Archive pour la catégorie ‘Donne-nous des nouvelles …’
Posté le 13 juillet 2017 - par dbclosc
L’esprit club n’attend pas le nombre des années
Si la saison qui s’annonce fait naître des espoirs, elle engendre aussi son lot d’inquiétudes. Parmi ces craintes, celle de la « perte d’identité » du club qui serait le produit d’un « foot bizness » n’ayant que faire de l’attachement au club.
En revenant sur les années 1980, on constate que le LOSC compte dans ses rangs une part particulièrement élevée de joueurs ayant porté le maillot du club sur le long terme. Des joueurs comme Eric Péan et les frères Plancque apparaissent alors comme emblématiques du club qu’ils quittent tous les trois en 1987, chacun ayant passé au moins sept années dans le groupe professionnel. A ceux-ci, il faut ajouter pléthore de jeunes formés au club (Prissette, Lama, etc.) ou arrivés jeunes (Périlleux, Thomas, etc.) qui restent longtemps des cadres de l’équipe, étayant la thèse d’un âge d’or de l’identification au club.
Par contraste, l’équipe qui s’annonce la saison prochaine sera vraisemblablement composée de joueurs peu expérimentés au club. Ainsi, Adama Soumaoro, qui a débuté sous le maillot lillois il y a trois ans et demi, sera vraisemblablement le joueur le plus ancien de l’effectif si l’on juge actés les départs de Rio Mavuba et de Vincent Enyeama ; tandis que Mike Maignan et Yassine Benzia, deux ans au club chacun, risquent d’être ceux qui le suivent dans la hiérarchie de l’ancienneté. Alors, doit-on y voir la fin de l’ « esprit club » ?
La thèse de la fin de l’ « esprit club » à nuancer
Avant de conclure à la fin de l’ « esprit club », il est nécessaire d’examiner un peu plus en détail le contexte et ne pas omettre de souligner les arguments qui vont à revers de cette thèse. Ainsi, il faut prendre acte du fait que cette saison s’inscrit dans une volonté de reconstruction appelée de ses vœux à la fois par la présidence, mais aussi par nombre de joueurs, d’éléments du staff et peut-être plus encore par les supporters.
A ce titre, le profond renouvellement de l’effectif opéré aujourd’hui n’a rien d’inédit. Déjà, en 1989 et en 1990, le succès du LOSC en 1990/1991 s’était basé sur une refonte profonde de l’effectif, seuls Philippe Périlleux, Jean-Luc Buisine et Alain Fiard pouvant alors s’inscrire comme des relais de la génération précédente. De même, le LOSC de Vahid Halilhodzic, emblématique du renouveau des Dogues, doit aussi son succès à un profond renouvellement de l’effectif. D’ailleurs, taquins, on serait tentés de dire que même ceux qui sont restés n’étaient plus vraiment les mêmes : Pascal Cygan et Djezon Boutoille ont ainsi trouvé respectivement un premier puis un second souffle avec « Coach Vahid ». On pourrait également ajouter que le rôle important joué par Claude Puel s’est également construit en rupture avec l’héritage de son prédécesseur, l’essentiel des cadres passés disparaissant rapidement avec l’arrivée de l’ancien inusable milieu de terrain monégasque.
En 2017, Arnaud Duncker porte encore le maillot lillois, ici celui des Anciens Dogues
En soit, rien de bien nouveau. Et peut dire qu’on n’a pas eu à regretter ces trois renouvellements considérables de l’effectif, le LOSC de Jacques Santini flirtant avec l’Europe en 1990/1991 après une décennie passée dans le ventre mou (même si l’époque fût, pour d’autres raisons, également désespérante), la bande à Vahid faisant découvrir la C1 à un club qu’il avait repris en bas de classement de D2, quand celle de Puel consolidait le nouveau statut des Dogues.
Surtout, ces renouvellements n’ont pas alors été associés à la fin de l’ « esprit club ». C’est aussi là que l’on voit que le fait d’être garant des valeurs d’un club n’a pas un lien mécanique avec le temps passé au club : des joueurs comme Fernando D’Amico et Lolo Peyrelade sont ainsi encore aujourd’hui des symboles de cet esprit alors même qu’ils n’ont passé « que » quatre années chacun au club.
Des contextes inégalement propices à la légitimation des renouvellements
Ceci étant, il faut aussi comprendre le contexte comme un élément important de la légitimation de ces reconstructions d’effectifs. A ce titre, la comparaison des façons dont ont été reçues les arrivées de coach Vahid et de Coach Cloclo révèle combien le jugement porté sur une stratégie tient finalement assez peu à la pertinence de la stratégie elle-même. Sans nous étendre sur le sujet, on peut ainsi dire que les stratégies respectives de l’un et de l’autre ont été couronnées de succès, tout en soulignant qu’elles n’ont pas fait l’objet de la même réception.
Ainsi, Vahid Halilhodzic est arrivé dans un contexte bien plus propice que Claude Puel pour légitimer un changement en profondeur dans la stratégie lilloise. En effet, Vahid arrive pour remplacer Thierry Froger quand le club est alors 17ème de D2. Surtout, on semble alors loin de l’union sacrée, que cela soit entre supporters et joueurs, mais aussi au sein du groupe professionnel lui-même (« Au départ, on le jaugeait, mais on était dans une telle détresse sportive qu’on n’a pas eu d’autres choix que de foncer. Après, on le suivait les yeux fermés » explique Patrick Collot). Dans un tel contexte, « vouloir tout changer » fait alors consensus, contribuant d’emblée à offrir une large légitimité à celui qui affirme vouloir le faire, indépendamment même de sa stratégie. Nous ne sommes pas ici en train de dire que cette stratégie n’était pas pertinente, bien au contraire, mais on se contente de souligner que le contexte lui conférait presque ipso facto une certaine bienveillance.
Joueur puis entraîneur au LOSC, Thierry Froger avait a priori tous les atouts pour être identifié aux Dogues
La situation est toute autre pour Claude Puel. Quand il arrive en 2002, il prend la suite de son glorieux prédécesseur bosniaque, qui vient d’enchaîner un titre de champion de D2, une troisième puis une cinquième place en L1, tout cela en moins de quatre ans avec un club qu’il avait repris au bord d’une position de relégable en deuxième division. Bref, dans un tel contexte, vouloir reconstruire l’équipe n’a de chance d’être favorablement reçu qu’à la condition d’obtenir des résultats immédiats, ce qui est presque antinomique du principe de reconstruction. Cela n’a d’ailleurs pas manqué : pendant un an et demi, Puel fit face à une défiance récurrente de la part des supporters, avant, enfin, de convaincre.
Joueur, Claude Puel se prit beaucoup de cartons, sa coiffure étant considérée comme relevant de l’ »antijeu » et étant « contraire aux valeurs universelles du sport »
Le renouvellement actuel de l’effectif s’inscrit dans un contexte idoine : celui de la morosité ambiante après quatre années souvent pénibles prenant la suite de cinq ans de football champagne. Quand on a survécu à une huitième place avec le jeu proposé par René Girard, on se dit qu’on a peu de chances d’être déçu par une équipe d’inconnus emmenée par Marcelo Bielsa. D’où un contexte de bienveillance plutôt favorable à de belles réalisations.
Le match est à peine fini, mais Djezon a déjà l’air bourré
Ceci étant, précisons-le, c’est peut-être bien là qu’est le piège. Déçus par un passé récent en décalage avec les attentes que nous avions après quinze années de progression presque constante, notre esprit critique est considérablement affaibli par rapport à tout projet de déconstruction/reconstruction de l’effectif. Finalement, nous avons montré qu’une refonte complète de l’effectif n’était en rien synonyme de déclin et de perte de l’identité du club, mais nous n’avons en revanche aucunement montré qu’il était impossible qu’elle aboutisse à ce résultat.
Esprit club VS Mise en scène de l’esprit club
Finalement, ce qui aiguise le plus la méfiance de la rédaction de DBC LOSC, c’est précisément l’excès d’euphorie et de confiance en un projet dont le produit est actuellement assez insaisissable. Et cette incertitude concerne en particulier la question de l’identité du club, dont on est sûrs qu’elle est mise en scène mais aucunement qu’elle soit effective. Voyez à ce titre ce qu’on a déjà écrit à ce sujet.
Précisons-le d’emblée, on ne juge pas cette « mise en scène » en elle-même. Qu’une équipe dirigeante veuille mettre en scène son attachement au club, ça n’a en soit rien d’illégitime. C’est simplement que ça ne nous dit absolument rien de ce qui sera effectivement mis en place. D’ailleurs, l’ambiguïté est forte sur ce point : on sait ainsi que Gérard Lopez a fait le choix de placer un certain nombre de cadres historiques, mais on sait aussi qu’il a largement « fait le ménage ». La nomination de Patrick Collot à la tête de la réserve lilloise peut-être lue a priori comme la mise en avant d’un historique du club. On ne peut cependant s’empêcher de souligner que cela a aussi été synonyme de l’éviction de la fonction de Rachid Chihab, autre historique, certes plus anonyme. Si l’on est évidemment ravi que Pat Collot trouve sa place dans ce nouveau LOSC, on est aussi inquiets de l’avenir au club de ces personnalités moins médiatiquement exposées et qui ont pourtant joué un rôle essentiel dans le développement du club : voir Stéphane Dumont à Reims a aussi tendance à nous arracher une petite larme.
Quand l’inégalité dessert l’ « esprit club »
On l’avoue, on était au départ partis sur un a priori qui, une fois la vérification faite, s’est avéré infondé. On pensait ainsi qu’on allait découvrir que les joueurs restaient de moins en moins longtemps au club, ce qui aurait pu constituer un indice d’une dégradation généralisée de l’ « esprit club ». Il n’en est en réalité rien.
En fait, c’est sans doute avant tout parce que l’indicateur du nombre d’années passées au club n’est qu’un indicateur extrêmement imparfait de l’attachement au club. Prenons deux exemples. L’auteur de ces lignes, peu suspect de ne pas être attaché au LOSC, n’y a pourtant jamais joué. Inversement, Pascal Nouma, pourtant peu suspect d’être attaché au LOSC, y a joué quelques mois. En fait, cela illustre tout simplement que l’une des premières conditions pour rester durablement dans un club tient à la correspondance entre le standing du club et la cote du joueur.
Ceci étant, c’est justement pour cette raison que l’accentuation des inégalités de moyens entre les clubs limite la possibilité même qu’un joueur reste dans son club de cœur. En effet, tant que les clubs disposent de moyens relativement égalitaires, un joueur fortement attaché à son club pourra plus facilement résister aux propositions extérieures : il est en effet plus difficile de résister à une offre de triplement du salaire qu’à une autre qui ne propose « que » 50 % d’augmentation. Or, c’est justement ça qu’engendre une configuration plus inégalitaire. De plus, ce phénomène contemporain est accentué (et lié) au développement des agents dans le football, lesquels sont directement intéressés aux revenus de leurs clients, et donc à même de privilégier un transfert dans un club proposant un meilleur salaire plutôt qu’un maintien dans le « club de cœur ».
There is only one Djezon Boutoille
L’attachement au club n’est donc pas qu’un pur fantasme. On sait par exemple que si Djezon Boutoille est resté si longtemps au club, ça n’est pas par manque de propositions. Régional, formé au club, Djezon a tout connu au LOSC, du ventre mou du championnat à la Ligue des champions en passant par la relégation et la D2, ne quittant le club qu’à contrecœur. Et pourtant, même lui aurait pu connaître une trajectoire différente à l’époque contemporaine. Même si, même à l’époque contemporaine, il aurait eu davantage que bien d’autres des chances de rester longtemps.
L’ « esprit club », un truc de supporter mais pas que
L’attachement au club, au final, c’est sans doute davantage un truc de supporters que de joueurs. Un joueur restant longtemps au club voit presque mécaniquement sa cote augmenter auprès des supporters. Si Rio Mavuba et Franck Béria ont été récemment critiqués par les supporters, il ne fait guère de doutes que ça n’est pas cela qui restera dans les mémoires, si ce n’est sous la forme ambiguë d’un effet pervers de l’attachement au club : « trop Lillois », on dira peut-être qu’ils se sont entêtés à rester au club alors qu’ils n’avaient plus le niveau. Un péché bien maigre en somme (1).
Pour les joueurs, le fait de rester longtemps dans un même club tient, aujourd’hui davantage qu’hier, à un ensemble de contingences propres à leurs carrières. Ni Flo Balmont, ni Rio Mavuba, ni Franck Béria ne rêvaient de porter la tunique du LOSC étant petits (2). Mais c’est peut-être là qu’est l’essentiel de la différence entre le « foot à papa » et le foot contemporain en matière d’attachement au club : ces trois-là, comme aussi par exemple Pat Collot et Greg Wimbée n’ont jamais eu comme rêves d’enfance de porter le maillot du LOSC. Et pourtant, leur attachement au club est désormais indiscutable.
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Et non pas : « un pêcher bien maigre en Somme »
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D’ailleurs, jusqu’au 8 ans de Flo Balmont, le maillot du LOSC était floqué « Peaudouce », du nom du sponsor historique du club. On imagine mal Flo Balmont rêver de porter un maillot floqué Peaudouce. Mais peut-être nous trompons-nous.
Posté le 30 juin 2017 - par dbclosc
Grégory Wimbée : « Notre force, c’était le groupe »
Hasard du calendrier : jeudi 15 juin, le lendemain même du jour où l’on apprenait que l’affaire du « petit Grégory » était relancée, nous avions rendez-vous avec le « grand Greg » ; voilà probablement l’accroche la plus foireuse que nous ayons faite depuis le lancement de ce blog, mais ce n’est que la stricte vérité.
Voilà un petit moment que nous souhaitions rencontrer Grégory Wimbée en sa qualité de représentant parmi les plus éminents du renouveau sportif du LOSC à la fin des années 1990. Nous lui avions déjà consacré 2 articles sur ce blog : le premier, bien sûr, relatif au but qu’il a marqué avec Nancy contre Lens et Jean-Claude Nadon en 1996 ; et le second sur ce fameux match à Saint-Étienne en septembre 2000, que l’on considère généralement comme un tournant dans sa carrière.
L’entrevue que nous avons eue est donc une nouvelle opportunité pour revenir sur la « période Vahid », qu’il a dépassée en restant deux ans supplémentaires sous les ordres de Claude Puel. L’occasion de revenir sur ses débuts au LOSC, parfois difficiles – il nous en livre des clés d’explication – et, bien entendu, de s’attarder sur l’exceptionnelle période 1999-2002, durant laquelle il « devint invincible », ainsi que nous l’avions écrit, avec à l’appui des anecdotes comme on les aime et quelques informations sur la vie du groupe.
Mais nous avions également envie d’aborder l’ensemble de sa carrière professionnelle, de Nancy à Valenciennes, en passant par Charleville, Cannes, Metz et Grenoble. Pourquoi ? Ben d’abord parce qu’on fait ce qu’on veut, et surtout parce qu’il nous semblait particulièrement intéressant de tenter de restituer la trajectoire d’un gardien de but, poste que l’on considère souvent comme « à part », ne serait-ce que parce que les places sont plus rares et donc plus chères1. Et on se rend compte, à écouter Gregory Wimbée, à quel point la carrière d’un gardien de but, de façon sans doute plus aiguë qu’à tout autre poste, est soumise à divers aléas, et que le talent ne suffit pas.
Depuis son départ de Grenoble en 2009, Grégory est revenu dans la région lilloise. Après une dernière pige à Valenciennes, il a pris en charge la gestion d’un complexe sportif de foot en salle (le Five de Lesquin), a commenté les matches du LOSC pour GrandLilleTV en compagnie de Mickaël Foor, et était impliqué cette année dans la préformation, et une partie de la formation des jeunes du LOSC ainsi que de l’entraînement de l’équipe féminine, promue en D1. Autant d’activités qu’il va désormais réduire voire mettre en stand-by, car il étrenne une nouvelle fonction à partir du 1er juillet, à temps complet : entraîneur des gardiens de la CFA. Que les fans de l’équipe des Anciens Dogues se rassurent : on devrait toujours voir jouer son prolifique avant-centre, de nouveau double buteur lors du dernier match contre des salariés du club il y a quelques jours !
C’est donc à l’aube d’entamer ses nouvelles fonctions, et après avoir participé au stage de 10 jours avec Marcelo Bielsa, que Grégory Wimbée nous a accueillis au Five.
On va revenir sur le passé, on espère que tu as rassemblé tes souvenirs ! Une question toute bête : comment on devient gardien de but ?
Mon frère est 2 ans plus âgé que moi. Dès que l’école était terminée, on jouait au foot devant l’immeuble, à longueur de journée, et tous les jours quand c’était les vacances, que ce soit de la pluie, de la neige, -12°… on jouait. Lui frappait, et moi je plongeais. Dès qu’il y avait un but, je me mettais dedans. C’est le premier poste que j’ai connu. Quand j’étais Poussin, j’ai joué gardien dans une équipe 1, tout en ayant un autre poste en équipe 2 ; j’ai fait une saison comme ça où je faisais un peu les 2, mais j’ai toujours été gardien. Alors comment… ? Je ne peux même pas dire. Peut-être que ça m’a plu de plonger, ça m’a plu d’attraper le ballon avec les mains alors j’ai gardé ce poste-là.
Cette photo, c’est une sélection de Lorraine. Ce doit être la saison 1985-1986. On est à l’Abbaye des Prémontrés, à Pont-à-Mousson. Les demi-finales et finale se jouaient dans notre région en fait. En demi-finale, on joue sur je sais plus quel terrain contre l’ouest, la Bretagne. Victoire 3-0, peut-être 3-1, mais on domine largement. Et on joue la finale en lever de rideau du dernier match de la saison de Metz, à Saint-Symphorien, contre Paris-Île-de-France. On fait 0-0 et on perd aux tirs aux buts, 3-2 je crois. Sur cette photo, 4 sont devenus pros : à ma droite, c’est Éric Rabesandratana (Grégory est debout, 3e en partant de la droite. Si vous ne l’aviez pas remarqué, suivez ce lien)
Et tu rejoins donc Nancy.
J’ai fait les deux années au centre de formation de Nancy, donc entre 15 et 17 ans. J’y ai débuté lors de la saison 1986-1987. J’étais aussi en cadets nationaux à l’époque. En 88-89, je suis parti à Clairefontaine continuer ma formation, envoyé par Nancy car il n’y avait pas d’entraîneur des gardiens. L’INF était réputé, en tout cas à l’époque de Vichy, un peu moins quand c’était Clairefontaine. Beaucoup de gardiens, comme Mottet ou Olmeta, sortaient de l’INF. Je n’y suis resté qu’un an et demi, car le deuxième gardien de Nancy s’est fait les croisés, donc ils me rapatrient en janvier 1990. Je suis deuxième gardien, mais il n’y a pas de gardien sur le banc comme maintenant. Le deuxième gardien, il est juste à l’entraînement… Je joue avec l’équipe réserve qui était en D4 à l’époque. L’équipe première était en D2. L’équipe première monte, et nous aussi. Donc en 90-91, je suis toujours deuxième gardien, et je joue avec l’équipe réserve en 3e division.
Le jeune Grégory de retour de Clairefontaine.
« Le prêt à Charleville m’a permis de prendre de la bouteille »
Tu es prêté à Charleville en 1991, en D3.
Le club cherchait un gardien car il avait un gardien amateur, et donc je suis prêté là-bas. Je sais qu’on ne perd qu’un match et qu’on avait une top-équipe. Sur la saison, je ne prends que 10 buts. Je fais un quart de finale2. Je devais partir au tournoi Espoirs de Toulon (ci-contre avec le maillot de l’équipe de France). C’était en même temps que la demi-finale. La fédé m’autorise à jouer la demi-finale, et dès qu’elle est jouée, même si on gagne, je dois aller au tournoi de Toulon. Mais la veille de la demi-finale, je me blesse lors d’un entraînement. Je me pète le ménisque et je me fais opérer. Donc je loupe la demi-finale et le tournoi de Toulon. Alors je sais plus où c’était parce que j’ai fait les deux ménisques internes. Je crois que c’était la jambe gauche.
La saison 1992-1993 était particulière car c’est la dernière saison où il y a encore 2 groupes en D23. Donc il fallait faire mieux que 12e je crois. Et on termine 9e.
Lors de ta dernière saison à Charleville, en D2, tu es un des meilleurs gardiens : tu finis 2e au classement des étoiles de France Football du groupe !
Oui, mais j’avais pris des rouges. Quand tu prends un rouge, t’as zéro.
En fait c’est parce que tu prends un rouge en début de match. Donc il y a 2 matches où tu n’as pas de note. À l’époque, ça marchait par points qui étaient cumulés, il n’y avait pas encore de 0. C’est pour ça que les gardiens remportaient toujours l’étoile d’or France Football : c’est ceux qui jouaient le plus !
Ah oui c’est ça ! Donc je manque un match. Ce qui est fort, c’est que le match où je prends le rouge, c’est contre Valence. On fait 1-1. Et le mec qui rentre à ma place dans le but et en prend un, on lui met 5 étoiles ! C’était même pas un gardien !
« Nancy est venu me rechercher en hélicoptère… ! »
Pendant tes 3 saisons de prêt à Charleville, 3 gardiens jouent pour Nancy : Granger, Schneider et Roux.
Quand je suis prêté la première fois. Nancy avait Marcel Husson comme entraîneur. Il ne voulait pas de Matriciano, le gardien titulaire ; il fait donc venir Boumnijel. J’étais 2e gardien, et je me retrouve 3e gardien ! Aujourd’hui, quand on est 3e gardien, on s’entraîne encore avec les pros. Là, en 1991, tu redescends en centre de formation ! Donc je ne voyais pas l’intérêt de jouer avec des plus jeunes comme moi. À l’époque, les centres n’étaient pas sectorisés comme aujourd’hui avec les 19, les 17 : tout le monde était mélangé ! Des gars qui avaient 3 ou 4 ans de moins que moi… Donc j’ai choisi d’être prêté. En étant prêté à Charleville pour jouer en D3, donc avec des seniors. Ce prêt m’a permis de prendre de la bouteille. Husson démarre mal, je crois qu’il se fait virer très vite, et Olivier Rouyer prend l’équipe en main, mais Nancy ne se sauve pas. La deuxième année, en 91/92, Olivier Rouyer ne voulait pas de moi. La 3e année, je voulais revenir à Nancy. Et à un moment donné, y avait une coupe de la Ligue, coupe d’été… On jouait des matches en fin de saison, et en début de saison suivante, y avait la suite, avec des 1/8e, des 1/4…
Oui c’est l’ancienne formule de la coupe de la Ligue.
Voilà. Donc on joue à Strasbourg. Rouyer vient me voir me dit de nouveau qu’il ne compte pas sur moi. Donc je signe un contrat de 3 ans à Charleville. Et pendant ces 3 années là, j’avais un accord de non-sollicitation, c’est-à-dire que je ne pouvais pas partir ailleurs qu’à Nancy. J’étais à la fois international espoirs et amateur. J’ai été reclassé amateur, c’était assez spécial parce que j’étais stagiaire à Nancy : pour jouer amateur, je devais résilier mon contrat de stagiaire, j’étais libre. Si ça avait été quelques années plus tard, je partais à l’étranger. Des clubs me sollicitaient. J’ai eu le président de Nancy au téléphone, qui me demande pourquoi je ne rentre pas. Je lui dis que l’entraîneur ne veut pas de moi, c’est quand même un problème ! Il me rappelle lendemain et me dit : « l’entraîneur, ce n’est plus un problème ». Oui mais j’ai signé un contrat ! Maintenant, comment on fait ? On a réussi à s’arranger : ils sont venus en hélicoptère, ils ont embarqué mon père aussi – un truc de fou hein ! On a renégocié un contrat et je suis rentré sur Nancy, alors que j’avais signé un contrat à Charleville. Voilà comment je suis rentré à Nancy. J’y ai donc entamé ma première saison comme titulaire de l’équipe première en 1994/1995.
En 1994-1995 (photo ci-dessus), Nancy termine 7e de D2. Puis 3e la saison suivante, ce qui permet à l’ASNL de retrouver la D1. Grégory Wimbée n’encaisse que 23 buts en 1995-1996, record d’autant plus remarquable dans une D2 à 22 clubs et donc à 42 matches. Même le LOSC en 2000, lors de sa saison record, en a encaissés davantage !
Tu découvres la D1 lors de la saison 1996/1997… et tu joues pour la première fois contre Lille en championnat !
Je sais que je n’ai jamais gagné contre le LOSC… Je pense qu’on fait 2-2, on se fait égaliser sur la fin. Je crois que c’est Denis Abed qui marque à la fin. Ça passe entre mes jambes. On était un peu poissards. On ne gagnait pas de matches, et on se faisait égaliser à chaque fois, 92e… On a pris plein de buts comme ça cette année là.
En effet, le 5 octobre 1996, Lille égalise à Nancy à la dernière minute, grâce à Denis Abed, son seul but avec le LOSC. Du coup, Nancy devait encore attendre une semaine pour signer sa première victoire de la saison, à Bordeaux (1-0).
Et lors de cette même saison, il y a l’exploit : le premier but marqué par un gardien de but dans le championnat de France, hors pénalty. But qui, pour des Lillois, prend une saveur particulière…

Oui, avoir connu la joie du buteur, c’était top. On m’en reparle régulièrement. En fait je suis là (il nous montre le dessin de France Football), et c’est Wallemme qui la prend, ça revient sur Lécluse et ça me tombe dessus. Contrôle du genou, je suis sur mon pied d’appui, je me retourne et… voilà ! C’est un but d’attaquant ! Par la suite, je me suis rendu compte que ça pouvait m’aider un peu à m’intégrer à Lille ! Maintenant qu’on connaît mon attachement à Lille, l’avoir fait contre Lens… Je pense que c’était compliqué pour Jean-Claude Nadon. C’était quasiment son dernier match à Lens, car Warmuz revenait de blessure peu après. Je n’aurais pas voulu encaisser un but d’un gardien ! Je l’ai eu comme entraîneur des gardiens après, à Metz. Je suis le premier gardien-buteur, mais il y avait eu un gardien de Monaco, Hernandez, qui avait déjà marqué, en ayant fini le match comme attaquant, car il s’était blessé à un bras4 !
À l’issue de cette première saison en D1, Nancy est malheureusement relégué. On suppose que tu as des sollicitations ?
J’étais en fin de contrat. C’est une année où j’ai beaucoup discuté avec les dirigeants, bien avant le but, ils voulaient me prolonger. Un contrat sur la durée m’avait été proposé, de 4 ou 5 ans. Mais je voulais aussi connaître autre chose, je voulais me mettre en danger, car quand on reste dans son club formateur, on a fait le tour à un moment. J’avais des clubs : Le Havre, Bastia. Un contrat de 4 ans m’attendait à Bastia. Finalement, Eric Durand a signé, le temps a passé, et je me suis retrouvé libre, mais sans club ! Et puis Cannes cherchait un gardien, alors je signe à Cannes. J’ai failli partir à l’étranger, mais je ne me sentais pas prêt.
Alors, Cannes, ça arrive comment ?
Cannes était le dernier club de D1 qui cherchait un gardien… Adick Koot était entraîneur-joueur, et on s’est retrouvés l’année d’après à Lille. C’est particulier parce que sur la fin de saison précédente, je suis un peu blessé, j’ai un début de pubalgie. Et quand je vais signer à Cannes, je suis physiquement au plus mal. Je signe sans même passer de visite médicale ! De toute façon si je passe une visite médicale, je ne signe pas, je ne peux même pas marcher ! Je fais le début de saison sur une jambe, quoi. Je suis en retard dans la préparation, je fais un entraînement sur deux, parfois je reste 5-6 jours sans jouer, je suis sous anti-inflammatoires. Le premier match de championnat, je suis à la rue. Et je me blesse autrement : ce truc là (il montre sa jambe), je me fais opérer et ça me permet de récupérer un peu de la pubalgie, et encore… Quand j’entame la rééducation, j’ai encore un peu mal, mais je ne veux pas me faire opérer de la pubalgie. Je reprends, ça va un peu mieux, je fais un match amical et je me fais tacler au niveau du genou : fissure de la rotule. J’ai eu 6 mois de blessure. D’octobre à février, en gros. J’ai repris en février.
« Été 1998 : je n’ai pas de club. Je fais des séances de malade, seul »
Au-delà de tes blessures, on a lu un article dans lequel tu disais que tu ne gardais pas un très bon souvenir de la ville de Cannes, et du mode de vie là-bas.
Ah oui, oui, oui, horrible. Bon déjà, c’était pas très exigeant au niveau des entraînements, parce que tu ne t’entraînais qu’une fois par jour. En fait c’est pas un club où tu peux jouer au foot. T’as la plage, t’as le soleil, t’as les belles voitures… C’est une année où j’étais blessé, j’étais au plus mal dans mon couple, enfin c’était compliqué quoi. J’ai signé un an là-bas. Pour moi, c’était un tremplin. En toute humilité, mon ambition était d’aller plus haut. Mais avec les blessures, l’année que je vis est compliquée même si, moralement, elle m’a endurci. Quand je finis l’année à Cannes, je n’ai pas encore divorcé, je ne suis pas encore séparé mais… c’est très chaud. Vraiment chaud. Et je n’ai plus de club. C’est pas le moment que tout parte en vrille en fait.
Du coup, quelle est ta situation durant l’été 1998 ?
On avait fini le championnat très tôt en mai. Donc mai, juin, et juillet, pendant 2 mois et demi, je m’entraîne tout seul, avec un pote qui court le 1 500. Je fais 2 séances par jour, en muscu, abdos, tout ça le matin, et le soir je vais courir ou je fais des séances physiques avec lui. Sauf que le gars fait 3’40 au 1 500, c’est déjà un top niveau ! Ce qui fait que je choppe une caisse au niveau de la VMA, je progresse… Mais je n’ai pas de club. Juste une anecdote : les jours où j’ai bossé tout seul, au niveau athlétique et en muscu, y avait la Coupe du monde en France. J’ai dit à mon pote avec qui je courrais : « putain, la prochaine, je vais y être ». Bon, je n’y suis pas allé, mais je n’en étais pas si loin finalement. C’était mon objectif. Tous les jours, je faisais des séances de malade. Y a une séance où j’ai vomi. Je faisais des trucs qui, à la limite pour un gardien, ne servent à rien. C’était juste pour travailler le mental. Je me suis mis ça en tête.
Début juillet, Porato doit partir à Marseille, et Jean-Marie Aubry, normalement, doit signer à Monaco. Et donc Lille cherche un gardien ; j’apprends que le club suit 3 gardiens.
Il me semble qu’on a longtemps été sur Valencony.
C’est possible, mais c’est plutôt Boumnijel qui tenait la corde. Jean-Pierre Mottet le connaissait de Gueugnon. Tout le mois de juillet, c’est comme ça : je m’entraîne, mais je ne m’entraîne pas dans les buts. Je ne touche pas le ballon, ce n’est que de l’entraînement physique. Mon agent m’informe que pour Lille, c’est mort, mais qu’en Ligue 2, Valence et le Red Star s’intéressent à moi. Mais je n’y vais pas. J’avais 28 ans, ça me paraissait compliqué après d’aller voir plus haut. Puis un jour, il m’appelle à 13h : j’étais à Peymeinade, à côté de Grasse. Il me dit : « demain tu dois être à Lille pour y signer ». Donc j’ai pris la voiture, j’ai fait 1200 bornes dans la journée. Et le lendemain à 9h, 10h, j’étais dans le bureau de Pierre Dréossi. La première journée de championnat avait lieu 4 jours après !
« Vahid Halilhodzic a rééquilibré l’équipe »
Quand tu rencontres les dirigeants de Lille, on te présente quoi comme projet à l’époque ? La remontée immédiate on imagine ?
Le club reste meurtri de la saison d’avant, puisqu’à 3 journées de la fin, il est quasiment sûr de monter, puis on connaît la fin… Mais c’est un club qui a une histoire, et qui a une histoire en Ligue 1 ! Donc l’objectif clair est de remonter. Je n’ai pas fait la préparation, je ne connais pas le groupe. Je sais que le staff est fragilisé sur la saison d’avant. Personnellement, je suis hyper content d’avoir retrouvé un club. Mais j’ai aussi mon histoire personnelle, où dans ma vie privée, c’est compliqué. Et donc quand j’arrive à Lille, je joue mon premier match, et ce premier match se passe très mal. On prend ce deuxième but… le ballon rebondit sur mon épaule et je marque contre mon camp. Bon, moi je sais que c’est un mauvais rebond, après voilà, c’est tout, ça ne m’a pas meurtri. Y a juste un supporter qui est entré sur le terrain, mais il s’est fait attraper. Tu remarqueras que je n’ai plus jamais joué avec un maillot à manches coupées. C’était la seule fois. Bon en tout cas, c’est pas top.
Grégory lors de son premier match à Lille, contre Guingamp. Au premier poteau, David Coulibaly. Le début de saison est en effet très compliqué pour tout le monde. Thierry Froger est remercié au bout de 6 journées, après une nouvelle défaite à Beauvais (0-1).
Septembre 1998, c’est l’arrivée de Vahid Halilhodzic. Qu’est-ce qui s’est passé dans le groupe ? Est-ce que Thierry Froger était un problème… ?
Alors ça, c’est une question à laquelle je ne peux pas répondre. Moi je suis arrivé début août, je n’ai pas fait la préparation, je ne sais pas comment ça s’est passé, je fais 4 matches… Je n’ai pas eu le temps de le connaître, pas eu le temps de voir si y avait des soucis. Il devait forcément y avoir des choses qui ne fonctionnaient pas, car il n’y avait pas les résultats escomptés, ça c’est clair. Je pense qu’il y avait un traumatisme qui datait déjà de l’année d’avant.
Et le président Lecomte a fait une belle rencontre avec Vahid Halilhodzic. Je pense qu’il a été impressionné par ce que l’homme dégageait. Dès le match perdu à Beauvais, il y a ce remplacement. Je dirais qu’on avait un effectif mal ficelé. Si tu regardes bien comment est l’effectif, tu te rends compte qu’il y a beaucoup de défenseurs centraux par exemple, et que t’as moins de milieux. Rééquilibrer l’équipe, c’est la première chose que Vahid a faite la saison d’après, mais déjà dès l’hiver.
Il y a une bonne période dès l’automne. Et là arrive un événement assez rare : tu détournes deux fois le même pénalty.
Oui, contre Gueugnon ! Il y avait eu un changement de tireur. Le premier est sur ma droite, le second sur ma gauche. Après ce n’est qu’un pénalty. Ce n’est tout de même pas ce que je retiendrai de plus fort ! Mais ça reste un événement, c’est vrai.
Dans ce résumé de France 3, on ne voit que le 2e pénalty détourné. L’événement en direct sur Fréquence Nord :
Durant cette première saison, il y a un moment plus difficile pour toi : tu n’es plus titulaire à la fin de l’année civile, en novembre-décembre, c’est Bruno Clément qui prend ta place, après un match contre Ajaccio à domicile, qui globalement est raté par tout le monde. On mène 1-0 puis on perd 1-3. Et donc tu ne joues plus à partir de ce moment-là pendant 7 matches.
Même si je ne pense pas avoir fait une mauvaise année, les premiers mois sont durs. Mentalement c’est très compliqué pour moi. Parfois, je vais à l’entraînement et j’ai ma vie privée en tête. À un moment donné, avec Halilhodzic, on se retrouve dans son bureau pour discuter. Et il ne me fait plus jouer. C’est une décision qui a été prise logiquement. Ça m’a permis de me refaire la cerise. C’était compliqué pour moi, entre le fait de ne pas avoir eu de préparation et les soucis personnels… Ça me permet de travailler avec Jean-Pierre Mottet et de me remettre à niveau. Je fais quelques matches avec l’équipe réserve, je crois qu’on a fait un déplacement à Forbach, en bus… Jusqu’au jour où je me sépare pour de vrai. Et là c’est le soulagement ! Tout va mieux pour moi. Même si, pendant 2 ans, ça a été compliqué avec certains supporters, au moins je me sentais soulagé et libéré. On le voit après, même dans mon rayonnement et mes performances.
Et tu es de retour en janvier 1999, pour un match contre Beauvais…
Ça peut être l’histoire de ma carrière : il y a des moments où tu as un coup de pouce du destin. Quand on fait le stage de préparation hivernale, on va à Antibes : c’est la seule fois où Vahid a pris en main la prépa physique, quasiment de A à Z. Je dirais pas qu’il a fait n’importe quoi, mais on a commencé à 23, et on a fini, on était à peine 11 pour faire le dernier match amical (il rit) ! Y a pas mal de muscles qui ont pété, y compris chez Bruno Clément, qui se fait une grosse grosse déchirure. On avait fait des séances très intenses. Je ne suis pas sûr de la cohérence en fait. Avec la fatigue, à un moment il fallait faire autre chose. Je ne suis pas spécialiste, mais pour le coup il y a eu 12-13 blessés. Dont des blessures très importantes, pas des blessures de mecs qui glandent, qui n’en ont rien à foutre ou qui ne veulent pas s’entraîner ! Des déchirures, des trucs musculaires importants. Et donc Bruno Clément se blesse, et je rejoue.
Maintenant que tu dis ça… Je me rappelle le premier match en 1999, on joue contre Beauvais à domicile, et c’est un match où ont joué des jeunes, genre Noro, Giublesi, Cheyrou…
Ah ben oui, y avait une dizaine de blessés ! Si bien que j’aurais pu partir à Lyon, et ça ne s’est pas fait. Quand Luc Borelli s’est tué dans un accident de voiture, Lyon a cherché un gardien. J’ai eu Aulas au téléphone plusieurs fois, et je devais signer les deux ou trois mois qu’il restait de la saison, plus 2 ans. Et Lille refuse de me lâcher. C’était ça le paradoxe. Vahid me dit : « tu ne pars pas ».
Bien sûr, le climat lillois est différent de celui de Cannes. Mais de là à se blesser la tête à la moindre averse…
« A posteriori, la 4e place de 1999 est presque un mal pour un bien »
Alors on ne monte pas à la différence de buts, mais on est contents car la deuxième partie de saison a été très bonne, il y a des progrès dans le jeu, et on sent que cette équipe a des ressources.
On est déçus de ne pas y être arrivés. Il y a ce match contre Amiens. Je crois que c’est Adick qui me fait une passe en retrait, une passe pas terrible… Et le gars (Emmanuel Desgeorges) contre et va marquer. On m’a beaucoup reproché ce but-là. Le ballon arrivait face à moi. Ou alors il aurait fallu que je le prenne avec la main. Mais pour prendre un 12e carton rouge…
Ah ouais je suis loin quand même ! Je suis un peu loin au départ. Donc on ne monte pas, mais à la limite c’est presque un mal pour un bien : on peut dire ça a posteriori. Parce que je pense qu’on n’aurait pas été aussi prêts que l’année suivante.
On arrive à la saison 1999/2000. Là, on frôle la perfection, avec un effectif que Vahid a choisi, pour le coup.
Déjà, on restait sur une année, ou en tout cas 6 mois, où on finit bien. Abdelilah Fahmi, Fernando D’Amico, Johnny Ecker, Dagui Bakari devant, Ted Agasson et Didier Santini : toutes les arrivées ont été importantes. Des fois tu fais venir des joueurs, et t’en as toujours 3 sur 6 qui ne jouent pas, qui ne s’imposent pas. Et là, ils se sont tous imposé et ont apporté une plus-value à l’équipe. On débute le stage de préparation, on a tous la bave, et on a des réunions sur les objectifs qu’on se fixe : il y a des réunions où il y a tout le monde, des réunions où il y a que les anciens. Un jour, on est avec Djezon, il devait y avoir Pat’Collot, j’étais dedans, on était 5 ou 6. Vahid nous demande : « quel est votre objectif ? ». Et on a répondu sans se concerter : « on veut être premiers, on veut être champions » ; « Et vous allez faire quoi pour être champions ? » ; On dit qu’on va faire ça, ça, ça, ça. On a fait un stage de préparation de dingues. On a fait des séances athlétiques… Et tu vois déjà là qu’il va se passer quelque chose. J’ai toujours pensé que la préparation était un des moments les plus importants d’une saison. Car, tout de suite, tu vois celui qui va tricher, tu vois celui sur lequel tu vas pouvoir compter, tu vois celui qui va toujours tout donner, ça se voit dans les séances athlétiques, ou quand il faut faire un effort mental. Et là tu vois que personne ne triche. Mais pas 12 joueurs, tout le monde, tout l’effectif est concerné ! Là tu sais que ça va être une grosse saison. Et le début de saison parle de lui même : sur les 10 premiers matches, 9 victoires, un nul !
Juillet 1999, match amical à Roubaix contre Anderlecht.
Et sur un plan personnel, tu es bien mieux aussi.
Depuis quelques mois, je suis divorcé. C’était un poids pour moi. Même sur cette année là où on termine meilleure défense, je sais qu’en raison de certaines relations avec le public, je n’ai pas droit à l’erreur. Mais je sais aussi que mon ratio points gagnés/points perdus est positif. J’ai fait gagner des points à l’équipe. Mais on a tellement dominé qu’on a l’impression que tu mettais n’importe quel gardien et ça passait. C’est peut-être vrai, mais je ne le pense pas !
Finalement, le seul bémol de cette année-là, ce sont tes 2 expulsions, coup sur coup quasiment.
Contre Sochaux, c’est normal. L’arbitre était Alain Sars, un nancéien, que je connais très bien. Il ne m’avait jamais arbitré jusque là, normal, puisque j’ai joué pour Nancy longtemps, donc il ne pouvait pas. Et j’avais même essayé de simuler en disant que j’avais pris le ballon dans la tête, je me souviens (rires) ! Bon, et je lui ai dit « excuse-moi, c’est normal ». Mais le deuxième rouge contre Guingamp, en revanche, n’est pas mérité du tout. Fiorèse veut me dribbler, je lui prends le ballon, et je ne le touche pas en dehors de la surface. Je suis dans la surface, un peu emporté par mon élan. À la limite, tu peux siffler faute, mais pas mettre rouge. Fiorèse était déjà parti. De toute façon, l’arbitre le voit tout de suite parce que derrière il expulse le joueur qui se bagarre un peu avec D’Amico, alors qu’il n’y a rien !
On a vu Fernando en janvier qui nous a raconté l’épisode, ça nous a bien fait rigoler ! Tu as donné des consignes quand Christophe Landrin t’a remplacé ?
Non. Jean-Pierre Mottet était derrière le but et essayait de lui dire quoi faire. Je sais pas si t’as les images, mais il avait fait la dernière demi-heure derrière le but.
Landrin gagne d’ailleurs un 1 contre 1 (3’55 dans le résumé). Ça doit être perturbant finalement pour un attaquant d’avoir un joueur comme ça dans le but.
Sans doute, sans doute.
C’est un bel arrêt de gardien ça ?
Un peu chanceux… Un vrai gardien serait sorti davantage.
Deux gardiens de but du LOSC 1999/2000. Manque Eric Allibert.
« En 2000, je me suis préparé pour jouer »
Le LOSC retrouve la D1 à l’issue de cette superbe saison. Et à l’intersaison, le club recrute un gardien pour être numéro 1, a priori. Et tu deviens donc numéro 2. Comment tu apprends la nouvelle, et comment tu la prends ?
C’était très clair. J’étais en fin de contrat. Vahid me reçoit avant de partir en vacances. Il m’explique que le club va prendre un gardien. Je crois qu’à l’époque, ça discutait avec Sébastien Hamel, qui était au Havre. Je lui ai dit : « il n’y a pas de problème. Mais je jouerai ». Je prolonge alors mon contrat de 2 ans.
La préparation est correcte, les matches amicaux ça va… Toutefois, j’appréhende car je pars comme numéro 2, alors que j’ai toujours joué numéro 1 dans mes club précédents. Mais lors du premier match contre Monaco, sur le banc, dans la préparation du match, je vois que sans jouer, je peux quand même apporter quelque chose. Donc même si je sais qu’à partir du moment où je ne joue pas la première journée, ce sera très compliqué de retrouver la cage, j’aurai un rôle à jouer. Mais je me suis préparé pour jouer, ce qui fait que quand Richert se blesse deux jours après la 1e journée, je suis prêt. Et donc on gagne 4-0 à Strasbourg ; on gagne contre Rennes le match d’après. Et je me fais expulser ensuite à Sedan ! Et alors là pour le coup, il n’y a rien ! Même à la commission de discipline, on m’a dit qu’il n’y avait rien, mais je suis quand même suspendu. Et en plus on prend le but sur le coup-franc derrière. Plus tard, on joue contre Troyes. Et là, on prend un but de ma faute. Le deuxième. Je suis en train de reculer quand Goussé frappe, alors que c’est une frappe anodine. Mais je suis sur des appuis arrières, et on perd 2-1. Et après, c’est le match de Saint-Etienne.
On avait mis l’accent là-dessus dans l’article qu’on a écrit sur toi : ce match qui est un tournant dans ta carrière, suite à un article de la Voix du Nord très dur pour toi, qui mettait en cause tes prestations, ta légitimité. Il se passe quoi dans ta tête quand tu lis ça le dimanche matin ?
J’ai commencé à lire l’article, et je ne suis pas allé au bout. J’ai discuté avec Jean-Pierre Mottet. Je lui ai demandé qu’on me laisse tranquille toute la journée. Franchement, je crois que je n’ai parlé à personne de la journée, sauf avec Jean-Pierre Mottet. Lui savait pourquoi j’ai réagi comme ça, et je lui ai dit : « écoute, laisse tomber, je ne vais plus rien dire, laisse-moi me préparer ». J’étais assez remonté. Lors de la causerie, je me rappelle que Vahid n’a pas compris mon attitude. Il m’a dit que j’étais faible, quelque chose comme ça… Mais je n’ai rien dit.
Je n’ai jamais fait l’unanimité au cours de ma carrière, et j’ai toujours su quand j’étais bon ou pas bon. Ce n’est pas un problème d’être critiqué, et j’ai parfois trouvé que c’était juste. Mais là je trouvais l’article orienté et vraiment injuste. On fait parler des supporters qui me trouvent mauvais… Oui, et moi je peux te trouver 3 amis qui vont dire que je suis le meilleur gardien du monde, et ça n’a pas plus de valeur ! J’aurais aimé, au moins, qu’on me donne la parole. Derrière ça, le match passe sur Canal, on fait 1-1, un super résultat. Et là les gens ont retourné leur truc. Derrière, il y a le derby, et on gagne le derby.
Et tu es encore décisif dans le derby car à 0-1, tu gagnes un duel contre Sibierski, et à 0-2, l’histoire aurait sans doute été différente.
Exactement. Et puis c’est un duel où il part de 50 mètres, donc on a tous eu le temps de le voir arriver. Et donc ça démarre là un peu. C’est un vrai tournant. Les gens ont compris, enfin certaines personnes ne changent jamais d’avis, mais certaines personnes qui sont juste à écouter ce qui se dit ont vu : « ah oui quand même… il a fait un bon match, c’est peut-être un bon gardien ».
À ce moment-là, tu penses que c’est juste un changement dans la vision qu’ont les supporters ?
J’en sais rien en fait. Je le dis maintenant parce que ça fait plus de 15 ans… Ne pas prendre de but, que l’équipe obtienne des résultats… ça donne de la confiance. Je jouais pour moi, pour mes coéquipiers. Si les gens sont contents, c’est bien, s’ils sont pas contents, qu’est-ce que tu veux que je fasse ?
« Je ne suis pas sûr qu’on ait pensé un jour être champions, mais… »
En début de saison, tout le monde disait que le LOSC jouait le maintien. Est-ce que dans le groupe vous disiez autre chose ?
Ah non, on était totalement sur le maintien. Même si on avait fait une top saison en D2, on savait le fossé qu’il y avait avec la D1. Même si le club avait recruté intelligemment ! Il n’y avait pas beaucoup de moyens. On n’avait pas de gros salaires, mais il y avait un moyen de motiver les joueurs : il y avait de belles primes de classement pour les joueurs. On a fini 3e, donc ça a coûté cher (rires) !
On a ici une coupure de presse, après un match à Lyon, où tu arrêtes un pénalty d’ailleurs. Tu es en Une de la Voix des sports également. C’est un peu après Saint-Etienne, il y a un article sur toi, très élogieux. Et on voit qu’il est vraiment devenu commun de dire que tu es désormais décisif.
Ah, y a Marco Cuvelier sur la photo ! J’avais une blessure au coude avant ce match-là. Une sorte d’entorse. Sur un arrêt, mon bras était parti et j’avais un problème de ligament. Dès que je recevais un ballon ici, j’avais une putain de décharge. Dès que j’allais chercher un ballon loin, ça faisait très mal. Je devais me faire infiltrer avant le match, et le doc n’est pas là. Il est dans les salons du stade, je crois que c’était le Beaujolais nouveau… Et avec Marco Cuvelier, dans le vestiaire, je devenais fou : « c’est pas possible, on avait prévu, merde, fait chier ! ». Il me dit : « ne bouge pas, je vais te faire un strap ». Il me fait un strap, et mon bras ne bouge plus. Je vais à l’échauffement : il avait tellement serré le strap que ma main était bleue ! Donc j’enlève mon maillot et je retire le strap, au cours de l’échauffement. Et tout le monde, dans le stade, voit que j’ai un problème au bras gauche. Et avant le pénalty, je regarde Anderson, et je fais genre (il grimace pour montrer qu’il a mal au bras gauche). Et il tire sur ma gauche, je plonge à gauche, et je l’arrête !
La maladie de Christophe Pignol, ça a eu quelles conséquences sur le groupe ?
On était au Maroc quand on a appris pour sa leucémie. C’était un moment douloureux. Je me souviens de la première visite à l’hôpital… C’était compliqué. Il a démontré des qualités mentales. Il s’accrochait à la vie. Du côté du groupe, on s’est davantage ressoudés, resserrés derrière cet événement-là. C’était un moment triste, mais on voulait tellement faire pour lui, lui montrer qu’on pouvait lui donner quelque chose, car c’était lui qui se battait contre la maladie. Il y a eu des images à la fin du match contre Parme, on a brandi son maillot… Il y a toujours eu des moments comme ça pour lui rappeler qu’on était avec lui dans son combat, qu’il a gagné.
Est-ce que tu crois que le titre de champion était possible cette année-là ?
Au fur et à mesure que le championnat avance, on se dit qu’on peut faire quelque chose. Je ne suis pas sûr qu’on ait pensé un jour être champions, mais je pense qu’on aurait pu être champions. Je sais qu’à un moment, on est premiers, et on est surpris d’être premiers. On est au taquet, et on a un max de réussite, quand même ! Quand on joue contre Nantes, en février, on est encore devant. On fait 1-1 mais il y a cette action de Sterjovski, le poteau à la dernière minute… S’il marque, on a 4 points d’avance sur eux. Et peut-être autre chose après. Contre Bordeaux, on mène 2-1, puis on fait une erreur sur l’égalisation. Après, on a fait beaucoup de nuls : contre Bordeaux, à Auxerre, au Parc… On n’était pas loin, mais on a quand même quelques points de retard. Nantes en fait gagne tout jusqu’à la fin. Mais si on les avait battus, est-ce que les Nantais auraient fait la même fin de saison..? On n’a pas fait une saison parfaite non plus. En tout cas, sur le coup, je n’y ai jamais pensé. Déjà, finir 3e, je trouvais ça incroyable ! C’était la folie quoi ! Seul Monaco avait fait mieux en étant champion juste après être monté (en 1978), mais c’était un autre temps, avec d’autres moyens, ils avaient des moyens énormes quand ils sont remontés. Je vois qu’on a fini 3e, qu’on s’est qualifiés pour le tour préliminaire, et je n’ai pas de regret par rapport à la 3e place.
« Vahid Halilhodzic nous a menés plus haut
que ce qu’on pouvait imaginer »
On voudrait te montrer une vidéo : ta réaction après la qualification contre Parme. Ce qui a toujours été appréciable avec toi, et parfois étonnant, c’est ton calme, ta modération. Là, on vient d’éliminer Parme, tu es super calme, tu t’en veux presque d’avoir pris un but sur lequel tu ne peux pas grand chose (à 20’15 sur la vidéo ci-dessous).
Oui, c’est des trucs qu’on partage un peu entre nous… Il y a une réaction pour le public, et des choses qu’on partage avec les coéquipiers. Après, je n’ai jamais été très expansif, que ce soit dans un sens ou dans l’autre. Si tu reprends ma réaction après le match contre Saint-Etienne, là j’étais remonté ! Mais pour revenir sur ce match, c’est le match où j’ai eu le plus de pression de toute ma carrière. La tension était énorme. Je ne sais pas combien de matches j’ai joués avec Vahid… Je pense que c’est un des meilleurs coaches dans l’approche des matches. Il avait toujours le bon angle dans ses causeries, même si ses causeries étaient trop longues, vraiment trop longues… Sur ses approches, il était toujours très bien. Mais ce match-là, il l’a loupé. Nous, déjà, on avait la pression. Le matin du match, on a vu des vidéos : un montage sur ce qui avait été, et un montage sur ce qui n’avait pas été. Sur ce qui a été, ça a duré 3 minutes, sur ce qui n’a pas été, ça a duré 20 minutes. Et sur les 3 minutes qui allaient, il trouvait à redire et finalement ce n’était pas bien ! Donc on se rend compte après cette causerie-là – parce qu’il en a fait plein des causeries avant le retour – qu’on a eu un gros coup de cul. Et comment on va faire maintenant..? C’est la seule fois à Lille, avec tous les joueurs, lors de la collation du midi, où il n’y a pas un mot à table. Mais pas un mot. On est tous blancs. Tu regardes la 1e mi-temps : même une passe de 10 mètres, je n’arrive pas à la faire. Je n’ai jamais eu davantage peur de toute ma carrière. Et je me suis promis de ne plus jamais avoir peur. À la mi-temps, il s’est passé des trucs dans le vestiaire. En deuxième mi-temps, on est revenus avec d’autres intentions. Bon, on n’a rien fait de miraculeux, mais on a juste pas pris de 2e but. C’est là où Biétry fait un commentaire sur un ballon aérien que je vais chercher. Il dit : « ah c’est bien, ça va le mettre dedans ». Parce qu’à la 75e, je ne suis pas encore dans le match. Et ce ballon-là a fait du bien, et derrière tous les ballons venaient vers moi : je n’avais pas besoin de plonger. Je les attirais tous.
Plus globalement, quel souvenir t’a laissé Vahid Halilhodzic ?
Au-delà de ses capacités pour faire jouer une équipe, pour avoir un projet de jeu, il était très impressionnant sur l’aspect mental. Sa force, c’est qu’il a réussi à nous mener plus haut que ce qu’on pouvait imaginer. Si, quand il arrive en septembre 1998, tu dis à Pascal Cygan par exemple : « tu vas jouer à Arsenal, tu vas pas être loin d’être international », peut-être qu’il aurait dit « ben ouais, t’es gentil… ». Si tu dis à Bruno Cheyrou : « tu vas être vendu 50 MF à Liverpool », peut-être qu’il va rigoler aussi à ce moment-là. S’il nous dit qu’on jouera la Ligue des champions dans peu de temps, on va rire ! Sa force est d’être parvenu à nous faire croire en nous, à faire en sorte qu’on donne plus que ce qu’on croyait pouvoir donner.
La saison 2001-2002 commence donc très bien.
C’est la confirmation, parce qu’on n’a pas un gros effectif, et on joue quand même beaucoup de matches. Mine de rien, j’ai l’impression de jouer tout le temps. On était tout le temps en train de préparer un match. Avec la Ligue des champions, c’était un rythme incroyable. On préparait notre premier match le 11 septembre, et finalement on ne joue pas le 12 en raison des attentats : ça a serré le calendrier. Mais la force de Vahid, c’est qu’il avait tout anticipé : il savait quelle équipe il allait aligner 3 matches plus tard. De temps en temps, un blessé pouvait contrarier ses plans, mais quand tu vois ce qu’on fait à Troyes par exemple, t’as vu l’équipe qu’on avait ?
Le 15 septembre 2001, le LOSC se rend à Troyes avec une équipe-bis dans le but de préserver ses cadres avant d’entamer sa première campagne de Ligue des Champions à Manchester 3 jours plus tard. Sont laissés au repos : Cygan, Pichot, D’Amico, Br. Cheyrou, Boutoille et Bakari. Be. Cheyrou, Delpierre, Rafael (2e match en D1), Michalowski (1er match en D1), Murati, sont titulaires. Au terme d’un invraisemblable concours de circonstances (4 poteaux et un pénalty arrêté par Greg), les Lillois s’imposent 1-0. On en a même fait un article. Et pour le son de l’arrêt sur pénalty avec Fréquence Nord, c’est ici :
Même si le LOSC a eu un maximum de réussite à Troyes, qu’est-ce qu’une telle victoire dit du fonctionnement du groupe ?
C’est toujours compliqué quand t’as un effectif de 20-22 : il y en a toujours 4 ou 5 qui ne vont jamais jouer. Mais t’as besoin d’eux, t’as besoin qu’ils soient à 100% aux entraînements. Tu auras besoin d’eux, peut-être une fois dans l’année, mais il faut qu’ils soient présents. Pour la vie de groupe, j’ai toujours pensé que c’était mieux. C’est pas toujours facile à faire intégrer à tout le monde, surtout maintenant. Mais on avait une force : on concernait tout le groupe. Sur les primes, sur tout. Le mec, même s’il ne jouait qu’un match, tu savais qu’il allait le jouer à fond. Ça c’était une force du groupe, et aussi des dirigeants qui avaient approuvé cette demande des cadres quand on a négocié les primes. C’était une vraie force, qu’on avait déjà fondée depuis le stage en Bretagne, à Saint-Cast, l’année où on monte, et aussi l’année d’après, on y était retournés. Ce sont des moments où tu forges quelque chose. Dès qu’un joueur arrivait dans le groupe, il était obligé de s’intégrer tout de suite. C’était des règles tout à fait simples, mais elles étaient justes. Alors il pouvait y avoir de très gros salaires, de moins gros salaires, mais arrivés sur le terrain, tout le monde était logé à la même enseigne. Et le coach, Vahid, a réussi à maintenir ça, durant les 4 ans quasiment qu’il est resté.
En 2002, tu restes, alors qu’une bonne partie de l’ossature de l’équipe s’en va. Quels souvenirs tu gardes de ces 2 années avec Claude Puel ?
C’est plus compliqué parce que tu perds tes meilleurs joueurs. Le recrutement n’est pas top… En fait je suis déçu de ne pas avoir connu Claude Puel après. Il a été mis en difficulté car on avait des résultats moyens, mais tu sentais qu’il était en train de faire grandir le club. C’est un aboyeur, c’est quelqu’un qui vit ses matches, mais il y a eu des moments difficiles, des moments de doute même je pense, au niveau des dirigeants. Il y a des trucs que je ne dévoilerai pas, mais en tant que capitaine, on a eu des discussions, et à un moment donné c’était compliqué pour lui. J’ai toujours pensé que c’était un top manager. Même si après je suis parti car il ne voulait plus de moi. Mais même ça, je ne l’ai pas trouvé injuste, car durant ces deux années, j’étais peut-être un peu moins performant. L’équipe qu’on avait n’était pas la même, et c’était un peu plus compliqué.
« Lille, c’est ma famille. Mais je voulais jouer au foot »
Du coup en 2004 tu étais en fin de contrat ?
Non, il me restait un an. Je pouvais prolonger de 2 ans, en baissant mon salaire, et en ne jouant plus. Sylva arrivait, y avait Greg Malicki… Et moi j’avais des clubs. Je suis parti à ce moment là, parce que j’avais envie de jouer. Ça m’a mis en difficulté de quitter Lille, parce que je m’y sentais bien, c’était ma famille. Mais je voulais jouer au foot. Je ne voulais pas qu’on me prive de ça. J’aurais pu aussi rester et essayer de gagner ma place, mais ça aurait été dur. Et j’ai encore joué quelques années après.
D’abord à Metz, puis à Grenoble.
J’ai connu 2 groupes compliqués dans ma carrière : celui-là, et celui de Cannes. J’ai même failli arrêter… Ça m’avait dégoûté, car je ne voyais pas le foot comme ça. En tout cas le foot pro. À Metz, la 2e année, c’était dur. Et je rebondis à Grenoble avec Michel Rablat, qui a travaillé pour Lille. La première année, on doit finir 5e en D2, ce qui est le meilleur classement du club à l’époque. Et la 2e année, on a 12 points de retard sur Troyes à 10 journées de la fin, mais on arrive à monter, avec 6 points d’avance sur le 4e. On intègre le nouveau stade, on ne prend pas un but sur les dernières journées : ça fait partie des remontada !
Tu retrouves la Ligue 1 à Grenoble avec un groupe qui est très expérimenté.
Ah oui, oui. La montée déjà, y en avait quelques-uns : Walid Regragui, Maxence Flachez, Nassim Akrour… Puis, quand on monte, Laurent Battles, Daniel Moreira, David Jemmali, Ronan Le Crom, et moi. Donc des joueurs à 32, 33, 34… Moi j’avais 37 je crois.
Et vous faites une super saison pour un promu.
Oui, on a même été en tête. À la fin c’était plus compliqué, mais on a été dans les 10 premiers assez longtemps. On n’a pas souffert pour le maintien, on l’a acquis très vite. On a fait quelques exploits en gagnant au Parc, à Saint-Etienne. Même à domicile, on a fait de gros matches. On a fait des matches dégueulasses aussi ! Au Parc, on gagne avec un but d’Akrour de 25 mètres ! Landreau se fait lober, comme ça lui est arrivé quelques fois !
Justement, sache que tu as recueilli le plus de voix parmi nos lecteurs lorsqu’on a lancé il y a quelques mois l’élection du « onze de coeur ». Mais comment on parvient à comparer des performances de gardien de but ? C’est quoi un bon gardien ?
Je sais qu’il y a eu une époque, les gardiens comme Revault, quand il était au Havre, tout le monde disait qu’il était trop fort, il touchait des dizaines de ballons par match… Y a des gardiens qui font beaucoup d’arrêts. Mais des fois dans des équipes un peu faibles en fait. Un gardien peut faire de beaux arrêts mais prendre plein de buts aussi. J’ai toujours préféré jouer dans des équipes où moins j’en avais à faire, mieux c’était. Ça veut dire que l’équipe était attentive et concentrée.
Du coup, comment on peut déterminer la qualité d’un gardien ? C’est celui qui prend le moins de buts ? C’est celui qui fait le plus d’arrêts ?
Les meilleurs sont ceux qui font bien le peu qu’ils ont à faire. S’il faut faire 2 arrêts, il les fait. Si il doit en faire 6, il va les faire. À l’arrivée, les meilleurs sont ceux qui prennent le moins de buts. Ce n’est pas toujours la meilleure défense, mais en général les meilleurs sont ceux qui prennent le moins de buts. Parce qu’ils sont dans les meilleures équipes. Parfois, tu as des attaquants en D2, ils mettent 20 buts. Et quand ils jouent en D1, ils mettent pas un but. Ben voilà, c’est des attaquants de D2. Qui sont très bons en D2 mais qui n’ont pas le niveau D1. Et on a parfois des gardiens qui flambent, qui font plein d’arrêts dans des équipes de bas de tableau, puis quand tu les mets dans une équipe de haut de tableau, ils ne supportent pas la pression, ils n’ont pas un degré suffisant de concentration… Si tu joues beaucoup de ballons, forcément tu es sollicité, donc tu es tout le temps concentré. Mais quand tu le touches pas… C’est plus dur de jouer dans une forte équipe ! Normal, ce sont les meilleurs qui jouent dans ces équipes là. C’est pas un hasard.
On avait fait un article il y a quelques temps, où on se demandait qui était le meilleur gardien du LOSC…
Et tu disais que c’était Christophe Landrin !
Ben oui, si le meilleur, c’est celui qui ne prend pas de but, le meilleur c’est Landrin ! Non mais comment on compare un mec comme Enyeama, ou Landreau, avec toi ?
Landreau a fait un doublé, donc c’est lui qui a eu les meilleurs résultats. Mais il a fait un doublé avec des Hazard, Cabaye et Debuchy… C’est ça le truc. Après, c’est un gardien qui a fait plus de 600 matches, qui a montré tellement de choses ! Enyeama a fait des trucs incroyables aussi, des arrêts fabuleux. Je pense qu’athlétiquement, Enyeama est meilleur. Landreau est en-dessous sur les qualités physiques et athlétiques. Il jouait très avancé. Il a sauvé plus de buts qu’il n’en a pris, mais c’est vrai que quand tu vois des buts comme il a pris contre Grenoble, tu te dis : « mais merde, il fait quoi ? ». Pour quelques buts encaissés où il était avancé, il en a sorti beaucoup. Mais il avait une lecture du jeu, une anticipation, une confiance en lui, un rayonnement, un jeu au pied aussi qui font qu’il était incroyable. Il a fait une grande carrière. Mais tu peux pas comparer… C’est pour ça que tout ce qui est « équipe du cinquantenaire », « équipe du siècle », bof… C’est très aléatoire.
Je prends le ballon d’une main, je salue le public de l’autre : du grand art.
Revenons à ta carrière : tu es proche d’un retour au LOSC à un moment.
Quand je suis à Grenoble et qu’on se maintient la première année (2009), ma fille était scolarisée à Lille, ma femme travaillait par ici aussi. Je rentrais tous les week-end, ou en avion, ou en train. J’étais tout seul à Grenoble : ma famille ne venait que pendant les vacances scolaires. C’était dur mais bon, c’était pour ma passion. Je sonde tous les clubs du Nord, parce qu’il faut que je rentre. Boulogne venait de monter en L1 ; début juillet, lors de la préparation, Landreau se fait les croisés. Et là, j’ai les dirigeants au téléphone, j’ai le président : « on a pensé à vous… ». Mais Garcia ne veut pas. Je lui ai laissé un message ou deux, il ne m’a pas rappelé. Il y avait Butelle, et finalement ils prennent Mouko. Mais j’ai vraiment pensé que j’allais revenir.
Pourquoi Garcia ne voulait pas de toi ?
Je ne sais pas. Il m’a appelé, mais bien après. J’aurais aimé discuter avec lui avant, pour montrer qui j’étais. Ça m’a un peu vexé. Enfin bon. J’avais un club en Ligue 2, j’avais un club en national : Evian, qui voulait me faire signer 2 ans, avec un super contrat, et 2 ans après ils sont en D1 d’ailleurs. Ils ont beaucoup insisté, ils m’ont appelé pendant les vacances, mais je dis que ce n’est pas possible. Du coup, je me suis inscrit à la formation de manager général de Limoges, avec l’appui de Xavier Thuilot. On devait être une cinquantaine à faire la demande, mais il n’y avait que 14 admis. Jusque fin juillet, je m’entretiens quand même, en me disant « on ne sait jamais… ». Après, je pars en vacances au Portugal en me disant que c’est fini. Et c’est dur. C’est assez violent en fait. Je rentre de vacances, je vois dans mon courrier que je suis pris à la formation : c’est top ! C’était le 12, 13 août, 14 août…
Et alors comment Valenciennes revient vers toi ?
Je pars en week-end avec mes beaux-parents sur la côte d’Opale. Un matin, mon beau-père me dit : « tu vas signer à Valenciennes… ? Penneteau s’est fait les croisés… ». Je lui dis : « non, c’est bon, Valenciennes, je me suis proposé, ils m’ont envoyé balader… ». Je prends le train pour rentrer à Lille : coup de fil de Henri Zambelli, qui était mon agent. Il me parle de Valenciennes. Je lui dis que je ne suis pas intéressé, qu’ils m’ont envoyé balader… Et je comprends là, je n’étais pas au courant, qu’il est devenu directeur sportif de Valenciennes ! Donc il me dit de venir quand même, de discuter. On prend rendez-vous. Et quand je rentre dans le centre d’entraînement, quand je rentre dans le vestiaire… j’y reviens, quoi. J’ai discuté avec lui pendant 2 heures, et j’ai signé à Valenciennes. C’est arrivé le 19 août, le jour de mon anniversaire. J’ai signé un an, dans un rôle de 2e gardien, pour accompagner, et ça a tellement bien fonctionné que j’ai resigné un an encore. Alors que l’entraîneur des gardiens avait un doute, il disait que j’étais vieux, mais il a vu que ça allait, et on est devenus très potes. Au bout de 2 ans (2011), j’ai arrêté, parce que j’allais avoir 40 ans. Et là pour le coup, ce n’était pas violent, car c’était de moi-même, j’étais allé au bout et je ne pouvais plus continuer. Quand j’étais sur le banc, je me disais « faut pas que je rentre », parce que si je rentrais, j’allais faire de la merde ! Je me sentais moins bien, j’étais moins performant, je trouvais que ça allait plus vite, à l’entraînement je prenais plus de buts… ça devenait compliqué.
Du coup, la reconversion avait été pensée avant 2009, avant même l’inscription à cette formation ?
En fait l’idée, c’était de travailler pour le LOSC, quand Xavier Thuilot y était encore. On avait pensé à quelque chose, mais il est parti. J’ai eu ce projet de formation après. Ce projet, c’était pour mon enrichissement personnel, car c’est une top formation. Tu sors de là avec un réseau. Tu entres dans un autre domaine. Mais tu peux aussi reprendre le coaching, car là tu n’es pas entraîneur, tu es manager. Tu manages de l’humain, tu es en relation avec ton président… ça avait l’air très intéressant. Et finalement, je ne l’ai pas faite. Je voulais la faire tout de même, mais le directeur de la formation m’a indiqué que c’était impossible de la suivre avec mon engagement à Valenciennes.
Du coup, depuis ta retraite sportive, tu es très actif !
Très actif ! Je viens d’obtenir mon BEF (brevet d’entraîneur de football). Et à la prochaine session, je m’inscris pour le diplôme d’entraîneur des gardiens pour la formation. Ce sont des sessions qui ont lieu tous les 2 ans, donc pour maintenant ce sera pour l’année prochaine. Ce diplôme va devenir obligatoire pour entraîner les gardiens. Mais pour l’obtenir, tu dois passer par le BEF. Parce que pour avoir le BEF, normalement il faut entraîner une équipe, et moi j’entraînais les gardiens cette année. Tu dois raconter une histoire, quoi. Il devrait y avoir une filière spécifique aux gardiens, mais pour l’instant elle n’existe pas. Mais prenant désormais en charge l’entraînement des gardiens en CFA, je vais mettre pas mal d’activités en stand-by, parce que je n’ai plus le temps. Jusque là, j’avais quand même des plages horaires pour venir ici (rappel, on est au Five). Mais là, avec le rythme qui est imposé… en tout cas qui a l’air d’être imposé..! J’ai fait les 10 jours de stage avec Bielsa. J’attends la nouvelle saison avec beaucoup d’excitation et de curiosité. Mais je reste dans le foot. Et je reste au LOSC, surtout !
Merci à Grégory Wimbée pour sa disponibilité.
FC Notes :
1 Au fait, les nouveaux abonnements sont en train d’arriver. Si vous ne l’avez pas encore reçu, ça ne saurait tarder !
2 À l’époque, la D3 est divisée en 6 groupes. Les 6 champions, promus, s’affrontent pour déterminer le champion de D3.
3 Le Championnat de D2 1992-1993 est le dernier avant la réorganisation des divisions amateures. La D2 devient entièrement professionnelle et passera en 1993-1994 de deux poules de 18 à une poule de 22. Les 8 derniers de chaque poule sont donc relégués en National 1. En résumé, cette année là sont montés : Martigues et Angers, champions de leur poule. Ainsi que Cannes, initialement 2e de la poule 1. Ce qui permettait au club de jouer des pré-barrages avec Nice (3e de la poule 1) ainsi qu’avec Rennes et Rouen (2e et 3e de la poule 2). En pré-barrage, Rennes bat Nice 1-0 et Cannes bat Rouen 2-1. En barrage, Cannes bat Rennes 1-0 et 3-0. Cannes gagne donc le droit de disputer un dernier barrage contre le 18e de D1 : Valenciennes. Et Cannes l’emporte 2-0, 1-1. Pas évident hein.
4 La liste des gardiens-buteurs en D1 française est dans notre article : http://droguebierecomplotlosc.unblog.fr/2016/12/10/29-novembre-1996-wimbee-scorbute-nadon/
Posté le 21 juin 2017 - par dbclosc
Cher Président Seydoux…
Il y a 6 ans, l’un de nous écrivait au Président Michel Seydoux. Le constat était le suivant : l’équipe du LOSC était agréable à voir jouer, ce qui l’avait incité à retourner voir tous les matches de son équipe favorite dans des bars. Problème : ça coûtait cher en bières. L’objet du courrier visait donc à demander une participation financière de la direction du LOSC, jugée directement responsable de ces dépenses excessives, en raison d’une politique sportive qui portait ses fruits. C’était aussi l’occasion de présenter au Président le rapport affectif entretenu avec son club. La lettre est malheureusement restée sans réponse. Nous vous la proposons désormais en ligne, dans sa version d’origine. Nous avons juste inséré des liens, car certains des souvenirs évoqués dans cette lettre sont devenus des articles sur ce blog, et des photos. Magie des réseaux sociaux, peut-être que cette fois le Président Seydoux nous lira et nous répondra. Et après tout, l’arrivée de Marcelo Bielsa pourrait bien actualiser le problème. Tiens, on va écrire à Gégé !
Lille,
Le 31 mars 2011
Cher Président Seydoux,
« Puel et Garcia, c’est deux styles de jeu différents, c’est évident. Puel a développé un jeu plus défensif à un moment où on était en construction, aujourd’hui c’est devenu plus pétillant. C’était du cidre, c’est devenu du champagne », déclariez-vous le 18 janvier dernier sur RMC. Je ne saurais vous contredire. Supporter lillois depuis mon enfance, c’est avec grand plaisir que je j’observe depuis bientôt trois ans les performances de mon club favori, performances coïncidant avec l’arrivée au club de M. Rudi Garcia. Ainsi, aux brillants résultats s’ajoute une indéniable qualité de jeu apportée par l’entraîneur, m’ayant réconcilié avec le suivi fidèle et en direct des matches du LOSC.
Pour vous raconter ma vie – une partie du moins -, j’ai commencé à m’intéresser au football vers l’âge de 10 ans, soit vers 1994, à une époque où, disons-le, il n’était pas franchement valorisé socialement de se déclarer supporter du LOSC, d’autant plus que le voisin lensois tournait bien mieux. Mais, proximité géographique et héritage paternel obligent, c’est vers Grimonprez-Jooris et son panneau d’affichage à points lumineux incompréhensibles que je me dirigeai, tout ça pour voir des rencontres au cours desquelles égaliser contre Martigues à la 83e minute sur un but de raccroc était considéré comme une performance honorable, dans la mesure où elle permettait de remonter à la 14e place et de prendre ses distances avec Le Havre. C’était également la période des vaches maigres offensives (souvenons-nous de ces 10 victoires 1-0 à domicile sur la seule saison 1994-1995, dont une fameuse contre Caen sur un but d’Arnaud Duncker à l’issue d’une belle action collective). Mais, quand on est jeune, on ne s’arrête pas aux performances sportives, et il restait plaisant de venir au stade pour sentir l’ambiance indescriptible d’un match de ventre mou entre nos favoris et le FC Metz, pendant lequel il n’était guère farfelu d’avoir 3 bagarres générales au cours du match et si, par chance, l’arbitre s’appelait Colombo, on rigolait bien rien que pour ça. Surtout, c’était gratos pour les moins de 12 ans à l’époque, pour peu qu’on prenne un air naïf à l’entrée du stade, ce que mon père faisait très bien. Il y eut quand même une éclaircie au début de la saison 1996-1997, avec un début de saison tellement canon qu’on est descendus en Division 2 à son issue, comme pour compenser un trop-plein d’exposition médiatique durant 3 mois. Ces années furent donc celles d’un football médiocre, bien encouragé par des joueurs au standing douteux (c’était quoi, Joël Germain ? Une blague refourguée par Caen pour se venger de leur avoir refilé Keneth Andersson ? La ligne d’attaque Pingel/Simba en 1995, c’était pour légitimer a posteriori le fait que Samuel Lobé fut l’homme providentiel ?), et l’inexorable départ des rares joueurs qui permettaient d’envisager un avenir meilleur (Sibierski… et puis c’est tout en fait). Les seuls moments de joie, c’était des petites performances ça et là (une victoire-accident au Parc des Princes en 1996 sur un centre raté de Patrick Collot et une intervention encore plus ratée de Bernard Lama, pendant que les parisiens cherchaient à rentrer avec le ballon dans notre but pensant que ce serait facile, et ce trois jours avant que le PSG ne gagne la C2 ; ou ce match à Lyon ou notre gardien Nadon regarde le ballon taper 5 fois ses poteaux et revient avec un miraculeux 0 à 0). Nous étions donc bien loin du « football-champagne » que nous pouvons revendiquer désormais.
Noël 1994 chez Papy et Mamie : une grande fierté
Puis je fus abonné de 1997 à 2003. Soudainement, à l’échelon inférieur, nous étions devenus des favoris. Tu parles ! 1997-1998 : 4e ; 1998-1999 : 4e ! Quand seulement trois équipes peuvent monter, c’est ballot, surtout lorsqu’il s ‘agit en l’occurrence des trois premières. En dépit de quelques accidents (notamment cette victoire 7 à 3 sur Martigues), en deux ans, on parvient à se faire devancer par Sedan, Troyes, Lorient (inconnus à l’époque)… et à faire gagner chez nous Amiens (deux fois !), Cannes, sans oublier de belles défaites à Mulhouse ou Beauvais, et, point d’orgue et symbole de l’époque Thierry Froger, cette épique défaite face à Toulon à Grimonprez en avril 1998 sur un but de Didier Rabat dès la 2e minute qu’on fut incapable de surmonter (faut dire que l’entraineur s’entêtait à laisser deux milieux défensifs à domicile alors qu’Hitoto courait pour trois), ce qui, conjuguée à la défaite du match aller, faisait de nous les généreux donateurs de 6 points au Sporting Toulon, lui permettant de ne finir cette saison-là que 5 points derrière le premier non-relégable.
Oui, Président, difficile à croire, mais j’ai adoré ces joueurs : Samuel Lobé, Bob Senoussi, Christophe Landrin, Djezon Boutoille, Frédéric Machado, Frédéric Dindeleux, Gaël Sanz, Jean-Marie Aubry, Clément Garcia, Cédric Anselin.
Par la suite, miracle, l’entraineur suivant, est aussi compétent que son nom est imprononçable. Heureusement, parce que « Halilhodzic, démission ! », ça aurait été plus difficile à chanter que « Froger, démission ! » – ceci est au passage une petite astuce quand vous recrutez des entraineurs : favorisez les noms à plus de trois syllabes pour éviter l’animosité des tribunes. Une saison et demie plus tard, nous revoici en première division grâce à un ensemble de circonstances soudainement favorables et des scénarios « à la Vahid ». Ainsi, durant 4 ans, nous avons eu droit à quelques souvenirs mémorables révélant un sens tactique hors du commun : épuiser la défense pendant 85 minutes avec deux gars costauds aux avant-postes qui ont les pieds carrés, puis faire entrer des gamins de 18 ans qui permettent de l’emporter sur le fil 3 à 0 ; entrainer son gardien de but à détourner deux pénalties consécutifs (ce même gardien qui marquait contre son camp deux mois auparavant) ; recruter sur cassette vidéo un Argentin qui a douze poumons ; faire de joueurs moyens de Division 2 des stars de D1 qui amènent le club en ligue des Champions ; gagner un derby sur un but contre son camp du lensois qui avait adressé un doigt d’honneur au kop lillois avant le match ; refaire le coup des cinq poteaux ET du pénalty adverse raté à la dernière minute à Troyes, de surcroît en ayant marqué en contre grâce à une molle reprise de Sterjovski (un de ces types qu’on ne connaissait pas avant qu’il arrive à Lille et dont on n’a plus jamais entendu parler après) ; s’amuser à attendre la 94e pour mettre les buts vainqueurs. Bref, c’était tiré par les cheveux mais c’était bien.
Ensuite, votre arrivée couplée à celle de Claude Puel inaugurait une nouvelle ère : sachez déjà que, dans un premier temps, avoir pour président une personne qui avait le prénom d’un joueur lensois, c’était pas très malin de votre part. Fort heureusement, vous eûtes l’intelligence de recruter Kader Keita, histoire que l’alliance « Seydou (x)/Keita » soit davantage associée à Lille qu’à Lens. Au niveau communication, je dois reconnaître que c’était bien joué. La première saison fut laborieuse. Conjuguée à d’autres raisons, elle m’incitait à ne pas renouveler mon abonnement pour la saison 2003-2004, qui fut elle-même en demi-teinte. Les deux saisons suivantes furent assez brillantes, tant en championnat qu’en Coupe d’Europe, mais mon intérêt pour les matches était très intermittent, car si les résultats étaient là, la manière laissait souvent à désirer. Ainsi, n’étant pas adepte des tactiques où la titularisation d’un unique attaquant est considérée comme audacieuse, je délaissai progressivement les matches du LOSC, sauf pour quelques évènements de taille, comme la victoire à Milan, ou quelques coups du sort rigolos, comme le Lille/Lens de mai 2008, au cours duquel nous envoyons Lens en Ligue 2, comme une revanche sur une enfance à être le seul supporter lillois à l’école primaire, face à ces opportunistes qui ne faisaient que tenir pour les vainqueurs, sans s’y intéresser plus que ça. Hé hé.
Y avait pas foule à l’époque pour aller voir s’entraîner Roger Hitoto et compagnie.
À l’été 2008, l’Olympique lyonnais désire s’attacher les services de Claude Puel. Soit. Après plusieurs faux départs et un bilan globalement positif, il était de bonne guerre de ne pas fermer la porte à ce départ. A posteriori, c’était même une excellente décision, puisque c’est là que vous faites appel à Rudi Garcia. Surtout, vous faites pour la énième fois le coup de la vente des meilleurs éléments lillois qui perdent leur football ou ne jouent plus en arrivant à Lyon, nous permettant d’avoir encaissé en quelques années, entre Bodmer, Makoun, Keita, Puel et Bastos, une belle petite enveloppe pour, au final, recruter des Moussa Sow ou un employé municipal de Fréjus devenu international français pour 0 €.. Et que dire du recrutement de Florent Balmont pour 2,5 millions à un club qui avait déboursé 4 millions pour Moussilou deux ans auparavant ? Si ça, c’est pas du génie financier, ça y ressemble.
En tout état de cause, l’arrivée du nouvel entraineur m’a permis de renouer avec la tradition du suivi des matches du LOSC en direct, tant l’équipe est devenue plaisante à voir jouer, manifestement grâce à l’apport de M. Garcia. Ainsi, depuis trois saisons, et dès que j’en ai la possibilité, j’assiste aux matches de Lille. Je dirais même que les matches de Lille sont devenus une priorité dans l’organisation de mon emploi du temps. Cependant, pour différentes raisons que je vais vous exposer ci-après, je ne souhaite pas suivre ces matches directement au Stadium nord de Villeneuve d’Ascq. Premièrement, ce stade est tout pourri. Deuxièmement, les stades ne sont pas forcément les meilleurs endroits pour discuter à chaud (d’autant plus dans un stade ouvert à tous les vents) de ce que l’on voit sur le terrain ; troisièmement, les matches du LOSC sont un moment privilégié pour partager une bonne bière entre amis. Nous perpétuons ainsi la tradition régionale de la consommation de bières. Ainsi, nous vivons par procuration les mêmes sensations que les plus fidèles supporters. La qualité de jeu et les résultats semblant en outre s’améliorer à mesure que le temps passe, manquer un match dans un des bars de la ville s’apparente de plus en plus à une faute morale. C’est ainsi que depuis de longs mois, chaque match du LOSC est l’occasion de se retrouver entre amis (nous n’avons pas Canal +). Les enjeux étant de plus en plus élevés, conformément au plan ambitieux que vous proposez pour le club, je suis également dans l’obligation de suivre la plupart des rencontres de certains concurrents directs. Ainsi, ces dernières semaines, outre les matches du LOSC, j’ai assisté à Rennes/Marseille, Lyon/Rennes, Marseille/Paris…
J’en viens ainsi au coeur de mon courrier et de ma demande : à raison d’une pinte à 5€ par période et par personne, mon budget limité de jeune chercheur est fortement grévé par ces dépenses directement liées à la politique sportive réussie que vous menez depuis maintenant 9 ans à la tête du club. J’aimerais donc savoir si une participation du club dans ces dépenses est envisageable, et dans quelles proportions. Ainsi, vous qui ambitionnez le « football-champagne », vous remarquerez ma modestie en ne vous sollicitant que pour du « football-bière », ce qui révèle mon attention pour les finances du club, quoique bien alimentées par l’ami Aulas.
Je serais bien évidemment ravi de discuter des modalités de financement directement avec vous, si vous le souhaitez. Ce serait un signal fort à l’égard de l’ensemble des supporters qui, souvent plus que les joueurs, aiment avoir beaucoup de pression (s) les jours de matches !
Dans l’attente d’une réponse de votre part à laquelle je ne manquerai pas de porter un toast, veuillez recevoir, cher Président Seydoux, mes sentiments sportifs les meilleurs.
Posté le 15 juin 2017 - par dbclosc
Anciens Dogues : l’histoire répond présent
Lillois depuis toujours, Michel Castelain est une figure bien connue du LOSC. Profitant d’une pause dans sa « retraite » active, nous avons passé une heure en sa compagnie : une bonne occasion de revenir sur son parcours, ses multiples activités, et de nous plonger dans le passé du club et l’entretien de sa mémoire à travers l’association des Anciens Dogues, dont il est le manager général.
Dans sa jeunesse, le footballeur Michel Castelain évoluait à l’Iris Club de Lambersart, au niveau régional. Mais il est tombé tout petit dans la marmite du LOSC, à l’époque où le club jouait au stade Henri-Jooris. De cette époque à aujourd’hui, trois stades plus tard, il garde des souvenirs, entretient des relations et raconte des anecdotes qui sembleraient pouvoir alimenter des heures de conversation. Il suffit de lui donner un nom, une date, un lieu, pour que son bagout naturel se mette en marche : il révèle alors qu’il est incollable sur les fonctions d’untel, ses transferts, ou sur le souvenir de tel match (« je me rappelle un match de coupe de France Lille/Aulnoye avec René Charrier, un international, dans les buts d’Aulnoye, et qui après est parti à Marseille. Il était président de l’UNFP ! » ; « Philippe Chanlot ? Je l’ai connu quand il était en cadets nationaux, à Lille. Il venait d’Orléans, et on mangeait ensemble les dimanches midis. Quand il est parti à Metz, j’allais le voir régulièrement. Il a joué à Anderlecht, Wasquehal, Dunkerque, Lille, ou même à Marseille peut-être ? »). En l’écoutant, c’est l’histoire du LOSC qui défile. Le verbe haut, il fait parfois penser à un ancien combattant se remémorant les camarades disparus (« Bruno Metsu, Michel Watteau, qui sont malheureusement décédés, c’étaient des potes »), les dures périodes du club (« quand le LOSC est redevenu amateur, j’y étais moi ! »), mais aussi les plus brillantes (« pour qui a connu l’époque de Vahid, on ne peut pas oublier la première participation à la champions League ! Vahid, un type exceptionnel ! »). Mais si Michel Castelain est capable de nous livrer nombre d’anecdotes, il ne cultive pas la nostalgie pour autant (contrairement à nous, parfois). S’il est retraité de la Caisse d’Allocations Familiales (CAF) depuis 2012, après y avoir travaillé durant près d’un demi-siècle, sa passion pour le foot et ses facilités relationnelles l’ont depuis bien longtemps aidé à multiplier les activités.
Première entrée au LOSC
Mais le foot n’est jamais très loin. Il s’investit d’abord au sein de l’Iris Club de Lambersart : « quand j’ai eu fini ma carrière en équipe 1e et B, j’ai commencé à faire du tableau noir avec Claude Plancque, le père de Stéphane et Pascal. J’ai été secrétaire-adjoint du club, et je représentais le club à l’office municipal des sports de Lambersart ». Il y rencontre Francis Dubreucq, à la fois entraîneur à Lambersart et au LOSC. Par son intermédiaire, il apprend que Charly Samoy, alors directeur sportif du LOSC, recherche une personnalité pour le club. Nous sommes en 1977 et bingo : Michel Castelain se retrouve responsable des cadets nationaux : « et au bout de 3 mois, je suis devenu également responsable de l’accueil des arbitres. Donc responsable de leur accueil, j’allais manger avec eux au restaurant, puis j’étais sur le banc de touche, avec le délégué du match. Un des premiers arbitres que j’ai accueilli, ça a été Robert Wurtz, une rencontre exceptionnelle ». Il profite de son entrée au LOSC pour passer ses diplômes d’entraîneur. Il obtient son premier degré pour entraîner les jeunes : après les cadets, il prend en charge les Minimes. Il passe par la suite son diplôme d’entraîneur avec pour collègues de promotion Zarko Olarevic, Jean-Michel Vandamme, Philippe Lambert, Stéphane Plancque, entre autres. Au LOSC, il travaille notamment avec Régis Bogaert ; il crée une 3e équipe seniors à la demande de Jean Parisseaux, et la prend en charge durant quelques années avec Jean-Michel Vandamme. Il travaille également avec Luc Courson durant une saison à la tête des Minimes, après la grave blessure du joueur en 1987. « Ce premier passage au LOSC a duré de 1977 à 1988, jusqu’au départ de Charly Samoy. Quand Bernard Gardon est arrivé, il a viré tout le monde, tous les anciens sauf un : Régis Bogaert. Sinon, Jean-Michel Vandamme et toute la bande… Virés. Beaucoup sont alors partis à Lens : Jean Parisseaux, Arnaud Dos Santos, Jean-Michel Vandamme, Jean-Pierre Mottet… »
Charly Samoy, de passage à Luchin en 2013, avec René Girard, Patrick Robert et Michel Castelain.
Journalisme sportif
La carrière de Michel Castelain s’enrichit alors d’une nouvelle expérience : « quand j’ai arrêté le LOSC, Serge Verkruysse, responsable des sports à Nord-Éclair et correspondant à L’Equipe, m’a demandé si ça m’intéressait de faire du journalisme sportif, et notamment de faire le suivi du LOSC. Et ça m’intéressait, j’aime bien écrire. Cette expérience m’a fait connaître énormément de monde ». Michel Castelain se charge dans un premier temps du suivi des matches régionaux, puis des matches professionnels du LOSC, puis également ceux du Racing Club de Lens, pour Nord-Éclair. Tout en poursuivant parallèlement son activité à la CAF, la réglementation autorisant certains cas de cumul d’activités, parmi lesquelles le journalisme. Encore aujourd’hui, il travaille pour la Voix des Sports, rubriques tennis de table et golf.
Retour au LOSC
On peut dater les prémices de la création de l’association des anciens Dogues au moment où Pierre Dréossi était le directeur sportif du LOSC : « il m’a suggéré de m’occuper des anciens pros, et on a commencé avec la coupe des Princes, à Paris, lancée par Flunch et par Jean-Pierre Papin. Trophée des princes qui s’est déroulée tout un week-end avec les grands clubs français ». Pierre Dréossi insiste pour que se constitue un réseau des anciens, d’abord de manière informelle : Michel Castelain s’en charge. En attendant que l’association ait une existence officielle, Michel organise ponctuellement quelques événements : « j’ai fait de l’événementiel : j’ai organisé le jubilé des frères Plancque à Lille, avec la venue d’Éric Cantona, qui avait quitté Manchester United seulement 15 jours avant ! ; ça a été une première exceptionnelle. J’ai fait la montée du LOSC en D1 en 2000 avec Zidane et la bande. On fait aussi un événement à Liévin pour le lancement des terrains synthétiques du complexe sportif couvert, avec Laurent Blanc, Barthez, Duga, Zidane… En lever de rideau, on avait fait un match des anciens du LOSC contre les anciens de Lens ». Il met également à profit son expérience dans le secteur social pour apporter une aide aux jeunes du centre de formation : « comme je travaillais à la CAF, quand un joueur avait des problèmes administratifs, comme j’avais mes entrées, je m’occupais des dossiers. Quand Jean-Noël Dusé était responsable du centre de formation, chaque année, en juin, quand les jeunes du centre partaient, je faisais une réunion sur les droits aux allocations logement, etc ».
L’officialisation de l’Association des Anciens Dogues
C’est à partir de 2011 que l’association des Anciens Dogues se constitue formellement : « Patrick Robert me demande comment ça se passe, et il me dit qu’on va tout restructurer et faire ça dans les règles de l’art, avec un trésorier, etc. On a tout repris et tout restructuré en 2011. Je suis désormais manager général, Patrick Robert est président des Anciens Dogues et président du LOSC association, Greg Wimbée est dans le comité, avec Patrick Deschodt, qui est un ancien joueur également ». La dernière assemblée générale élective, le 4 février 2017, a confirmé cette répartition des tâches : le comité directeur de l’association est composé de Patrick Robert (président), Grégory Wimbée (secrétaire), Patrick Deschodt (trésorier) et Michel Castelain (manager). L’association organise alors de manière plus régulière des matches de gala, qui permettent aussi de saluer certaines personnalités : « on avait fait un match d’anciens du LOSC contre les anciens de Saint-Étienne à Loos-Ennequin. Le coup d’envoi avait même été donné par Stanislas Karasi. Et y avait même, côté ASSE, Kurbos, l’ancien de Metz, la fois où ils ont fait un régal à Barcelone : il avait marqué un triplé ! ». Pour les 70 ans du club en 2014, Michel Castelain est parvenu à rameuter bon nombre d’inhabituels, parfois venus de loin : les frères Cheyrou, Mile Sterjovski, Rafael Schmitz… « ça venait de partout, on avait 2 supers équipes ! ».
Chaque rencontre est en tout cas une bonne occasion pour les supporters lillois de revoir les anciennes gloires qu’ils ont tant aimées du tant de leur splendeur. Ou pas d’ailleurs : les compositions d’équipe reflètent parfois un certain éclectisme, signe que le LOSC n’a pas toujours brillé, contrairement à ce que beaucoup croient. Par exemple, on est toujours ravi de revoir Arnaud Duncker, et se rappeler ses chevauchées côté droit : mais on ne peut pas dire qu’il soit associé à une période de grand spectacle collectif à Lille (1994-1998)…
Comment sont choisis les joueurs qui participent à ces matches ? « Ce sont ceux qui sont capables de jouer, déjà ! Beaucoup ont des problèmes de genou ».

« Après, j’ai un réseau, je les contacte. J’essaie de prendre ceux qui sont dans la région ou pas trop loin. Déjà, y en a pas mal qui sont au club. Donc j’ai un noyau. Y a des mecs qui viennent vers nous, qui demandent. Et comme ça tourne bien, ça attire du monde. La plupart sont des anciens pros. On en a aussi qui ont eu des contrats stagiaires pros, mais qui n’ont pas été pros (Agueh, Zelmati…). Après y a une grosse partie de l’équipe de Vahid : Wimbée, Pichot, Cygan, Bakari, Collot, et D’Amico que j’ai fait venir exceptionnellement en avril. J’ai rajeuni l’équipe là, avec les Noro, Fauvergue, Zelmati. Mon capitaine, c’est le plus vieux, un peu comme Didier Sénac à Lens : Philippe Piette, 58 ans. Il est le seul à avoir joué dans 3 clubs pros de la région. Bernard Chiarelli est aussi dans ce cas : il a même joué coupe du monde 1958 ! Il vit toujours. Philippe Piette, a fait les 3 clubs en D1 ; tandis que Chiarelli, lui, a joué à Lille, mais en D2 ! Après y a Dumont… ». Stéphane Dumont, justement, parlons-en : après l’officialisation de son départ à Reims en tant qu’entraîneur-adjoint, il a porté le maillot du LOSC ce vendredi soir, pour un match amical entre anciens et salariés du club. À cet événement initialement prévu s’est greffée une petite cérémonie en l’honneur de Stéphane Dumont. Gérard Lopez lui remettra à l’avenir un Dogue d’honneur lors d’un match au stade Pierre Mauroy. Le voici désormais « Ancien Dogue », label certifié par Michel Castelain :
Il ne faut pas s’y tromper : l’équipe des Anciens Dogues est partie intégrante du club. À ce titre, Michel Castelain tient à son exemplarité : « on cherche, c’est vrai, à donner une belle image du club. Avec le projet mis en place par la nouvelle direction, comme je l’ai dit au premier match à Libercourt contre Lens, il faut qu’on soit irréprochables sur et en dehors du terrain : on est une vitrine du club, donc on n’a plus le droit à aucun écart. À travers ces joueurs là, c’est un peu l’histoire qui défile ! ». Et puisque, jusqu’alors, il n’y a aucun problème à signaler, la tradition est de terminer l’année par un voyage : « à chaque fin de saison, pour remercier ceux qui participent à plusieurs matches dans la saison, on fait un voyage de 2 jours en Angleterre, tous frais payés, et on va voir un match. La première fois, c’était à Manchester, en loges, au 5e étage. Y a un des plus grands anciens joueurs de Manchester qui vient dans le salon et tout. MC : donc là c’était McIllroy, recordman de sélections en Irlande du Nord. L’année d’après, c’était à Arsenal. Pascal Cygan avait sa photo sur l’Emirates ! On aimerait aller à Southampton la prochaine fois, on en profiterait pour voir Claude Puel – du moins s’il reste. On part à une vingtaine, 17 joueurs et 3 dirigeants. Voilà comment ça se passe ».
Avril 2017, contre Valenciennes : Maxime Agueh, Pascal Cygan, Stéphane Noro, Fernando D’Amico, Gabriel Guikoune, Joël Dolignon, Michel Titeca
Michel Castelain est donc dans une retraite toute relative : « au LOSC, je suis bénévole. Bon après, j’ai des petits avantages, y a un budget, mais c’est sérieux, ça tourne. Ça me prend du temps, mais j’adore, je me donne à fond ».
Bonus Track : les Anciens Dogues de l’OL
Avant que n’existe l’association actuelle, nous avons exhumé un article de nos précieuses archives évoquant l’existence de l’amicale des Anciens Dogues de l’Olympique Lillois (OL). Pour rappel, l’OL est l’un des clubs clubs dont la fusion a donné naissance au LOSC en 1944. Créée après-guerre, cette amicale vit le jour sous l’impulsion d’Henri Jooris (le fils), Albert Flouquet, André Dourdin, Georges Winckelmans, Jean Demessine et Maurice Gravelines, dans le but de célébrer les artisans de la conquête des championnats de France 1914 et 1933 (le premier championnat professionnel). Réunie annuellement au « bar de l’écho », Grand place, l’amicale était présidée par Madame Jooris, veuve d’Henri Jooris. Ci-dessous une photo de 1966, sur les marches de l’opéra. 1 point DBC à qui trouve tous les noms : c’est facile !
Les prochains rendez-vous de l’équipe des Anciens Dogues :
2 juillet à Houtkerque : « tournoi des légendes » à 7 équipes, à l’occasion des 20 ans des « Corsaires » (supporters des bleus section Dunkerque), avec notamment des équipes d’anciens de Dunkerque, Calais, Valenciennes, Lens et Lille :
http://supportersdesbleus.e-monsite.com/pages/anniversaire-des-corsaires-20-ans.html
22 juillet à Beauvois-en-Cambrésis contre une sélection du Cambrésis-Hainaut.
Merci à Michel Castelain pour sa disponibilité.
Posté le 10 juin 2017 - par dbclosc
Meflah « Aoued » Benaouda, le premier non blanc du football professionnel lillois
Jusqu’au milieu des années 1980, les joueurs du LOSC étaient des Blancs dans leur écrasante majorité. Ainsi, à l’exception d’Ahmed Mezzara dans les années 1960, puis de Joël Henry, Engin Verel et Noureddine Kourichi une quinzaine d’années plus tard, tous les Dogues avaient été blancs de peau.
Pour autant, si l’Algérien Ahmed Mezzara fût le premier non-blanc du LOSC qui demeura désespérément blanc dans les années 1970 quand d’autres clubs français se coloraient avec des joueurs sud-américains (non-blancs) et africains, il n’était pas pour autant le premier non-blanc du foot pro lillois. Ainsi, avant même la création du premier championnat professionnel en 1932, le SC Fives comptait dans ses rangs un certain Meflah Banaouda (qu’on voit également appelé parfois Ahmed Bacha Banouda) surnommé Aoued.
Pour une fois, nous ne faisons pas de blagues en guise de légende. Parce que Aoued est déjà une légende à lui tout seul.
Le 7 mai 1906, à Mascara, naquit un gros bébé. Il fût appelé Ahmed Bacha, ou Meflah, à vrai dire on ne sait pas exactement. Toujours est-on sûrs que son nom de famille est Benaouda et que ledit gros bébé allait ensuite devenir un brillant footballeur algérien surnommé « Aoued ».
C’est en 1925 que Aoued fait ses débuts avec l’AGB Mascara. A l’époque coloniale, il n’y a pas alors de championnat national mais des ligues « départementales », celle d’Oranie, de Constantine et d’Alger. Dès sa première saison dans l’antichambre de l’élite oranaise, Aoued est champion. En 1927, dans le cadre de son service militaire, Aoued rejoint le prestigieux Mouloudia d’Alger. Enfin, « prestigieux » … si, aujourd’hui, le Mouloudia d’Alger est l’un des plus beaux palmarès algérien, il est encore très loin de l’élite de la ligue départementale. Selon sebbar.kazeo.com, Aoued joue d’abord en 2ème série puis en 1ère série de la ligue d’Alger, soit les 5ème et 4ème divisions départementales. A chaque fois, le club algérois connaît la montée, Aoued ayant également la chance de disputer la finale de la coupe de la Municipalité en 1928 quand lui et ses coéquipiers durent s’incliner (2-0) contre un adversaire portant l’élégant nom du Club des Joyeusetés.
C’est en 1929 qu’Aoued rejoint le nord de la France et le SC Fives encore amateur. Trois ans plus tard, il fait partie du club fivois qui participe au premier championnat professionnel. Enfin, semble-t-il, car il ne dispute pas le moindre match cette saison 1932/1933 avec Fives. Il est en revanche titulaire la saison suivante sur le front de l’attaque fivoise, formant avec le Tchécoslovaque Bara et l’international français Ernest Libérati un fameux trio offensif qui inscrira 44 buts, dont 10 pour le natif de Mascara (qui est donc Aoued pour ceux qui auraient décroché). Il est donc un pion essentiel du club fivois qui connaît là la plus belle saison de son histoire, terminant deuxième à un point du champion sétois avec, en prime, le meilleur goal-average et de loin la meilleure défense.
Ah ben, c’est bien Aoued, on parle de toi est t’es même pas sur cette photo de Fives en 34/35
Pour l’anecdote, même 2ème à 1 point, Fives n’a pas vraiment espéré remporter le titre. Pour tout te dire, même les Sétois n’ont pas beaucoup espéré : quand le championnat s’est terminé pour Sète, Marseille avait encore trois matches en retard à disputer, et seul un point aurait suffit pour que le club phocéen remporte le titre : chose aisée pour un club dont le bilan est alors de 15 victoires, 5 nuls et 3 défaites. L’OM s’inclinera pourtant lors de ces 3 rencontres, assurant un improbable titre au club de la ville de Brassens.
Aoued est encore fivois la saison suivante, laquelle est plus morose : Fives se maintient aisément mais ne termine qu’à une modeste 11ème place. Pour sa part, l’attaquant algérien inscrit alors 6 buts en 20 rencontres.
Il s’en va la saison suivante à Alès, où il marque 8 buts en 29 rencontres. Aoued connaît alors sa première relégation. On a trouvé dans la presse de l’époque des anecdotes savoureuses à propos d’Aoued, par exemple lorsqu’il réalise un « shoot splendide » lors d’un défaite (7-0) à Sochaux ou quand il « bouscule le goal visiteur dans ses buts » lors d’un match contre Valenciennes. On constate bien d’autres commentaires élogieux à son propos, notamment lors d’un match à Metz pour lequel un journaliste ne peut s’empêcher d’observer qu’ « on note deux jolis exploits du centre-avant Aoued ». Que d’anecdotes croustillantes.
En haut, le 3ème en partant de la droite, c’est Aoued
L’attaquant rejoint ensuite Rennes, où il restera jusqu’en 1947 avec un intermède d’un peu plus d’un an à Antibes. En Bretagne, on lui découvre aussi sa face sombre : le 31 janvier 1937, il marque pour Rennes le seul but du match contre Fives (1-0). De retour en Algérie, Aoued deviendra l’entraîneur estimé des deux principaux clubs de Mascara où il décédera en 1965, officiellement d’un accident de voiture, selon nous à cause de complotistes contre le LOSC ayant attenté aux jours d’un ancien du SC Fives. Il a laissé là-bas un fameux souvenir : se rendre au Stade de Mascara, c’est découvrir un peu de l’histoire du football professionnel lillois. Ah oui, si tu veux t’y rendre, tu veux peut-être en savoir le nom ? Le Stade Meflah Aoued, bien sûr.
Epilogue (ou « sciences des épis »)
Aoued, fût donc le premier non-blanc du professionnalisme lillois. Le deuxième arrivera pourtant bien vite. Souilem Gnaoui, également algérien, signe au SC Fives en 1936 après un court passage à Marseille.
Même si tu ne l’as jamais vu, tu sauras peut-être reconnaître Gnaoui
L’attaquant de 22 ans ne passera qu’une saison à Fives avant son départ pour Nice la saison suivante.
Le SC Fives aura également un troisième algérien, oranais comme Gnaoui (également arrivé en 1936), Kouider Daho. Venu en France pour finir ses études de médecine, qu’il réussira avec succès, Kouider ne sera pas titulaire, mais disputera quand-même quelques rencontres avec les Diables Bleus.
Au demeurant très sympathique, Kouider Daho avait cependant la fâcheuse habitude de tripoter les genoux de ses coéquipiers
Daho jouera ensuite à Sète, où, fort de ses 4 matches disputés, il deviendra champion de France. Un futur médecin donc. Comme l’indique Thomas Bauer dans les Cahiers de l’INSEP, si beaucoup de joueurs maghrébins ont joué professionnels en France dans les années 1930, ils étaient pour l’essentiel issus de l’élite nord-africaine.
Posté le 14 mai 2017 - par dbclosc
Gardiens de fortune : quand des joueurs de champ occupent les cages du LOSC
Aujourd’hui, si un gardien de but se blesse ou est expulsé, on est presque sûr que sa doublure entrera à sa place, sauf cas très particuliers où les trois remplacements ont déjà été effectués. Mais, comme on en a l’habitude, on va parler aujourd’hui d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître et dont certains trentenaires n’ont que de vagues souvenirs. Les blessures de gardiens en ce temps là aboutissaient à ce qu’un joueur de champ prenne sa place dans les buts.
Pourquoi ? Tout simplement parce que jusqu’à il y a pas si longtemps, le règlement n’autorisait la présence sur le banc que d’un nombre de joueurs équivalent au nombre de remplacements autorisés. Bref, quand deux remplacements étaient autorisés, seuls deux joueurs étaient sur le banc, quand trois changements étaient autorisés, seuls trois joueurs prenaient place sur le banc ; et le même raisonnement était valable quand un seul remplacement était autorisé. Quand aucun changement n’était autorisé, rien dans le règlement ne disait combien de joueurs pouvaient être présents sur le banc. Mais, en même temps, si aucun remplacement n’était autorisé, ces joueurs ne pouvaient alors servir qu’à couper des oranges. Bref, quand peu de joueurs étaient autorisés sur le banc, il était alors logique que les remplaçants soient seulement des joueurs de champ (1).
La blessure d’un gardien était trop rare, ce qui faisait que quand cela arrivait, c’était un joueur de champ qui prenait la place du gardien. Un joueur de champ dans les buts, c’est arrivé au moins six fois au LOSC dans son histoire, cinq joueurs de champ se partageant ces intérims contraints dans les cages. Peut-être en a-t-on oublié. Et on compte sur toi pour nous les rappeler.
Jean Baratte : le buteur devenu gardien
On a beaucoup évoqué Jean Baratte pour ses qualités de buteur. Moins connues, ses performances en tant que gardien de but. Et avec une différence notable par rapport aux autres cas exposés dans cet article : c’est en tant que titulaire que Baratte garda le but lillois. C’était contre Bordeaux, à Colombes, lors de la demi-finale de coupe de France en 1952. Jean Baratte avait déjà été titulaire en 1943 lors du derby OICL/SCF.
Pour ce match contre Bordeaux, l’habituel titulaire, Charles Val, s’est blessé à Reims une semaine auparavant. Tu vas me dire : le gardien remplaçant va donc jouer. Il s’appelle Georges D’Arcangelo. Problème : au moment où on a besoin de lui, il est introuvable. En fait, cela fait quelques mois qu’il est parti, et personne ne s’en est soucié ! Lors de l’été 1951, le gardien titulaire, Pierre Angel, part : D’Arcangelo croit alors que son heure est enfin venue. Mais le LOSC recrute Val. Vexé, il serait retourné dans le sud de la France : c’est du moins ce qu’un de ses amis confie aux dirigeants du LOSC ! En dépit d’appels dans les journaux et à la radio, le gardien-déserteur ne se manifeste pas. Reste alors la solution André Weughe, troisième gardien : mais tout le monde, y compris son entraîneur, Cheuva, le trouve encore un peu tendre. Bon ben du coup c’est Jean Baratte qui ira dans le but ! Il semblerait qu’il s’en soit très bien tiré, mais sans pouvoir empêcher la défaite en prolongation (1-2). Le LOSC fut très critiqué pour cet épisode, car si Baratte n’a pas démérité, il a beaucoup manqué devant. Quelques semaines plus tard, le transfert de César Ruminski apporte au club un gardien n°1 d’envergure.
Bernard Stachowiak, saleté de règlement
Samoy a tout connu avec le LOSC, il fut gardien, entraîneur, directeur sportif, recruteur, sans doute pâtissier, cracheur de feu et dresseur de hamsters etc. Il connut les joies de la montée comme les affres de la relégation. Il a même connu la blessure en plein match. Été 1964, le LOSC de Jules Bigot vient de retrouver l’élite et reçoit le Nantes de José Arribas pour la 4e journée. Lille mène rapidement 2-0 grâce à des buts de Michel Lafranceschina (10e) et de Jean-Louis Thétard (20e). Pas de chance, le gardien des Dogues, Charly donc, se blesse peu avant la mi-temps. Pas de chance (bis), les remplacement ne sont pas encore autorisés. Lille va donc terminer à 10, avec un joueur de champ dans les buts : c’est le latéral droit Bernard Stachowiak qui s’y colle. Score final : 2-2. Bernard Stachowiak est davantage connu pour avoir inscrit le but vainqueur du LOSC face à Bastia en juin 1966, lors d’un barrage décisif pour le maintien en D1 : à la 86e, il était temps.
Navarro : le joueur de champ aux meilleurs stats que le titulaire des buts
Rebelote pour Samoy : il se blesse lors d’un déplacement à Strasbourg. En début de deuxième mi-temps, il est remplacé par l’attaquant André Perrin à une bonne quarantaine de minutes de la fin du match (car cette fois, les remplacements sont autorisés, et ce depuis quelques mois), mais c’est finalement le défenseur Vincent Navarro qui enfilera les gants (ça veut dire qu’il est devenu gardien de buts, hein, il a pas seulement enfilé ses gants).
Anecdote croustillante, le portier de fortune fait mieux que le titulaire du poste puisque Charly avait cédé à deux reprises en fin de première mi-temps. Vincent Navarro, lui, est à notre connaissance le seul joueur de champ du LOSC avec Landrin à avoir gardé sa cage inviolée. Le score ne bougera en effet pas, Lille s’inclinant finalement par 2 à 0. Navarro est alors le seul gardien de l’histoire du LOSC a n’avoir jamais encaissé de but. On t’en parle plus loin dans l’article, il sera rejoint une trentaine d’années plus tard.
Dominique Thomas : la boulette, mais on peut pas vraiment lui en vouloir
Au cours de la saison 1986/1987, Bernard Lama connaît sa première saison comme titulaire dans les cages du LOSC. Le poste de gardien est bien pourvu, puisqu’en plus du futur champion du monde, les Dogues ont Pascal Rousseau (2), international espoirs, pour doublure. Après des débuts délicats, le jeune Lama s’affirme ces dernières semaines comme l’un des très bons gardiens de l’élite française.
Le 17 avril 1987, Lille se déplace à Geoffroy-Guichard, le stade des stéphanois où Pascal Cygan allait débuter quelques années plus tard en flippant. Pour cette saison 86/87, un autre fera ses débuts dans le chaudron stéphanois. En l’occurrence, il s’agit de Dominique Thomas. Non, Dominique ne fait pas son premier match en D1. Il débute comme gardien de but quand Nanard Lama se blesse dans un choc avec l’ancien lillois Krimau.
Dominique fait globalement un match correct. Pas de chance, il fait tout de même une boulette qui coûte aux siens le seul but du match en cafouillant un coup-franc anodin qui atterrit finalement dans des pieds stéphanois (1-0).
Gaston Mobati : le ratio temps de jeu/but encaissé le plus pourri (même pire que Arphexad)
En 1988/1989, Lille a sans doute son plus bel effectif depuis des lustres, avec, entre autres, Abedi Pelé, Erwin Vandenbergh, Filip Desmet, Jocelyn Angloma et Nanard Lama. Ce dernier se blesse à cinq minutes du terme d’un match maîtrisé par les Lillois lesquels mènent alors 1 à 0. Double malchance, les Lillois ont effectué leurs deux changements si bien qu’ils auront le double handicap de finir la rencontre à dix et avec un joueur de champ comme gardien de but. C’en était trop pour nos chouchous, Gaston Mobati, le gardien de fortune lillois s’inclinant deux minutes après avoir enfilé les gants de Lama. Tiens, d’ailleurs, Lama fût célèbre un temps pour ne pas porter de gants y compris en match officiel. Avait-il ce soir-là des gants à refiler à Mobati ? Ça, on t’avoue l’ignorer.
Autre fait croustillant de ce match, c’est donc Mobati, l’attaquant qui avait été le plus prolifique des joueurs de D1 sur la phase retour de la saison précédente (10 buts, devant papin) qui va dans les buts à la place de Lama, le gardien qui, quelques semaines plus tard allait marquer un but (sur péno mais quand-même) au portier de Laval. Avoue que ça ne manque pas de sel.
Lille se contente alors du nul (1-1), perdant là deux points précieux dans la lutte pour l’Europe. Gaston, pour sa part, repart avec le record du pire ratio temps de jeu/but encaissé des gardiens du LOSC dans toute l’histoire : 1 but toutes les 5 minutes.
Patrice Sauvaget : le pas trop buteur devenu gardien
Puisque Patrice Sauvage marquait peu (pour un attaquant), il s’est dit que peut-être il pourrait rendre davantage de services dans les buts. Fort de ce raisonnement, il se place dans le but après l’expulsion de Jean-Claude Nadon à Toulon, le 28 septembre 1991. Coupable d’avoir gagné trop de temps pour préserver l’avance lilloise (2-1), Nadon a pris successivement deux avertissements (82e, 97e). Sur le banc du LOSC, se trouvait seulement Mamadou Kane, et pas de doublure dans le but.
Sauvaget parvient à ne pas encaisser de but. C’est d’ailleurs ce bon vieux Patrice qui avait ouvert le score à la 22e ; Brisson doublait la mise à la demi-heure, tandis que le redoutable Leonardo Rodriguez réduisait l’écart sur pénalty à la 79e.
Le récidiviste : Christophe Landrin
Nous en avons déjà parlé ici, à moins que ça soit là. On avait alors parlé du cas particulièrement atypique de Christophe Landrin. « Atypique ? » t’étonneras-tu. « Pourquoi est-ce atypique de parler de Christophe Landrin qui devient gardien dans un article qui parle de joueurs de champ qui occupent le poste de gardien de but ? » Eh ben, attends, tu vas comprendre.
Le 30 octobre 1999, au cours de cette sublime saison qui aboutira à notre remontée dans l’élite, Lille reçoit Sochaux. A Vingt minutes du terme, Greg Wimbée est expulsé. Jusqu’ici tout va mal. Tout va encore plus mal quand on comprend que, à l’époque, il n’y a pas de gardiens sur le banc des remplaçants (c’est possible, mais la probabilité d’une blessure ou d’une expulsion d’un gardien reste faible, donc on préfère mettre des joueurs de champ : seuls 14 noms sont autorisés sur la feuille de match) et que c’est donc un joueur de champ qui va prendre les gants. Et encore plus, quand on sait qu’on perd (0-1). C’est Christophe « Robocop » Landrin qui s’y colle. Et plutôt bien, notamment lorsqu’il sauve les siens du deuxième but doubiste, en remportant un face-à-face contre Stéphane Dedebant. On perd (0-1), mais Christophe n’y est pour rien et Lille et encore leader. The Sochaux must go on comme on dit.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Deux semaines plus tard, Greg, tout juste revenu de suspension, se fait tout juste expulser alors que Lille mène 1 à 0 contre Guingamp peu après la mi-temps. Et c’est là qu’on entre vraiment dans l’atypique : Christophe Landrin endosse pour la deuxième fois de sa carrière, le tout en quinze jours, des gants du gardien de but (3). Et là encore ça sera avec succès puisque Lille l’emportera au final sans que son gardien de fortune n’encaisse un but (petit rappel grammatical : le « n’ » précédent est un « ne explétif » et non un « ne de négation »).
« Il est en train de me prendre ma place de titulaire. Vite, poignardons-le discrètement avant qu’il ne soit trop tard »
Nicolas Bonnal : une bonne occasion de se faire remarquer
Au cours d’un début de saison 2002-2003 assez maussade côté championnat, le LOSC parvient à tirer son épingle du jeu en coupe Intertoto, en éliminant successivement les Roumains de Bistrita (2-0, 1-0) puis les Anglais d’Aston Villa (1-1 ; 2-0). En finale de la compétition, les Dogues sont opposés aux Allemands de Stuttgart. Cette double confrontation va permettre à Nicolas Bonnal de se mettre en valeur à divers titres. À l’aller, il est l’unique buteur du match, un but superbe au passage : reprise de volée aux 18 mètres sur un centre de Brunel après une belle action collective. 15 jours plus tard, le 27 août 2002, Lille tient, et se crée même quelques occasions en 1e mi-temps. Mais Pichot est expulsé dès la reprise pour un main sur la ligne de but. Le péno finit sur la barre mais, à 10, les Lillois craquent deux fois en fin de match, aux 81e et 88e minutes. À la 95e, Greg Wimbée, poussé par un joueur allemand, heurte Mathieu Delpierre : fracture de la pommette. Tous les changements ayant été effectués, c’est Nicolas Bonnal, le buteur de l’aller, qui enfile les gants, pour quelques secondes. C’est bien l’une des rares fois où Bonnal aura été dans la lumière à Lille.
D’accord, on est en Allemagne, mais le salut nazi n’est pas pour autant indispensable
Nicolas De Préville et Ibrahim Amadou : un après-midi de cauchemar
En ce dimanche d’août, la confiance est côté lillois : lors de la journée précédente, la première, Lille s’est imposé de façon convaincante face à Nantes, dans une certaine euphorie suite à l’arrivée de Marcelo Bielsa (3-0), tandis que Strasbourg, qui reste sur 2 montées consécutives, s’est lourdement incliné à Lyon (0-4). Mais rien ne se passe comme prévu : Lille est bousculé, et hormis une occasion pour De Préville (35e), on peut s’estimer heureux d’arriver à la mi-temps sans être mené. Surtout, très vite, deux joueurs (Thiago Mendes et Malcuit) sortent sur blessure ; peu avant la mi-temps, Bielsa décide d’effectuer, déjà, son 3e remplacement en sortant Ballo-Touré, en difficulté et déjà averti. Autrement dit, il n’y a plus qu’à croiser les doigts pour qu’on ne subisse plus de blessure… ou pour que le gardien ne soit pas exclu. Ce qui ne manque pas d’arriver, stupidement, à la 63e minute. On a bien encore un gardien sur le banc, mais il y a eu 3 entrants en première période. Nicolas De Préville, qui joue parfois dans les cages à l’entraînement, est donc chargé de garder le 0-0. Cocasserie dans la cocasserie : le maillot de Maignan étant trop grand pour lui, il prend celui de Koffi. De Préville tient 10 minutes, remportant même brillamment un face-à-face avec Saadi. Mais il cède une minute plus tard, ne pouvant rien sur une volée au premier poteau. Lille est mené, à 10, avec son avant-centre dans le but. Pour maximiser les chance d’égaliser, De Préville reprend sa place en attaque et il revient à Ibrahim Amadou d’aller dans le but ! 3 gardiens en 15 minutes, ça c’est Unlimited. Notre capitaine ne peut rien sur un pénalty, puis a peut-être la main un peu fébrile sur un dernier but à la 88e. Défaite 3-0.
Voilà, voilà. Il n’est donc pas impossible qu’on en ait oublié. Dans l’idéal, il aurait fallu visionner l’ensemble des matches du LOSC pour s’en assurer. Avouons, nous n’avons pas poussé la rigueur intellectuelle jusque là.
(1) Ceci étant, à une époque, le LOSC jouait toujours avec un Gardien sur son banc. Mais, c’était dans les années 1970, quand leur entraîneur était René Gardien.
(2) Soit dit en passant, Rousseau est le titulaire avec Laval en 1988/1989. Il avait cependant fort opportunément laissé sa place à sa doublure lors de la dernière journée de cette saison, lors de la défaite des siens à Lille (8-0).
(3) Il se dit que c’est Pascal Cygan qui lui a passé les gants de gardien ce jour-là, en lui disant : « Maintenant que je viens de te passer deux gants, je ne suis plus que Pascal Quatregan ». Mais sachant que cette rumeur ne vient que de nos cerveaux, il n’est pas impossible qu’elle soit infondée.
Posté le 5 mai 2017 - par dbclosc
Thierry Rabat, le coup de vieux
Thierry Rabat a laissé un souvenir mitigé de son passage au LOSC (1995-1997), jonglant entre performances tantôt correctes, tantôt décevantes, dans un collectif lui-même sur courant alternatif et bien souvent en difficulté. Polyvalent, il fait partie des nombreux joueurs expérimentés recrutés lors du mercato 1995, au même titre que Joël Germain, Philippe Périlleux ou Amara Simba, et dont on ne peut pas dire que le passage ait été une grande réussite – pour Philippe Périlleux, on ne parle que de ce retour lors de la saison 1995/1996, sa « première carrière » lilloise ayant été, elle, très satisfaisante. Malheureux, Rabat se blesse rapidement après son arrivée, manque une bonne partie des matches amicaux, et ne débute sous les couleurs du LOSC que lors de la 9e journée, le 16 septembre 1995, à Gueugnon, pour une défaite 1-3. Par la suite, il a été un titulaire régulier, jouant 60 matches de championnat au poste de milieu défensif, plus rarement en tant que défenseur central.
Il est bon ou il est pas bon ?
Thierry Rabat laisse principalement deux souvenirs : d’abord, une remarquable foulée, genoux en avant et talons en arrière (vous allez me dire : l’inverse est difficile. Certes), mettant en valeur une crinière probablement soignée grâce aux meilleurs produits capillaires ; ensuite, de longs débats d’après-match, avec cette impression assez merdique que si on avait perdu en sa présence, c’était un peu sa faute, alors que si on avait perdu en son absence, c’était parce qu’il n’était pas là (les débats portaient plus souvent sur des défaites en ce temps-là). Sens du placement, qualité de passe d’un côté, soucis de marquage, manque de vitesse de l’autre, Thierry Rabat est un joueur professionnel moyen comme il en existe de nombreux prototypes. Passé par Limoges, Lens, le PSG, Martigues, et deux fois Toulon avant de débarquer à Lille, il n’a à son palmarès qu’un titre de champion de D2 (groupe B) avec le club varois, en 1983, au tout début de sa carrière. Et pour cause, il lui était en fait bien difficile d’étoffer ultérieurement son palmarès grâce à ses performances, à mesure que le temps passait. Nous avons en effet découvert que Thierry Rabat était atteint d’un mal peu connu dit « vieillissement accéléré », dont les symptômes se sont accélérés au cours de la période losciste.
Pour preuve, nous vous proposons deux documents. En juin 1995, Joël Germain et Patrick Collot ont déjà signé pour le LOSC. Un troisième homme est pressenti : le martégal Thierry Rabat. Une nouvelle que relate la Voix du Nord dans son édition du 7 juin 1995 :
Le 9 juin, le même journal confirme l’arrivée de Thierry Rabat : il a signé un contrat de 2 ans. Voici ce que le quotidien relate le 9 juin 1995 :
N’avez-vous rien remarqué ? Dans l’article du 7 juin, Thierry Rabat a 30 ans. Or, dans celui du 9 juin, il a 33 ans ! Même en admettant que les nouvelles relatées dans un journal datent de la veille, cela ne change rien à cette problématique fondamentale et étonnante : entre le 6 et le 8 juin, en l’espace de 2 jours, Thierry Rabat a gagné 3 ans d’âge. En prenant pour base un vieillissement de 3 ans tous les deux jours, soit un an et demi par jour, cela signifie donc que lors de ses débuts lors de Gueugnon/LOSC, 103 jours plus tard, Thierry Rabat avait encore vieilli de 154 ans et demi, si bien qu’il était alors âgé de 184 ans et demi. C’est considérable. Cette nouvelle donnée nous invite évidemment à considérer avec beaucoup plus de relativité – et d’admiration – les performances de Rabat, dont on comprend alors qu’elles aient parfois été marquées du sceau de la médiocrité : on n’imagine qu’il n’est pas facile de suivre le rythme de la première division à un âge aussi avancé, quand on voit déjà ce que donne Mavuba à 33 ans. Mais le plus prodigieux dans l’histoire, c’est que Rabat s’est encore maintenu 1 an et demi au haut niveau, 521 jours, jusqu’à son dernier match à Metz le 24 mai 1997 soit, en Rabat-lumière, une durée de 781 ans et demi. En quittant le LOSC, Thierry Rabat était donc âgé de 966 ans. Zanetti et Milla peuvent aller se rhabiller. Il est dès lors assez peu étonnant que l’on ait peu entendu parler de ses performances à Troyes, en D2, lors de la saison 1997/1998. Nous ne savons pas trop ce qu’est devenu Thierry Rabat, mais on peut estimer son âge, 20 ans après ces événements, à environ 11 923 ans.
Il est difficile de savoir si d’autres joueurs du LOSC ont été touchés par ce mal étrange au cours de l’histoire, qui expliquerait bien des déconvenues : chacun aura des noms en tête. Pour terminer, notons que ce symptôme semblait très répandu à l’époque, et que manifestement les rapports à l’âge étaient bien différents qu’à la période contemporaine, puisqu’on pouvait lire ce titre dans la Voix du Nord, toujours en juin 1995 :
Posté le 14 avril 2017 - par dbclosc
Dagui Bakari, hors-norme
Il aurait fallu être sacrément visionnaire pour imaginer que le LOSC vivrait une de ses périodes les plus dorées avec pour avant-centre un joueur aussi atypique que Dagui Bakari. Et pourtant : après des débuts plutôt laborieux, Dagui Bakari connaît une progression inespérée. En fait, c’est simple : entre 1999 et 2002, chaque fois que le LOSC a franchi un palier, Dagui était en première ligne.
Été 1999, on oscille entre morosité et optimisme à Lille. Morosité après deux montées ratées ; mais optimisme, car la dernière saison s’est terminée en boulet de canon sous l’impulsion de l’entraîneur Vahid Halilhodzic, qui a profité du mercato pour faire le tri dans l’effectif : on lui fait confiance. Olivier Pickeu, après un total décevant de 7 buts dans un système pas adapté à son jeu, est parti au Mans. En échange, et en donnant un peu d’argent aux Manceaux, le LOSC récupère Dagui Bakari. Tiens donc, quelle drôle d’idée : un avant-centre qui vient de marquer 11, 9 et 9 buts sur les 3 dernières saisons. Très honorable, mais cela correspond-il aux statistiques d’un avant-centre dont le club vise la montée ? À Lille, on connaît un peu la D2, tu parles, ça fait 2 ans qu’on y est. Dagui Bakari, c’est un profil d’attaquant « grand et costaud » cher à Willy Sagnol : 1,93m et 90 kgs. Il nous a même mis un but à Grimonprez-Jooris : c’était pour le premier match de Vahid au LOSC, pour un nul 3-3 entre Lille et Le Mans. Un but pas dégueu d’ailleurs, suivi d’une passe décisive à Réginald Ray. Alors, que vaut Dagui Bakari ? À vrai dire, a priori, il nous rappellerait plutôt Samuel Lobé, l’efficacité en moins, autant dire qu’il ne resterait plus grand chose. Peut-être qu’il a été recruté en cas de pépin pour Boutoille, Peyrelade ou Valois, les titulaires… ? Hé bien pas du tout : Dagui Bakari sera l’avant-centre titulaire pour cette saison 1999-2000.
Des débuts qui ne convainquent pas le public
On a eu l’occasion de voir de quelle manière le LOSC allait jouer durant cette nouvelle saison au cours des matches amicaux. Le dernier d’entre eux, contre Anderlecht à Roubaix, a mis en évidence l’apport de Dagui Bakari en tant que point de fixation devant. Pour l’ouverture du championnat, le LOSC se rend à Laval, et revient avec une première victoire (1-0) : à l’origine du but, une récupération de Landrin, puis une combinaison Bakari-Peyrelade-Boutoille permettant à ce dernier de marquer. Dagui enchaîne les matches, mais ne marque pas. Alors que l’équipe se procure quantité d’occasions, on trouve rarement Dagui Bakari à la finition, hormis pour quelques tentatives molles ou désespérées. Sa grande taille donne l’impression qu’il est pataud. Son n°10 renforce le contraste entre un chiffre traditionnellement associé à un poste et un joueur techniques, et cette grande carcasse qui donne parfois le sentiment de ne pas quoi savoir faire de ses pieds. Il ne faut compter que sur l’indulgence du public face aux bons résultats et la confiance accordée à Vahid pour ne pas entendre Dagui se faire siffler… Lorsqu’il se blesse à l’automne et manque quelques matches, son remplaçant, Rudi Giublesi, pourtant pas plus efficace, est acclamé, manière polie de signifier que l’habituel titulaire ne convient pas.
Dagui avait marqué contre Anderlecht (2-3)
Et pourtant, un maillon essentiel
Oui, Dagui Bakari n’est pas un « buteur » traditionnel. Mais son apport au jeu est essentiel : son recrutement répond à un projet de jeu collectif dont il n’est qu’un maillon. Dans ce championnat réputé « physique », Vahid Halilhodzic a bien compris qu’il ne suffisait pas de cumuler les buteurs pour cumuler les buts (au début de la saison 1998/1999, les 6 attaquants du LOSC – Djezon Boutoille, Samuel Lobé, Franck Renou, Laurent Peyrelade, Olivier Pickeu et Jean-Louis Valois – pesaient 64 buts sur la saison 1997/1998 !). Clairement, le jeu est organisé autour de lui. Si son travail est assez ingrat, souvent dos au but, ceux qui tournent autour de lui, notamment Boutoille et Peyrelade, récupèrent les fruits de son travail. Et il n’est pas forcément évident de faire comprendre qu’un attaquant n’est pas forcément là pour marquer ! Alors Dagui ne marque pas, mais Dagui pèse : lors de la 4e journée contre Ajaccio, il sort à la 71e, alors que le score est de 1-1 et que les Corses jouent à 10 depuis la 30e. Lille gagne 4-2 : la preuve que Bakari est mauvais ? Sûrement pas. Si Lille en met 3 derrière, face à une défense qui ne peut plus résister aux assauts de nos attaquants frais, c’est bien parce que Bakari l’a épuisée. Et Dagui sait aussi profiter du travail de ses équipiers : il entre en jeu à Châteauroux à la 73e, le score est de 1-1. Finalement mené, le LOSC pousse en fin de match, et Bakari obtient un pénalty qu’Agasson transforme (85e), avant que Boutoille ne donne la victoire à la dernière minute, Bakari ayant attiré toute la défense sur lui. Travailleur de l’ombre, il met quelques semaines pour se signaler individuellement, en entrant en jeu lors de la 9e journée à Niort à la 70e minute, alors que le score est de 0-0 et que le LOSC est réduit à 10 depuis la 41e minute et l’expulsion de Carl Tourenne. 20 minutes plus tard, le LOSC mène 0-3 : Bakari a ouvert le score, il a ensuite superbement débordé et permis à Agasson de faire 0-2, avant que Boutoille ne parachève le succès lillois. La semaine suivante, il marque enfin son premier but à domicile, contre Le Mans, avant d’obtenir un pénalty après avoir renversé un défenseur d’un petit coup d’épaule. Ce n’est pas un hasard si l’arrivée de Bakari correspond à la systématisation du « Vahid time », cette période du match où l’adversaire, épuisé par 80 minutes de résistance aux coups de boutoir de l’équipe et de son avant-centre Bakari, cède en fin de match. On en avait longuement parlé dans cet article. Si de nombreux succès lillois cette année-là se sont construits de façon précoce, on garde le souvenir de défenses adverses épuisées en fin de match par le pressing du milieu et le poids de Bakari devant. Ainsi, Créteil, Gueugnon, Toulouse, Louhans-Cuiseaux, Cannes ont tous cédé dans les 10 dernières minutes et, pour Valence, Niort et Nîmes, c’était à l’aller et au retour. Pas encore suffisant pour le transformer en idole de Grimonprez (d’autant que Fernando est intouchable), mais son travail commence à se voir. Alors ça reste parfois maladroit, il a quelques ratés à son palmarès, il est parfois mal placé, mais ça fonctionne. Par la suite, son jeu s’est considérablement enrichi : il est aussi l’auteur d’un doublé dans un match au sommet face à Toulouse début février (2-0), avec un premier but rigolo où il défonce Prunier par un bon coup d’épaule, puis buteur face à Caen quelques semaines plus tard (3-2) pour le match de la montée « officieuse », avant de l’être encore pour le match de la montée officielle contre Valence. Dagui est là dans les matches au sommet.

Il inscrit donc un total de 7 buts au cours de cette première saison. Moyen pour un avant-centre ? Oui, mais c’est le même total que Laurent Peyrelade, et le meilleur buteur du club, Djezon Boutoille, n’en inscrit « que » 12. Le foot est un sport collectif, et le LOSC est une équipe collective, puisque tout le monde marque : Valois, Giublesi, Agasson, Collot, Br. Cheyrou, les joueurs offensifs savent profiter de leur point d’appui devant. Et, si on élargit un peu la focale, on se rend compte que Dagui Bakari est le deuxième attaquant le plus « décisif », en témoignent ces stats concoctées par DBC.
Une formation dans la rue
Tout de même : comment expliquer son jeu si particulier ? C’est simple : pour Dagui Bakari, le foot n’est qu’un sport de rue jusqu’à ses 16 ans, au moment où il signe sa première licence à Romainville, en Seine-Saint-Denis. Autrement dit, il n’a jamais connu de centre de formation, et le football s’est résumé pour lui durant 16 ans à un jeu sans grande discipline collective, sans consignes formelles ni règles du jeu très précises. Un ballon, des copains et un terrain vague faisaient l’affaire : « je n’avais pas pris conscience que le football pouvait être un métier. À mes yeux, ce n’était rien d’autre qu’un loisir1 ». 4 ans plus tard, il signe à Noisy-le-Sec, en troisième division, avant d’atterrir à Amiens en D2 pour son premier contrat pro, où il ne joue que 3 matches : « ce fut une expérience difficile. J’y ai appris beaucoup de choses. J’ai découvert ce qu’était un club professionnel. Malheureusement, je n’avais pas confiance en moi. Peut-être que je n’étais pas encore prêt pour jouer au haut niveau ». C’est finalement au Mans que Dagui se révèle, en y signant en 1996, sous la direction de… Thierry Froger : « ce fut le tremplin. C’est là que je me suis fait connaître. J’ai bénéficié de la confiance du staff pour progresser. En intégrant un club tardivement, j’ai pris du retard par rapport aux autres joueurs. Mais je m’efforce de compenser en travaillant dur ». Sa première saison au Mans est la plus prolifique de sa carrière, avec 11 buts marqués, le même total que son coéquipier Laurent Peyrelade.
Contre Saint-Étienne, la révélation
Quand Lille retrouve la D1, on se demande comment Dagui Bakari s’y affirmera, au même titre que nombre de ses coéquipiers. Logiquement, il n’est pas voué à être titulaire : le Danois Beck, plus expérimenté, a été recruté, dans un rôle d’ailleurs assez similaire à celui de Dagui, mais davantage pour dévier de longs ballons, et donc plus aérien. Il découvre la D1 en entrant contre Monaco lors de la 1e journée. Une semaine plus tard, il est titulaire à Strasbourg mais se blesse : il est remplacé par Laurent Peyrelade, buteur en 2e mi-temps. Pas forcément très bon pour sa place dans la hiérarchie des attaquants. Il revient pour la 5e journée contre Metz, en remplaçant Murati à la 73e. Quelques minutes après, il inscrit son premier but en D1. Jusque là, il avait inscrit des buts très classiques : et voilà qu’il nous fait un superbe enchaînement contrôle du droit/reprise du gauche qui donne la victoire 2-1. 3 semaines plus tard, il est décisif contre Lens, d’abord en égalisant 8 minutes après son entrée en jeu, puis en feintant la défense lensoise, ce qui permet à Lolo Peyrelade de marquer. Dans le premier sommet de la saison, au moins pour les supporters, Dagui est déjà là. La fin de l’année civile 2000 est assez quelconque, avec quelques apparitions contrastées : notons tout de même sa remontée de terrain à Lyon *je fais un une-deux sur 70 mètres avec Fernando*, qui permet à l’arrivée à Landrin d’inscrire le but vainqueur. Mais de manière générale, Beck est aligné en pointe, Sterjovski se révèle, Peyrelade semble plus affûté… Dagui est remplaçant.

Et puis le match contre Saint-Étienne, ci-dessus. Le même adversaire qui a vu Grégory Wimbée changer de dimension. Mais on parle ici du match retour, le 27 janvier 2001. Ce soir là, ses progrès sautent aux yeux : au-delà du doublé qu’il inscrit, il multiplie les appels, empêche la relance adverse, conserve intelligemment le ballon : « sur un plan personnel, je suis évidemment très heureux d’avoir réussi ce doublé. Je n’ai jamais douté de moi mais, évidemment, une telle réussite ne peut que me mettre en confiance pour la suite. Cela dit, rien n’est terminé. Il n’y a pas d’équipe-type et je devrai continuer à me battre pour gagner ma place2 ». Il n’y a pas d’équipe-type, mais le LOSC est en tête du championnat et son avant-centre pour le sprint final est désormais Dagui Bakari. La semaine suivante, il confirme à Lens, même s’il manque deux belles occasions : c’est sous sa pression que Rool marque contre son camp. L’hiver s’achève, Bakari en profite pour se teindre les cheveux et la barbiche, et il « crève l’écran » : c’est France Football qui l’écrit.
Une exceptionnelle fin d’année 2001
La saison s’achève. Dagui a ajouté à son répertoire de grandes chevauchées en contre-attaques, un jeu de tête toujours plus précis, et une menace permanente pour les défenses adverses. Il entame la saison 2001/2002 dans la peau du titulaire, et score dès la 2e journée contre Lorient, peu après être entré en jeu (3-1) : il fallait en effet le ménager avant de se rendre à Parme. À l’aller comme au retour, Dagui pèse sur la défense italienne, dévie les ballons, obtient des fautes. Son match aller est remarquable d’intelligence, et Bassir et les autres savent en profiter ; au retour, il permet à l’équipe de respirer quand elle est en difficulté. Lille se qualifie pour la Ligue des Champions, et son grand avant-centre y prend une part prépondérante. Entre les deux chocs contre les Italiens, il a permis à Lille de battre Montpellier à la 93e (2-1). 4 jours après la qualification, il égalise à Lens à la 86e (1-1).
Dans cette première partie de saison, il est souvent remplaçant en championnat, où il entre en fin de match, et titulaire en coupe d’Europe. Ainsi, contre Nantes, ci-dessous, il inscrit le seul but du match à la 93e, dans un scénario typique des années Vahid. Au total, il a inscrit à Lille 8 buts dans les 10 dernières minutes, pour un gain total de 8 points. Cette fois, Dagui est bel et bien devenu une des coqueluches de Grimonprez-Jooris. C’est cette incroyable époque où le public se lève quand le temps additionnel est annoncé, faisant complètement paniquer les adversaires, et attend le but vainqueur à la dernière seconde. Regardez la vidéo : le stade est debout et semble certain de l’issue victorieuse.
Le but sur Fréquence Nord
En Ligue des champions, Lille débute à Manchester, résiste mais s’incline en fin de match. Dagui maintient son niveau, trouvant même la barre de Fabien Barthez sur un lointain centre-tir.
Deux semaines plus tard, contre l’Olympiakos, le LOSC inscrit son premier but en phase de poules. Le buteur, bien sûr : Dagui Bakari.
Il se blesse malheureusement au Pirée, ce qui n’est sans doute pas négligeable dans la défaite ce soir là (1-2). Après quelques semaines d’absence, il signe son retour par un but à Florence, pour une nouvelle victoire lilloise en Italie (1-0), avant d’inscrire un but similaire à Monaco quelques jours plus tard (2-2) : oui, Dagui Bakari sait désormais placer des petits ballons piqués en face-à-face avec les gardiens.

Il inscrit cette saison là 9 buts en championnat, son meilleur total, alors même qu’il ne prend part qu’à 25 matches, dont un bon tiers comme remplaçant. La fin de saison, comme celle de toute l’équipe, marque une fin de cycle : il est plus irrégulier mais parvient à hisser le club à la 5e place. Puis, comme Cheyrou, Cygan et Ecker, il part.
Après Lille, peines de cœur
Et comme Cheyrou, Cygan et Ecker et bien d’autres, sa carrière post-lilloise ne revêt pas vraiment la même envergure. Il faut dire que Dagui a la mauvaise idée de partir à Lens. Ça, c’est pas bien du tout, mais on ne t’en veut même pas Dagui, même si tu nous a mis un but le 25 octobre 2003, nous causant une défaite d’autant plus amère (1-2).
Mais Dagui a eu la décence de ne jamais retrouver à Lens le niveau qu’il a eu à Lille. Régulièrement raillé par le public en sa seule qualité d’ancien Lillois, il subit également l’ire des Lensois en raison de sa maladresse. Il reste 3 saisons là-bas, entrecoupées d’un transfert raté à Valladolid. Il signe finalement à Nancy en 2005, où il ne joue qu’un seul match (contre Lens) avant que ne soit détectée chez lui une anomalie cardiaque incompatible avec le sport de haut niveau. À 31 ans, il doit prématurément mettre un terme à sa carrière. Après deux ans de traitement, il est déclaré hors de danger et après avoir entraîné des jeunes à Lambersart puis à Valenciennes, il est aujourd’hui entraîneur-joueur à Lomme-Délivrance, et s’est en parallèle reconverti dans le coaching privé, avec des exercices basés sur l’aspect psychologique du sport, et vit toujours dans la métropole lilloise. Pour terminer sur une anecdote sympa, l’un de nous l’a croisé il y a un an à Carrefour Gambetta : et comme 15 ans auparavant, la réflexion a été assez longue pour savoir comment aborder ce grand et impressionnant gaillard ; mais comme 15 ans auparavant après les entraînements à Grimonprez, Dagui a été absolument charmant. Et c’est nous qui avons le cœur lourd en repensant à ce qu’il a représenté.
FC Notes :
1 Cette citation (et les autres, sauf indication contraire) sont extraites d’un supplément à la Voix des Sports du 26 juillet 1999, p. VIII.
2 La Voix des Sports, 29 janvier 2001, p. 2
Posté le 28 mars 2017 - par dbclosc
Et Wimbée devint invincible
Le 17 septembre 2000, Grégory Wimbée réalise une prestation exceptionnelle à Saint-Étienne. Pas de chance pour la Voix du Nord, cette performance coïncide avec un article publié le matin même dans les colonnes du journal, qui remettait en question la légitimité du gardien lillois.
Ce dimanche de septembre est un événement pour les supporters Lillois : c’est la première fois que le LOSC a les honneurs d’une retransmission télévisée dominicale sur Canal + depuis un Lille/Lyon, le 17 novembre 1996. Il faut dire que, depuis, le club a végété 3 ans en deuxième division, mais sur une pente toujours ascendante : après une première saison manquée en 1997/1998, l’arrivée de Vahid Halilhodzic en septembre 1998 a permis à Lille de redresser la barre, échouant de peu à remonter au printemps 1999, avant de signer une saison record en 1999/2000, avec le titre de champion de D2 à la clé. Le LOSC retrouve la D1 avec des prétentions modestes : il s’agit seulement de se maintenir dans l’élite. Les premiers matches ont été très encourageants, puisque le LOSC se hisse même en tête du championnat un soir d’août, après une victoire contre Rennes. Une nouvelle victoire contre Metz fin août cale tranquillement les Lillois en haut de classement, seulement devancés par les voisins Lensois. Mais le mois de septembre semble marquer la fin de l’euphorie estivale : sans Richert, Fahmi, D’Amico, Collot et Murati, blessés, deux défaites consécutives, à Bastia (0-1), puis contre Troyes (1-2), replacent rapidement l’équipe en milieu de tableau, et ramènent les supporters à une dure réalité : la saison sera difficile avec un effectif au complet, et d’autant plus avec des blessés. Se profile alors ce déplacement à Saint-Étienne, qui vient de se faire défoncer à Paris (1-5). A priori, pas le meilleur endroit ni le meilleur contexte pour se relancer. Et pourtant, Lille repart avec un excellent point (1-1). Surtout, ce match, couplé au suivant contre Lens, constitue un tournant dans la saison, pour l’équipe et plus particulièrement pour son gardien, Grégory Wimbée. Interrogé par Vincent Alix, sa réaction d’après-match illustre une grande satisfaction, et l’accomplissement d’une forme de revanche.
D’habitude dans la modération et peu enclin à régler des comptes, on a connu notre Greg plus pondéré. Que s’est-il donc passé avec ce « journaliste de la Voix du Nord qui fait très mal son travail » ?
Une interview que l’on comprend mieux avec la caméra opposée
Le délicat rapport aux sources des journalistes
D’abord, soulignons que la Voix du Nord, en tant que presse quotidienne régionale, relaie quasi quotidiennement l’actualité du LOSC, au moins dans les éditions locales proches de la ville de Lille. Cette situation implique donc, pour les journalistes du quotidien, des relations de proximité avec les joueurs, principaux pourvoyeurs d’informations. Du point de vue des journalistes, il est parfois délicat de trouver la distance adéquate afin de concilier information envers le public, supposée neutre et objective, conformément aux idéaux journalistiques de transparence voire de pilier de la démocratie, et la nécessité de ne pas froisser ses sources, sans quoi, même sans aller jusqu’au boycott de la presse de la part de l’entreprise – ce serait mal vu, mais les Parisiens l’ont récemment fait –, les relations risquent d’être froides, et ce n’est jamais agréable, et si je veux j’allonge encore ma phrase. Bref, tout ça pour dire que, dans l’esprit d’un.e journaliste, toute « vérité » n’est peut-être pas bonne à dire, mais ça fait quand même un peu chier de devoir taire une « information » ou une opinion qui semble largement partagée. Et, en l’occurrence, la Voix du Nord avait manifestement un message à faire passer : Grégory Wimbée ne mérite pas sa place en première division. Écrit comme ça, c’est un peu trash. Dans quelle mesure et comment peut-on « mal » parler de ceux qui nous fournissent la matière de notre travail ?
Histoire de ne pas s’engager personnellement ni d’y impliquer le journal, on peut alors faire passer une idée en faisant parler d’autres qui pensent comme soi-même. C’est la stratégie adoptée par Frédérick Lecluyse qui, dans l’édition du 17 septembre 2000, signe un article basé sur des témoignages saisis dans la semaine lors d’un entraînement du LOSC. L’idée est de saisir l’ambiance autour du club : venant des supporters, les propos ne peuvent alors que refléter une certaine authenticité, et révéler ce que tout le monde pense tout bas1. Donner la parole aux supporters, c’est ainsi la garantie de relayer un propos brutal tout en se dédouanant de l’avoir écrit en son nom propre.
Pas de ménagement à Troyes
Au menu de cet article, titré, reprenant une parole de supporter, « On savait que ce serait dur ! » : les inquiétudes autour des blessures, des deux défaites consécutives, et de Grégory Wimbée : « La longue absence de Teddy Richert, remplacé par un Greg Wimbée qui s’est un peu troué samedi dernier sur le second but troyen, relance aussi le débat : « C’est sûr qu’on ne retient que les erreurs du gardien, mais je pense que Lille devrait penser à recruter à ce poste car on peut craindre que Richert ne revienne jamais », pense Benoît, de Lomme. « On le savait que Wimbée n’avait pas le niveau » tranche Stéphane. « Il est trop nonchalant », complète David, un jeune Marquettois ». Voilà donc le déclencheur du courroux2 : une performance jugée médiocre contre Troyes, une semaine auparavant. Jbari, le joueur préféré de Babar, excellent en défense, ouvre le score ; Bruno Cheyrou égalise rapidement. Puis, tout particulièrement, Greg Wimbée est mis en cause sur le deuxième but troyen : une reprise instantanée de Nicolas Goussé à 20 mètres, effectivement pas très puissante, mais soudaine et bien placée. Chacun peut se faire son opinion à partir d’un résumé du match, ci dessous:
Mais si l’on en croit les témoignages de l’article, les performances de Greg sont remises en question depuis bien plus longtemps. Quel a été son parcours jusqu’alors ?
Un gardien correct, en manque de confiance
Quand Grégory Wimbée débarque à Lille à l’été 1998, c’est auréolé – et non Aréola – d’une sacrée réputation : il est en effet à ce moment le premier et seul gardien à avoir inscrit un but sur une action de jeu, et ce contre ces pauvres Lensois, et contre ce malheureux Jean-Claude Nadon (on en avait parlé ici). Mais sa carrière lilloise est commence sans relief particulier : malchanceux, il a même marqué contre son camp lors de son premier match à Grimonprez, contre Guingamp, en août 1998. Hormis une période, fin 1998, où il perd même sa place au profit de Bruno Clément durant 7 matches après une prestation collective décevante contre Ajaccio (1-3), Grégory Wimbée est un gardien de but qui fait le job, sans être ni spécialement mauvais, ni particulièrement décisif. Il a tout de même à son palmarès un fait d’armes particulièrement cocasse dont, à notre connaissance, il n’y a pas d’autre exemple : contre Gueugnon, en octobre 1998, il détourne deux fois le même pénalty. Explication : un pénalty est sifflé pour Gueugnon : Alain Bettagno s’élance, et Greg détourne sur sa droite. Oui, mais l’arbitre fait retirer le pénalty : étonnamment, changement de tireur, c’est cette fois Fabien Weber qui frappe : Greg détourne de nouveau, sur sa gauche. Quelques minutes plus tard, Pascal Cygan inscrit le but de la victoire en détournant une frappe de Momo Camara. Cadeau DBC : on a cette action avec la voix de Vincent Delcroix, sur Fréquence Nord. C’est tellement la fête du football dans la métropole lilloise en quelques minutes que Wasquehal marque en même temps à Guingamp.
« L’ami Bettagno »
Grégory Wimbée est ensuite le gardien de la meilleure défense de D2 en 1999/2000, avec seulement 25 buts encaissés. Il reste difficile d’isoler les performances individuelles d’un gardien du reste de l’équipe, mais il est significatif que Greg avait réussi la même performance avec Nancy en 1996, avec seulement 23 buts encaissés, et ce dans une D2 à 22 clubs. Seules ombres au tableau lors de cette saison : ses deux expulsions, contre Sochaux, puis contre Guingamp (mais « c’était pas juste » nous disait Fernando), et une perte de balle face à un attaquant en voulant dribbler, ce qui nous a coûté un but à Cannes en mars 2000 (2-2). Faisant parfois passer quelques frissons dans le stade en cas de passe en retrait d’un de ses équipiers, Greg est à Lille dans la continuité de sa carrière professionnelle : potentiellement excellent mais un peu sur la retenue. Il a tout de même été international Juniors et compte une vingtaine de convocations en Espoirs (pour 4 titularisations), avant de connaître une forme de « relégation professionnelle », en défendant les buts d’équipes de bas de tableau en D1 (Nancy, Cannes, avec 2 descentes), puis en retrouvant la D2 avec Lille.
Numéro 2, puis numéro 1
Lille et Greg Wimbée retrouvent la D1 en 2000. Sans que cela ne choque grand monde, le club se met en quête d’un gardien, car Greg est voué à devenir n°2. Teddy Richert, doublure d’Ulrich Ramé à Bordeaux, débarque. Il a à son actif deux saisons pleines en D1 et une demie en D2, avec Toulouse : sur le papier, un profil pas tellement différent de Wimbée, et même moins expérimenté. Pour le premier match de la saison, Richert garde correctement le but lillois, avec à l’arrivée un valeureux nul contre Monaco, champion en titre (1-1). Mais, dans la semaine, le gardien se blesse gravement à l’entraînement : rupture du tendon d’Achille, et longue indisponibilité. Logiquement, Grégory Wimbée est alors promu n°1, a priori jusqu’au rétablissement de Richert. On ne le sait pas encore, mais on ne reverra plus Teddy sous le maillot lillois. Greg prend part aux victoires à Strasbourg (4-0), puis contre Rennes (1-0). À Sedan, il est de nouveau expulsé pour une main hors de sa surface, l’occasion d’offrir à Eric Allibert deux apparitions en D1 : il encaisse un but sur le coup-franc qui suit, seul but du match, puis garde le but contre Metz (2-1). Greg revient pour le match à Bastia (0-1). Et arrive donc le match contre Troyes, qui accouche donc de l’article de la Voix du Nord le 17 septembre, juste avant le déplacement à Saint-Étienne.
Et donc voici une partie de la performance de Greg ce soir-là, qui explique sa réaction vue plus haut : il cède face à Alex à la 21e, puis s’interpose notamment contre ce même Alex (36e, 77e, 91e), Panov (49e) et Pédron (81e). Incontestablement, si Lille prend un point, c’est grâce à son gardien. C’est aussi l’occasion de revoir notre n°1 du Top 18 des buts à la con du LOSC. Le commentaire de France 3 ne manque pas de faire référence aux critiques que Greg a subies dans la semaine :
La Voix du Nord applaudit la performance
Dans l’édition du mardi 19 septembre, toujours sous la plume de Frédérick Lecluyse, Grégory Wimbée est en tête du « Top 5 » des joueurs lillois, avec ce commentaire : « Troyes est oublié. Le gardien Lillois a tout simplement permis aux siens de revenir du Forez avec le point du match nul ».
Dans la partie sur l’analyse du match, le même journaliste : « si le LOSC n’a plié qu’une seule fois, il doit en grande partie à son gardien Grégory Wimbée, qui a sans doute sorti un de ses meilleurs matches depuis qu’il est au LOSC. Très fâché par les déclarations de quelques supporters (notre édition de dimanche), le grand Greg a effectué des arrêts de grande classe, et démontré qu’il avait largement sa place en D1. Ses coéquipiers et le coach étaient unanimes dans l’hommage. Tout comme d’ailleurs l’ancien Lensois Jean-Guy Wallemme, capitaine des Verts, et le néo-stéphanois Patrice Carteron ». F. Lecluyse prend la position de celui qui n’a fait que jouer un rôle de médiateur, semblant même s’opposer aux propos qu’il a relayés, reprenant du coup l’appellation « Grand Greg ». Alors, mea culpa ou position d’absolue neutralité du journaliste parfait ? Sans doute beaucoup de l’un, et un peu de l’autre. Un autre article, dans la même édition, signé cette fois Sébastien Darnaux, souligne : « sur le plan psychologique, ce nul au goût de victoire a fait le plus grand bien au club. À Grégory Wimbée également ! Le gardien du LOSC, pas très brillant face à Troyes, s’est repris de la meilleure façon qui soit en intervenant efficacement devant le duo Alex-Panov, impuissant ». Beau compromis : « mon collègue n’avait pas tout à fait tort mais Wimbée est aussi un excellent gardien ».
Et histoire de tout remettre à plat, le vendredi 22 septembre, la Voix du Nord offre un portrait croisé de Guillaume Warmuz et de Grégory Wimbée, à l’avant-veille du derby. Greg y est qualifié de « héros de Geoffroy-Guichard ». La parole est donné à ses entraîneurs. Vahid Halilhodzic : « Je savais pouvoir compter sur lui. Il a répondu à mes attentes ! » ; Jean-Pierre Mottet : « Cela fait deux ans et demi qu’il est performant. Il n’a connu qu’une période difficile chez nous : lorsque Bruno Clément avait pris sa place. Et puis, si Lille a terminé meilleure défense de D2 l’année dernière, c’est aussi grâce à lui ».
On a fait un petit montage pour résumer tout ça
On dit merci qui ?
Alors, merci la Voix du Nord ? Ce serait une explication bien trop hâtive : s’il suffisait de dire qu’un joueur est « mauvais » pour qu’il devienne excellent, le football devrait une fière chandelle à Pierre Ménès et à Jean-Michel Larqué. Nul doute que Grégory Wimbée a été piqué par cet article, dont on conçoit que certains passages, mettant explicitement et publiquement – c’est quand même une particularité du métier dont on a sans doute peine à évaluer la portée3 – en cause son niveau, ont pu être considérés comme blessants, et l’ont peut-être surmotivé. Mais ce serait faire bien trop d’honneur au rôle de la presse : on ne s’improvise pas excellent gardien. Cela rappellerait la pathétique défense de Jérôme Bureau, patron de L’équipe, après le titre mondial en 1998 : en gros, si les Bleus sont devenus champions du monde, c’est parce que la ligne éditoriale du journal, critique voire diffamante envers Aimé Jacquet, a soudé le groupe. Ce serait surtout mettre de côté le travail réalisé avec Jean-Pierre Mottet depuis l’arrivée de Greg à Lille. Et, cela compte aussi beaucoup chez un homme comme Grégory Wimbée, le simple fait de vivre à Lille, dans un environnement qui lui convient et contribue largement à son épanouissement professionnel. Ce n’est pas un hasard s’il habite encore dans le coin. En fait, la relation entre Grégory Wimbée et la Voix du Nord avait commencé la semaine précédente, juste avant le match contre Troyes. Le quotidien avait dressé un portrait plus personnel de Greg : il posait avec ses enfants, Manon et Théo, évoquait la profession de ses parents, son déménagement dans le Vieux-Lille, les bouffes avec Bruno Cheyrou, Sylvain N’Diaye et Dagui Bakari. Et on pouvait lire : « Le déménagement à Lille m’a sauvé. Au cours de la saison 97/98, j’étais à Cannes. J’habitais Grasse, plus précisément. C’est affreux là-bas. Les gens sont superficiels. On peut vous dire plusieurs fois de venir manger à la maison sans lancer une véritable invitation ». Alors, voilà notre interprétation : l’arrivée de Grégory Wimbée à Lille l’a replacé dans un contexte propice à sa réussite. Le grand espoir qu’il était sommeillait encore. Après deux saisons correctes, les résultats de son travail sont apparus de façon éclatante un soir à Saint-Étienne, le jour où la Voix du Nord le critiquait. Simple coïncidence chronologique. Et depuis, Greg est devenu invincible, comme ce jour où il fut sauvé 4 fois par ses poteaux, et où il arrêta un pénalty. C’était… à Troyes, un an après. La chance et le talent des très grands gardiens.
FC Notes :
1 À la différence de Pierre Ménès qui, comme l’énonce très justement notre estimé collaborateur Jean-Marie Pfouff, « dit tout haut ce que personne ne pense tout bas ».
2 À propos, vous avez vu l’actualité en Guyane ?
3 Tiens, imagine que, au boulot, tu rédiges mal un rapport : le lendemain, le quotidien local, fait parler les gens de ta boîte : « ouais franchement, Duchmol a vraiment une grammaire pas au niveau », « on savait que ce boulot serait dur pour lui », « faudrait penser à le remplacer… ». Oui, je sais, tu t’appelles pas Duchmol, c’était un exemple.
Posté le 23 mars 2017 - par dbclosc
Quand Vahid faisait le Guignol
En novembre 2001, les téléspectateurs de Canal + voient apparaître une nouvelle marionnette dans l’émission « Les Guignols de l’info » : celle de l’entraîneur du LOSC, Vahid Halilhodzic. Caricaturé en entraîneur tyrannique, on ne peut pas dire que cette guignolisation ait plu à l’intéressé. Pas sûr cependant que l’émission satirique ait particulièrement décrédibilisé l’entraîneur.
Automne 2001. Après une très honorable campagne de Ligue des champions dont il sort 3e de sa poule, le LOSC est reversé en coupe de l’UEFA. Et pour la deuxième fois en 3 mois, après la victoire à Parme, les lillois s’imposent en Italie, grâce à un but de Dagui Bakari. Au lendemain de cette victoire, le 23 novembre 2001, la marionnette du présentateur, PPD, conclut l’émission avec un dernier invité : Vahid Halilhodzic, l’entraîneur du LOSC. Voici la transcription de l’échange :
PPD : Voilà, sans transition football ! Le Lille Olympique (sic) de Vahid Halilhodzic a créé un véritable exploit en gagnant 1-0 en Italie contre la Fiorentina hier soir. Vahid, vous êtes un entraîneur heureux là, non ?
Vahid : Euh, oui, Vahid dit : Vahid content. Vahid dit : c’est bon pour LOSC, important image de LOSC, équipe progresser, Vahid content pour LOSC… MAIS !!!
PPD : « Mais ? » Mais, mais quoi ?
Vahid : Vahid dit : imperfection dans jeu LOSC !
PPD : Ah bon ?
Vahid : Pas marqué deuxième but, un contrôle raté, deux passes trop longues.
PPD : Bon pas grave. Gagner en Italie, c’est un exploit !
Vahid : Oui, mais Vahid déçu, obligé punir équipe.
PPD : Hein ?
Vahid : Demain, joueurs faire 150 tours terrain avec sacs ciment sur épaules tout nus dans neige.
PPD : Vous allez pas faire ça ?
Vahid : Si, quand joueurs revenir Italie, Vahid fait.
PPD : Vous n’êtes pas rentrés hier soir en avion ?
Vahid : Vahid oui, mais joueurs rentrer à pied comme ça eux apprendre faut pas rater occasion but.
PPD : Mais c’est une méthode… très sévère.
Vahid : Non, ça victoire. En cas défaite, Vahid prend joueur au hasard et exécute lui balle dans nuque.
PPD : Ah oui, ça explique les bons résultats du coup… Bon allez, À tchao bonsoir !
Pas la peine d’être spécialiste de football pour comprendre que Vahid est présenté comme un entraîneur qui, certes, obtient des résultats, mais au prix de méthodes quasi-dictatoriales. Il faut dire que, depuis son arrivée à Lille en septembre 1998, le Bosniaque s’est construit une réputation : outre ses excellents résultats sportifs, qui ont conduit Lille de la 17e place de D2 à la Ligue des Champions en à peine 3 ans, il ponctue régulièrement les entretiens relatifs à ses méthodes de quelques mots qui reviennent comme un leitmotiv : travail, rigueur, discipline. Lors de la première interview qu’il donne à France 3 Nord à son arrivée, il plante le décor : « J’ai dit aux joueurs : ‘Vous êtes tombés dans cette situation à cause de vous. Personne d’autre. Si vous voulez vous sortir de là, vous en sortirez vous-même. Vous devez réagir le plus vite possible, ce sera mieux pour vous’ ». On en avait parlé dans notre article sur la saison 1999/2000. Et Fernando D’Amico, qui nous relatait récemment son arrivée à Lille et l’accueil qui lui a été réservé, ne nous contredira pas. Très récemment, Grégory Tafforeau revenait lui aussi sur le travail avec Vahid1.
L’accent très prononcé et ce phrasé si particulier entretiennent une austérité apparente. Sa lourde histoire personnelle est de plus connue, et contribue à susciter le respect : ancien buteur prolifique du FC Nantes puis du PSG, il a connu la guerre en Bosnie à partir de 1992, et confie volontiers le rôle qu’il y a tenu et les blessures qui lui restent : « J’ai vu le fascisme de mes yeux. Pendant un an et demi. J’ai vu des atrocités, des choses que l’on croyait réservées aux livres d’histoire. J’ai affronté directement les fascistes. Devant eux, sans armes. Je leur ai tourné le dos. Je suis fier de mon rôle pendant cette guerre, parce que j’ai sauvé des milliers de gens. Pendant les bombardements, j’organisais des convois pour aller mettre les femmes et les enfants en sécurité, au bord de la mer. J’ai mis ma vie en danger. Je me demande comment je suis sorti vivant de cette guerre. Mais j’ai perdu en une journée tout mon travail de vingt ans. Parce que j’étais musulman, riche et célèbre, ils ont bombardé ma maison et ma vie ».
Dans la vidéo ci-dessous, Vahid, blessé, témoigne depuis un lit d’hôpital à Mostar
En outre, Vahid a su maintes fois mettre en scène ses conditions, voire ses exigences : en évoquant Grimonprez-Jooris, « honteux pour la région », en virant Edwin Murati lors d’un entraînement public au lendemain d’une élimination en coupe, en soufflant le chaud et le froid sur son avenir en avril 2001, quitte à dramatiser certaines situations qui n’étaient sans doute pas aussi catastrophiques qu’il le laissait entendre, pour mieux mettre la pression sur qui se sentirait visé (« on n’est pas prêts », à la veille du match contre Monaco en juillet 2000 ; « si on est qualifiés la Coupe d’Europe, je refuserais, vous avez vu l’état du club ? » au printemps 2001). Grandiloquent quand Lille était en D2, feignant le rôle du petit quand Lille était au sommet, il est indéniable qu’ avec Vahid Halilhodzic, on tient un personnage.
Un extrait du fameux feuilleton « je pars, je reste », printemps 2001
Consécration ou humiliation ?
Il y a deux façons d’envisager sa « guignolisation » : soit on la considère comme une reconnaissance, voire une consécration – c’est ainsi que la plupart des personnalités politiques la prennent -, soit on la considère comme une insulte adressée à son travail et à sa personne. Les politiques, même malmenés, y voient la plupart du temps l’occasion d’accroître leur popularité, l’important étant que l’on parle d’eux, fût-ce2 pour être tournés en ridicule. Les rumeurs sur l’arrêt de l’émission au printemps 2015 avaient ainsi permis de mesurer l’attachement à l’émission satirique, un soutien à la caricature qui n’est pas réductible au contexte post-attentat à Charlie-Hebdo. Ainsi, François Bayrou, pas le moins raillé, y allait de son tweet de solidarité :
Quand même… Dans une société comme la nôtre…!
Voilà désormais Vahid successeur des « footeux » de l’émission, le premier ayant été régulièrement caricaturé étant Bernard Tapie, l’ancien président de l’OM, vu comme « sévèrement burné ». L’Euro 1992 installe définitivement les marionnettes de footballeurs, avec les arrivées du sélectionneur national, Michel Platini, et des deux vedettes de son équipe Jean-Pierre Papin et Éric Cantona. JPP est considéré comme un simplet qui épelle son nom « P-A-P-1 », et qui doit souvent être calmé par le serein Cantona. Plus tard, le duo Roland (au mieux chauvin)-Larqué (M. Loyal) et ses fameuses répliques (« Tout à fait Thierry », « on aura beau dire on aura beau faire », « il n’aura pas fait le voyage pour rien », « c’est une parodie de football », y en a même une chanson), Guy Roux, Aimé Jacquet, et les champions du monde Zidane et Barthez ont alimenté la chronique des footeux moqués, et contribué à la renommée de l’émission ainsi qu’à la notoriété des personnages ainsi caricaturés. On remarque que Vahid est dans une lignée assez prestigieuse… Encore un symptôme de la place qu’occupe désormais le LOSC, mais surtout son entraîneur, qui a souvent protégé son groupe en se mettant en avant. L’émission est de plus régulièrement soupçonnée d’avoir une grande influence sur son public, ce qui est particulièrement souligné dans le domaine politique : en faisant passer Jacques Chirac pour un sympathique mangeur de pommes, les Guignols auraient contribué à le rendre sympathique, et ainsi à le faire élire à la présidence de la République en 1995. Quelques travaux de sociologie de la réception seront bien moins catégoriques, car les effets sociaux des programmes politiques de télévision demeurent plus hypothétiques que réels (le même Chirac, qualifié de « Supermenteur » en 2002, a été réélu – bon d’accord, dans un contexte particulier), mais l’important est cet effet de croyance dans une influence de l’émission sur ce et ceux qu’elle caricature, et c’est bien cette croyance qui produit des effets, davantage que le programme lui-même.
Quoi qu’il en soit, pour Vahid Halilhodzic, c’est plutôt la seconde interprétation qui l’a emporté : sa marionnette tyrannique ne l’a pas franchement fait rire, comme si, justement, il estimait qu’elle altérerait son image. Si d’aucuns sont parvenus à jouer de la confusion entre caricature et caricaturé, en entretenant les traits que l’on moquait chez eux (Guy Roux a par exemple profité de son image de radin pour faire une pub pour La Poste, dans laquelle il donnait des conseils d’épargne), Vahid n’a pas apprécié, ce qui du coup contribue à renforcer sa caricature : « Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas comme ça. Je ne comprends pas. Certains sont contents de passer aux Guignols de l’info. Pas moi ».
Avant la retransmission de Lille-Dortmund en févier 2002, les Guignols font intervenir Vahid. C’est à voir ici, sur notre page facebook, car le grand méchant Youtube nous a supprimé la vidéo.
Les Guignols n’ont pas inventé grand chose
On a le sentiment que Vahid estime que l’image que lui donnent Les Guignols est inédite. Si, incontestablement, elle augmente son audience, en dehors du cercle des amateurs de foot et au-delà de la métropole lilloise, elle n’a rien de nouveau. Dès son arrivée, comme en témoigne la citation relatée précédemment, Halilhodzic a posé d’emblée son empreinte, basée sur le travail, la rigueur, la discipline. Et les portraits que l’on peut lire de lui sur le net, antérieurs à sa guignolisation, évoquent largement cet aspect, d’autant plus qu’il insiste dessus, dans des termes que les Guignols ne renieraient pas : c’est parfois soft, comme dans Libération en septembre 2000 : « l’homme est rigoureux et exigeant, mais sa méthode a fait ses preuves (…) Tacle et retard sont sanctionnés. En fait, Halilhodzic noue avec ses joueurs une relation ambivalente. Intransigeant sur le terrain, proche à l’extérieur », dans la Croix, en février 2001 : « Halilhodzic impose la ponctualité aux entraînements, transmet son goût immodéré du travail à ses joueurs » ; c’est parfois plus marqué, avec forces anecdotes sur la main de fer du coach, comme dans L’Humanité en avril 2001 : « Vahid Halilhodzic redouble d’exigence avec ses hommes. « Je ne connais pas un sportif qui puisse arriver à quelque chose sans travailler » (…) Il insuffle à son groupe un état d’esprit de combattant, une véritable haine de l’échec. « L’an dernier, après une défaite, j’ai vu des joueurs qui rigolaient dans le bus et je leur ai dit : « Si ça vous fait rire, vous sortez tout de suite. » (…) Enfin, Vahid impose à ses troupes une discipline de fer, au point de les envoyer courir autour du terrain, quelques minutes après avoir concédé le match nul à domicile face à la lanterne rouge strasbourgeoise », dans L’Equipe en avril 2001 : « Je fais ce que je veux », ou dans Le Parisien en août 2001, où Vahid est qualifié3 de « sorcier » : « Avec moi, il n’y a jamais d’entraînement à 90 % : c’est toujours à fond. Mes hommes sont en match comme ils s’entraînent. Quand je sors un joueur du groupe, il sait pourquoi ».
Surtout, le travail prôné n’a jamais été considéré comme un défaut, surtout à Lille, après des décennies de résultats décevants et d’entraîneurs pas franchement réputés pour leur capacité à mobiliser un groupe… Vahid est si colère qu’il déclare ne pas supporter le surnom « Coach Vahid » que lui affuble les Guignols : surprenant, quand on considère que cela n’a rien d’infâmant (c’est même assez cohérent), qu’il n’est pas le seul entraîneur à être appelé « Coach » , et que, c’est à vérifier – mais cette généalogie semble bien difficile à effectuer – mais il nous semble que l’appellation « Coach Vahid » est bien antérieure à sa guignolisation. En ce sens, la marionnette de Vahid est-elle autre chose que l’officialisation d’une réputation ? Le producteur de l’émission de l’époque, Yves Le Rolland, ne semble pas dire autre chose : « on s’inspire tout le temps de la réalité. Nous n’inventons rien, nous sommes juste un miroir déformant. On regarde la télé, on lit beaucoup de journaux et quand un personnage sort du lot ou nous semble incroyable, on y va. Lorsque Lille cartonnait, il y avait des dizaines d’anecdotes sur la dureté et la discipline d’Halilhodzic. On a trouvé qu’il avait un caractère facilement caricaturable ».
À Paris, chez les proprios de l’émission
Les choses prennent une tournure encore différente lorsqu’Halilhodzic rejoint le PSG lors de l’été 2003. Quelques joueurs semblent marqués par l’image véhiculée dans les Guignols, mais rectifient rapidement leurs préjugés. Ainsi, Jérôme Alonzo dit à son propos : « je ne voyais de lui que son personnage aux Guignols de l’Info, et maintenant que je le connais, je trouve ça sévère. Sa méthode n’a rien de folle. Avec lui, la notion de collectif est très forte ». Libération se montre bien plus incisif que quelques mois plus tôt : Vahid a droit au titre « costard-cravache » ; l’article s’étonne d’une réputation qu’il contribue pourtant à construire ou à relayer : « préparations physiques stakhanovistes », « mesures disciplinaires mythiques », « il ne souffre guère la contradiction », « doctrine Halilhodzic, entre absolutisme et collectivisme footballistique ? ». L’effet Guignols ? Une nouvelle donne est à prendre en compte : la médiatisation du PSG, bien plus forte que celle de Lille. À l’époque, le propriétaire du club est Canal +, diffuseur des Guignols de l’Info. Les liens entre le club et la chaîne sont donc privilégiés, puisque le groupe a fourni au PSG trois présidents directement issus de ses rangs (M. Denisot, C. Biétry et L. Perpère4) de 1991 à 2003. Quant au contenu de l’émission, il a – sciemment ou pas – toujours offert une surexposition au PSG, parce que, en effet, le PSG est un club-phare du pays, mais certainement aussi par parisiano-centrisme et par ces relations historiques entre Canal et le PSG. La marionnette de Denisot, les aventures « Nico et Luis », puis le latex de Ronaldinho, en témoignent.
Dès son arrivée officialisée, Vahid interdit de faire référence à son Guignol. L’émission le croque de suite, dans un sketch où il fait irruption dans une boîte de nuit pour en sortir Ronaldinho, qui s’amuse en compagnie de filles et de champagne5. Très rapidement, en septembre 2003, une polémique éclate à propos de la supposée censure d’un sketch des Guignols avec, dans le rôle principal, Vahid Halilhodzic. Le désormais entraîneur du PSG y joue le rôle d’un directeur tyrannique de Canal +. Stéphane Bern, fraîchement recruté par la chaîne arrive pour son premier jour de travail : des vigiles lui prennent ses empreintes, puis le laissent entrer. Apparaît alors Vahid, qui annonce froidement : « Finie la rigolade ». On aperçoit ensuite Emmanuel Chain, lui aussi nouveau transfuge de la chaîne, demandant un peu de pain. Stéphane Bern s’affole : « J’aurais jamais dû partir de TF1 ». Vahid lui répond : « C’est une phrase que tout le monde dit, ici ». Mais les téléspectateurs n’ont jamais vu ce sketch. Le patron de Canal, Bertrand Méheut, y aurait opposé son veto, une version en tout cas soutenue par les auteurs des Guignols et rapportée par Le Parisien en septembre 2003. Difficile de savoir ce qui relève de la réalité de ce qui relève de la vision subjective des auteurs des Guignols, sans compter la volonté d’influer sur la vie interne à Canal, toujours est-il que le rôle du despote échoit encore et toujours à Halilhodzic. Officiellement, les auteurs des Guignols ne sont pas aux ordres de la direction de la chaîne ; officieusement, celle-ci souhaite redorer à la fois l’image de la chaîne et celle du PSG : dès lors, hors de question de mettre en scène d’énièmes bisbilles mêlant les deux, fussent-elles6 tirées d’une émission parodique. « On nous a déjà demandé de ne pas dénigrer la grille de programmes, raconte Yves le Rolland, mais il n’y a jamais eu de censure sur le PSG ».
Et il faut aussi dire que l’équipe de Vahid tourne bien pour sa première saison à Paris. Le club talonne Lyon, termine 2e du championnat en 2004, et remporte la coupe de France. Toujours officiellement, cette réussite justifie que les Guignols lâchent un peu le club : selon Le Rolland, « nous avons pris l’arrivée d’Halilhodzic au PSG comme une aubaine. On a fait quelques sketchs au début mais, maintenant qu’il a la baraka, le PSG nous intéresse moins. C’est connu : on ne parle que des trains qui n’arrivent pas à l’heure. Il n’y a plus d’affaires, ça manque de personnages originaux. Francis Graille n’aura pas sa marionnette chez nous, il n’est pas drôle ». Francis, c’est quand même un prénom super drôle, mais apparemment ça ne suffit pas.
Et après ?
Lorsque Vahid a été viré du PSG en février 2005, sa réputation est faite. De là à dire que Canal + y a joué un rôle… Difficile à dire, ainsi que nous l’énoncions plus haut. Cet article de L’obs profite de sa sortie pour compiler un best-of vahidesque : « une rigueur et une exigence poussées à l’excès » ; « ténébreux », « discipline de fer », « impulsif », « droiture », « inflexible ». Sa page wikipédia dispose d’une rubrique intitulée « Méthode », là où d’autres entraîneurs ont droit à « tactique », « style de jeu » ou « philosophie ». En général, et curieusement, quand on parle de « méthode », on sous-entend que celle-ci a quelque chose de dur, tout comme quand on dit d’une personne qu’elle a du « caractère ». Difficile tout de même de penser que la marionnette l’emporte sur l’homme et l’entraîneur. Pour ce que l’on en connaît plus particulièrement, à Lille : il a été professionnellement exigeant. Et ça a marché, les joueurs de l’époque se remémorent aujourd’hui à l’unisson le bonheur de ce qui a correspondu, pour la plupart d’entre eux, au sommet de leur carrière. Voilà d’ailleurs probablement le principal atout de son CV : sa capacité à apporter de la discipline et une dimension plus « professionnelle » là où il passe. Vahid a beau regretter de ne souvent prendre que des équipes ou des sélections « à reconstruire », cela correspond à nombre de ses qualités. Et il est tout aussi possible que Les Guignols aient contribué à répandre à son sujet une réputation d’entraîneur tirant le meilleur d’un groupe. On sait aussi combien il est sensible et s’est montré chaleureux avec les supporters, hors de son travail. Par la suite, on n’en fera pas la compilation tant c’en est presque comique mais, partout où il est passé, en Turquie, en Algérie, en Côte-D’Ivoire, en Croatie, la presse locale et les joueurs qu’il a dirigés font part des mêmes caractéristiques, soit qu’ils les louent, soit qu’ils les lui reprochent. Une rapide recherche sur Internet vous le confirmera. Dernière péripétie en date : actuellement sélectionneur du Japon, Vahid s’est vu imposer un adjoint en septembre afin de pacifier les relations entre lui-même et ses joueurs. Il leur avait interdit de sourire après une défaite face aux Emirats Arabes Unis !
Avec quelques années de recul, Vahid reconnaît quelques excès. En 2012, dans France Football, il revenait sur le sujet des Guignols : « j’ai aussi ma part de responsabilité. Je n’ai pas toujours fait ce qu’il fallait en termes de communication. J’étais un peu rigide. Mais je suis quelqu’un d’attachant, de sincère, de fidèle. Je suis même un peu naïf. A un moment donné, j’étais plus connu pour mon guignol que pour mon travail. Or ma plus grande qualité, c’est mon travail. Et ça, on n’en parle jamais. Vahid n’est pas un tyran! J’aime l’humour et la bonne humeur. L’argent est évidemment important mais les joueurs ne peuvent pas jouer que pour l’argent. Je suis sans doute le derniers des guignols à croire ça, mais je suis comme ça. On ne me fera pas changer. J’ai compris que je devais vivre avec mon image. Je ne regrette pas grand-chose d’ailleurs, même si j’aurais dû mettre un peu d’eau dans mon vin ». Allez, Vahid : « Ce que l’on te reproche, cultive-le, c’est toi-même ». C’est du Jean Cocteau.
FC Notes :
1 : Contacté hier, Ted Agasson dément les propos de Grégory Tafforeau à son sujet : « Vahid Halilhodzic est le meilleur coach que j’aie jamais eu ».
2 Ben quoi, c’est du français.
3 Vahid est souvent qualifié.
4 De couilles, de couilles.
5 Dans les fait, Halilhodzic n’entraînera pas Ronaldinho, qui quitte Paris lors du mercato estival en 2003.
6 Quoi ?