, qui se déroulent à Lambersart.
Voilà donc pourquoi, avant même les exploits footballistiques du fils, le nom de Jean Baratte est familier aux sportifs nordistes. Les multiples engagements sportifs du père ont même conduit à la création de la « coupe Jean Baratte » à partir de 1931 : à l’occasion de l’annuelle « coupe Bélière », une épreuve d’athlétisme, elle récompense certaines catégories « Junior ». Et à partir de 1934, le « challenge Jean Baratte », en football, met aux prises des équipes de jeunes de la région.
Au niveau de la diversité des activités, Jean Baratte fils a donc de qui tenir ! C’est en 1935 qu’on retrouve sa trace dans la presse : en effet, dans l’édition du 25 juin, le Grand Echo nous informe de l’obtention de son Certificat d’Études Primaires. Qu’en est-il côté sportif ? Dans un portrait que lui consacre la France Socialiste le 3 novembre 1943, on comprend que Jeannot est voué à faire du sport : « le fait de naître aux portes d’un stade ne peut que vous prédisposer à le fréquenter un jour. Et ce fut vers celui de l’Iris Club Lambersart que Jean Baratte, dès qu’il put déjouer la surveillance de sa mère, fit sa première escapade ». « Il ferait un excellent demi de mêlée » disait de lui son père. Et en effet, le journal souligne malicieusement que « le petit Jean passait son temps à se faufiler au travers des palissades mal ajustées du stade, ou au travers des jambes des clients dans la salle bruyante de l’estaminet paternel ». Mais l’enfant, dès qu’il put se servir habilement de ses mains, ne manifeste aucun intérêt pour le ballon ovale : il opte pour le football.
« C’est un manchot ton fils, peuchère ! Ironisa un coéquipier de Baratte père, un méridional qui ne comprenait pas qu’on puisse jouer autrement qu’avec les mains, voire avec les poings », rapporte le journal. Mais l’enfant montre aussi un intérêt pour le tennis et « fait des balles » contre un mur, avec une raquette bien trop lourde pour lui : « et un jour, sur l’unique court de l’ICL, les modestes tennismen du club s’aperçurent avec stupeur que le « manchot » possédait un redoutable coup droit et un honnête revers. Admis sur le cours, Jean Baratte ne tarda pas à y mystifier tout le monde, jeunes et moins jeunes, et s’achemina de victoires en victoires vers le titre de champion du Nord junior ».Avec l’équipe des « Jeunes du Nord » (Football) pour un match contre les « Jeunes du Sud » Le Miroir des Sports, 22 février 1942
Parallèlement, Jean signe ses premiers succès footballistiques : avec l’Iris, il enlève le championnat du Nord des Minimes, puis des Juniors. Si bien que lorsque les Dogues de l’OL se rattachent au petit Iris, ils trouvent en ce jeune homme une graine de champion. Dès la saison 1941/1942, il s’impose comme avant-centre de l’OICL, et arrive avec les « dogues irisés » jusqu’en finale de la zone interdite, où les Lillois s’inclinent contre Lens.
Les Sports du Nord, 21 mars 1942, à la veille de la finale Lille/Lens
Durant l’été 1942, tout en préparant sa saison de footballeur à l’OICL, Jean Baratte devient champion des Flandres de tennis ! Présenté par M. Brun directeur sportif de l’OICL, comme « le plus talentueux [des amateurs de l'OICL] » (La France Socialiste, 15 août 1942), la diversité de ses activités lui vaut le surnom de « touche-à-tout » : « ils se distingue aussi bien sur les terrains de football que sur les courts de tennis souligne M. Brun. Ne vient-il pas d’enlever la finale du championnat des Flandres Juniors, en battant Lecomte par 6-2, 6-4 ? »
La France Socialiste, 15 août 1942
Les Sports du Nord, 15 août 1942
Si bien qu’à l’automne 1942, dans la presse nationale, Jean baratte est plutôt présenté comme un tennisman qui, en plus, joue au football.
Le Miroir des Sports, 26 octobre 1942
Au cours de la saison 1942-1943, Jean Baratte fait de nouveau la preuve de sa polyvalence, mais au sein du même sport. En effet, en mai 1943, l’absence du titulaire habituel dans les buts, Julien Da Rui, l’amène à occuper la cage de l’OICL lors du derby OICL/SCF en mai 1943 (on en a parlé ici) ! L’épisode de la coupe de France 1952 est plus connu : en demi-finale, en raison de la blessure de Val, l’habituel titulaire, et du manque de confiance placé en D’Archangelo, le remplaçant, Jean Baratte avait été titularisé dans les buts du LOSC. Cette configuration s’est présentée une dernière fois en mars 1956, alors que Jean Baratte est désormais joueur du CO Roubaix-Tourcoing en D2 : on le retrouve dans le but lors d’un déplacement au Havre.
À l’aube de la saison 1943-1944, celle des équipes fédérales, la France Socialiste nous apprend que l’entraîneur de l’équipe de Lille-Flandres, Demeillez, a placé Baratte sur l’aile : « là aussi, en quelques matches, le jeune prodige de Lambersart s’est hissé sans peine à la hauteur des meilleurs « intérieurs » du moment » (3 novembre 1943). La même édition du journal relate que Jean fréquente toujours le petit stade de ses premiers pas, et qu’il participe régulièrement aux entraînements des hockeyeurs… et des rugbymen de l’OICL ! « Cette préparation physique fait de Baratte un véritable marathonien (…) M. Baratte peut se consoler d’avoir perdu un demi de mêlée en découvrant un grand inter ».
Ses performances lors de la saison 1942/1943 avec l’OICL, confirmées en 1943/1944 avec l’équipe fédérale Lille-Flandres, ancrent Jean Baratte dans une discipline principale : le football. Pour le plus grand bonheur de Lille.
Note :
1 « En 1898, le mot chauffard entrait dans notre langue. Composé à l’aide de chauffeur et du suffixe péjoratif -ard, il est, hélas, toujours en usage, l’espèce des conducteurs imprudents et dangereux ne semblant pas en voie de disparition. Quelques années plus tard, sur ce modèle, on créait à partir de pédaler le nom pédard qui désignait, comme l’indique fort bien le dictionnaire Larousse de 1923, à la page 818, un « cycliste grossier, maladroit, dangereux pour les autres » (https://www.academie-francaise.fr/va-donc-eh-pedard)
Posté le 22 novembre 2022 - par dbclosc
Quand Daniel Leclercq envisageait de rejoindre le LOSC
Peu après son éviction du RCL à l’automne 1999, Daniel Leclercq a fait de l’oeil au LOSC, qui caracolait alors en tête de la D2. Une offre de services restée sans suite, mais qui illustrait le renouveau du club.
30 septembre 1999 : grâce à Nouma et Delporte, Lens bat Tel-Aviv 2-1 au stade Bollaert. Après le nul de l’aller (2-2), le Racing se qualifie pour le prochain tour de la coupe UEFA. Mais ce sera sans son entraîneur qui, à l’issue du match, est évincé, à moins qu’il n’ait donné sa démission – ce point n’ayant jamais été très clair. Quoi qu’il en soit, il est toujours surprenant de partir après une victoire (mais le LOSC n’est pas en reste car c’est également arrivé à Bruno Metsu en 1993) et, surtout, après avoir donné à Lens durant son mandat deux titres – les mauvaises langues aiment rappeler que ce sont les seuls, oubliant que le Racing a remporté trois magnifiques coupes Drago (1959, 1960, 1965), une prestigieuse coupe de l’Amitié (1962), et a vu son piston droit sélectionné en équipe de France (2022).
L’annonce du décès de Daniel Leclercq, en novembre 2019, a légitimement suscité une grande émotion à Lens, mais aussi dans toute la région, car Leclercq est également passé avec réussite par Valenciennes en tant que joueur (1961-1970 ; 1983-1984) et entraîneur (2003-2005). Mais à Lille aussi, les hommages ont été nombreux : le club s’était même fendu d’un tweet, largement relayé et commenté positivement par des supporters du LOSC.
Capture d’écran Twitter
Cela étant, Leclercq n’a pas attendu de mourir pour susciter une quasi-unanimité autour de lui, à Lille, alors même que son statut de faiseur de titres à Lens pourrait susciter de la défiance : certes, quand Lens a été champion (1998), le LOSC n’évoluait pas en D1, et peut-être peut-on considérer que ce titre a été vécu de loin par les Lillois. Mais plus probablement, sa carrière fait de lui un homme respecté, tant il a marqué le football par ses qualités de joueur, en inventant une sorte de poste mixant libéro et meneur de jeu où sa qualité de passe a fait merveille, et en prônant durant sa vie professionnelle des valeurs telles que le travail et l’humilité, ce qui semble coïncider avec l’individu qu’il était, et qui colle aussi aux fameuses « valeurs de la région » que Lillois et Lensois partagent largement.
La meilleure patte gauche du Pas-de-Calais. Extrait d’un derby en février 1981
Daniel Leclercq aurait pu marquer davantage les Lillois s’il avait rejoint le LOSC ; précisément, il en a été question au cours de cette saison 1999/2000. Désormais libre, il profite de ce moment de calme, tout en exposant ses projets dans une interview donnée à la Voix du Nord (VDN) en janvier 2000. Il rappelle les principes auxquels il est attaché (« famille », « amis », « professionnalisme », « passion », « maillot », « région », « public »). Et il n’hésite pas à montrer son intérêt pour les Dogues, en particulier pour leur entraîneur, Vahid Halilhodzic.
La Voix du Nord, 14 janvier 2000
Pour le moment, Daniel Leclercq a retrouvé une activité de consultant, pour TPS puis pour Canal +. Et il affirme que si son premier match dans cette nouvelle activité était Lille/Sochaux, ce n’est sûrement pas par hasard : c’est par « fibre régionale » soutient la VDN. Il est vrai que Daniel Leclercq, quel que soit le club dans lequel il était, a toujours manifesté de l’intérêt pour les clubs régionaux. À Lille, on se rappelle qu’il était souvent présent à Grimonprez-Jooris. Et on se rappelle aussi qu’il était présent lors d’un match amical d’avant-saison à Tourcoing entre le LOSC et Anderlecht (2-3), à l’issue duquel il avait affirmé toute sa sympathie pour les Dogues, espérant qu’ils rejoignent la D1 au plus vite. Leclercq affirme qu’après Lille/Sochaux, « tous les joueurs lillois étaient venus me remercier pour le mot d’encouragement que je leur avais envoyé en début de saison ».
« Je ne manque pas de propositions, les plus sérieuses, actuellement, venant de Dubaï, de Fenerbahçe, ou de l’équipe nationale d’Algérie. Cependant, je ne suis pas pressé ». Surtout, Leclercq est plutôt attiré par le LOSC qui, depuis l’arrivée de Vahid Halilhodzic en septembre 1998, a retrouvé beaucoup de crédibilité : sur leur lancée d’une saison 98/99 terminée en trombe où la montée s’est dérobée à la différence de buts, les Dogues cartonnent et devraient cette fois retrouver l’élite. Au moment de l’interview (23 journées jouées en D2), le LOSC a 16 points d’avance sur le 4e. De quoi avoir envie de découvrir un nouveau club du Nord ? « Lille, c’est le seul club nordiste que je n’ai pas encore fait (…) J’ai noué des contacts sérieux avec Vahid, qui est très sensible et attaché à des valeurs. C’est tout simplement un homme du Nord ! Sachant tout ce qui l’attend en D1, je me verrai bien lui donner un petit coup de main ».
Document rarissime : Daniel Leclercq 1) dans les couloirs de Grimonprez-Jooris 2) qui sourit
L’offre de services peut sembler étonnante : d’abord parce qu’elle ne semble manifestement pas motivée par des questions financières, ce qui est original dans le milieu ; ensuite parce que Leclercq reste malgré tout étiqueté « lensois » et, même s’il a la côte, c’est une autre chose de le voir intégrer le LOSC (aussi bien pour les supporters des LOSC que des Sang & Or). Comme on a dû le dire à l’époque au « Druide » : « rejoindre le LOSC, c’est Astérix et périls » ; et enfin parce qu’a priori, le LOSC n’est pas demandeur et a trouvé une formule qui, sportivement, fonctionne enfin. Certes, le processus de privatisation est lancé depuis quelques semaines, et il amènera probablement son lot de changements. Mais quand bien même Daniel Leclercq devrait intégrer le club, son palmarès et son aura peuvent-ils l’amener ailleurs qu’à une place de n°1 ? Peut-il cohabiter avec Halilhodzic ? Halilhodzic peut-il cohabiter avec qui que ce soit ?
Photo Jean Chaumont/Voix du Nord
Daniel Leclercq ne rejoindra jamais le LOSC, et n’y exercera aucune fonction, officielle en tout cas. On peut toutefois penser que l’amitié nouée avec Halilhodzic a pu servir de conseil officieux pour Vahid.
À cette époque, l’important pour le LOSC est bien de constater qu’il est de nouveau attractif, et si des hommes de valeur semblent prêts à lui prêter main-forte, c’est probablement qu’il est sur la bonne voie.