Archive pour la catégorie ‘Elucubrations vaguement intellectualisées’
Posté le 30 mai 2023 - par dbclosc
Stades bruxellois
Bruxelles comporte quelques stades remarquables, empreints d’une grande nostalgie. Puisque l’un de nous y vit désormais, un pèlerinage s’imposait.
Nous autres Lillois avons connu de nombreux stades où voir évoluer nos Dogues. Et pour nous trois, l’apprentissage du football s’est fait à Grimonprez-Jooris : en effet, tout petits déjà nos pères nous emmenaaaaient à Grimonpreeeez, lalalalalalalalalalalaaaa Lille OSCCCCC. Bien, ça c’est une bonne accroche.
La grande mélancolie que le stade Grimonprez-Jooris suscite chez nous est sans doute inversement proportionnelle à l’absence de consensus qu’il a suscité « de son vivant » : trop grand, trop petit, pas assez fonctionnel, mal placé, mal desservi… D’ailleurs, te souviens-tu de Grimonprez-Jooris ? On a tout dit sur ce stade qui, au-delà de ces inconvénients, avait un avantage certain : s’y dégageait une ambiance qui, avec le recul, nous semble tout à fait typique de son temps : proximité avec des joueurs accessibles (surtout avec le terrain d’entraînement à côté), ouvert à tout le monde (combien de fois a-t-on pu se balader dans ces gradins vides, juste pour le plaisir), liberté de mouvement en son sein (pas de problème pour passer d’une tribune à l’autre « juste pour aller saluer un copain« ). Et après tout, ces tribunes à moitié vide symbolisent bien ce LOSC laborieux des années 1980 et 1990, pour qui une victoire 1-0 sur un but de raccroc à 3 minutes de la fin équivalait à une magnifique performance. Avec le temps, notre image du passé est probablement déformée, et idéalisée. Mais impossible de passer aujourd’hui sur la plaine Félix Grimonprez sans se remémorer ce qui s’y est passé, et en tentant de se rappeler le plus précisément possible où étaient situées les tribunes, le parking, le terrain d’entraînement.
Cet effort de mémoire est moins difficile à faire à Bruxelles, où subsistent quelques stades qu’on croit sortis tout droit d’un passé révolu ailleurs. Au-delà de leur intérêt architectural ou de leur curieuse apparence, ils rappellent qu’un stade, même vide, contient une atmosphère particulière et, pour peu qu’on fasse preuve d’un peu d’imagination, est peuplé de fantômes. Les stades présentés ci-après portent les traces de leur temps, du temps qui passe, et renvoient quelque chose d’une ferveur passée. En y déambulant, à côté de ces vieilles buvettes en bois et dans ces vieux gradins de béton, on se prend même à être nostalgique d’une époque qu’on n’a pas connue. Voici une petite sélection en guise de voyage, dans des endroits où les veilles photos en noir et blanc semblent prolonger leur vie en couleurs.
Toutes les photos ont été prises récemment par nos soins. N’hésitez pas à cliquer dessus pour les voir dans un plus grand format.
Vivier d’Oie (Uccle)
« Au début du siècle dernier, des messieurs en chapeau boule y prenaient place pour suivre les internationaux » lit-on dans l’ouvrage édité par l’Union Belge pour fêter ses 125 ans en 2020. Le stade du Vivier d’Oie est probablement celui qui fait se représenter le mieux les origines aristocratiques du football, tant l’endroit transpire encore une atmosphère d’entre-soi élitiste. Preuve irréfutable : la plupart des gamins qu’on y croise jouent désormais au hockey et ont des mèches qu’ils renvoient ostensiblement vers l’arrière de leur crâne, tout en exprimant un langage qui les classe socialement : tout termine par « -han ». Exemple : « ton père t’a offert quoi pour ton anniv-han ? » (authentique).
On est ici à Uccle, une des communes les plus riches de Bruxelles, dont certaines rues feraient passer les quartiers les plus huppés de Croix ou de Mouvaux pour des ZUP. L’ancienne entrée, « rue du Racing », qui donne sur un boulevard très fréquenté, n’est plus utilisée. S’y trouve encore une arche qui rappelle que, de 1902 à 1948, le Royal Racing Club de Bruxelles, 6 fois champion de Belgique entre 1897 et 1908, y a été le club résident, avant que l’équipe ne déménage au stade des Trois Tilleuls (voir plus bas).
Pour y accéder, il faut passer à l’opposé, le long du Bois de la Cambre. Là, une sorte de chalet avec une grande terrasse domine des courts de tennis, bien séparés des regards les uns des autres par de la végétation. En contrebas, se situe un terrain aujourd’hui synthétique, principalement occupé par de jeunes hockeyeurs. On ne joue plus de football ici. Mais se trouve un formidable vestige : celle qui est réputée « la plus ancienne tribune de football du pays », et probablement la plus ancienne du genre en Europe : faite de béton armé, de verre et de boiserie, elle a été construite en 1902 et a une capacité de 1 000 places.
Le 1er mai 1904, devant 1500 spectateurs, a eu lieu ici le premier match international officiel en Europe, entre la Belgique et la France (3-3). Les joueurs ont pu ainsi profiter des premières douches d’eau chaude de Belgique ! C’est surtout l’occasion pour certains dirigeants qui, jusqu’alors, n’avaient eu que des échanges épistolaires, de se rencontrer enfin physiquement. Notamment, Louis Muhlinghaus, secrétaire du Racing Club de Bruxelles, suggère au français Robert Guérin de créer une ligue de football internationale. Trois semaines plus tard, la FIFA est créée.
Le 9 mars 1919, le premier match international officiel de football d’après-guerre se joue de nouveau au Vivier d’Oie. Il s’agit une fois de plus d’un Belgique-France (2-2).
La tribune semble aujourd’hui dans un état d’humidité et de fragilité avancé. Elle est pourtant classée depuis 2010.
Stade Joseph-Marien (Forest)
Les supporters de l’Union Saint-Gilloise ont beau hurler « ici, ici, c’est Saint-Gilles ! » lorsque l’Union marque, en fait, ici, on est administrativement dans la commune bruxelloise de Forest, juste à côté de Saint-Gilles et d’Uccle. L’USG, créée en 1897, n’a joué à Saint-Gilles que jusqu’en 1898, à proximité de l’actuelle maison communale, avant de devenir un club nomade dont les stades ont régulièrement changé au sein de Uccle (1898-1919). Le club se sédentarise au sortir de la guerre, quand est inauguré le « Stade du parc Duden », du nom de l’emplacement dans lequel il se trouve, et duquel est offerte une belle vue sur l’ouest bruxellois.
Pour inaugurer le stade, un grand match de gala contre le Milan Club (l’actuel AC Milan) est organisé par la Direction unioniste. Milan s’était ensuite rendu à Lille pour y affronter l’Olympique Lillois. Si le stade est idéalement situé, avec une seule tribune couverte et trois autres adossées aux grands arbres du Parc, il est surtout connu pour sa façade Art-Déco, construite après une rénovation dans les années 1920. Sur la partie qui donne sur la chaussée de Bruxelles (c’est le nom de la chaussée), une façade d’une centaine de mètres présente sept panneaux sculptées qui représentent les deux disciplines par lesquelles l’USG a brillé : l’athlétisme et le football.
Si l’Union est redevenue à la mode depuis quelques années, son stade semble sorti tout droit d’une époque qui a échappé à une modernité footballistique qui, bien souvent, emporte avec elle les charmes d’une enceinte pas complètement saisie par des logiques mercantiles. Outre la sono, qui préfère passer des hits rigolos plutôt que des messages publicitaires, le club house du rez-de-chaussée est ouvert à tous, qu’il y ait match ou pas. La tribune couverte offre quelques vestiges qui semblent avoir figé la décoration à l’époque de l’entre-deux-guerres, quand l’Union était le centre footballistique du pays, et même au-delà.
Domine une grande bâtisse qui est aujourd’hui une résidence d’artistes et qui, autrefois, était le vestiaire du stade. Les joueurs fendaient la foule avant de rejoindre la pelouse. S’y sont déroulées de grandes rencontres, comme un Belgique/France (3-1) en 1921, devant 30 000 personnes. L’Olympique Lillois est également venu ici dans les années 1920, mais aussi le LOSC, en 1946, pour y affronter l’équipe B de Belgique, juste avant de réaliser son premier doublé coupe/championnat.
Belgique/France. Le Miroir des Sports, 10 mars 1921
Quant à l’ambiance à Joseph-Marien (nom du stade depuis 1933), elle est incomparable : le public saint-gillois est chaud et n’est pas tellement porté sur les insultes lancées aux arbitres et aux adversaires. Si on s’y risque, il est d’ailleurs plus probable d’être invité à ne plus revenir.
Depuis sa remontée en première division en 2021, l’Union n’en finit pas d’étonner. Championne de la phase régulière en 2022 avec 5 points d’avance sur le second, elle a malheureusement craqué lors des play-offs lors de la double confrontation contre Bruges. Pour info ou rappel : après 34 journées, les points obtenus durant la phase régulière sont divisés par deux et les 4 premiers s’affrontent en confrontations aller et retour. Cette réforme devait, il y a quelques années, apporter davantage de piment à un championnat las de voir Anderlecht, le Standard ou le FC Bruges truster les titres sans panache. Dommage que son application se soit faite au détriment d’un « petit » club historique comme l’Union en 2022, qui court après son premier titre depuis… 1935.
En 2023, elle est de nouveau qualifiée pour les play-offs 1 et reste bien placée pour décrocher le titre, après avoir été éliminée en demi de la coupe de Belgique, et en quarts de l’Europa League. Spécialiste des remontada et des buts tardifs, l’USG a un style très « vahidesque » : la politique du club – qui appartient à Brighton – est à l’opposé du star-system, à tel point que le président intervient régulièrement dans la presse pour rappeler que si ses joueurs réclament légitimement de meilleurs contrats, ce n’est pas à l’Union qu’ils les auront. Dès lors, l’USG va chercher des inconnus dans des divisions inférieures, et ça marche ! Sans avoir de grandes vedettes, l’équipe, depuis son retour dans l’élite, est probablement celle qui propose le jeu collectif le plus abouti.
La progression du club a ses inconvénients : le stade, d’une capacité de 9 500 places, est bien trop petit. Cette année, pour la coupe d’Europe, l’Union a été contrainte de s’exiler à Louvain, et même à Anderlecht, pour les matches à élimination directe. Le club est actuellement à la recherche d’une solution pour déménager un peu plus au Sud de Forest, où un nouveau stade, d’une capacité d’environ 15 000 places, serait construit. La façade, classée, dans un parc lui-même classé, empêche tout agrandissement de la structure actuelle.
L’Union a récemment fêté ses 125 ans avec de belles zwanzes. Un ouvrage très documenté est sorti à cette occasion. Que nos lecteurs néerlandophones se rassurent : il est bilingue.
Stade Adrien Bertelson (Forest)
Situé à quelques centaines de mètres au sud du parc Duden, où joue l’Union Saint-Gilloise, et à proximité de la salle de concert Forest national, ce stade doit son nom à un ancien élu communal, résistant, dont l’intérêt pour le sport a permis sa construction dans les années 1950.
Les tribunes du stade sont aujourd’hui entièrement recouvertes de mousse et de mauvaises herbes. Il faut dire qu’il n’y pas de club résident : même si son nom apparaît encore du côté de la buvette, la Forestoise, qui avait fusionné avec le FC Léopold, a disparu en 1996. Le stade est désormais ouvert au sportifs du dimanche.
Avec ses tribunes en béton presque entièrement debout et une seule petite tribune couverte, il est un autre exemple de ces stades qui pouvaient contenir une foule dense : sa capacité est estimée à 20 000 personnes ! Lors du mandat de Constant Vanden Stock à la tête de l’équipe nationale (1958-1968), le sélectionneur voulait faire de ce stade alors flambant neuf la résidence des Diables Rouges. Finalement, il n’en a été que le terrain d’entraînement durant des années, les Diables migrant vers le Heysel, au nord de Bruxelles.
Si ce stade a une histoire moins riche que les autres présentés ici, sa taille surprend eu égard aux usages qui en ont toujours été faits. Au pied de tours grises que masque en partie la végétation, il donne l’impression d’avoir été soudainement abandonné et oublié, et offre, comme souvent à Bruxelles, le sentiment d’une charmante anomalie dans le paysage urbain.
Jusqu’à récemment, un stade Bertelson agrandi était l’une des solutions possibles pour le « nouveau stade » de l’Union Saint-Gilloise. A priori, cette option est désormais écartée.
Stade des Trois Tilleuls (Watermael-Boitsfort)
Au sud-est de Bruxelles, à l’Est du Bois de la Cambre et au Nord de la forêt de Soignes, se trouve la très verte – et très prospère – commune de Watermael-Boisfort. S’y trouve le « parc sportif des Trois Tilleuls », un vaste complexe où se trouvent notamment une piscine, 11 courts de tennis, un terrain de padel, de nombreux locaux pour exercer divers sports, et un stade entouré d’une piste d’athlétisme.
Le stade a été construit entre 1946 et 1948 par des prisonniers de guerre allemands. Il a accueilli le Racing Club de Bruxelles (RCB), après qu’il a déménagé du Vivier d’Oie (voir plus haut). En théorie, cet ensemble constitué d’une tribune couverte et d’un espace circulaire en béton peut contenir 40 000 personnes. Bien entendu, les normes actuelles de sécurité ne le permettent pas, mais cela donne une idée de la grandeur du site, d’où on devine cette impression de compression des foules qu’on voit sur les images en noir et blanc.
Cela étant, le déficit de transports en commun, de stationnement, et les piètres prestations du RCB n’ont pas permis d’en faire une enceinte très fréquentée. Le club local l’a d’ailleurs quitté en 1954, car il n’était plus capable de payer à la commune les mensualités contractées lors de l’achat du terrain. Une convention prévoyait alors que le stade redeviendrait propriété communale. Le RCB est alors parti jouer dans un Heysel vide.
En fait, le stade n’a fait le plein qu’une fois : lors de son inauguration, le 11 novembre 1948, pour un match entre une sélection des meilleurs joueurs bruxellois et le Torino, qui restait alors sur 4 titres successifs de champion d’Italie. Ce stade porte tellement la poisse que quelques mois plus tard, l’équipe italienne disparaissait dans un accident d’avion. Le vestiaire « visiteurs » du stade rend d’ailleurs hommage aux 31 victimes du crash, dont 18 footballeurs (parmi lesquels Roger Grava, champion de France avec Roubaix-Tourcoing en 1947), toutefois sacrés champions d’Italie en 1949 à titre posthume, leur avance n’ayant pas été comblée par leurs poursuivants.
Le stade, ouvert à tout le monde, est un monument classé depuis 2011. Il accueille aujourd’hui la section football du club local du Royal Racing Club de Boisfort (hommes et femmes).
Stade Edmond Machtens (Molenbeek)
Ce stade a accueilli de nombreuses équipes : Daring Club de Bruxelles, Daring Club de Molenbeek, Racing Daring Club de Bruxelles, FC Molenbeek Brussels Strombeek (dit « FC Brussels »), RWDM Brussels FC, et de nouveau Racing Daring Club de Bruxelles (avec un autre numéro de matricule que le précédent RWDM)… En réalité, Daring d’origine mis à part, ces équipes n’en forment qu’une seule : les fusions et liquidations successives masquent une certaine continuité dans l’histoire du football à Molenbeek.
De la même manière, ce stade, qui porte aujourd’hui le nom d’un ancien bourgmestre de Molenbeek, s’est appelé Charles Malis lors de son inauguration en 1920 (du nom d’un ancien président du Daring), puis Oscar Bossaert (ancien footballeur du Daring, international belge avant-guerre, puis chocolatier et bourgmestre de la commune voisine de Koekelberg) de 1939 à 1973.
A son inauguration en 1920, il était doté de toute la technologie dernier cri, avec notamment un solarium, et l’équipe nationale y a parfois joué dans l’entre-deux-guerres devant près de 30 000 personnes. Lors de l’inauguration d’une nouvelle tribune chauffée en 1973, 33 000 spectateurs accueillent le Real Madrid !
Mais il ne reste plus grand-chose de ce prestige d’antan. Situé au pied de barres d’immeubles, le stade qui a aujourd’hui 12 000 places ne comporte désormais que deux tribunes, les deux situées derrière les buts ayant été détruites pour cause de vétusté. En 2005, l’une de ces tribunes pris le nom de Raymond Goethals, qui a joué ici dans les années 1940.
A l’issue de la saison 2022/2023, Molenbeek est de retour dans l’élite du football belge. Trop heureux, son propriétaire, John Textor, entend bien rivaliser avec ses collègues bruxellois d’Anderlecht et de l’Union Saint-Gilloise, dont les stades ne sont qu’à quelques centaines de mètres : il a ainsi déclaré vouloir « botter des culs ». La direction du club s’est ensuite excusée. Beaux derbies bruxellois en perspective !
Stade Roi Baudouin et Petit Heysel (Laeken)
Le plateau du Heysel désigne à Bruxelles un quartier presque dénué d’habitations et voué au tourisme, aux expositions et aux affaires. C’est là que se sont déroulées de nombreuses festivités de l’histoire de la Belgique (fête du Centenaire en 1930, expositions universelles de 1935 et de 1958). En 1927 est décidée la construction d’un stade de 70 000 places, officieusement appelé Stade du Centenaire ou Stade du Jubilé. Ce n’est qu’après-guerre qu’il est baptisé Stade du Heysel. Résidence principale de l’équipe nationale, le stade est surtout tristement célèbre pour avoir été le théâtre d’affrontements en mai 1985 ayant conduit à la mort de 39 spectateurs. Après ce drame, et en vue d’accueillir l’Euro 2000, le stade est rénové et est rebaptisé du nom du roi décédé en 1993. Il accueille une nouvelle finale de coupe d’Europe en 1996, remportée par le PSG, et est le théâtre de la piteuse élimination des Belges au premier tour en 2000.
Le « stade du centenaire » lors de son inauguration (photo piquée sur le site de la RTBF), avec une seule zone couverte.
Entouré d’une piste d’athlétisme (le mémorial Van Damme s’y déroule annuellement), il est considéré comme froid et peu accueillant. Sa fermeture, voire sa destruction, sont régulièrement évoquées, avant que ne surgissent divers projets de rénovation.
Juste à côté se trouve le Petit Heysel. D’une capacité officielle de 8 000 places, son côté vieillot avec, là encore, ces gradins de béton envahis par les mauvaises herbes, lui donne du charme. Il a accueilli l’équipe du Racing Jet (Jette) de Bruxelles jusque dans les années 1980, club de la commune de Jette. Le club a même connu la D1 sous la direction de Goethals (et avec Böloni dans l’effectif) au milieu des années 1980.
Le Petit Heysel et, dans le fond, le stade Roi Baudouin et l’Atomium
Toujours dans l’ombre de Molenbeek et d’Anderlecht, le Racing est parti à Wavre et se nomme désormais Wavre Sports Football Club.
Jusqu’à récemment, on pouvait voir au petit Heysel l’équipe nationale de rugby à XV. Aujourd’hui, on y voit de jeunes footballeurs, notamment ceux d’Anderlecht.
Lotto Park (Anderlecht)
Résidence des Mauves d’Anderlecht (mecs et, rarement, filles), le Lotto Park est ainsi baptisé depuis une opération de naming commercial initiée par Marck Coucke, propriétaire du club. Lors de son inauguration en 1917, l’enceinte portait le nom d’Emile Versé, un des premiers mécènes du club. De 1983 à 2019, il a porté le nom de Constant Vanden Stock, ancien joueur, entraîneur, et dirigeant du club (et brasseur. Sans doute inspiré par Henri Jooris). Sous sa direction, Anderlecht a été champion d’Europe à trois reprises.
Le stade n’est pas très grand puisqu’il peut accueillir environ 22 000 personnes. Des projets d’extension sont à l’étude, avec deux contraintes principales : le stade donne pour moitié sur un parc (Astrid), et pour l’autre moitié sur des habitations.
Le LOSC y a joué en 2006 et y a ramené un point grâce à un but de Fauvergue (1-1). Par tradition, les joueurs sont accueillis à leur entrée sur la pelouse par le titre « Anderlecht champion » du Grand Jojo, à qui on doit aussi le remarquable « Allez Lille » (même air, comme la plupart de ses succès relatifs au football, hormis l’inoubliable Victor le footballiste).
Avertissement : avec, en plus, un tifo Quick et Flupke lors du derby bruxellois de janvier 2023 (« Les nouveaux exploits des gamins de Bruxelles »), la séquence ci-dessous comporte un degré très élevé sur l’échelle de la belgitude. Ne pas reproduire chez soi.
Stade communal de Jette
Au stade communal de Jette joue le Royal Scup Dieleghem Jette, produit de la fusion, en 2002, du Royal Sporting Club Union et Progrès Jette et de l’Etoile Dieleghem Jette, qui eux-mêmes ont été antérieurement connus sous les noms de Excelsior Athletic Club Football de Jette, Sporting Club Jettois, Cercle Union et Progrès Jette, Cercle Royal Union et Progrès Jette, Royale Sporting Club Union et Progrès Jette, Sporting Dieleghem Jette (qui a fusionné avec La Caravelle Bruxelles, devenue AS Etoile Caravelle Bruxelles en 1979). Ça en jette. Mais ici, en dépit d’une histoire tumultueuse, la commune soutient le foot ; comme on le dit ici : « si le club a une dette, Jette l’éponge ».
Ici aussi, on trouve un beau petit stade : le terrain est entouré d’une partie boisée et d’une partie où le public peut s’installer soit dans une vieille tribune couverte qui a l’air d’avoir été posée à la va-vite sur un talus, soit sur de vieux gradins bétonnés (avec options mousse et mauvaises herbes).
Le RSDJ joue en deuxième division amateure. Une grosse affaire a récemment occupé les esprits puisqu’un journaliste de la Dernière Heure a rapporté être tombé « nez à nez » (sic) avec un serpent au cours du match Jette/La Louvière : « cela semble assez habituel dans les environs, comme l’ont confié des membres du club jettois à notre journaliste ».
Le dessinateur Roba, résident de Jette de 1951 jusqu’à son décès en 2006, était un fervent supporter du club. Il a même dessiné un logo officieux que le club utilise de temps à autres. Quant aux footballeurs jettois, on les surnomme les Boule & Bill boys.
Epilogue : humour local, vu dans une boutique des Marolles.
Posté le 25 février 2023 - par dbclosc
Un siècle d’alcool sur le football lillois
Si Mohamed Bayo est l’objet de railleries depuis sa sortie alcoolisée en août 2022, il s’inscrit pourtant dans une tradition qui montre bien sa rapide intégration au LOSC.
« Un Ricard pour Momo Bayo, hi ha hi ha ho ! » : on ne sait pas encore jusqu’à quand cette chanson résonnera dans le grand-stade-Pierre-Mauroy-Décathlon-arena-formidable-outil à l’attention du n°27 des Dogues, mais elle constitue l’hommage d’un public ravi de voir l’un des siens s’inscrire dans une longue tradition locale. D’ailleurs, les supporters étaient eux-mêmes tellement saouls qu’ils n’étaient pas en capacité d’inventer un nouvel air, se contentant de recycler le « et un permis pour Gervinho, hi ha hi ha ho » que l’on entendait au Stadium-Nord vers 2010 quand l’attaquant ivoirien du LOSC avait eu quelques soucis de conduite. Ah, la bonne époque du Stadium où, comme le disait le proverbe, « on n’était pas beaucoup, mais on était plein ».
L’histoire entre l’alcool et le LOSC a une origine lointaine et est scandée, via ses représentants les plus éminents, par quelques coups d’éclat que nous proposons de rappeler.
La Brasserie Excelsior d’Henri Jooris
« Henri Jooris grand dirigeant, Henri Jooris personnalité respectable, Henri Jooris sans qui le football à Lille ne serait pas ce qu’il est… mais Henri Jooris brasseur ! »
Ainsi parlait à peu près Charles II Goal à la Libération pour bien mettre l’accent sur le fait que l’esprit de résistance lillois est passé par la bière.
Les affaires de Jooris étaient situées au 112/114 boulevard Montebello à Lille. Si les imposants bâtiments abritaient notamment une boulangerie (L’Indépendante) et que Jooris était surnommé le « premier boulanger de France », tout ceci n’était qu’une couverture pour développer des affaires bien plus prospères et intéressantes à travers la Grande Brasserie de Lille dite Brasserie Excelsior.
C’est probablement à partir de cette époque que le football à Lille s’est imbibé d’alcool. Les bases idéologiques du club étaient ainsi posées, via l’un de ses ancêtres, l’Olympique Lillois, auquel Henri Jooris a appartenu dès sa création.
Rappelons que c’est à l’époque d’Henri Jooris que l’Olympique Lillois a organisé de nombreuses rencontres et tournois avec l’Union Saint-Gilloise, et qu’ont été posées là les bases d’une collaboration à long terme dont il reste de sérieuses traces jusqu’en 2022 :
Avant que la publicité ne soit autorisée sur les maillots, c’est dans le stade que la bière peut s’afficher, comme lors de la saison 1954/1955 , ci-dessous.
Et, comme on l’avait évoqué dans cet article, dirigeants et publicitaires testent si bien leurs produits qu’en 1955, la Brasserie du Pélican, qui produit notamment la bière Pelforth, crée une publicité sur laquelle apparaît un personnage vêtu d’une tenue du LOSC. Et ce alors qu’elle est concurrente de la Brasserie Excelsior, sponsor du LOSC. Une « erreur de communication » qui révèle surtout le taux d’alcoolémie alarmant de nos élites.
La coupe de champagne de Jean Baratte avant la prolongation
L’un des joueurs les plus marquants de l’histoire du LOSC est bien entendu son meilleur buteur : Jean Baratte. Soucieux de préserver l’héritage alcoolisé de Jooris, Jeannot n’a eu de cesse de s’opposer à son père qui tenait la guinguette « la laiterie » : ce nom était en effet une insulte à la bonne boisson. On voit sur cette photo les rapports conflictuels précoces entre Jean « boudeur » et son père :
Fort heureusement, ses débuts en équipe première le réconcilient avec l’alcool puisqu’il admet dans But et Club en mai 1948 qu’il a marqué son premier but en « pro » de la main. C’était avec l’OICL, face à Sochaux.
Une seule raison s’impose pour expliquer la validation de ce but : l’arbitre était bourré. Jean Baratte, qui hésitait alors entre tennis et football, choisit résolument le football.
Et c’est au crépuscule de sa vie, alors qu’il a repris un bar (un beau symbole, comme l’a également fait François Bourbotte, entre autres) à Nempont-Saint-Firmin, qu’il révèle le secret de sa réussite : il buvait une petite coupe de champagne pour jouer les prolongations. Une stratégie payante : 228 buts avec Lille !
S’inventer une peur de l’avion pour boire en toute impunité : le cas Prieto
Certains considèrent Ignacio Prieto comme le joueur le plus talentueux qui ait joué sous les couleurs du LOSC. En réalité, cette admiration est surtout liée aux penchants du joueur pour le whisky. En effet, dans un article qui n’a étonné personne, en 1972 la Voix du Nord indique que le Chilien aurait une « peur panique » de l’avion, qui le conduit à en boire avant d’embarquer afin de créer un « état euphorique ». En revanche, l’article se trompe quand il précise que l’effet sur lui est immédiat car il ne boirait jamais d’alccol : c’est au contraire le manque d’alcool, à peine compensé par deux shots, qui fait trembler Prieto et lui fait poser des devinettes idiotes à ses coéquipiers, comme celle-ci : « tu sais pourquoi j’allais à la messe à 5h dans ma jeunesse ? Parce qu’Ignacio priait tôt ! »
La Voix du Nord, 18 janvier 1972
Quand Hazard jouait bourré : un triplé
Après Baratte et Prieto, manquait le troisième larron de la fierté losciste : Eden Hazard. Formé à bonne école (rappelons qu’il est Belge), il attend toutefois son dernier match pour réaliser l’une de ses plus grandes démonstations de force avec les Dogues : jouer bourré. Ce 20 mai 2012, face à Nancy, on savait qu’il partirait après avoir été étincelant sur les pelouses de Ligue 1 durant un peu plus de 4 ans. C’était donc un peu son jubilé, et la soirée a été très longue, comme l’a relaté So Foot dans cet article. Et le pire, c’est qu’il a planté un triplé en première mi-temps. Une preuve supplémentaire qu’entre boire et conduire (le jeu), il ne faut pas choisir.
Les excès de dirigeants dont élocution devient hésitante
On se rappelle également que des excès ont conduit certains dirigeants à avoir une élocution hésitante, ce qui a abouti à des transferts surprenants. Ainsi, en 1995, le LOSC croit avoir fait le coup du siècle en embauchant le meilleur buteur du dernier championnat : le nantais Patrice Loko. En réalité, les dirigeants, ivres, se sont trompés et ont mené les négociations ainsi : « on veut Patrizzz Lokoo… Pastrick Coko… Patrick Collot ». C’est donc Patrick Collot qui a signé dans le Nord à l’été 1995. Après avoir désaoûlé, le directeur sportif avait reconnu « c’était quand même bizarre, il était vraiment pas cher, et comme on n’a pas d’argent… » Probablement parce que tout le budget est parti en boissons ! On évoque toutefois avec nostalgie le passage de Patrick Collot au LOSC en se rappelant : « ah, l’Collot… »
En 2002, le nouveau président Seydoux se prend une murge après l’élimination en Intertoto et décide de recruter « un joueur à 10 balles » pour sanctionner le groupe. La direction sportive, à 4 grammes, intervertit les syllabes et recrute par inadvertance « le joueur Abidal », comme quoi l’alcool a aussi du bon (et Collot, c’était très bien aussi).
En revanche, ce fut catastrophique en 2006 : le club cherchait, dixit Puel « un buteur, alléluia ». Pas de chance : ce sera « Allez Youla »…
Rappelons que l’excès de houblon a conduit à recruter par erreur Fodé Ballo-Touré : en réalité, ce recrutement visait à effacer le recrutement, quelques saisons auparavant, de « Tallo, bourré », une petite pépite d’Hervé Renard (des surfaces) qui, à ce jour, a davantage marqué contre le LOSC que pour. C’est un nouveau rappel qu’il vaut mieux que le LOSC soit à la bière, car ça va moins bien quand il est Tallo.
Et que dire de l’état d’Anne-Sophie Roquette qui, après un but de Frank Farina en 1994, annonce un but d’Eric Assadourian…?
Les années Halilhodzic : l’ivresse des sommets
N’oublions pas que la bande à Vahid n’était pas en reste. N’est-ce pas le sorcier bosniaque qui a fait de Djezon son capitaine, pensant qu’il s’appelait Bouteille ?
Grâce à une victoire à Monaco en mai 2001, le LOSC s’est qualifié pour le tour préliminaire de la Ligue des Champions. Le journal L’équipe révèle évoque alors explicitement les liens entre le LOSC et l’ivresse, comme le montre implacablement le document ci-dessous. Nous attirons particulièrement votre attention sur l’intertitre qui souligne le déni dans lequel se réfugient trop souvent les alcooliques.
Après la qualification contre Parme, les joueurs avaient brandi un maillot en pensant à leur collègue malade, Christophe Pignol. Ils en avaient alors profité pour faire un flocage grossier lui rendant hommage, mais aussi à la gnôle, qui faisait partie du traitement. Six mois plus tard, Christophe Pignol était de retour.
Avec ces performances et cette consommation, le LOSC rattrape ainsi peu à peu son voisin lensois, pionnier en matière d’alcool. Ce rapprochement Cygan/Pierre-Fanfan en décembre 2000 en est une preuve.
Seydoux, un nouveau tournant
Après les riches années Halilhodzic, l’arrivée de Michel Seydoux marque une inflexion : en effet, des résultats d’abord médiocres nous éloignent de l’ivresse du récent passé. Mais des progrès à mesure que le mandat Puel avance, puis l’arrivée de Rudi Garcia en 2008 incitent le président du LOSC à passer aux aveux en janvier 2011 :
Cette déclaration avait été à l’origine d’un courrier que nous avions envoyé au président Seydoux : nous lui demandions de participer à nos « frais de bière ». Hélas, cette demande est étonnamment restée sans réponse.
CQFD
On pourrait ajouter à ce palmarès quelques faits pas vraiment élucidés, comme l’état de Steve Elana lors de Lille/Sochaux en 2013, où les prestations d’un Thierry Rabat sans repères, mais restons-en là. La démonstration est faite : le LOSC et l’alcool, c’est une belle histoire.
Quoi de surprenant chez un club qui a souvent fait preuve d’une bonne descente (1956, 1958, 1968, 1969, 1972, 1977, 1997), très souvent suivie d’un p’tit remontant (1957, 1964, 1970, 1971, 1974, 1978, 2000) ?
Posté le 25 juin 2022 - par dbclosc
Gourvennec, « l’échec » de qui ?
La saison écoulée du LOSC permet sans doute de davantage mesurer les attentes autour du LOSC que d’émettre une opinion sur le degré de compétence de Jocelyn Gourvennec. Sur un terrain si miné, un autre aurait-il fait beaucoup mieux ?
« Fin de la collaboration entre le LOSC et Jocelyn Gourvennec » : c’est par un communiqué ainsi titré que le LOSC a annoncé qu’il mettait à la porte son entraîneur, seulement 11 mois après son arrivée. L’issue de la « collaboration » ne semblait plus guère faire de doute depuis quelques semaines, au regard de l’absence de communication du club sur le sujet, et notamment après l’annulation de la rencontre Létang/Gouvennec prévue le 23 mai, puis de la circulation de rumeurs précises sur la venue de Paulo Fonseca. Voilà qui met fin à un désamour entre le désormais ancien entraîneur du LOSC et, manifestement, une partie non négligeable du public lillois, qui a manifesté son mécontentement de plus en plus bruyamment après la défaite contre Lens (1-2) en avril, prélude à une fin de saison franchement décevante, en témoigne l’incapacité à produire quelque chose à domicile face aux trois relégués : 0-0 contre Metz, Saint-Etienne et Bordeaux.
Parmi la diversité des opinions émises, ressort une tendance générale qui semble faire consensus : le bilan est moyen en L1, et bon (et même « historique ») en Ligue des Champions. Et, au-delà des résultats, ont été pointés la piètre qualité de jeu, le manque d’animation offensive, ou une communication jugée maladroite. Gourvennec ayant été pointé du doigt durant toute la saison, son départ valide la thèse selon laquelle il serait le responsable du relatif décrochage du LOSC. Autrement dit : il a échoué, il n’a pas été à la hauteur et même, selon certains, il est « incompétent » et serait une « erreur de casting ».
Nous sommes d’accord : globalement, la saison n’a pas été emballante. Cependant, la relation de causalité entre les résultats du LOSC et le travail de Jocelyn Gourvennec nous paraît bien moins directe et simpliste qu’une simple équation : résultats moyens = entraîneur moyen. Tout se passe comme s’il y avait un consensus sur l’idée que les résultats ne seraient que le reflet et la résultante de du travail entre un entraîneur et ses joueurs. Or, si cette dimension n’est évidemment pas négligeable, elle est un élément parmi d’autres à prendre en compte pour tenter d’estimer les qualités de coach de Gourvennec, autrement dit : tenter d’apporter son apport propre, qu’il soit positif ou négatif. Et, avec un peu d’honnêteté, parvenir à satisfaire cette ambition relève davantage de la gageure, et invalide une bonne partie des jugements définitifs portés à son égard à l’issue de son expérience lilloise.
On oublie un peu vite ce pénalty volontairement raté face à Grégory Wimbée
Gourvennec et la frustration relative
Il y a un an, on pouvait anticiper que cette saison serait moyenne, ou en tout cas serait perçue comme telle, avec ou sans Gourvennec. Fin 2020, le changement inattendu de présidence a redéfini le projet du club, à l’aune de moyens plus réalistes (et sans doute plus honnêtes) ; si ce changement n’a pas brisé la dynamique sportive en cours de saison et a permis d’aller jusqu’au titre, on peut faire l’hypothèse que la réplique sportive de cette secousse de « gouvernance » s’est manifestée à l’orée de la saison 2021/2022. En effet, l’été 2021 correspond à la fin d’une période de 3 ans, une durée considérée comme « un cycle », au cours de laquelle, grâce à un groupe relativement stable, il a été possible de bâtir un projet commun. La fin de l’aventure Galtier constitue une rupture autant sportive que symbolique : les succès sont tant associés à sa personne que son départ donne l’illusion de tourner le dos au succès. Sous-entendu : le nouveau président se prive – par manque de compétence, de conviction, d’expérience, ou la faute à un caractère ingérable entre autres explications psychologisantes – d’un entraîneur qui a emmené le LOSC au sommet, pour prendre un entraîneur au palmarès moins prestigieux. Mais c’est là la traduction concrète des moyens du club à cet instant ! L’illusion consiste à croire que tout se joue au niveau de la personnalité des entraîneurs alors que, si l’on regarde de manière plus globale, il se peut que ce ne soit pas le départ d’un homme (Galtier) qui provoque la baisse de régime du LOSC, mais que le départ d’un homme résulte de l’anticipation par celui-ci de la baisse de standing d’un club : c’est bien parce que certains savent qu’ils ne pourront pas aller plus haut qu’ils préfèrent quitter le club à l’apogée de ce qu’ils pourront y faire. Attribuer au départ de Galtier et à l’arrivée de Gourvennec la cause des (relatifs) malheurs du LOSC nous semble donc revenir à inverser cause et conséquence : le départ de Galtier (l’arrivée de Gourvennec) est une conséquence (ou un symptôme) de dynamiques profondes au sein du club. Galtier – dont on sait d’ailleurs pas s’il ne serait pas parti même sans changement de présidence – anticipant une saison moyenne s’en va et s’évite une peu reluisante comparaison. La façon dont il négocie son intersaison tend à confirmer l’hypothèse qu’il supporte mal que son environnement de travail ne soit pas nickel et qu’il est un excellent politique, de ceux qui parviennent à négocier de bonnes conditions de travail avant de donner son accord.
Ainsi, il était presque prévu que le club connaisse une phase de reflux. À tort ou à raison, beaucoup d’observateurs considèrent que Lille a « sur-performé », thèse alimentée par l’idée que des joueurs évoluaient en 2020/2021 « à 110% » (voire plus), et le contraste entre les performances de Burak Yilmaz d’une saison sur l’autre ne permet pas de la contredire. Au-delà de ces théories impossibles à étayer dans un sens ou dans l’autre, on peut davantage soutenir qu’il est déstabilisant pour des joueurs d’être venus à Lille sur la base d’un projet qui, quelques temps après, n’est plus le même et est, de leur point de vue, sans doute moins attractif. Certains sont partis, souhaitant peut-être garder de Lille les images intactes du succès. Ceux qui restent peuvent légitimement avoir du mal à admettre qu’il sera difficile de faire mieux. Les performances sur le terrain peuvent traduire cette adaptation. De la même manière, on peut estimer qu’il y a une forme de décrochage relatif du public, qui doit aussi se remobiliser autour du neuf, croire en de nouvelles personnes, et à un nouveau projet.
Et cette transition est d’autant plus difficile quand elle coïncide avec une période de réussite. En effet, la saison 2020/2021 a été si aboutie, et ponctuée par un titre, qu’il est impossible de faire mieux. À moins de s’appeler le PSG, aucun club français n’a remporté un titre deux fois consécutivement depuis la période de domination lyonnaise sur le football français. La période post-titre, qui s’ouvre symboliquement avec le départ de Galtier et l’arrivée de Gourvennec, succède alors à une période si faste que l’on sait que les émotions qu’elle a procurée seront difficiles à égaler. Dès lors, la frustration et la déception causées par la saison 2020/2021 était écrite d’avance : l’inévitable comparaison entre le passé et le présent ne peut se faire qu’au détriment du présent.
N’oublions cependant pas que, sans le Covid, le LOSC aurait probablement connu quelques départs majeurs dès l’été 2020, notamment de tous ceux en fin de contrat en 2022 (car il y a moins de marges de négociations possibles quand il ne reste qu’un an de contrat, cf Maignan et Soumaré). Le LOSC a finalement obtenu un effectif avec des moyens qu’il n’avait pas, et ça l’a tellement plombé financièrement que le proprio a été viré. C’est donc avec cet effectif improbable que le LOSC est champion : c’est sympa, mais ça peut pas devenir un référentiel. La thèse de l’heureux accident aurait pu s’imposer plus vite dans les esprits pour s’éviter de rêver trop grand.
Ainsi, après une période faste, quand les résultats ne sont pas là, la colère prend rapidement le dessus. Elle se cristallise sur ceux qui, nouvellement arrivés, incarnent le club, et particulièrement l’entraîneur. Tout s’accorde alors pour que le LOSC se retrouve en situation de générer de la frustration relative, un concept ancien de sociologie qui a notamment permis d’analyser les mobilisations collectives et qui part d’un constat a priori contre-intuitif : dans une société donnée, le plus souvent souvent, ce ne sont pas les plus démunis qui se révoltent et s’engagent dans une action collective. La grille d’analyse est assez simple à appréhender : les frustrations relatives désignent un état de tension entre des satisfactions attendues et des satisfactions refusées, ce qui crée des insatisfactions et alimente un potentiel de mécontentement et d’action collective. La frustration, c’est donc un décalage entre ce que des individus se considèrent comme en droit d’attendre et ce qu’ils reçoivent effectivement. La frustration est dite relative car elle n’est pas absolue : on est frustrés relativement à des attentes qui ne se réalisent pas. Après tout, quand on termine 10e, cela signifie que 10 clubs ont fait moins bien : y a-t-il, dans l’absolu, matière à sombrer dans le catastrophisme ? Sans doute pas mais, relativement au statut de club champion en titre, ou même « seulement » de club habitué à l’Europe, c’est moins acceptable. C’est ce qui explique, en partie, que l’entraîneur du LOSC ait été particulièrement ciblé, alors que, à notre connaissance, les entraîneurs de Lorient ou de Brest n’ont pas eu à subir le même traitement même si, dans l’absolu, leur situation est plus compliquée. C’est pourquoi, selon la théorie de la frustration relative, des groupes « privilégiés » peuvent ressentir davantage de « frustrations », et donc être en position de se mobiliser davantage qu’un groupe plus démuni. Ici, c’est bien le titre qui crée des attentes qui, au regard de la situation nouvelle du LOSC, ne peuvent être assumées. La frustration relative se crée dans ce différentiel. En quelque sorte, plus on est haut, plus la chute est douloureuse : quand Létang affirme avoir récupéré un club en faillite, si au lieu d’injecter 50M€ à son arrivée, il décide de vendre, le LOSC n’est probablement pas champions et la perception de chute est moins grande…
Le précédent 2002/2003
Ce que nous avons vécu lors de la saison 2021/2022 présente bon nombre de similitudes avec la saison 2002/2003, et nous en avons abondamment parlé dans cet article : résultats en dents de scie qui deviennent franchement catastrophiques au cours de l’hiver, un jeu insuffisant, un entraîneur (Claude Puel) considéré comme trop discret, un président (Michel Seydoux) qui découvre le métier, semble perdu et a une communication maladroite (notamment sur le projet de « Grand Stade »), un public hostile… Au LOSC, le contraste avec le passé récent était saisissant. Rappeler aujourd’hui que Claude Puel et Michel Seydoux ont été conspués pendant 6 mois à chaque match du LOSC à domicile (avec, en prime, quelques semaines où le mécontentement s’est de nouveau manifesté vers novembre-décembre 2003 après une série de 12 matches sans victoire) peut faire sourire. Comment expliquer que Claude Puel et Michel Seydoux, qui ont amené le LOSC plusieurs fois en Ligue des Champions, et même à un titre national en 2011 – Puel n’y est pas étranger – aient été considérés comme « incompétents » au point que leur démission a été réclamée pendant plusieurs mois ? N’étaient-ils donc pas les mêmes hommes ?
Dans un club sportif s’entremêlent des enjeux humains, sportifs, économiques et politiques. un changement d’hommes ne peut se réduire à un changement d’organigramme, avec des individus interchangeables où les nouveaux arrivés n’auraient qu’à faire fructifier un heureux héritage. Or, à chaud, on regarde souvent les successions, quand elles ne se traduisent pas par une réussite sportive, comme si les nouveaux dirigeants faisaient n’importe quoi du trésor qu’on leur a offert sur un plateau. Or, qu’a-t-il été reproché à l’époque à Michel Seydoux et à Claude Puel ? Bien sûr, d’avoir des résultats moyens, et même mauvais, plus qu’en 2021/2022 : 14e, le LOSC n’a assuré son maintien qu’au soir de la 37e journée. Mais aussi de ne pas avoir su créer d’identité de jeu, d’être allés chercher des joueurs au niveau douteux (Bonnal, Tapia, Fortuné, Campi, Chalmé – sa première année était une catastrophe) tout en ayant « bradé » les « actifs » du club (Cygan, Cheyrou et Bakari), au point qu’on se demandait quel était ce président qui se laissait taper sur les doigts par la mairie (sur la question du futur stade), et si Puel n’avait pas été champion avec Monaco en 2000 que parce qu’il a bénéficié d’un effectif exceptionnel.
Le recul que l’on a désormais sur les années Puel et Seydoux permet de voir la saison 2002/2003 comme une transition, difficile, après une période de réussite. Entre 1999 et 2002, le club a survolé la deuxième division, s’est ensuite placé aux 3e puis 5e places du championnat, a brillamment découvert l’Europe, grâce à une équipe vaillante dont les performances sont inséparables de son charismatique entraîneur, Vahid Halilhodzic. Une période exceptionnelle, tant elle a été faste sportivement, et d’autant plus belle qu’elle succédait à 40 ans de déceptions (on aurait donc ici en sens inverse une maximisation de la satisfaction relative). À des années-lumières de ce qu’il a été dans les années 1990, le LOSC a été attractif, et les politiques et le public sont revenus à Grimonprez-Jooris. Comment rivaliser avec cette période ? Dès lors, la frustration et de la déception causées par la saison 2002/2003 étaient écrites d’avance, aussi car on s’habitue vite à un train de vie plus confortable. Et cela n’a finalement pas grand chose à voir avec les qualités et les défauts de Claude Puel qui, dans ce contexte, ne sont qu’une variable parmi d’autres pour expliquer les résultats du LOSC et leur perception. Quand on connaît la suite, on sait bien que la compétence de Claude Puel n’était pas en cause.
Il est d’ailleurs étonnant que Jocelyn Gourvennec ait vécu, à 19 ans d’intervalle, la même mésaventure que Claude Puel : se prendre une rouste contre son prédécesseur, avec son nouveau club : on se rappelle que le LOSC a pris 0-4 à la maison contre le Nice de Galtier, et Puel avait pris 1-5 chez les Rennes qu’Halilhodzic venait de reprendre, avec des joueurs qui avaient semblé tétanisés d’affronter l’entraîneur qui les avaient menés si haut (on en a parlé ici). Et on se rappelle qu’il avait fallu compter sur l’ingéniosité des organisateurs pour éviter un triomphe à Halilhodzic lors du match retour, alors que le LOSC jouait sa peau. Ces défaites n’ont pu que renforcer le contraste et valider l’évidente apparence d’un entraîneur « compétent » d’un côté, « incompétent » de l’autre.
Au-delà des hommes, c’est donc le contexte qui explique en grande partie des saisons 2002/2003 et 2021/2022 médiocres. Cette grille de lecture ne fonctionne qu’en partie sur la saison 2017/2018 : en effet, une frustration pêut également se faire ressentir entre les paillettes promises par l’arrivée de Bielsa et ce qu’on en a vu mais, à l’inverse, les méthodes de gestion humaine et financière de l’équipe dirigeante font apparaître des stratégies individuelles, volontaires, plus clairement identifiables, et manifestement grossièrement néfastes.
Notre propos est donc de dire que replacer le LOSC à un moment de son histoire et de son développement permet d’avoir une autre grille de lecture des performances sportives. Cela n’exonère pas les dirigeants de leurs responsabilités, mais c’est autre chose. En l’occurrence, on peut aussi tout à fait comprendre qu’il y a une phase de « prise de rôle » pour Michel Seydoux et Olivier Létang, plus ou moins novices, qui les conduisent à quelques maladresses et à devenir le réceptacle des diverses frustrations, mais c’est peut-être l’inévitable prix à payer dans ce genre de configuration.
Quant à Claude Puel – à propos duquel Michel Seydoux a par la suite souligné sa chance de l’avoir eu, reconnaissant à mots couverts que Puel l’avait presque formé – et à Jocelyn Gourvennec, ils subissent eux aussi en partie un lourd héritage et une succession difficile à assumer. Mais il est indéniable que, si l’on en croit les témoignages des joueurs de l’époque et de cette année, même dans la tempête, ils ont su maintenir un équilibre dans le groupe – si l’on excepte l’épisode Ben Arfa – nécessaire à sa survie, et c’est bien dans cette phase complexe où le coach ne peut encore complètement faire passer ses vues et son style qu’ils peuvent faire preuve de leur professionnalisme.
Gourvennec particulièrement mal servi
Au-delà des changements structurels au sein du club, on peut aussi rappeler quelques éléments qui, pour le moins, n’ont pas placé Jocelyn Gourvennec dans une situation favorable.
L’annonce de sa venue a été faite le lundi 5 juillet 2021 : un moment tardif, postérieur à la reprise du groupe professionnel, que Gourvennec a rejoint en stage aux Pays-Bas. Pas vraiment l’idéal pour un premier contact, et une impression de devoir déjà rattraper du temps perdu alors que la saison a à peine commencé. Rappelons que cette nomination tardive est due aux atermoiements autour du départ de Christophe Galtier, que le LOSC ne voulait pas lâcher sans obtenir d’indeminité de transfert, ce qui a retardé toute officialisation. Dans cette affaire, tout et son contraire ont été dits sur l’honnêteté de l’un (Létang) et de l’autre (Galtier), mais l’honnêteté incite à exonérer Gourvennec de toute responsabilité dans cette affaire qui, bien malgré lui, lui a fait manquer son intronisation, comme un prof qui arriverait en retard pour surveiller le DS le plus important de l’année qu’il a préparé à ses élèves.
Gourvennec est aussi « victime », à son corps défendant, des noms ronflants qui ont circulé pour succéder à Galtier, notamment Blanc, Favre et Ranieri. Si toutes les rumeurs n’étaient pas fondées (Ranieri est tout de même venu à Luchin), elles ont là aussi contribué au sentiment de frustration relative évoqué plus haut. Difficile de savoir si ces rumeurs étaient lancées par des agents (probablement), mais l’absence de communication du club pour les taire a eu pour effet de les entretenir voire de les crédibiliser. Et si ces rumeurs ne sont pas fondées, après tout, un club doit-il s’abaisser à les démentir ? Quand on annonce Blanc ou Ranieri et que débarque Gourvennec, on ne peut qu’être surpris, voire déçu, là encore par décalage avec ce à quoi on cru pouvoir prétendre. Et domine le sentiment que Gourvennec est un choix par défaut. Mais, quoi qu’il en soit, Jocelyn Gourvennec n’y est encore pour rien : lui venait avec son parcours qui, pour relativiser ce qui a été dit et écrit, était tout de même loin d’être ridicule. Ce avec quoi l’auteur d’une pétition – vite retirée mais très médiatisée – contre l’arrivée de Gourvennec n’avait pas l’air d’accord. On peut aussi comprendre qu’arriver dans de telles conditions laisse quelque trace.
Le 0-4 concédé contre Nice, dès la deuxième journée, n’a fait qu’ajouter de l’eau au moulin de la thèse de l’erreur de casting. Même si on se désole de cette défaite, affronter si précocement celui qui a fait du LOSC un champion, qui connait par cœur son effectif, qui fait ombrage à son successeur (et probablement même si celui-ci avait été plus « prestigieux »), ne laissait que peu de chances à Lille cet après-midi là. Les similitudes avec le Rennes/Lille de novembre 2002 sont tout de même frappantes, comme si le même phénomène s’était reproduit. Ce « pêché originel » d’août 2021 a été suivi d’une indulgence toujours plus réduite à l’égard du coach lillois, si l’on excepte le parcours en coupe d’Europe et une bonne période en championnat à la fin de l’hiver.
On parlait plus haut de joueurs qui auraient « surperformé » en 2020/2021. À l’inverse, on peut estimer que le LOSC a sous-performé cette saison. Si l’outil ne convainc pas tout le monde, les calculs du LOSC de Gourvennec en expected goals et expected points montrent un net différenciel entre occasions créées et converties tant par les attaquants du LOSC que par les équipes adverses ; le hic, c’est que ce différentiel est largement négatif pour le LOSC, et largement positif pour ses adversaires. Pour le dire autrement : Lille se crée beaucoup d’occasions mais marque relativement peu ; et Lille concède peu d’occasions mais encaisse relativement beaucoup. Si l’on en croit le site de référence, le LOSC « auraît dû » se classer deuxième cette année… Ainsi, cette saison, la qualité des occasions créées n’a pas tant changé que ça, et c’est peut-être en partie grâce Gourvennec qui, déclarant s’inscrire dans les pas de Galtier, a maintenu une forme d’équilibre dans l’équipe. Ce qui a changé, c’est la finition des attaquants, et ça ne peut pas être que de la faute du coach.
Le classement L1 2021/2022 avec calcul des XG et XPTS sur https://understat.com/league/Ligue_1
Enfin, on a reproché à Gourvennec de ne pas savoir donner d’animation offensive au LOSC, en oubliant un peu vite que mis à part la saison 2018/2019 et un automne 2021 de folie, ce point a toujours été un problème avec Galtier !
Que l’on s’entende bien : on ne sait pas si Jocelyn Gourvennec est un bon ou un mauvais entraîneur, et on aimerait avoir les compétences pour prétendre émettre un avis, si tant est qu’on puisse mesurer et objectiver la compétence d’un entraîneur. Mais la décision du LOSC de se séparer de son entraîneur nous paraît pour le moins brutale, et s’inscrit dans la continuité d’une année où tous les maux de l’équipe semblent lui avoir été attribués, comme si on en arrivait à une conclusion largement partagée sans qu’une quelconque démonstration n’ait été faite. Et, dès 2021, il était prévisible qu’on ne puisse pas répondre clairement à cette interrogation au bout d’un an. Le moment que traverse le club semble trop parasité pour que l’on puisse isoler le travail propre de l’entraîneur d’un ensemble de dynamiques sur lesquelles il n’a pas de prise et qui l’empêchent d’imposer son style.
Credit: Getty Images/Romain Perrocheau
On le répète : personne ne peut se satisfaire de la saison écoulée, des résultats obtenus, de l’envie manifestée, du jeu proposé, d’avoir perdu trois derbies, et un entraîneur ne peut être exonéré de toute responsabilité, mais la cristallisation de ces problèmes sur la personne de Jocelyn Gourvennec ne nous paraît pas complètement juste, tant les critères d’évaluation de sa contribution propre sont noyés dans un ensemble de paramètres. Ainsi, nous ressentons un décalage entre d’un côté l’ampleur de la colère, sa cible, et de l’autre la situation réelle, à envisager dans un environnement plus général que la vitrine que sont les résultats du terrain. Dès lors, la responsabilité personnelle de Gourvennec dans les rendements moyens du LOSC en championnat est très complexe à établir. Corollairement, son apport et son mérite sur la belle campagne de Ligue de Champions sont tout autant difficiles à déterminer avec précision. Ce décalage soulève surtout la question du niveau des joueurs en fonction des matches, des compétitions, et de leurs ambitions personnelles. Et on ne les juge pas non plus : souvenous-nous seulement, comme évoqué avant, par qui, avec quel projet et avec quelles valeurs ils ont été recrutés.
En résumé, le départ de Gourvennec – au passage, bien plus élégant que celui de Galtier – en dit moins sur lui-même et sur la saison du LOSC que sur la façon dont il et elle sont perçues relativement, c’est à dire en comparaison de critères qui les relèguent, forcément. Le titre obtenu, la succession de Galtier, l’usure de joueurs au niveau exceptionnel en 2020/2021, le changement de direction et de projet, une arrivée de Gourvennec chaotique et contestée, ont cumulativement suscité des attentes impossibles à satisfaire. Dans une telle configuration, le club aurait-il dû davantage assumer une saison de transition pour réduire le sentiment d’attente et donc, de frustration ? Stratégie inaudible en termes de communication, sans doute, d’autant plus à une période où tout signe de « faiblesse » est réputé faire fuir les investisseurs et, partant, risquerait de mettre le club en péril.
L’an dernier, à pareille époque, on se réjouissait de retrouver une direction saine dans ses méthodes, indépendamment de la question des moyens financiers. Manifestement, cette direction soit considère qu’elle a fait un mauvais choix avec Gourvennec, soit le fait sauter pour orienter la perception d’une saison moyenne vers son entraîneur (les deux hypothèses ne sont pas exclusives l’une de l’autre). Avec ce départ, elle se retrouve désormais potentiellement nue : soit le successeur de Gourvennec fera mieux que lui, et cela confortera les contempteurs du Breton dans leurs convictions ; soit ça se passera moins bien et alors les regards se tourneront inéluctablement vers la responsabilité de la direction, jusque là relativement épargnée, et qui n’a cette fois pas intérêt à placer le nouvel entraîneur sur un siège éjectable, car elle est désormais assise sur le même.
Mais prenons d’ores et déjà les paris : après une saison « moyenne », les critères de perception de la saison à venir ont déjà changé. Cette fois, elle n’a même pas commencé qu’elle semble déjà plus belle !
En résumé, réclamer la démission ou croire en l’incompétence des nouveaux venus après seulement quelques semaines ou quelques mois nous semble mettre de côté les raisons structurelles et collectives qui permettent d’apporter un éclairage sur le décrochage relatif d’un club, qu’on ne peut résumer à l’action d’un homme ou deux. En 2003 comme en 2022.
Posté le 22 mars 2022 - par dbclosc
Sylvain Armand nommé médiateur en Ukraine
C’est une belle promotion pour l’actuel coordinateur sportif du LOSC : séduit par son sens profond de la justice, le Président ukrainien Volodymyr Zelensky en a fait son « médiateur spécial » pour tenter de faire entendre raison à son homologue russe, Vladimir Poutine.
« Je ne supporte pas l’injustice » : c’est par ces mots simples que le destin de Sylvain Armand a basculé dans la soirée de samedi : interpellés par la profondeur de tels propos, des représentants diplomatiques ukrainiens sont entrés en contact avec celui par qui l’espoir d’une sortie de crise est désormais envisagée. Du côté de Moscou, on craint que cette prise de guerre ne fasse définitivement basculer l’opinion contre la Russie : une source proche du Kremlin indique que Sylvain Armand était suivi attentivement par les services secrets russes depuis 2009 en raison de ses prises de position publiques en faveur d’Apoula Edel, contre vents et marées.
Son récent fihgting avec Frédéric « baston » Antonetti et sa courageuse sortie à Nantes n’auront ainsi fait qu’accélérer un destin qui était écrit.
Reste à savoir si Sylvain Armand aura les épaules pour assumer un rôle diplomatique de premier plan. L’intéressé met en avant sa polyvalence et sa forte capacité d’adaptation : « je vous rappelle qu’avant d’épouser une carrière de footballeur, je me suis révélé dans la comédie musicale Notre-Dame de Paris, où je jouais le rôle de Quasimodo ». Certains détracteurs considèrent que le rôle de médiateur est d’une toute autre ampleur, et qu’il n’est pas sans risque tant les combats font rage : « j’en entends certains me dire que je ne devrais pas être là. Je leur réponds que j’ai désormais le badge pour circuler » assure-t-il.
Un destin patiemment construit
Sur le fond du conflit, Sylvain Armand construit ses positions notamment via un outil d’analyses vidéos : « au vu des images, il y a clairement un camp qui est dans la zone technique de l’autre, affirme-t-il, et derrière ça nous met en difficulté. Je suis également en train d’étudier les migrations d’Ukrainiens vers l’Ouest. Cela ressemble à des expulsions déguisées : ça me semble très sévère ».
L’ONU a d’ores et déjà fait savoir qu’elle se désolidarisait des futures réalisations de Sylvain Armand, qui ne bénéficie d’aucun mandat international pour agir. Le médiateur spécial préfère en rire : « Edon Zhegrova me l’a rappelé : qui a bombardé le Kosovo ? Eh bien c’est l’ONU. Ils font des erreurs mais ne sont pas sanctionnés ! Le problème c’est qu’on ne peut pas s’exprimer avec ces gens-là. On ne peut pas discuter avec eux, et soi-disant, on leur parle toujours mal. Alors je ne vais pas m’excuser de mettre en application mon sens profond de la justice, avec ou sans mandat ».
À l’heure où nous écrivons ces lignes, le compétiteur Sylvain Armand tente de s’extraire d’une échauffourée qu’il a lui-même provoquée en hurlant « je te nique ta mère sale Ruskov ! », probablement dans les environs de Marioupol où il a été aperçu hier soir. Selon notre envoyé spécial, des scènes de fraternisation entre soldats russes et population locale ont pu être observées après le passage de Sylvain Armand qui, à rebours de ses outrances, leur a finalement rappelé leur commune humanité.
La vignette est issue de l’article Comme une Armand peine, écrit par Kada Marteri sur le site des Cahiers du foot (2013)
Posté le 17 décembre 2021 - par dbclosc
« Puel, Seydoux, démission ! »
Des résultats en dents de scie qui deviennent franchement catastrophiques, un jeu insuffisant, un entraîneur considéré comme trop discret, un président qui découvre le métier et semble perdu, un public hostile… Au LOSC, le contraste avec le passé récent est saisissant.
Nous sommes au début de l’année 2003 : Claude Puel et Michel Seydoux font face à ce qu’on pouvait deviner à l’été 2002 après trois années exceptionnelles : des lendemains qui déchantent. Mais en sont-ils responsables ?
Janvier 2003 : le LOSC traverse une zone de turbulences.
Le début de saison avait été mauvais : certes, Lille parvient jusqu’en finale d’Intertoto, mais cette coupe, dans sa configuration et à cette date, propose une opposition assez aléatoire quant à la qualité et au niveau de préparation des adversaires. En championnat, après deux lourdes défaites à domicile, il faut attendre la 5e journée pour enfin marquer un but (Delpierre, à Strasbourg), et la 6e pour gagner (contre le PSG). Après ces débuts poussifs, le LOSC adopte un rythme de croisière intéressant qui le voit souvent vaincre à domicile, y compris contre les « gros » (3-0 contre Marseille, 2-1 contre Lyon), et prendre quelques points à l’extérieur (nuls à Lens et à Monaco, victoire à Sedan). Bien sûr, il y a encore quelques trous d’air (lourde défaite 1-5 à Rennes, incapacité à garder un avantage de deux buts contre Auxerre et à Ajaccio, avec deux nuls 2-2), mais on peut les attribuer à de nouvelles dispositions de jeu pas encore tout à fait appréhendées. À la trêve, les Dogues ont 28 points : devant, L’Europe n’est qu’à 5 points, le leader est à 7 points ; et derrière, la zone de relégation est à 10 points. Bref, c’est très correct.
Mais en janvier 2003, si, en coupe, les Dogues avancent, les voilà bloqués en championnat. Des défaites à Nice le 10 (0-2) puis contre Strasbourg le 22 (0-1) et à Paris le 29 (0-1), couplées à un match remis le 15 (Troyes) font que le LOSC fait du surplace. Et au-delà des seuls résultats, Lille semble en manque de rythme, ne propose plus grand chose au niveau du jeu, et rate des occasions en or telles que celles de Manchev à la fin du match contre Strasbourg.
Reports sur reports
Mais le LOSC va avoir l’occasion de se relancer le samedi 1er février en recevant la lanterne rouge, complètement larguée, Montpellier. Mais ce qui ressemble à l’adversaire idéal ne vient pas : en raison de fortes chutes de neige depuis la veille sur la métropole lilloise (un délégué de la Ligue constate 12 centimètres de neige sur la pelouse de Grimonprez dès le vendredi après-midi), de nouveau prévues durant tout le week-end, le match est reporté. Lille n’avance donc pas et a désormais deux matches en retard.
12 cm après avoir enfoncé son truc dans la neige, un résultat honorable
Place désormais à un déplacement à Guingamp. Mais en raison de fortes pluies et d’un terrain inondé, le match est lui aussi reporté ! À l’inquiétude comptable liée au manque de résultats s’ajoute une inquiétude liée manque de match quant à la santé des joueurs. Santé psychologique d’abord car, comme l’indique la Voix du Nord, le match contre Montpellier était « un match sur lequel les joueurs comptaient beaucoup pour se refaire une santé morale et dont le report a été ressenti comme une frustration » (4 février) ; Claude Puel explique que « ce n’est pas évident pour les joueurs de se préparer mentalement pour un match et de voir à chaque fois le soufflé retomber au dernier moment » (5 février). Et santé physique car, en raison d’une neige persistante à Lille, voilà déjà une semaine que le groupe lillois alterne entre surfaces d’entraînement qui ne sont pas idéales : neige, salle, et synthétique. Or, le coach rappelle que le risque de blessures est accru quand on change de surface, et attribue les récentes blessures de D’Amico, Fahmi et Pichot à ces conditions de travail.
« Tiens, puisqu’il neige, on va jouer au rugby »
Si le LOSC dégringole, on peut toutefois considérer que le classement est un trompe-l’oeil. Avec désormais 3 matches de retard, Lille est virtuellement dans un ventre mou assez rassurant. Mais ce n’est que virtuel, car rien ne garantit que le LOSC gagnera ces matches, et le doute s’installe au vu des récentes prestations, pas franchement emballantes. De plus, il faut maintenant composer avec un calendrier réaménagé, sachant que Lille est la dernière équipe de Ligue 1 engagée dans les deux coupes nationales. La perspective de jouer des matches rapprochés constitue une nouvelle problématique à gérer pour Claude Puel : « nous devons en être conscients : nous n’avons pas bien négocié notre début d’année. Nous n’avons pas su nous hisser au niveau de jeu qui doit être le nôtre. C’est pour le retrouver que nous travaillons. Mais sans jouer, il est difficile de savoir où nous en sommes. Notre calendrier est passé d’un extrême à l’autre. Nous nous retrouvons dans cette situation paradoxale de n’avoir pas assez joué, de chercher des repères et de risquer de manquer de rythme alors qu’on se demandait à la reprise dans quel état de fatigue nous sortirions de cette période » (5 février)
Le tournant du derby
Le calendrier offre maintenant la réception de Lens. Faut-il considérer qu’un derby, dans ces circonstances, est l’occasion idéale de se relancer ? Encore faut-il que le match ait lieu, car il a tant neigé le week-end précédent que la tenue du match est incertaine jusqu’à la veille. Et le gel, lui, n’est pas parti. Le 7 février, la Voix du Nord indique cependant une tendance « favorable » : le terrain a été déneigé et il s’avère que le terrain n’a pas trop souffert car « la couche de neige semble avoir agi comme une protection thermique »
Les Lensois sont dans le ventre mou, bien en deçà des standards qui les ont conduits à la deuxième place l’année précédente. Sur le terrain, sablé par endroits, il n’y a pas photo : Lille n’y est pas et se présente dans la continuité de ses récentes sorties. L’adversaire n’a pas à forcer pour ouvrir le score (Song, 42e). Dans la foulée, le LOSC rate sa désormais traditionnelle occasion en or : Abidal, à 6 mètres du but de Gugusse Warmuz, trouve le moyen de tirer à côté. Le collectif lillois est pauvre, Fortuné sort dès la pause, Manchev ne fait pas mieux, et Makoun et Moussilou, lancés en seconde période, sont bien trop tendres. En seconde période, Lens, sans forcer, accroît l’écart (Vairelles, 75e). Résumé du match :
Le public, qui grondait déjà face au triste spectacle, commence alors à se lâcher. La Voix du Nord souligne qu’à 0-2, les premiers « Seydoux, démission » partent des Secondes basses, et apparaissent quelques banderoles sur lesquelles on peut lire « honneur » et « devoir ».
Seydoux particulièrement visé
Plus que l’entraîneur, c’est d’abord Michel Seydoux qui est la principale cible du courroux de certains supporters. Car, parallèlement aux difficultés sportives que traverse le LOSC, le président est confronté à l’héritage de l’éternelle question du stade. Or, cette problématique devient très concrète à partir de janvier. Et, sur ce point, Seydoux se montre hésitant et maladroit.
Ainsi, on apprend en janvier que les travaux pour rénover Grimonprez-Jooris (puisque c’est l’option choisie à cette date) devraient début au cours de l’été. Et, puisque le LOSC a refusé que cette agrandissement se fasse par tranches, il sera impossible d’y jouer pendant 18 mois. Le LOSC doit faire connaître ses intentions à la Ligue avant le 1er mars : alors, où jouer ?
La mairie, via Pierre de Saintignon, premier adjoint de Tartine au brie, assure qu’il n’y a aucun problème car Lille peut aller au Stadium de Villeneuve d’Ascq. Mais, pour Michel Seydoux, aller au Stadium, c’est « prendre un risque sportif ». Hors de question pour le président de migrer vers « un stade d’athlétisme, pas de foot ».
Seulement, on apprend que les aménagements nécessaires pour que le Stadium soit aux normes de la Ligue 1 (au niveau de l’éclairage notamment) ne le rendront pas disponible avant… décembre 2003. Michel Seydoux lance alors publiquement une idée qui fait s’étrangler à peu près tout le monde : « bâtir un stade commun à Lille et Lens ». Selon Seydoux, « il y a une notion de solidarité régionale », un concept dont on n’avait pas eu vent jusqu’alors.
Se rendant compte de sa bévue, ne serait-ce que par ce qu’elle a suscité des réactions hostiles de supporters des deux camps (s’il y a une solidarité régionale, elle est plutôt là), Michel Seydoux déclare autoritairement et unilatéralement que le LOSC jouera à Grimonprez-Jooris en 2003/2004 ! Il convoque une conférence de presse le 10 février qui va tendre les relations avec la mairie et brouiller les intentions de Michel Seydoux.
Le ton monte avec la mairie
Curiosité : la conférence de presse porte un nom. Elle s’intitule Un grand club pour une grande métropole !, tout un programme. Michel Seydoux y formule ses interrogations et ses souhaits quant à « Grimonprez-Jooris II » : pas question de jouer au Stadium, et impossibilité de jouer à Lens. Et il n’a pas l’air d’être emballé par l’extension de Grimonprez, au point qu’on se demande s’il ne se prépare pas une porte de sortie : « il est important de savoir si l’on veut faire un grand stade à Lille. Sinon, le projet de l’entreprise est remis en cause ». Manifestement remonté et ayant l’intention de ne plus subir une situation dont il a le sentiment qu’elle lui échappe, il demande des « états généraux sur l’avenir du LOSC » !
L’initiative est très mal perçue par la mairie. Saintignon réagit durement, rappelle qu’il existe une convention signée en mai 2002 qui prévoit l’agrandissement de Grimonprez, et qu’il est hors de question de s’assoir dessus : « Dayan et Graille étaient demandeurs de l’extension. Elle a été finalisée avec Michel Seydoux. Des états généraux ? Ça n’a aucun sens. C’est hallucinant ! On se moque du choix contractuel, des 10 millions de francs dépensés par les architectes, et on lance à la cantonade, comme s’il n’y avait pas eu de convention, qu’on reste à Grimonprez-Jooris. On aura l’occasion de remettre les points sur les i avec les dirigeants du LOSC ». Le premier adjoint poursuit et contre-attaque sévèrement : « pour faire une grande équipe, il faut que chacun prenne ses responsabilités. Les pouvoirs publics ont montré qu’ils les prenaient. Il suffisait d’assister au derby samedi pour se rendre compte que d’autres n’ont pas investi sur les joueurs comme il le fallait ». C’est petit et mesquin que Saintignon s’immisce dans le sportif, mais le message de la mairie est clair : ce Michel Seydoux n’est pas très compétent. Qui est donc ce président qui dénonce un protocole qu’il a lui-même signé ?
Le grand bond en arrière
On voit alors surgir dans la presse des titres que l’on croyait rangés au rang des souvenirs de la fin des années 1980 et du début des années 1990 : « Ubu est toujours roi » ; « le LOSC s’en sortira-t-il un jour ? ». Certains supporters commencent même à être « hyper-inquiets » en voyant ce LOSC décrépir sur le terrain, et dont la boussole ne fonctionne plus très bien en dehors.
Face à la fronde qui monte, Seydoux se drape dans sa vertu de celui qui ose poser les bonnes questions : « j’ai parlé d’états généraux : c’est un mot trop ambitieux, il fait peur » (14 février). Ça fait peut-être peur, mais ça laisse surtout indifférent, car personne ne reprend au vol l’appel présidentiel, hormis l’association « Sauvons la Citadelle », qui revendique 200 adhérents et se dit tout à fait prête à exposer ses arguments contre l’extension du stade ! Bien joué !
Seul un élu réagit à la proposition du président du LOSC : il s’agit d’Olivier Henno, maire de Saint André et conseiller communautaire. Il adresse une lettre ouverte à « Nicolas » (sic) Seydoux : pas très populaire le Mich ! En voici quelques extraits (Voix du Nord du 14 février) :
« M. Seydoux peine à exprimer ce qu’il souhaite vraiment. Veut-il être le promoteur d’un stade porté par des capitaux privés ? Qu’il le dise et qu’on sorte enfin des non-dits (…)
Chiche pour évoquer la question du stade dans ces états généraux, mais chiche aussi pour discuter de la situation sportive et financière. Qu’a-t-on fait des recettes de la Champion’s League et à quoi a servi l’argent de la vente des meilleurs joueurs en juin ? »
C’est le grand chelem pour Michel Seydoux : souhaitant reprendre la main, ses initiatives ne reçoivent en retour qu’indifférence ou contre-attaques qui le poussent à se placer sur le terrain des finances du club. En toile de fond est exposée sur la place publique la question du « trésor de guerre » dont Michel Seydoux s’est vanté dans la presse au cours de l’été 2002. Même en retirant certains frais liés au budget de fonctionnement du club, à l’entretien du stade, ou au fonctionnement du centre de formation, il resterait plusieurs millions que Michel Seydoux déclare publiquement garder en réserve en cas de pépin, mais le propos de M. Henno sous-entend que l’argent serait parti vers les actionnaires. Bref, on est proche de l’accusation de patron-voyou par ce gros gauchiste (UDF) qu’est Olivier Henno.
Agacé, Seydoux répond qu’on peut « vérifier les chiffres auprès du greffe du tribunal de commerce ». La Voix du Nord, de son côté, souligne que l’exercice 2001/2002 a été déficitaire à hauteur de 5,7M€, et que le budget prévisionnel de cette saison 2002/2003, basée sur une optimiste 17e place, est négatif (-7,4M€). De plus, en dépit d’une balance positive quant à l’achat/vente de joueurs (+10,5M€), le LOSC se serait endetté, comme d’autres clubs de L1, à hauteur de 15M€ depuis la remontée.
Bref, si « trésor de guerre » il y a eu, il se peut qu’il ait déjà fondu. Se pose donc la question de l’avoir évoqué publiquement, en suscitant des attentes démesurées et vite douchées par des mercatos très moyens (ici et là), et en jetant le soupçon sur, au mieux, la radinerie de Seydoux ou, au pire, la privatisation des gains.
C’est donc aussi à l’aune de ces sorties publiques, pas franchement à son avantage, que Michel Seydoux cristallise la colère d’une partie du public : le voilà désigné principal responsable des mercatos ratés, d’un argent prétendument dilapidé, et apparemment on est désormais SDF.
Une trajectoire à la 96/97
C’est dans cette joyeuse ambiance que Lille retrouve les terrains : voici la coupe de France. Lille se déplace chez une équipe de L2, Lorient. Alors, on passe ? Eh bien non, on perd 0-1, sur un but marqué à la 90e. Dans l’absolu, au vu du calendrier qui attend le LOSC, ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle. En revanche, sur le contenu, il n’y a pas de quoi être rassuré : les Lillois sont « incapables de prendre le jeu à leur compte », « bridés par un manque flagrant de consistance offensive », avec des « gestes empruntés, lenteurs répétitives, maladresses récurrentes devant le but adverse », et « Manchev et Sterjovski [sont] inexistants ». Voilà qui confirme de « sinistres perspectives » (La Voix du Nord, 18 février)
La Voix des Sports, 18 février
Place maintenant au premier match en retard : déplacement à Troyes, dernier. Dans la presse, on s’interroge sur le contraste entre un jeu lillois si plaisant à l’automne, et si pauvre aujourd’hui. Ce décalage n’est pas sans rappeler la saison 1996/1997, au cours de laquelle le LOSC comptait 29 points à la trêve de Noël, grâce à jeu fort agréable, avant de ne marquer que 6 points en 1997, avec une équipe complètement à la rue. À l’arrivée, c’était la D2. Ce déplacement à Troyes apparaît donc comme le « virage à ne pas manquer » car des supporters l’expriment clairement : « moi, je vous le dis, et vous pouvez l’écrire, le LOSC jouera en Ligue 2 la saison prochaine » (19 février).
On joue depuis 3 minutes au stade de l’Aube, et ça démarre fort : faute de Fahmi, pénalty et but pour Troyes. Puis les deux équipes font jeu égal, ce qui n’est pas rassurant pour le LOSC quand on joue contre la lanterne rouge. En seconde période, Manchev rate « une de ces occasions que l’on qualifie généralement d’immanquables » (La Voix du Nord, 20 février) : après avoir dribblé le gardien troyens, il tire sur le seul arrière placé sur la ligne… En seconde période, Lille ne monte plus grand chose et s’incline finalement 0-2. Après son remplacement, Landrin balance un grand coup de pied dans des bouteilles d’eau juste devant Puel : quand rien ne va, c’est toujours bienvenu. On voit N’Diaye et Boutoille « fustiger un Manchev passif » (La Voix du Nord, 21 février). Malgré le retour de D’Amico, « personne n’a été capable de sonner la révolte » (la Voix du Nord, 20 février). Nous voilà à 6 défaites consécutives dont une en coupe, avec 0 but marqué. Au coup de sifflet, les supporters lillois présents en tribunes expriment de nouveau leur colère.
Après le match, une cinquantaine de supporters lillois attendent joueurs et dirigeants à proximité du car lillois. À leur arrivée, les « mouillez le maillot », « les touristes à la maison », « Seydoux démission » « incompétent », « Seydoux, Puel, responsables », « Le LOSC en super D2 », fusent.
La Voix du Nord aimerait que ça bouge
Devant la presse, Claude Puel apparaît compréhensif, mais aussi ferme : « que les supporters soient mécontents et qu’ils le manifestent est tout à fait normal… (…) Les appels à la démission ne m’intéressent pas. L’essentiel, à mes yeux, est que l’équipe redécolle enfin »
Alors que tout le monde s’inquiète et que la presse régionale sort sa plus belle collection de titres alarmistes, Michel Seydoux semble encore une fois en décalage. Il affirme tout d’abord que « l’hiver pose un problème au LOSC » avec la question des terrains d’entraînement. Soit, mais il faut faire avec, et il n’est pas certain que le LOSC soit le seul club que la météo handicape au quotidien. Il tente ensuite la métaphore animale, plus ou moins volontairement drôle (ou pas) : « il faut retrouver un élan pour faire sourire le chat noir ». L’élan à venir serait plutôt celui qui va migrer de Sibérie tant il continue de faire froid à Lille ! Et enfin, sur l’avenir, le président se montre attentiste : « on n’envisage rien. Après tout, on peut aussi avoir un nouveau départ, comme notre adversaire du jour ».
Au surlendemain de la défaite, la Voix du Nord semble elle-même commencer à douter de la capacité de Michel Seydoux et de Claude Puel à sortir le LOSC de cette crise. Un article de Pierre Diéval pointe « un patron sans culture football », qui « manque de vécu dans le milieu ».
Cette inexpérience expliquerait que Michel Seydoux ait fait un « recrutement limité » et ne perçoive pas les problèmes : « à Troyes, les propos, volontiers badins, de Michel Seydoux, semblèrent souvent en décalage par rapport à l’urgence de la situation ». Pierre Diéval s’agace ainsi que « Seydoux noie le poisson avec des pirouettes verbales » et avance qu’« il n’est pas exclu que la direction du club soit amenée, tôt ou tard, à remettre en cause sa collaboration avec Claude Puel ». Ce propos est à replacer dans le contexte de logiques journalistiques qui souhaiteraient qu’il se passe absolument quelque chose et qu’on agisse pour agir, mais le doute est bien là, et la pression sur le duo Puel/Seydoux également.
Un léger mieux
Après le match de Troyes, les Lillois partent directement dans le Sud, du côté de Cassis, pour préparer le match de championnat à Marseille. Ce mini-stage a vocation a faire oublier l’hiver du Nord, et également à souder le groupe dans la difficulté.
Malheureusement, sur le terrain, Lille perd encore (0-2), ce qui nous conduit à un total de 7 défaites (dont une en coupe) consécutives sans marquer. Néanmoins, contrairement aux sorties précédentes, Lille a bien joué. La Voix des Sports souligne « deux buts heureux » pour les Marseillais, un un état d’esprit de retour du côté les Lillois. Si ça ne rapporte toujours pas de points faut-il croire que le malade est en voie de guérison ?
Dans la semaine précédent la préparation du prochain match (réception de Monaco), les différentes sections de supporters sont invitées à rencontrer à Grimonprez Michel Seydoux, Claude Puel et Grégory Wimbée, représentant des joueurs. À en croire la Voix du Nord, tous les sujets épineux ont été abordés (l’ambiance dans le vestiaire, la tactique, le stade, le mercato, l’avenir du LOSC) et la dialogue a été fluide. Grégory Wimbée assure que « l’ambiance est excellente » ; Claude Puel le garantit : « j’ai la chance de travailler avec des joueurs réceptifs et travailleurs ».
Cette rencontre, prévue de longue date et pas directement liée aux circonstances du moment, vise aussi à désamorcer d’éventuels débordements. Depuis quelques jours, la direction a pris des mesures avec la présence de vigiles à l’entraînement, qui permettraient par exemple d’éviter une « Froger 1998 ». La Voix du Nord évoque aussi l’éventualité d’un envahissement de terrain contre Monaco tout en signalant, en bon auxiliaire du message des autorités, que « les supporters lillois sont des gens raisonnables : ils ont conscience que pareils agissements condamneraient un peu plus encore leur équipe » (1er mars 2003).
« Vahid ! Vahid ! »
Pour ce match contre Monaco, le LOSC peut compter sur une affluence nombreuse : 14 870 personnes se retrouvent à Grimonprez pour voir un adversaire qui reste sur 12 matches sans défaite. Comme à Marseille, Lille joue bien. Mais c’est encore insuffisant : Giuly marque le premier (0-1, 47e), puis Nonda double la mise (0-2, 85e). Événement : Lille marque enfin par Christophe Landrin (1-2, 87e) ! Lille n’avait pas marqué en championnat depuis 628 minutes et un but de Matthieu Delpierre contre Le Havre en décembre. Quelques minutes d’espoir pour arracher le nul sont ensuite douchées par un dernier but monégasque en contre (1-3, Nonda, 90e).
Certes, les Lillois sont« plus malheureux que fautifs » (La Voix des Sports, 3 mars 2003) : la presse régionale salue la qualité du jeu lillois par séquences et l’« abnégation » et la volonté des joueurs (hormis Bonnal « particulièrement maladroit » et « désespérément atone ») ; même Didier Deschamps, l’entraîneur de l’ASM, admet le « réalisme » de son équipe. Mais Lille encaisse sur les rares percées de Monaco, bute sur un bon gardien et, comme d’habitude, Sterjovski tire sur le poteau (à 0-2). Bref, « les Lillois n’ont pas démérité. Mais, une fois de plus, ils ont perdu ». Le LOSC n’avance donc toujours pas.
La Voix des Sports, 3 mars 2003
En tribunes, le public encourage plutôt ses joueurs… jusqu’au temps additionnel, où de nombreux « Vahid ! Vahid ! » et « « Seydoux, démission » sont scandés de toutes parts. Dans une moindre mesure, la tête de Puel est aussi réclamée : « ulcérée, la frange la plus dure des supporteurs lillois, qui s’en prenait aussi aux joueurs, n’admettait pas que son club ait pu, une nouvelle fois, s’incliner, et qu’il soit aujourd’hui de plus en plus englué dans ses insuffisances » (La Voix du Nord, 2 mars 2003)
La Voix des Sports rapporte « de féroces attaques verbales », qu’elle comprend par le décalage, si rapide, entre une période de rêve et des temps plus difficiles : « il faut comprendre le public. Les souvenirs chauds de la période européenne du LOSC affleurent encore dans l’esprit de tous les supporters. C’était beau. C’était inespéré. C’était comme dans un rêve ».
La presse régionale décrit un président « calme dans la tempête ». Seydoux, toujours surprenant, préfère mettre en avant le fait que… Lille a marqué : « ce soir, on a repris goût au but. Nous avions besoin de connaître de nouveau cette sensation ».
Quant à l’avenir, le propos présidentiel reste toujours aussi énigmatique : « on pense forcément à toutes les éventualités. Mais si on y va (en L2), on y sera ! Personnellement, je ne démissionnerai pas. Si j’ai vraiment une tête de Turc susceptible de protéger le groupe, j’accepte volontiers le rôle ! ».
Dans l’édition du 4 mars de la Voix du Nord, Seydoux admet : « on a été mauvais au mercato ». Il reste 11 matches à jouer : Lille n’est toujours pas relégable mais la série en cours en L1 (7 défaites consécutives) le rapproche d’une issue fatale.
Sochaux, le tournant
Se présente désormais une double confrontation à Sochaux : d’abord, un quart de finale de coupe de la Ligue en semaine, puis la 30e journée de championnat le samedi.
La confrontation du mercredi est d’abord marquée par l’avant-match : lors de l’échauffement des joueurs, les supporters lillois présents accrochent une affiche au grillage : « Seydoux, réagis ». Voyant cela, le directeur sportif du LOSC prend l’initiative de… retirer lui-même la banderole. Est-ce bien là le rôle d’un directeur sportif, qui plus est à propos d’une banderole même pas insultante ? La direction voudrait se voir accuser de censure qu’elle ne s’y prendrait pas autrement.
Par crainte de voir tout leur matériel confisqué, les supporters attendent le début du match pour sortir une autre affiche : « 7 matches, 7 défaites, un but, mais tout va bien ».
Sur le terrain, Lille n’est pas ridicule et tient jusqu’en prolongation malgré l’expulsion de Matthieu Delpierre (79e). Sochaux marque (104e) et Lille ne revient pas malgré « une fin de match pathétique, prenante, haletante, qui vit Grégory Wimbée tenter de marquer le but de l’égalisation » (La Voix du Nord, 6 mars 2003). Le visagfe du LOSC a été plutôt séduisant mais les Lillois, « courageux », sont surtout « maladroits » et « malheureux ». Lille et éliminé : ne reste plus que la championnat.
Pour préparer le deuxième match de la semaine à Sochaux, Claude Puel décide de rester dans le coin, à Mulhouse. Est-ce une sanction…? Pour renforcer un groupe diminué par la suspension de Delpierre et la blessure de Baciu, Puel fait appel à deux jeunes : Dumont et Aubriot.
Depuis Mulhouse, Claude Puel accorde un entretien à la Voix du Nord que nous reproduisons en partie (8 mars 2003) :
(…)
« J’ai un groupe qui vit et qui ne renonce pas dans la difficulté. Les suspensions, les blessures et les décisions arbitrales ne l’abattront pas. Après une série où nous étions hors de forme et pas du tout performants, nous venons de réussir quelques matches beaucoup plus intéressants. La grande frustration, c’est qu’ils ne nous ont rien apporté du tout.
Beaucoup d’entraîneurs ont été virés après des séries moins noires que la vôtre. Or, malgré les rumeurs qui courent de temps à autre, vous êtes toujours en place. Vous sentez-vous menacé ?
Non, et je pense que c’est important pour tout le groupe. Le président Seydoux, qui débute dans le foot, montre beaucoup de courage. Il subit des pressions mais il est très costaud. Il vient au stade est c’est pour se faire conspuer. Moi, ça fait partie de mon métier. Pour lui, en revanche, c’est tout nouveau. Alors il mérite un grand coup de chapeau et son attitude nous donne envie de dépenser deux fois plus d’énergie pour le club.
Avez déjà connu pareille situation dans votre carrière de joueur puis d’entraîneur ?
Non, je n’ai jamais connu ça. Actuellement, tout tourne dans le sens contraire. Je savais bien que le début de saison serait difficile, mais je ne pensais pas me retrouver dans cette situation alors que nous avions connu un bon cycle, avec un schéma de jeu assez performant. Et puis l’épisode du mercato d’hiver manqué nous a fait du tort.
En prenant le relais de Vahid Halilhodzic, dont le tempérament est aux antipodes du vôtre, vous attendiez-vous à vivre des périodes aussi délicates ?
Chacun possède sa personnalité. Quand j’ai des choses à dire aux joueurs, je les exprime en tête à tête et je ne les étale pas dans les journaux. Si je dois montrer du doigt tel ou tel, je le fais à l’intérieur du club, dans les vestiaires. Ne comptez donc pas sur moi pour taper sur les joueurs en public et me chercher des excuses en même temps. En acceptant une telle succession, je savais bien que j’allais essuyer les plâtres.
Si vous ne refusez pas le dialogue, avouez quand même que vous n’êtes pas un champion de al communication…
Je suis comme ça et je ne changerai pas. Ma philosophie sera toujours de protéger le groupe et le club. Je faisais exactement la même chose à Monaco. Il se trouve qu’en France, contrairement à ce qui se fait à l’étranger, on privilégie beaucoup la gesticulation médiatique. Vous ne me verrez jamais bondir sur le bord de la touche, sauter partout ou donner mon avis sur tout et n’importe quoi.
Alors le Tarnais, né à Castres, qui a fait toute sa carrière de joueur et d’entraîneur sur la côte d’Azur, regrette-t-il d’avoir répondu à l’appel de ce LOSC bien moins performant que naguère ?
Pas du tout ! Ma femme, ma fille et mes deux fils se plaisent beaucoup à Lille, et j’ai vraiment une forte envie de réussir ici »
Ainsi, Claude Puel prend ses distances avec son prédécesseur (quitte à caricaturer le portrait), et prend la défense de Michel Seydoux qui, bien que (ou parce que) « débutant », est « courageux » et « costaud ». Il dit aussi qu’il est conscient de la difficulté de la succession de Vahid Halilhodzic, on y reviendra en fin d’article.
Lille renverse la vapeur, Wimbée déclencheur
Au stade Bonal ce samedi 8 mars 2003, la chute du LOSC semble n’en plus finir : après 30 minutes, il est mené 0-2 à cause de deux buts marqués sur corner. En fin de première période, Wimbée sauve par 3 fois l’équipe d’un naufrage assuré.
En seconde période, Lille est métamorphosé : Brunel (58e) puis Manchev (61e), sur une superbe action collective avec Boutoille et Fortuné, permettent au LOSC de recoller. La deuxième mi-temps est à sens unique et Lille repart avec des regrets avec deux actions de Fahmi puis de D’Amico sorties par Teddy Richert. Lille a enfin pris un point ! Avec les autres résultats, c’est paradoxalement à ce moment qu’il se retrouve aussi relégable.
Qu’a-t-il bien pu se passer à la pause pour que le visage du LOSC change si radicalement ? L’un des responsables serait Grégory Wimbée, apparemment hors de lui à la pause, comme l’expose Philippe Brunel : « le capitaine a dit ce qu’il fallait. Il a été franc, direct, et même méchant. Parce qu’il le fallait. Je ne l’avais jamais vu comme ça ». Dans la Voix des Sports, Grégory Wimbée confie : « j’ai connu la descente avec Nancy. À cette époque, dans le vestiaire, il y avait des clans. À Lille, ce n’est pas le cas. Il y a toujours eu un bon état d’esprit, même dans les moments difficiles ». Il n’en dira pas plus : « j’ai parlé avec les mots du cœur. Il s’est passé des choses très fortes qui doivent rester à l’intérieur du groupe ». Entre autres propos, Greg aurait demandé aux joueurs s’ils souhaitaient jouer en Ligue 2 l’an prochain.
Par la suite, Lille renoue enfin avec la victoire au cours de son match en retard contre Montpellier (2-0)1, et ne sera donc resté que quelques jours en position de relégable.
La suite de la saison présentera encore des embûches, des déceptions et des points bêtement perdus (égalisation de Bastia à Grimonprez à la 93e, nul à domicile contre Sedan, défaite lors du match en retard à Guingamp). Mais aussi, par intermittence, on entrevoit une équipe très solide (0-0 à Lyon puis à Auxerre). Le LOSC se sauve officiellement lors de la 37e journée, après avoir vaincu Ajaccio (2-0). Le LOSC de Puel connaît encore des turbulences lors de l’automne 2003, puis décolle au cours de l’hiver.
Que retirer de cet épisode ? Comment expliquer que Claude Puel et Michel Seydoux, qui ont amené le LOSC plusieurs fois en Ligue des Champions, et même à un titre national en 2011 – Puel n’y est pas étranger – aient été considérés comme « incompétents » au point que leur démission a été réclamée pendant plusieurs mois ? N’étaient-ils donc pas les mêmes hommes ?
Dans un club sportif s’entremêlent des enjeux humains, sportifs, économiques et politiques. un changement d’hommes ne peut se réduire à un changement d’organigramme, avec des individus interchangeables où les nouveaux arrivés n’auraient qu’à faire fructifier un heureux héritage. Or, à chaud, on regarde souvent les successions, quand elles ne se traduisent pas par une réussite sportive, comme si les nouveaux dirigeants faisaient n’importe quoi du trésor qu’on leur a offert sur un plateau.
Les changements de l’été 2002 sont tout autant porteurs d’espoirs que de craintes : si l’on peut faire une confiance de principe à des gens a priori compétents, les successions sont une étape délicate qui ouvrent une période d’incertitudes : nouvelle administration, nouveaux joueurs, nouvelle culture de travail, nouvelle orientation sportive. Dans quelle mesure les uns et les autres vont-ils construire un équilibre nécessaire à la réussite collective ?
Tout d’abord, dans un cas tel que celui du LOSC, la période qui s’ouvre en 2002 succède à une période si faste que les émotions qu’elle a procurée sont difficiles à égaler. Entre 1999 et 2002, le club a survolé la deuxième division, s’est ensuite placé aux 3e puis 5e places du championnat, a brillamment découvert l’Europe, grâce à une équipe vaillante dont les performances sont inséparables de son charismatique entraîneur, Vahid Halilhodzic. Une période exceptionnelle, tant elle a été faste sportivement, et s’est accompagnée de changements structurels importants, comme la privatisation du club. À des années-lumières de ce qu’il a été dans les années 1990, le LOSC a été attractif, et les politiques et le public sont revenus à Grimonprez-Jooris. Comment rivaliser avec cette période ? 20 ans après, elle est encore évoquée avec nostalgie par celles et ceux qui l’ont connue ! Dès lors, la frustration et de la déception causée par la saison 2002/2003 était écrite d’avance : l’inévitable comparaison entre le passé et le présent ne peut se faire qu’au détriment du présent.
Ensuite, 2002 marque la fin d’une période de 3 ans, une durée considérée comme « un cycle », au cours de laquelle, grâce à un groupe relativement stable, il a été possible de bâtir un projet commun. Le départ de Vahid Halilhodzic constitue une rupture autant sportive que symbolique : les succès sont tant associés à sa personne qu’on peut estimer qu’il y a une forme de décrochage relatif du public, qui doit aussi se remobiliser autour du neuf, croire en de nouvelles personnes, et à un nouveau projet. Il en est de même chez les joueurs : certains partent, souhaitant peut-être garder de Lille les images intactes du succès. Ceux qui restent peuvent légitimement avoir du mal à admettre qu’il sera difficile de faire mieux. Les performances sur le terrain peuvent traduire cette adaptation.
De plus, si l’on regarde de manière plus globale, il se peut que ce ne soit pas le départ d’un homme (Vahid) qui provoque la baisse de régime du LOSC. Après avoir grandi très (trop?) vite, il est presque prévu que le club connaisse une phase de reflux. Et c’est d’ailleurs bien souvent l’anticipation de cette phase qui fait partir les hommes : c’est bien parce qu’ils savent qu’ils ne pourront pas aller plus haut qu’ils préfèrent quitter le club à l’apogée de ce qu’ils peuvent y faire. À tort ou à raison, beaucoup d’observateurs considèrent que Lille a « sur-performé », et qu’il est allé « au-delà de ses limites ». Combien de fois Vahid Halilhodzic a-t-il dit lui-même que le club grandissait trop vite, et que les infrastructures pour rester au sommet ne suivaient pas ?
Quant à Michel Seydoux, il hérite d’un club assaini financièrement, mais le moment de la transmission de l’héritage est à certains égards un cadeau empoisonné. D’abord parce qu’il fera forcément moins bien dans un premier temps, on l’a écrit. Mais aussi parce qu’il arrive à un moment de l’histoire du club où le LOSC est engagé dans des projets incertains dont il ne peut pas se retirer. Le cas des atermoiements autour du « nouveau stade » est le plus flagrant. On a ici l’illustration de ce que les politistes appellent la path dependence, c’est-à-dire l’idée que les choix présents sont fortement contraints par des décisions passées, ce qui limite le domaine du possible, et rappelle à Michel Seydoux que, tout président qu’il est, il n’a pas les pleins pouvoirs (le coup de pression de Saintignon à son égard est éloquent), tout en récoltant les incertitudes du projet et la colère populaire.
Il en est de même sur la situation économique, pas réductible à une simple balance financière calculée sur la différence du montant des transferts entre départs et arrivées. Or, savoir que les meilleurs joueurs ont été vendus suscite en retour des attentes en termes d’investissement, attentes qui, en raison d’une trésorerie peut-être pas aussi bien fournie qu’on ne le croit, ne peuvent être comblées.
Au-delà des hommes, c’est le contexte qui explique en grande partie une saison 2002/2003 médiocre, avec ce creux particulièrement marqué en hiver. Replacer le LOSC à un moment de son histoire et de son développement permet d’avoir une autre grille de lecture des performances sportives.
Cela n’exonère pas les dirigeants de leurs responsabilités, mais c’est autre chose. En l’occurrence, on peut aussi tout à fait comprendre qu’il y a une phase de « prise de rôle » pour Michel Seydoux, novice à ce milieu, qui le conduit à quelques maladresses et à devenir le réceptacle des diverses frustrations, mais c’est peut-être l’inévitable prix à payer dans ce genre de configuration.
Quant à Claude Puel – à propos duquel Michel Seydoux a par la suite souligné sa chance de l’avoir eu, reconnaissant à mots couverts que Puel l’avait presque formé – il subit lui aussi en partie un lourd héritage et une succession difficile à assumer. Mais il est indéniable que, si l’on en croit les témoignages des joueurs de l’époque, même dans la tempête, il a su maintenir un équilibre dans le groupe, nécessaire à sa survie, et c’est bien dans cette phase complexe où le coach ne peut encore complètement faire passer ses vues et son style que Puel a déjà fait preuve de son immense compétence, malgré la crise de résultats. Un autre n’aurait probablement pas fait mieux.
Ainsi, après une période faste, quand les résultats ne sont pas là, la colère prend rapidement le dessus. Elle se cristallise sur ceux qui, nouvellement arrivés, incarnent le club. Mais il nous semble qu’il y a là un effet trompeur, qui consiste à confondre corrélation et causalité (le déclin sportif commence à l’arrivée de nouveaux hommes, mais l’un est-il la conséquence de l’autre ?) et à inverser causes et conséquences (c’est parce que le déclin est anticipé qu’on change d’équipe, et non un changement d’équipe qui conduit au déclin).
Dès lors, réclamer la démission ou croire en l’incompétence des nouveaux venus après seulement quelques semaines ou quelques mois nous semble mettre de côté les raisons structurelles et collectives qui permettent d’apporter un éclairage sur le décrochage relatif d’une équipe, qu’on ne peut résumer à l’action d’un homme ou deux. En 2003 comme à d’autres moments.
Note :
1 La lecture du calendrier des résultats a posteriori invisibilise donc la série de 7 défaites consécutives en championnat – et le passage par la zone de relégation – car, officiellement, cette victoire est comptabilisée pour la 25e journée.
Posté le 11 novembre 2021 - par dbclosc
11 novembre 1920 : l’Olympique Lillois se souvient et se relève
Au lendemain de la guerre, l’Olympique Lillois (OL) compte ses morts : ils sont 76, parmi lesquels trois champions de France 1914. Le deuxième anniversaire de l’armistice est l’occasion de se souvenir de ceux qui sont tombés, en posant la première pierre du monument aux morts de l’OL, et aussi d’ouvrir de nouveaux horizons avec la ré-inauguration symbolique du stade de l’avenue de Dunkerque, abîmé durant le conflit. Pour cette journée à la fois grave et festive, ceux que l’on surnomme depuis tout récemment « les Dogues » invitent leur adversaire favori : la redoutable équipe belge de l’Union Saint-Gilloise.
En 1914, le football nordiste triomphe : en janvier, les « Lions de Flandres », équipe composée des meilleurs éléments de l’Olympique Lillois, de l’Union Sportive de Tourcoing, et du Racing Club de Roubaix, ont brillamment remporté la prestigieuse confrontation Paris/Nord 3-0 ; durant ce même mois, l’équipe de France s’est pour la première fois déplacée hors de Paris, illustration de l’influence grandissante d’Henri Jooris : au stade de l’avenue de Dunkerque à Lille, la France a battu la Belgique 4-3. Et l’Olympique Lillois, champion du Nord, remporte le championnat de France USFSA (fédération à laquelle le championnat du Nord est rattaché), puis remporte le 26 avril le Trophée de France, qui met aux prises les vainqueurs des 4 fédérations.
« Fauchés comme un lapin en plein vol« (©1)
Rien ne semble devoir résister à la domination lilloise sur le football français : « il est à craindre que le trophée national ne revienne de sitôt à Paris », écrit l’Auto au lendemain du triomphe de l’OL, une crainte « parisienne » qui sonne comme la promesse d’un avenir radieux pour le football nordiste. Mais la guerre met un coup d’arrêt à cette domination durable annoncée.
Dans la vidéo ci-dessus, tournée lors de la finale USFSA entre Cette (Sète) et Lille le 5 avril 1914, on voit en blanc les équipiers de l’OL (avec sur la gauche Henri Jooris), parmi lesquels l’ailier gauche Jacques Mollet (3e en blanc en partant de la droite), mort à 25 ans en août 1918, le gardien Elie Carpentier, mort en mars 1915 à 25 ans, et l’avant-centre le Belge Alphonse Six (derrière Carpentier, sur sa gauche), mort dès août 1914 à 23 ans. Comme eux, 73 autres hommes de l’omnisports OL ont perdu la vie entre 1914 et 1918. L’arrière Jean Degouve (derrière le gardien Carpentier, sur sa droite) a quant à lui été amputé durant le conflit (tout comme l’ancien portier de l’OL Zacharie Bâton).
Le Grand Hebdomadaire Illustré, 8 mars 1914
Dans une région occupée durant quatre années, le football, comme le reste, est durement touché. À partir de fin novembre 1918, l’Olympique Lillois parvient à organiser quelques matches : jusqu’au printemps 1919, les principaux adversaires sont des équipes composées de militaires britanniques, ainsi que les traditionnels rivaux de L’UST et du RCR, qui comptent aussi leurs disparus. Il faut attendre septembre 1919 pour que l’on retrouve une certaine normalité, avec la préparation de la nouvelle saison. À cette occasion, l’OL avait notamment reçu le Daring de Bruxelles, champion de Belgique, et le FC Milan : on en a parlé ici. À l’issue de cette saison 1919/1920, l’OL se classe deuxième du championnat du Nord, derrière Tourcoing. Dans la nouvelle coupe de France, désormais étalon des rapports de force nationaux, le déclin du football nordiste est objectivé par l’élimination de l’OL, dernier représentant nordiste, en quart de finale.
L’Olympique Lillois en mai 1920 (Le Grand Hebdomadaire Illustré, 23 mai 1920)
Depuis la Libération, la presse régionale titre d’un côté sur les difficultés quotidiennes, les visites d’officiels constatant les dégâts, ou des portraits de soldats morts ; et, de l’autre, sur la reconstruction, le culte des « glorieux disparus » (sic) ou le courage des populations locales. Ce mouvement de balancier entre le désir de se souvenir et la nécessité d’aller de l’avant se retrouve au sein de l’OL, qui rallie deux mouvements nationaux : d’une part, le mouvement de construction de monuments aux morts (près de 35 000 sont érigés en France de 1918 à 1935), et d’autre part le mouvement de promotion de la condition physique, avec en prolongement cette idée que des individus en bonne santé forment de bons soldats : la presse sportive, durant le conflit, a largement contribué à diffuser cette représentation en héroïsant le comportement des « soldats-footballeurs », et d’autant plus quand ils en sont morts. L’attitude des sportifs au front justifierait donc qu’on leur témoigne une reconnaissance, en leur offrant de bons équipements comme, par exemple, des stades.
Ceci prend une dimension très concrète le 11 novembre 1920 : à l’occasion du deuxième anniversaire de l’armistice, du cinquantenaire de la IIIe République, et de l’affiliation du 100e club à la Ligue du Nord, un match Olympique Lillois/Union Saint-Gilloise est organisé au stade l’avenue de Dunkerque.
Le Grand Echo, 11 novembre 1920
Saint-Gilles, notre adversaire préféré
L’Union Saint-Gilloise est un adversaire bien connu de l’OL : depuis le milieu des années 1900, de nombreux matches et tournois amicaux ont permis aux deux équipes de régulièrement s’affronter. À une époque où il n’existe pas de coupe d’Europe, ces confrontations internationales constituent l’étalon à l’aune duquel il est possible d’établir une hiérarchie européenne. Avant-guerre, il semble indéniable que l’épicentre du football européen se situe entre l’Angleterre et la Belgique, en passant par le Nord de la France. L’USG est championne de Belgique à 7 reprises entre 1904 et 1914 et est venue remporter à trois reprises le Challenge International du Nord, qui se joue annuellement à Lille, Roubaix et Tourcoing. Cette émulation due à la proximité géographique a probablement permis aux Lillois de conquérir le titre national en 1914.
En Belgique, durant la guerre, les compétitions officielles ont également été suspendues. Mais, comme en France (hormis dans le Nord), l’Union Belge a permis l’organisation de matches et de tournois amicaux, mais à la condition expresse qu’une partie des recettes aille à des œuvres de bienfaisance et permette de fournir aux footballeurs au front du matériel, notamment des ballons. Un article de Sport Magazine en juillet 2014 rapporte que près de 9000 matches ont été organisés, et que les clubs les plus généreux ont été Tilleur, l’Union Saint-Gilloise, et le Standard.
Après-guerre, les liens entre l’USG et l’OL perdurent : en février 1920, l’USG vient gagner 4-0 à Lille (triplé de Robert Coppée et un but de Achille Meyskens) ; le même jour, La Gantoise s’impose 1-0 à Roubaix. Et durant la préparation de la saison 1920/1921, en septembre, le Daring de Bruxelles a gagné à Lille (2-0). On ne se le dit pas encore, mais ces deux défaites confirment le déclin du football nordiste.
Alphonse Six, le trait d’Union (belge)
Ces liens réguliers entre l’OL et l’USG ont permis l’arrivée à Lille d’un de ses plus grands champions : l’avant-centre Alphonse Six, dont on a parlé précédemment avec son apparition dans la vidéo. Né en 1890 à Bruges, Alphonse commence le football l’âge de 16 ans puis est repéré par le Cercle de Bruges. Au cours de la saison 1909/1910, le Cercle termine 3e, à deux points de l’Union Saint-Gilloise et du rival, le Club de Bruges. Alphonse inscrit cette saison-là 27 buts et le sélectionneur William Maxwell, un Écossais, le convoque en équipe nationale en mars : à Anvers, contre les Pays-Bas, il inscrit le but vainqueur de la Belgique au bout de la prolongation (3-2, 119e). La saison suivante, Cercle remporte son premier titre de champion de Belgique, et Six inscrit 40 buts (en 20 matches !), c’est-à-dire plus de la moitié des buts de son équipe ! Ce record tiendra 30 ans et reste aujourd’hui la deuxième meilleure performance du championnat belge. Durant la saison 1911/12, le Cercle ne conserve pas son titre (5e) et Six n’inscrit « que » 23 buts. Mais encore une fois, l’avant-centre s’est fait remarquer : en février 1912, il marque 5 fois lors d’une victoire 6-0 sur le terrain de l’Excelsior Brussels. Il s’agit toujours d’un record du Cercle de Bruges.
À l’issue de cette saison, Alphonse Six reçoit une offre de l’Union Saint-Gilloise. En plus d’un poste de footballeur, l’Union lui propose un emploi de commercial. Mais l’Union Saint-Gilloise, après avoir engagé le footballeur, ne tient pas sa promesse d’emploi, et Alphonse Six refuse alors de jouer avec le club de la capitale. Il est suspendu par la fédération belge ! C’est alors que se manifeste l’Olympique Lillois, très au courant de ce qui se trame et flairant le bon coup : les Lillois, qui connaissent bien le talent d’Alphonse Six, sautent sur l’occasion et engagent le joueur.
Très rapidement, Six éclabousse le championnat de tout son talent et contribue largement au triomphe final de 1914 : il inscrit notamment un doublé à Tourcoing dans l’ultime match du championnat du Nord qui donne le titre à Lille (2-0) ; il inscrit un triplé en demi-finale puis un doublé en finale du championnat USFSA ; puis lors du trophée de France, il marque encore un but en demi-finale et un doublé en finale.
Ancêtre des reproductions de but en dessin par France Football : le croquis de la Vie Sportive. Ici, le premier but de Six à Tourcoing en mars 1914. Quelle frappe imparable !
Mobilisé dès le 1er août 1914 en Belgique, Six aurait été transféré le 15 août 1914 dans un département dont la mission principale était de transmettre des messages entre différentes unités de l’armée. Après la chute rapide des forteresses de Liège, Six et ses camarades auraient été encerclés puis emprisonnés par les Allemands. Là s’est probablement arrêtée la guerre pour lui. Alphonse est officiellement mort le 19 août 1914, à l’âge de 24 ans. Son corps présumé est enterré en 1925 au cimetière militaire de Veltem-Beisem.
Chronologiquement, Alphonse Six est probablement le premier mort de l’Olympique Lillois. Joueur essentiel, sans doute le meilleur joueur de Lille, il était également très apprécié pour sa camaraderie. La presse régionale notait souvent sa bonne humeur, sa sympathie, et relevait combien il « se plai[sait] beaucoup à Lille » (La Vie sportive, 3 mai 1913), dans un club qui l’a accueilli après sa mésaventure avec l’Union Saint-Gilloise et la fédération belge. Premier et seul joueur étranger de l’équipe des « Lions de Flandres », Alphonse Six reste à jamais le premier footballeur belge à avoir remporté un titre de champion à l’étranger (même si Lille, c’est pas à l’étranger, mais on se comprend). Seule ombre au tableau : ses mésaventures en Belgique l’ont banni de la sélection nationale. Dans un ouvrage de référence publié en 19792, l’historien Richard Henshaw évoque Alphonse Six comme étant « le meilleur joueur belge de la période avant-guerre (…) Il fut souvent considéré comme l’attaquant le plus doué hors d’Angleterre ».
Alphonse Six avec le maillot du Cercle de Bruges
Le championnat belge de première division a perdu 26 de ses joueurs sur le front, dont 6 jouaient au Cercle de Bruges. La direction du Cercle a élevé en 1921 un monument à la mémoire de ces disparus, sur lequel apparaissent en réalité 27 noms : y figure celui d’Alphonse Six.
Voilà, dans les grandes lignes, dans quel contexte arrive ce 11 novembre, et comment se justifie la venue de l’USG : par le prestige de l’adversaire bien sûr, et aussi pour contribuer à retrouver un semblant de normalité dans une région et chez une population durement éprouvées.
Solennités et festivités
La journée est également notable pour le stade de l’avenue de Dunkerque en lui-même : c’est la ré-inauguration symbolique du terrain, dont on se sait pas trop à quoi il a servi durant la guerre, mais on l’a retrouvé fort dégradé. Les tribunes et les bas-côtés ont été réaménagés, et la presse régionale salue l’effort des dirigeants lillois, qui se donneraient ainsi les moyens de rivaliser avec l’élite des sportifs : « en pénétrant cet après-midi dans les nouvelles installations de notre grand club local, les Lillois pourront admirer l’effort considérable entrepris par les dirigeants de l’Olympique pour doter leur club et par conséquent notre ville d’un de ces terrains de jeux, que nous avons trop longtemps enviés aux Anglais et, par la suite, à nos amis les Belges (Le Grand Echo, 11 novembre).
Le Miroir des Sports, 18 novembre 1920
À 14h15, le public, nombreux (5000 personnes malgré un temps est « maussade et brumeux » selon le Miroir des Sports), a droit à une démonstration de « push-ball », que Le Miroir de Sports traduit par « pousse-ballon ». Le Push-Ball, « sport [qui] fait fureur en Amérique » est présenté « un intermède des plus amusants » (Le Grand Echo, 12 novembre), « dont les règles présentent quelques points d’analogie avec le football. Une différence essentielle cependant réside dans le diamètre de l’engin monstre qui sert au push-ball et dénommé également ballon. Le ballon en question qui doit avoir deux mètres de diamètre. On peut, dès lors, se représenter la joie des spectateurs à la vue d’un tel mastodonte que deux équipes de petits Jeunes gens s’efforcèrent, de malmener sous la direction de De Veen, de l’OL. Cet amusant intermède obtint un vif succès. Aucun résultat ne put être obtenu, aucune des équipes n’ayant réussi à pousser le ballon dans les buts adverses » (Le Grand Echo, 13 novembre).
Le Grand Hebdomadaire Illustré, 21 novembre 1920: ça a l’air bien plus amusant que toutes les animations à la con du stade Pierre-Mauroy
Puis arrive le moment solennel de l’après-midi : à 14h30, les clairons sonnent « aux champs », et M. Naudin, préfet du Nord, fait son entrée sur La Marseillaise. Face à ce qui est pour l’instant une maquette du monument à venir (qui sera officiellement inauguré en avril 1923), le président Henri Jooris, dans un « émouvant discours » (L’Auto, 12 novembre) rappelle ce que l’OL, vainqueur du trophée de France en 1914, a perdu durant la guerre, et notamment bon nombre de ses sportifs qu’il nomme « martyrs ». M. Naudin, à son tour, rend hommage à ces sportifs, puis saisit la truelle qu’on lui tend afin de procéder à la pause de la première pierre du monument aux morts de l’OL. Le général Lacapelle fait de même. Puis M. Grumeau, président de l’Union Saint-Gilloise, dépose sur le monument une gerbe de fleurs, « délicat hommage des Saint-Gillois à leurs amis de Lille » (Le Grand Echo, 12 novembre).
Le Miroir des Sports, 18 novembre 1920
Il ne s’agit pas seulement d’avoir un bon terrain de football : ce stade est censé être multisports, et être ainsi un outil au service d’une idéologie nouvelle, celle de la célébration de la culture physique et sportive, par laquelle doit passer la reconstruction du pays. Cette dimension plurielle s’illustre dès cet après-midi du 11 novembre : outre le match de football et la démonstration de push-ball, est organisé un cross-country de 8 kilomètres (avec des athlètes du Racing Club d’Arras et de l’Olympique Lillois), dont le départ est donné juste avant que les joueurs des deux équipes ne pénètrent sur le terrain. Les coureurs s’échappent par un coin du terrain dans une sortie aménagée à cet effet.
Les Belges confirment leur supériorité
L’entrée des joueurs belges est accompagnée d’une Brabançonne. Les dirigeants de l’OL remettent au capitaine de l’USG une palme d’or « en témoignage de l’amitié qui unit les deux clubs » (Le Grand Echo, 12 novembre).
Les Lillois alignent la composition suivante : Lebrun ; Leclercq et M. Vignoli ; Courquin, Buzza et Gravelines ; Montagne Duponchelle, De Veen, Ruyssen et H. Vignoli.
La composition de l’USG aux « couleurs bleu-ciel, parements or » : Leroy ; Vergeylen, Godseels ; Delville, Cnudde, Dumont ; Van Hege, Saint-Jean (dit Foulon), Meyskens, Musch, Hebdin.
Le Grand Echo, 11 novembre 1920
Le Grand Echo note un début de match favorable aux Lillois. Preuve en est : ils obtiennent rapidement un corner. Mais « bientôt, les Belges sont en action et, sans trop s’employer, prennent le gouvernail ». Vers la 10e minute, le match est interrompu « pour permettre aux crossmen de réapparaître sur le terrain » : et c’est Trichard qui, « d’une belle foulée », termine en tête !
Le Miroir des Sports, 18 novembre 1920
Aux alentours de la 22e minute, les Belges marquent grâce à une reprise de Joseph Musch sur centre de Luigi Van Hege : surpris, Lebrun laisse passer entre ses jambes. Selon le Grand Echo, le gardien lillois est « en faute » et « responsable » de ce but. Par la suite, il « rachètera par de nombreux arrêts sa faute du premier time ».
Le Miroir des Sports, 18 novembre 1920
En seconde période, les Belges poursuivent leur domination et, à un quart d’heure du terme, Achille Meyskens se débarrasse des défenseurs lillois et marque de près un deuxième but. Les Belges s’imposent 2-0, une victoire que la musique de la 1e division accueille par une nouvelle Brabançonne.
Selon le quotidien régional, « les meilleurs furent, pour les Saint-Gillois, Musch, Hebdin, Meyskens et Leroy ; chez les Lillois, Lebrun, après s’être rendu responsable du premier point, a fait une seconde mi-temps superbe. M. Vignoli, Courquin, Buzza et Duponchelle, ce dernier surtout, ont fait une excellente impression ».
Le Miroir des Sports, 18 novembre 1920
Au stade des questionnements
Le lendemain, le quotidien nordiste donne quelques considérations supplémentaires sur l’oeuvre qu’on doit à MM. Cockempot et Colin : « en entrant sur le terrain, le coup d’œil est ravissant ; l’ancien ground transformé est méconnaissable (…) La tribune primitive s’est doublée d’une autre tribune qui font corps au moyen d’une élégante tourelle centrale du meilleur effet. Les autres enceintes entourant la surface de jeu ont été conçues pour assurer au public l’emplacement le plus vaste, avec le maximum de visibilité de par la disposition de ces enceintes en gradins larges et commodes. Quant au terrain-même, il représente ce qui peut être fait de mieux dans le genre. La pelouse, savamment travaillée, est très fournie en herbe drue et d’une parfaite planimétrie. Sur ce sol élastique, soigneusement entretenu, toutes facultés sont offertes aux athlètes pour pratiquer leurs sports préférés dans les conditions les plus favorables et, par conséquent, les plus propres à améliorer sans cesse la qualité vers laquelle tous les efforts doivent tendre en vue d’assurer à notre pays — et à notre région, — la place d’honneur dans l’athlétisme mondial » (Le Grand Echo, 12 novembre).
Cet alléchant programme aura bien du mal à se concrétiser. Si la guerre a éloigné le football de l’étiquette aristocratique qu’il pouvait encore avoir, et si elle a permis de prendre la mesure de l’implication des footballeurs dans l’effort national, et d’ainsi les faire reconnaitre (eux et leurs clubs) comme des acteurs qui méritaient réparation et reconnaissance, elle a mis un sacré coup d’arrêt aux performances footballistiques de la région la plus touchée par l’occupation et les privations. Et la qualité des infrastructures, alors que se profile aussi le projet d’un « grand stadium » à Lille (déjà !), ne suffit pas à combler le retard pris sur les adversaires parisiens et sudistes, qui prennent progressivement le relais du leadership national. L’Olympique Lillois s’apprête à vivre une grosse décennie très ordinaire, seulement jalonnée de quelques titres régionaux.
Notes :
1 Tous droits réservés à Thierry Roland
2 Richard Henshaw, The Encyclopedia of World Soccer, Washington, D.C., New Republic Books, 1979
Posté le 7 juillet 2021 - par dbclosc
Lettre ouverte à Olivier Létang
Cher Olive,
D’abord, excuse-nous de te tutoyer. Et puis de t’appeler Olive : c’est surtout pour un jeu de mots qui arrive très rapidement.
Alors que les fans de football sont plutôt avides d’actions à la « Olive et Tom », toi tu nous la joues plutôt « Olive étonne » (c’est là le jeu de mots). Déjà, on ne t’a pas vu arriver à l’automne, alors même que l’équipe première était déjà bien lancée dans sa saison. Tu aurais voulu la déstabiliser que tu ne t’y serais pas pris autrement. À peine arrivé, tu as affirmé que le LOSC était au bord de la cessation de paiement, ce que personne n’avait vu venir (à part des économistes, des journalistes de France 3 Nord, de Mediapart, de Médiacités, de la VDN, ou quelques individus au sens critique un peu développé – qui au passage se sont fait insulter de tous les noms – pour qui réussite sportive et éthique ne sont pas incompatibles). Là aussi, tu aurais pu déstabiliser tout le monde et faire une entrée fracassante dans notre Top des complots contre le LOSC. Mais l’équipe est allée au bout, jusqu’au titre, sans qu’on ne sache bien démêler quel était ton apport, voire ton mérite, de celui de ton prédécesseur. Depuis, l’incertitude plane sur le mercato. Il y a eu ce pénible épisode avec Galtier. Et désormais, tu annonces le nouveau coach : Jocelyn Gourvennec. Nous voyons dans les dernières semaines écoulées la marque de ton fonctionnement, dont la nomination de Gourvennec n’est qu’une nouvelle illustration, ou mieux : un symptôme. Un symptôme d’une présidence dont les agissements doivent être dévoilés. Alors maintenant, ça suffit ! Sauf si tu nous trouves une réponse pertinente à ces questions :
Sur les finances du LOSC
Pourquoi joues-tu la transparence alors que ton prédécesseur ne publiait même pas les comptes ?
Pourquoi nous dire que le LOSC est en reconstruction et qu’il faut s’attendre à des lendemains difficiles ? Hé, on est champions quand même !
Comment peux-tu nous faire croire que sans une bonne gestion, un club pourrait disparaître, alors qu’on a voulu nous faire croire depuis 4 ans qu’il y avait de l’argent magique ?
Comment peux-tu décemment annoncer, en substance, que tu ne vas pas dépenser l’argent que tu n’as pas ?
Quel message donne-t-on à notre jeunesse et aux agrégés d’économie de twitter ? Qu’on ne peut pas vivre éternellement à crédit ? Qu’on ne peut pas vivre éternellement au-dessus de ses moyens ? Qu’il faut trouver un équilibre entre dépenses et recettes ?
D’où te vient cette idée de vendre des joueurs pour éponger la dette ou, a minima, combler les pertes structurelles du fonctionnement du club ?
Pourquoi chercher à rassurer la DNCG, au point de passer devant sans encombre, pour la première fois depuis des années ?
Tu crois qu’on va nous la faire, à nous Lillois, qui avons toujours roulé sur l’or ?
Sur le mercato
Peut-on se regarder dans un miroir quand on recrute un entraîneur qui a fait monter Guingamp en L1, lui a fait gagner la coupe de France, est allé en finale de coupe de la Ligue, et a terminé deuxième de son groupe d’Europa League avec une colonne vertébrale Kerbrat-Sankharé-Beauvue ? Peut-on ne pas baisser les yeux quand on recrute un entraîneur qui, à Bordeaux, s’est qualifié pour l’Europe, a tenu 18 mois (soit bien plus que ses prédécesseurs et successeurs), puis n’est pas parvenu à faire grand-chose d’une équipe nulle et probablement mal encadrée ?
Oublies-tu le standing des précédents coachs recrutés au LOSC ? Oublies-tu qu’à son arrivée, Rudi Garcia était le prestigieux entraîneur du Mans Union Club 72 ? Que Christophe Galtier avait une coupe de la Ligue à son incomparable palmarès ? Que Frédéric Antonetti était le champion des finales de coupe de la Ligue perdues ? Que René Girard avait cette réputation d’inventeur du football total ? Ou encore qu’Hervé Renard avait construit sa réputation de « maître es tactique » en ayant *presque sauvé* Sochaux, et en gagnant la CAN, qui est presque une compétition ?
Oublies-tu comme on a rêvé avec le recrutement en 2017 d’un technicien d’envergure, qui certes s’est excité tout seul comme un hamster dans sa roue sans intégrer le club à son projet ? Es-tu comme ces vilains écologistes qui veulent briser les rêves des enfants (les supporters sont de grands enfants) ?
La honte ne t’a-t-elle pas assaillie quand tu défendu les intérêts de ton club endetté en réclamant une indemnité pour le rachat du contrat de Christophe Galtier ?
Dans l’état financier du club, qui peut comprendre que tu réfléchisses longuement à prolonger un joueur de 37 ans et demi au salaire élevé ?
Pourquoi vendre un joueur sans même annoncer avoir refusé le double quelques mois auparavant ?
As-tu la conscience tranquille en gérant un mercato sans faire gonfler artificiellement les enchères en faisant fuiter des noms dans la presse ?
Comment peux-tu laisser partir Maignan, Soumaré et Sanches qui, sans le Covid, seraient sûrement déjà partis l’an dernier ?
Sur la formation
Tu souhaites « remettre la formation au cœur du dispositif ». Ne crains-tu pas que le retour de Jean-Michel Vandamme soit perçu comme une volonté de joindre la parole aux actes ?
Ne serait-il pas plus simple de verser d’énormes commissions à divers intermédiaires pour un joueur qui restera un an ou deux et en qui personne ne s’identifiera ?
Par quelle pirouette vas-tu justifier qu’un jeune issu du centre, par nature inexpérimenté, ne pourra pas avoir immédiatement le rendement d’un joueur avec plus de vécu ?
Pourquoi ne pas chiper tous les meilleurs joueurs du PSG avant la signature de leur premier contrat professionnel ?
Il a été reproché à Christophe Galtier de ne pas s’appuyer sur le centre de formation, alors même que les coûteuses ambitions sportives de l’équipe première ne laissaient que peu d’espoir à ses pensionnaires. En leur faisant une place et en adaptant en conséquence les ambitions sportives, ne cherches-tu pas à convaincre ceux qui, par principe, sont toujours « contre » ? N’est-il pas plus louable de les envoyer au casse-pipe en les envoyant dans un club belge qui pourrait nous servir de joujou ?
Sur la gestion du club
Un article récent de L’équipe indique que « le profil de Claudio Ranieri ne faisait pas l’unanimité en interne » : même si on te sait président-salarié et que, à ce titre, tu discutes certainement avec l’actionnaire majoritaire, serais-tu un adepte de la concertation, ou de toute autre pratique qui implique de la discussion, du collectif ? Quid des différentes sources de pouvoir qu’on avait à l’époque du trio magique Lopez/Campos/Ingla ?
Où sont passés nos « intermédiaires » grassement rémunérés en commissions pour un travail que des juridiction prud’homales n’auraient pas grand peine à qualifier d’emplois fictifs ?
Question philosophique
Pourquoi, parfois, la vérité dérange, alors qu’un mensonge rassure ?
Nous ne ferons pas l’injure d’ajouter que, d’après les confidences qu’on a sur la vie interne du club, tu es présent, sur place ; tu as arrêté le fonctionnement « en silo » dont à peu près tout le monde se plaignait ; tu organises des réunions ; tu informes de la situation du club. Non mais ça va pas ? Tu te prends pour Bernard Lecomte ou quoi ?
Olive, tu l’auras compris, quelque chose ne tourne pas rond (à part le ballon). Et ce qui est à la fois captivant et flippant, c’est que le travail de communication et d’enrobage autour de l’illusion du modèle précédent a une force d’évidence telle que beaucoup croient que le problème, c’est toi.
Posté le 29 mai 2021 - par dbclosc
A qui profite le trading ? L’illusion Gérard Lopez
« Si tu t’assieds à une table et qu’au bout d’une demi-heure t’as pas repéré le pigeon, c’est que le pigeon : c’est toi… »
Les joueurs, Mike McDermott
Selon Mickaël Terrien, maître de conférences en économie à l’Université de Lille, la stratégie de Gérard Lopez a bénéficié d’un soutien des supporters parce qu’ils « ont pensé qu’à force de faire des plus-values sur les transferts, elles allaient bénéficier au club ». Cette perception du modèle économique ignorait alors que cette manne « partait bien plus dans les commissions d’agent et dans les autres charges comme des commissions déguisées sous des frais de scouting. ». L’universitaire souligne également le manque de transparence de ce projet, soulignant par exemple qu’ « on ne sait pas qui est actionnaire de Scoutly [la société de scouting de Campos] donc on ne sait pas qui en a bénéficié » (1).
Ce manque de transparence constitue en effet bien une caractéristique de la gestion financière du LOSC de Gérard Lopez, puisque l’on constate à la fois une opacité certaine sur qui sont les bénéficiaires de ce projet mais aussi à propos de la réalité de la situation financière du club. Cela tient notamment au fait que, si les comptes étaient bien publiés annuellement au registre du commerce sous l’ère Seydoux, ils ne l’ont plus été tout au long du règne Lopez. Il n’empêche, en dépit de ce flou qui entoure la réalité des finances loscistes, les quelques informations qu’on peut trouver ici et là permettent d’étayer la thèse d’une stratégie extrêmement risquée et dont le succès semble peu compatible avec l’aléa sportif.
Une stratégie risquée de « trading »
Quatre ans et demi après l’arrivée de Gérard Lopez (qui a quitté ses fonctions il y a quelques mois), quel bilan de sa présidence peut-on faire de son quadriennat à la tête de notre club ? Sportivement, le bilan peut être considéré comme satisfaisant, puisque Lille a accroché la deuxième place du championnat en 2019, la quatrième l’année suivante, pour enfin aboutir au titre de champion de France en 2021 ! Certes, ce dernier titre a été obtenu sous la direction du président Létang, mais il est certain que ce résultat sportif est largement le produit des années précédentes et avec les joueurs de l’effectif construit sous l’ère Lopez. Si le LOSC s’est péniblement maintenu en 2018, il semble compliqué d’en faire Gérard Lopez le principal responsable ou, en tout cas, le seul. Et le jeu déployé a été des plus satisfaisants, pour ne pas dire qu’il a souvent été emballant.
D’un point de vue économique, la situation est plus complexe à évaluer. Schématiquement, sur la fin de l’ère Seydoux, le club a des recettes hors transferts (2) d’un peu moins de 60 millions d’euros par an et des dépenses d’environ 80 millions. Le club est alors structurellement déficitaire et est tenu de vendre chaque année pour 20 millions d’euros de plus qu’il n’achète pour rester à l’équilibre. Quand Gérard Lopez reprend le club au début de l’année 2017, il projette une stratégie de trading qui consiste à des investissements importants dans les transferts de joueurs qu’on espère pouvoir revendre ensuite avec une importante plus-value.
Si, comme avec Seydoux, cette stratégie implique in fine de faire davantage de ventes que d’achats, elle s’en distingue sur le fait qu’elle implique d’importants investissements au départ et, parallèlement, de faire de nombreuses ventes chaque année pour des sommes très conséquentes. Le problème d’une telle stratégie est qu’il est extrêmement dépendant de faits particulièrement aléatoires comme le fait qu’un joueur voit ou non sa valeur exploser sur le marché des transferts. Avec le LOSC, il est donc nécessaire pour Lopez de dépenser beaucoup en transfert (250 millions de transferts sous sa présidence) et de trouver des sources de revenus permettant de compenser ces investissements ainsi que le déficit structurel (qui dépasse donc les 20 millions par an).
C’est aussi une stratégie qui implique un accroissement des charges hors-mutations, notamment pour rémunérer différents prestataires qui permettent cette forte activité sur les marchés des transferts et notamment Scoutly dans le cas du LOSC. Comme on le voit sur le graphique suivant, alors que les charges hors-mutations étaient en baisse sur la fin de la présidence Seydoux, elles ont brusquement augmenté avec l’arrivée de Gérard Lopez, dépassant les 138 millions en 2018/2019.
Entre 2015/2016 et 2018/2019, ce sont d’abord les « autres charges » qui ont connu la plus forte croissance (+112%), même si les charges salariales ont également nettement cru (+45%). Toutefois, on imagine a priori qu’un gars capable de revendre 80 millions d’euros un joueur qui n’est plus coté que 38 millions deux ans plus tard est capable de faire des miracles pour trouver de nouvelles ressources pour le LOSC.
Toutefois, les bilan financiers publiés par la DNCG ne montrent pas d’augmentation significative des « produits hors-mutations ». Ainsi, la tendance à la baisse des produits constatée lors des dernières années de la présidence Seydoux n’a pas pu être pleinement enrayée avec l’arrivée de Gérard Lopez.
On constate ainsi un frémissement du côté des produits hors droits télé, mais une dépendance encore forte à ces droits dont on sait qu’ils sont déjà ordinairement incertains (car liés aux performances sportives et aux participations aux compétitions européennes). L’affaire du désengagement de Mediapro, qui semblait offrir de nouvelles ressources considérables aux clubs professionnels, n’a bien sûr pas arrangé l’affaire.
Et si le LOSC avait perdu de l’argent avec Osimhen ?
Le cas du transfert de Victor Osimhen à Naples illustre bien les différentes dimensions de la stratégie de Gérard Lopez à la tête du club. Fin juillet 2020, on apprend ainsi par la presse que l’attaquant nigérian est transféré chez les Napolitains pour un montant affiché de 81,3 millions d’euros. Sur le papier, la culbute peut apparaître en première lecture monstrueuse puisque il était arrivé à Lille un an plus tôt pour la somme de 12 millions d’euros, soit près de 70 millions d’euros de différence !
Pour autant, le bénéfice réel est bien moindre. La première raison tient au fait que le montant du transfert serait en réalité de 70 millions d’euros complétés par d’éventuels bonus dont on ne sait s’ils sont atteignables. Ensuite, il s’avère que Charleroi, le précédent club d’Osimhen avait négocié un pourcentage à la revente du joueur (15 % à la revente semble-t-il), ce qui fait que le coût réel du transfert du Nigérian a au final été bien plus coûteux que ce qui avait été annoncé initialement : selon Transfermarkt, Charleroi aurait reçu en définitive 22,4 millions pour ce transfert.
Il apparaît ensuite que l’accord sur ce transfert a été artificiellement gonflé, puisque Naples a négocié en contrepartie que Lille achète quatre de ses joueurs pour une somme totale de 20 millions d’euros. Parmi eux, Lille a recruté Orestis Karnezis, devenu la doublure de Mike Maignan. Dans son cas, s’il y a une logique sportive, on peut souligner que Lille n’aurait eu aucune difficulté à trouver un joueur de cet âge (35 ans) ou plus jeune à un niveau équivalent sans payer la moindre indemnité de transfert et qu’il était déjà très bien pourvu en potentielles doublures avec Jardim, Koffi et Chevalier. Dans le cas des trois autres, si certains ont cru y voir un nouveau bon coup de Campos qui aurait déniché de nouvelles « pépites », il est plus probable qu’il ne s’agisse que de transferts « de papier », les trois jeunes achetés par le club n’ayant que des perspectives médiocres de percer un jour au plus haut niveau (3) : le plus probable est que leur avenir footballistique se situe en Serie D ou dans les divisions régionales italiennes plutôt que dans l’élite française.
Le pourcentage à la revente ainsi que l’arrangement avec les Napolitains réduit donc déjà à 27,6 millions le bénéfice réalisé sur le transferts d’Osimhen. Cela reste une excellente affaire ? C’est peut-être l’une des meilleures du club, mais le profit est en réalité bien moindre que ce que pourrait laisser croire a priori de tels chiffres. Cette interprétation s’appuie sur les différentes coûts supplémentaires induits par la stratégie déployée, lesquels doivent être in fine intégrés à l’équation. A combien doit-on estimer ces coûts supplémentaires ? Il est plus difficile de répondre à cette question, mais on peut toutefois apporter des éléments de réflexion à ce propos.
Comme nous l’avons indiqué plus haut, les charges hors-mutation ont fortement augmenté sous Lopez passant de 80 millions d’euros en 2015/2016 à 136 millions en 2017/2018 puis 138 la saison suivante. Si l’on n’a pas les chiffres des deux saisons suivantes – les bilans n’ayant pas été publiés par la DNCG – on peut toutefois faire l’hypothèse qu’ils n’ont pas baissé, le plus probable étant même qu’ils soient plus élevés puisque les joueurs recrutés depuis ont vraisemblablement des salaires au moins aussi élevés que ceux qui sont partis et que l’importante activité sur le marché des transferts se soient en partie répercutée sur les charges. Sur quatre ans, le système mis en place a coûté environ 250 millions d’euros supplémentaires. Si on fait le rapport entre les 349 millions d’euros rapportés par les transferts et les 250 millions de charges supplémentaires, on peut calculer que chaque euro supplémentaire dans les charges équivaut à 1,40 euros de revenus issus des transferts. Bref, pour 70 millions euros de vente, le club a, en moyenne, dépensé … 51 millions d’euros sans même que soient compris dans ce calcul les investissements faits dans les transferts !
Ne serait-on pas un peu dans la merde ?
Le bilan de 350 millions d’euros de ventes peut apparaître colossal, mais il apparaît de suite bien moins reluisant mis en balance avec les 500 millions de dépenses nécessaires (4) pour l’atteindre. Certes, ce dernier constat doit également être nuancé, dans la mesure où l’effectif actuel du LOSC reste valorisé à un niveau élevé (297 millions selon Transfermarkt), mais il faut avoir en tête que cette valeur nous dit finalement peu de choses des sommes que le club récupérera réellement pour les transferts de ces joueurs et de la capacité du club à se pérenniser à un haut niveau malgré ces ventes. Un premier enjeu pour le club sera de réaliser de bonnes ventes tout en conservant un effectif suffisamment qualitatif pour maintenir des performances suffisantes au niveau national pour obtenir le plus régulièrement possibles des qualifications européennes, si possible en C1.
Le deuxième enjeu pour pouvoir équilibrer les finances du club tient aux marges de manœuvre qu’aura Létang pour réduire les charges du club qui ont atteint un niveau particulièrement élevé sous l’ère Lopez. Il est probable qu’une partie conséquente de ces charges soient variables et directement liées à la stratégie de trading et qu’elles pourront alors être supprimées dès lors que le club aura décidé de changer de stratégie. Toutefois, nous ne pouvons même pas l’affirmer : est-il certain que les arrangements contractuels relatifs aux joueurs transférés sous l’ère Lopez n’aient pas déjà scellé les conditions des rémunérations des prestataires qui on travaillé sur ces dossiers ? Autrement dit, n’est-il pas déjà contractuellement défini qu’un forfait ou un pourcentage doive être reversé à certains « intermédiaires » à la revente des joueurs actuellement sous contrat à Lille ? Si c’était le cas, la marge de manœuvre des dirigeants lillois pour réorienter la stratégie en faisant baisser les charges serait extrêmement réduite.
Par ailleurs, et comme nous l’avons souligné plus haut, une autre partie de l’augmentation de ces charges tient à l’inflation salariale, essentiellement due aux contrats des joueurs, laquelle est plus difficile à gérer à court terme. L’une des interrogations à ce propos tient à la capacité qu’aura la direction à réduire l’effectif professionnel de la manière la moins coûteuse possible. La question se pose notamment pour les joueurs sous contrat mais dont les perspectives de percer en équipe première sont faibles : Létang parviendra-t-il à les transférer contre des indemnités de transfert ? Ou faudra-t-il se contenter de les libérer gratuitement ? Ou encore, faudra-t-il les conserver dans l’effectif avec les charges salariales que cela implique ?
De ce point de vue, la stratégie la plus efficace pour renflouer les caisses consisterait à vendre en priorité les joueurs qui ont à la fois un salaire élevé et une cote importante sur le marché des transferts. Renato Sanches, dont le salaire est d’environ 300.000 euros bruts (soit un coût, cotisations comprises, de 5 millions par an) et dont la valeur est estimée à 28 millions d’euros constitue à ce titre l’exemple-type du joueur dont il faudrait se séparer vite pour équilibrer les comptes. Mais un tel choix pourrait se heurter à d’autres contraintes : Boubakary Soumaré qui joue au même poste que Sanches est sur le point de rejoindre Leicester. En se séparant des deux, Lille pourrait espérer 50 millions d’euros et économiser 6 millions de salaires mais n’aurait plus aucun de ses numéro 8 de métier. C’est toute la difficulté des dirigeants lillois pour les années à venir : maintenir un effectif qualitatif, tout en vendant relativement massivement.
Quelles perspectives pour les années à venir ?
Le plus probable – si l’on abandonne bien la stratégie de trading – est donc que les charges hors mutations du LOSC baissent dans les saisons à venir mais qu’elles restent à un niveau au moins aussi élevé – et sans doute supérieur – que celui qu’on connaissait dans les dernière années de la présidence de Michel Seydoux. Le plus probable est aussi que le club s’appuie largement, au moins dans un premier temps, sur les transferts des joueurs pour chercher à atteindre l’équilibre économique et qu’il ne trouve pas immédiatement de nouvelles sources de revenus pérennes. Là est pourtant tout l’enjeu si le LOSC souhaite se maintenir durablement parmi les principaux clubs du pays.
En effet, l’ « échec » de Michel Seydoux, sur ces dernières années a tenu au fait que les produits hors mutations étaient systématiquement inférieurs aux charges : schématiquement, il fallait vendre chaque année pour une vingtaine de millions d’euros de plus qu’il n’était investi dans les transferts de joueurs. La question qui se posait alors était de savoir si Gérard Lopez allait se montrer capable de diversifier les sources de revenus ou s’il n’allait se reposer que sur le trading. Plus de quatre ans plus tard, la réponse semble sans équivoque : il a été presque entièrement dépendant de ce trading et le LOSC fait sur ce point moins bien que des clubs qui pourraient nous sembler plus modestes (comme Rennes et Saint-Etienne) et reste à des années lumières de ses concurrents directs (comme Marseille et Monaco).
En supposant que le LOSC parvienne à un niveau de charges moyen de 100 millions d’euros sur les prochaines années (ce qui nous semble une hypothèse optimiste) tout en restant à un niveau équivalent de produits, il manquerait d’emblée 36 millions chaque année pour équilibrer les comptes, et ce sans même tenir compte des transferts de joueurs lissés sur la durée du contrat (5). Or, ces amortissements de joueurs pèsent déjà lourds dans les bilans à venir puisqu’ils représentent près de 120 millions d’euros de 2021 à 2025 selon nos estimations.
Dès lors, avec 36 millions de produits hors mutations de moins que les recettes par an, soit 144 millions sur quatre saisons, le LOSC devrait trouver plus de 260 millions de recettes par le biais des compétitions européennes et des ventes des joueurs pour parvenir à l’équilibre, soit 65 millions par an en moyenne. Et tout cela sans investir le moindre euro sur le marché des transferts. Et il n’apparaît pas que la stratégie soit de ne pas investir du tout sur le marché des transferts, notamment si l’on considère que Lille envisage de recruter Paul Bernardoni, coté à 10 millions d’euros, pour remplacer Mike Maignan qui vient de rejoindre Milan.
Etait-il réaliste d’imaginer une efficacité du trading sur le long terme ?
Parmi les raisons avancées aux difficultés financières actuelles du LOSC, on voit parfois avancer l’argument du caractère imprévisible du désistement de Mediapro et de la « crise du covid ». Dans le cas de Mediapro, on pourrait au contraire retourner l’argument : était-il prévisible, en janvier 2017, quand Gérard Lopez a repris le club, qu’un diffuseur mette autant d’argent sur la table que n’allait le faire Mediapro pour les droits de diffusion de la Ligue 1 ? Tout au moins, il faut bien admettre que si l’explosion de ces droits télé avait pu être envisagée, elle relevait tout au plus de la spéculation quand Lopez décide d’investir dans le LOSC. Quant à la crise du covid, soulignons qu’elle a d’abord eu un impact sur les recettes de billetterie qui, fort heureusement pour nous, ne constitue qu’une part relativement modeste des produits du club.
Surtout, là où l’argument pèche, c’est que, à défaut d’informations sur les bilans financiers des clubs depuis 2019 (donc avant les évènements précités), les seules analyses que l’on peut réaliser sont des estimations construites sur la base des années précédentes et des transferts réalisés ensuite. Or, on se rend compte que même en s’appuyant sur des estimations « si tout va bien », les perspectives s’avèrent loin d’être rassurantes. D’une certaine manière, on pourrait presque avancer la thèse selon laquelle ces « crises » apparaissent comme une bénédiction pour Gérard Lopez dans la mesure où elles lui fournissent des arguments pour justifier l’échec d’un projet qui y était déjà voué.
En effet, nous avons essayer d’estimer plus haut les produits nécessaires pour atteindre l’équilibre financier dans l’hypothèse où les dirigeants parviendraient à réduire les charges hors-mutations aux alentours des 100 millions par an. De plus, nous avons également mené nos raisonnements dans l’hypothèse selon laquelle le club n’investirait plus que marginalement sur le marché des transferts. Dès lors, si l’on veut estimer les produits nécessaires dans le cas où Lopez serait resté, il faut ajouter une quarantaine de millions de charges hors-mutations à laquelle on doit ajouter environ 50 à 60 millions d’euros en moyenne d’investissements dans les transferts. En estimant les produits hors-mutations à 60 à 70 millions par an, cela signifie que le LOSC aurait dû trouver chaque année 130 millions d’euros par le biais des transferts et des qualifications européennes.
En tablant sur 25 millions de rentrées liées aux compétitions européennes en moyenne par an (ce qui est en réalité très ambitieux), Lille aurait dû encore vendre pour plus de 100 millions par an pour atteindre cet équilibre. Surtout, cette stratégie implique de faire tenir conjointement ces deux objectifs dans la mesure où les bons résultats soutiennent à la hausse la valeur marchande des joueurs : il faut donc vendre suffisamment peu pour que les résultats n’en pâtissent pas, mais tout de même assez pour ne pas être déficitaire.
C’est là toute la difficulté de l’équation. Le titre de champions acquis cette saison peut laisser penser que le schéma est réaliste, le LOSC réalisant là un résultat inespéré. Mais il l’a réalisé sans parvenir à l’équilibre financier, échouant à répondre à l’une des exigences qu’implique cette stratégie. Et encore, ces estimations ne correspondent qu’à une situation dans laquelle le club n’augmente pas son déficit sans qu’il ait encore remboursé ses dettes. Il n’est donc pas abusif de dire que, si cette stratégie a permis au LOSC de devenir champion cette saison, il s’agit d’une « victoire à crédit ».
La faute au « système » ?
Face à ces observations, beaucoup affirment que la stratégie mise en place par le LOSC est la seule viable pour pouvoir espérer pouvoir concurrencer les plus grands clubs français. C’est sans doute exact. Il n’empêche, si tout supporter espère voir son club triompher, on peut toutefois s’interroger sur la conception qui semble réduire l’intérêt du football à cette seule finalité. On peut se demander si il n’y a pas une forme de cécité partagée y compris par certains supporters quand, face à la stratégie des dirigeants actuels (en tout cas ce qu’on peut en voir), certains se demandent s’il n’y aurait pas mieux valu « prendre le risque » de maintenir la stratégie de Lopez plutôt que de changer de cap vers un futur qui apparaît moins grisant. Qu’un club puisse mourir est une chose. Prendre un risque mortel pour ce club dans l’espoir – sans doute vain – de pouvoir aller encore plus haut est encore autre chose.
Pourtant, le constat de cette cécité partagée par nombre de supporters traduit à notre sens une réelle perversité d’un système qui amène ses perdants à en devenir les principaux défenseurs. Car, oui, les supporters sont de toute évidence les perdants de ce système. Ils sont d’abord les perdants dans la mesure où l’accroissement considérable des budgets des clubs au cours des 40 dernières années a été largement financé par eux-mêmes ou par le contribuable (donc en partie encore eux!) sans même qu’ils s’en rendent tout à fait compte. Le supporter devient la vache à lait consentante d’une armée de parasites qui s’est petit à petit greffée au milieu du football. Ils sont ensuite les perdants car il semble que jamais les supporters n’ont été autant expropriés de leur influence sur leurs propres clubs de cœur. Il est important que les clubs restent d’abord la « propriété » – ne serait-ce que symbolique – des supporters. Cela n’a sans doute jamais été aussi peu le cas qu’aujourd’hui.
Crédit: Goodmorninglille.org
Il pourrait nous apparaître risible de voir certain des nôtres défendre bec et ongle la stratégie de trading de Gérard Lopez tout en se plaignant régulièrement des ventes de nos meilleurs joueurs en pointant benoîtement que « l’argent pourrit le foot ». C’est en réalité assez inquiétant, puisque cela traduit la réussite des parasites du football à faire croire aux supporters au mythe selon lequel ils pourraient espérer avoir le beurre et l’argent du beurre. Succès d’une vision libérale valorisant la réussite individuelle sans jamais s’interroger sur les conséquences réelles des réussites de ces soi-disant self-made men : dans ce monde merveilleux, il n’y aurait pas de lien entre l’enrichissement des uns et l’appauvrissement des autres. L’évidence voudrait que l’on constate combien cette vision peut apparaître naïve tant la réalité des faits ne cesse de la contredire. Éblouis que nous sommes par les promesses jamais tenues d’un avenir footballistique luxueux, nous ne voyons même plus les risques réels que font prendre pour le football une poignée de parasites engoncés dans leurs certitudes.
FC Notes
(2) Quand nous parlons « hors-transferts », nous nous appuyons sur chiffres issu des rapports de la DNCG publiés par la LFP desquels nous déduisons les frais de mutation.
(3) Nous nous sommes demandés au départ si les transferts de ces trois joueurs ne relevaient pas davantage de la rumeur que de la réalité tant cela semblait gros. Mais avec Gérard, tout est possible, surtout si cela paraît absurde, les transferts ayant bien été officialisés comme le confirme Le Petit Lillois:https://www.lepetitlillois.com/2020/09/10/manzi-liguori-et-palmieri-sur-le-site-de-la-ligue-et-de-la-fff/. Pour la petite histoire, à peine transférées à Lille, les trois pépites ont été prêtées à Naples qui les a prêtées à Fermana en Serie C. A eux trois, les Napolito-lillois ont été titularisés à 13 reprises au cours de la saison 2020/2021.
(4) 250 Millions de charges supplémentaires auxquels il faut ajouter environ 250 millions d’investissements dans les transferts.
(5) Par exemple, quand Renato Sanches signe un contrat de 5 ans à l’été 2019 pour une somme de 20 millions d’euros, cette somme est étalée sur les budgets des cinq saisons suivantes pour 4 millions par saison.
Posté le 26 mai 2021 - par dbclosc
Est-ce fair-play d’exécuter un penalty ?
Notre article sur le site des cahiers du foot, avec le Nord, et particulièrement l’Olympique Lillois, comme terrain d’enquête !
Posté le 24 octobre 2020 - par dbclosc
À quoi reconnaît-on un « beau but » du LOSC ?
Durant la période de confinement, le LOSC, via ses réseaux sociaux, a demandé à ses supporters et supportrices d’élire, parmi une sélection, « le but du siècle » en championnat. Au fil d’étapes de style « confrontations à élimination directe », les électeurs et électrices ont ainsi, depuis les 16e de finale jusqu’à l’ultime confrontation, désigné le but vainqueur.
Mais au fait, ça veut dire quoi « le but lillois » ? C’est étonnant de constater qu’alors qu’aucun adjectif ou superlatif ne permet de préciser quel type de but on cherche et donc sur quels critères on vote, le scrutin semble avoir mobilisé pas mal de monde. Alors, le but le plus con ? Le plus moche ? Le plus important ? Le plus gélatineux (ce qui ne veut rien dire) ?
Bon, ne faisons pas les idiots plus longtemps : on a compris qu’on cherchait probablement « le plus beau but ». Avec cet implicite, à la surprise générale (non), ce référendum a permis au but d’Eden Hazard marqué à Marseille en 2011 de réunir en finale (contre lui-même, avec un but qu’il marqué à Saint-Etienne) le plus grand nombre de suffrages et d’être ainsi désigné « but lillois du XXIe siècle » à une majorité quasi-chiraquienne d’un peu plus de 80%.
Extrait LOSCTV
Un résultat assez prévisible donc, tant ce but convoque un souvenir évident et immédiat : une frappe lointaine, puissante, et en pleine lucarne, ce qui offre au moins 3 critères permettant d’objectiver ce que désigne un « beau but ».
De la diversité d’appréciation du « beau »
Mais on l’aura compris : une fois qu’on a déterminé qu’on cherchait un « beau but », il n’est pas certain que toutes et tous s’entendent sur le but à désigner, parce que la « beauté » est subjective, même (surtout) en football. Selon les goûts, un seul des trois critères précédemment évoqués pourrait très bien suffire, ou alors ces mêmes critères cumulés pourraient ne pas être suffisants pour faire un « beau but ». Il existe donc une grande diversité de critères qui permettent de qualifier un but de « beau » et, d’ailleurs, sur Twitter, le LOSC l’illustrait en proposant des critères d’appréciation différents à chaque confrontation. Par exemple, sur le quart de finale entre Sofiane Boufal (à Toulouse, décembre 2015) et Joe Cole (contre Lorient, septembre 2011), le compte du LOSC orientait la lecture des internautes entre d’un côté « la praline » de Soso, et de l’autre « la trajectoire parfaite » du tir de l’Anglais ; de même, sur la « demi-finale » opposant Eden Hazard (à Saint-Etienne, août 2011) à Luiz Araujo (à Nice, octobre 2019), on propose d’un côté un « numéro de soliste », de l’autre « la finesse », etc.
Tweet du compte du LOSC, capture d’écran
Alors, un but est-il d’autant plus « beau » qu’il est le résultat d’une action personnelle ou collective, qu’il résulte d’une frappe puissante et lointaine ou d’un habile et astucieux lob, qu’il est marqué d’une aile de pigeon ou d’un retourné ? On ne tranchera évidemment pas ce débat sans fin, qui mobilise tant de paramètres que, précisément, il n’est pas certains que toute voix s’appuie sur les mêmes références. Le principe même de l’exercice pourrait être contesté tant il semble reposer sur un postulat qui, à l’évidence, ne peut être rempli : c’est celui selon lequel tous les votant.es auraient une égale connaissance de l’offre proposée. Nous reviendrons plus bas sur ce postulat qui nécessite de la prudence quant à la lecture des résultats, mais après tout il est commun à tout type d’élection ou de consultation référendaire.
Bien entendu, on aura aussi compris qu’au-delà, solliciter ainsi ses followers par ce prétexte a probablement pour objectifs essentiels de se rappeler des souvenirs, discuter, et entretenir une activité « virtuelle » coûte que coûte – surtout dans une période dépourvue d’actualité « chaude » – puisque tels sont les attendus (surtout le dernier) des réseaux sociaux.
On peut juste s’amuser de trouver dans la sélection des buts celui que Mathieu Debuchy a marqué à Nancy en décembre 2006 d’un coup-franc lointain, profitant d’une montée générale de la défense adverse jouant le hors-jeu, qui a conduit le gardien lorrain à oublier d’essayer d’attraper la balle : de notre côté, on peut trouver cette réalisation en 3e position de notre top buts… « à la con », qu’on avait effectué en août 2016 ! Évidemment, la frontière entre un « beau but » et un but « à la con » est rarement aussi poreuse (on avait d’ailleurs écrit « un joli but, mais tout de même un sacré coup de bol »), mais ce cas-limite illustre toute la relativité et la subjectivité du regard qu’on porte sur une même action.
Eden Hazard introduit lui-même une partie du débat
Étant donné les infinies possibilités qu’un but soit « beau », la large victoire d’Eden Hazard peut interpeller. Face à l’incertitude de la définition d’un « beau » but, n’est-il pas remarquable d’être à ce point consensuel (pour rappel, 80%) ? Cet exercice met alors en exergue cette question : y a-t-il des buts qui, indépendamment des aspects purement techniques de réalisation du geste, ont davantage vocation à être « beaux », ou en tout cas à être qualifiés comme tels ? Dans l’extrait vidéo publié plus haut, on entend Eden Hazard, répondant probablement à la question de savoir en quoi son but est beau : « c’est le plus beau parce que c’est ici, c’est dans un grand stade… En plus, pied gauche ! ». Difficile de savoir si la réponse du Belge à la question est intégrale mais, loin de s’attarder sur la beauté de son geste, il met d’emblée en avant une raison qui n’a rien à voir (« c’est ici, c’est dans un grand stade »), tandis que le deuxième argument (« pied gauche ») renvoie à une caractéristique personnelle (Hazard est droitier) qui laisse penser que le même but marqué par un gaucher ne le rendrait pas aussi « beau », ce qui vient là aussi relativiser l’idée qu’un but aurait une beauté intrinsèque. En traduisant davantage le propos d’Eden, on peut même probablement comprendre que si le but est d’autant plus beau « ici », c’est parce que ce « ici » renvoie au stade Vélodrome, et qu’il s’agit du stade du champion de France en titre, alors 3e, 1 point derrière le leader lillois. Ce serait donc d’autant plus « beau » de marquer ici que ce but (qui contribue à la victoire ce soir-là) signifie que le LOSC frappe un grand coup et est plus que jamais un candidat sérieux pour le titre national.
On pourrait comprendre de ce propos que, curieusement, parler du but n’a pas d’importance pour qualifier sa beauté. De façon plus circonstanciée, on peut considérer que parler du but n’est pas suffisant pour qualifier sa beauté. Et si, alors, la « beauté » d’un but était l’addition d’un ensemble de paramètres plus ou moins objectifs ? Et comment interpréter l’octroi du qualificatif « beau » à un but ? Bref, de quoi la qualification de « beau but » est-elle le révélateur ?
Quelque(s) chose(s) en plus
Quand on retourne sur les échanges Twitter autour de cette consultation, il est assez frappant qu’à chaque étape de ce référendum, les internautes, pour justifier leur choix, se sont finalement assez peu attardés sur les buts en eux-mêmes. Tout se passe comme s’il y avait un consensus sur le caractère « beau » de chaque but mais, précisément en raison de la subjectivité du « beau », les votant.es ne cherchent pas tant à argumenter sur ce point qu’à trouver aux buts pour lesquels ils/elles votent une saveur particulière qui se situe à côté de toute considération technique ou de la seule « beauté du geste ». Très vite, on sent le besoin de justifier son choix par le fait que ce but a quelque(s) choses(s) en plus. Pour caricaturer les choses, on pourrait dire que les internautes parlent de beaucoup de choses… sauf du but en lui-même ! Et voici une liste à peu près exhaustive des arguments qui ont justifié la « beauté » du but de Hazard :
- Bien évidemment, la qualité du geste : frappe limpide, lointaine, puissante. On l’a déjà évoqué et, encore une fois, ce critère est rapidement évacué.
- Le moment du match dans l’histoire du LOSC : ça tourne bien à Lille depuis quelques années, et l’arrivée de Garcia en 2008 a amené un football offensif et séduisant. Bref, la sauce monte depuis quelques mois, on prend du plaisir et on se prend même à rêver. C’est en lien avec le point suivant : la bonne santé du LOSC augmente la probabilité d’avoir des « matches importants ».
- L’importance du match (qui inclut la qualité de l’adversaire et le moment de la saison durant lequel tombe ce match), on l’a aussi déjà brièvement évoqué : le LOSC est – déjà – leader et se déplace à Marseille, champion en titre, et juste derrière au classement. Il est fort probable que ce match, dont on parle pendant des jours avant, constitue un moment-clé de la saison. Une victoire de Lille, non seulement permettrait de distancer Marseiile, mais marquerait indéniablement les esprits. Si le LOSC est capable de remporter ce match au coeurt de la saison (26e journée) alors que s’amorce son dernier tiers (soit le sprint final), c’est bien qu’il a l’étoffe d’un champion.
- En lien avec ce qui précède, ce « match au sommet » a conduit Canal + à le diffuser un dimanche à 21h, ce qui renforce sa dimension événementielle : en décalant le match, Canal + officialise « l’importance » du LOSC. Par la suite, le commentaire de Grégoire Margotton sur le but a été tellement marquant (« même lui n’en revient pas ») que, 9 ans après, certains internautes l’ont transcrit en évoquant ce but. Un « second poteau Pavaaaaard » limité à la communauté des Lillois en quelque sorte.
- Toujours en lien avec ce qui précède : le lieu du match. Eden Hazard le souligne lui-même et on peut l’interpréter comme ça : le silence que vous parvenez à créer dans un stade comme le Vélodrome n’a pas la même valeur que celui que vous créez à Monaco. En clair : parvenir à susciter un silence incrédule dans un stade plein est remarquable.
D’où cette question : le même but dans un stade vide aurait-il été perçu comme aussi beau ? - L’identité du buteur : Eden Hazard est bien entendu le joueur le plus doué de l’équipe, en plus de véhiculer une image de garçon sympathique. Belge, formé à Lille, les pieds sur terre : il a tout pour plaire et ce but propose la configuration idéale dans laquelle le joueur-phare brille dans le match-phare, tel un Zidane dans un France/Brésil en 1998.
- La qualité du gardien adverse : Steve Mandanda, n°2 de l’équipe de France, qu’on ne peut pas soupçonner de faiblesse sur cette frappe, alors qu’on peut imaginer qu’un doute aurait subsisté si ça avait été un gardien de 5e division dans un match de coupe… Si même Mandanda ne parvient pas à détourner ce ballon, c’est bien que ce tir était inarrêtable car parfaitement exécuté. L’identité du gardien adverse contribue donc à renforcer le prestige du but.
- Les conséquences du but : 3 points pour le LOSC, 0 pour Marseille, et un écart qui passe à 4 points entre les deux équipes. Même si Lille est talonné par Rennes et Lyon (et que Marseille parviendra tout de même à repasser devant au soir de la 32e journée), Lille a crédibilisé sa première place.
- Le scénario du match. Si Lille s’impose 2-1 ce soir-là, rappelons-nous à quel point, jusqu’au but tardif de Frau, nous avions été frustrés : en première période Sow et Gervinho manquent 2 immenses occasions qui auraient pu « tuer le match », tandis que le jeune arbitre, novice à ce niveau (il y avait eu une grève des arbitres), n’avait probablement pas osé expulser Ayew après une semelle sur Béria. Dès lors, qu’un tel but contribue à rétablir une forme de justice est aussi un critère d’importance. Le but aurait-il eu la même saveur s’il avait permis de n’apporter qu’un point… ?
- Le moment du match (?) : le but arrive de façon assez précoce (10e minute) après plusieurs minutes assez crispantes où on se demande toujours si son équipe va être à la hauteur de l’enjeu. Passer devant si tôt peut être de nature à rassurer et d’évacuer la tension de la semaine, avant même qu’on ne soit pleinement dans le match. Mais cela est probablement plus adapté au but de Frau qui arrive à un moment encore plus décisif (90e). Bon, il n’y a pas de mauvais moment pour marquer. Mais cet argument du but tardif était le critère choisi par la Revue des deux mondes pour expliquer en quoi le but de Payet contre la Roumanie en 2016 était « d’anthologie » : « si le but de Payet est d’anthologie, et repasse en boucle sur les réseaux sociaux, c’est aussi parce qu’il a un effet libérateur, à une minute du coup de sifflet final. Marquer à cet instant précis, alors qu’on allait droit vers le match nul, c’est sortir d’une situation difficile par le sublime ».
Adhésion au buteur, type, moment, lieu du match, classement de l’équipe, forces en présence, éclairage médiatique… Il est aussi probable que des personnes éloignées du LOSC ont voté : en ce cas, ne peut-on pas penser qu’il y aurait un biais à voter de toute façon pour le joueur le plus connu et le plus doué, celui dont on connaît le mieux le talent, qui bénéficierait ainsi d’une prime à la popularité ? Ces éléments suggèrent que la « beauté » d’un but doit finalement à des éléments qu’il est possible d’identifier avant même que le but ne survienne. C’est en définitive la conclusion à laquelle arrivaient les Cahiers du Foot en réponse à la question « quand peut-on parler d’exploit ? » (ici et là) : « les conditions de l’exploit sont définies avant l’exploit (sauf cas exceptionnel: un score très défavorable en cours de match) alors que, paradoxalement, il est souvent inattendu ou improbable. Un exploit n’est-il pas, finalement, proportionnel à l’espoir qui l’a précédé ? ».
Notre choix et ses raisons
Prenons maintenant l’exemple de notre rédaction à DBC : nous sommes trois. Et quand nous nous sommes demandés quel but du LOSC on élirait comme « le but du LOSC », on se rend compte qu’il est surtout celui qui nous a le plus marqués : non seulement pour sa « beauté », mais aussi pour un certain nombre de facteurs contextuels.
24 avril 2020, extrait exclusif de notre conversation et origine de cet article. Réalisé sans trucage, ne pas reproduire sans l’aide d’un professionnel
Pour deux d’entre nous, le vainqueur est un but marqué par Laurent Peyrelade contre Bordeaux en avril 2001. Un but qui, d’ailleurs, ne figure pas dans la sélection proposée par le LOSC, ce qui souligne là encore toute la subjectivité de la perception (tout comme un autre but qui nous est spontanément venu : Mirallas contre Toulouse en 2008).
Si on reprend en vrac les arguments des deux votants, outre ce coup de tête magistral et lointain qui en fait un but étonnant, on trouve à peu près les mêmes éléments que ceux avancés par les supporters lillois à propos du but marqué par Hazard à Marseille : l’importance du match et son enjeu (1er contre 3e) ; la position du LOSC à ce moment là, avec une équipe sauce Vahid revenue des profondeurs de la D2 et qui n’en finit pas de surprendre ; le fait que même si le LOSC est en tête, ça reste le « petit » contre le « gros » : un promu contre un européen régulier, champion de France 2 ans avant ; avant même que ce match n’ait lieu, on l’attendait pour la présence de Pauleta, un joueur très apprécié ; parce que le match était avancé un vendredi sur Canal + ; parce que ce but correspond au moment où le LOSC est au plus haut cette saison-là au classement : c’est le but du 2-1 qui place Bordeaux à 7 points et nous maintient en tête encore une semaine – mais Bordeaux égalisera ; parce que le match a été superbe ; parce que l’un de nous – presque 11 ans – se rend compte des enjeux autour de ce match ; parce que Lolo Peyrelade ; parce que cela renvoie à des moments de jeunesse qu’on a probablement idéalisés ; et pour une raison toute personnelle relative à la faiblesse du jeu de tête de l’un de nous, malgré une grande taille (« ce coup de tête, c’est vraiment le truc que je me suis jamais senti capable de marquer »)
Pour le troisième d’entre nous, le vainqueur est Rio Mavuba, pour son but à Dijon en 2012.
Extrait LOSCTV
Les raisons ? « 1) parce que Mavuba marque 2) Parce que Hazard et la simplicité de sa passe, ça m’avait marqué », soit une raison liée à l’identité du buteur, et une autre liée au jeu du passeur. Et rien sur le plat du pied de Rio.
Palmieri contre Monaco : le « beau » but pas éligible
Prenons une sorte d’exemple inverse : un but qui, « dans l’absolu », est « beau » mais qui, pourtant, pour diverses raisons extérieures au but en lui-même, ne nous semble pas pouvoir concourir au titre de « but du LOSC ». Il s’agit du but marqué par Julian Palmieri contre Monaco en septembre 2016.
Qui nierait que cette reprise de volée lointaine est parfaitement exécutée ? Certes, on peut toujours s’interroger sur l’opportunité du choix du gardien monégasque pour arrêter le ballon : se mettre à genoux. Mais ce but peut facilement être qualifié de « beau » : il ne figure pourtant même pas dans la sélection proposée par le LOSC. Mettons de côté les arguments sur la subjectivité du « beau », et intéressons-nous à des critères qui « dévalorisent » ce but :
- à ce moment du match, le LOSC est mené 0-4, à la maison. Un but du LOSC, on prend toujours, mais l’heure n’est plus à s’enthousiasmer. On le voit d’ailleurs à la réaction du public (applaudissements de politesse) et du buteur : l’heure est davantage aux excuses pour la prestation collective fournie. Bref, on aimerait que ce match n’ait pas existé.
- Le scénario du match a également eu de quoi bien plomber le moral des supporters et supportrices des Dogues : deux des quatre buts monégasques ont été marqués par d’anciens lillois (Sidibé et Traoré). En somme, ce match rappelle que le LOSC est contraint, pour survivre, de vendre ses meilleurs éléments à des concurrents nationaux qui ont davantage de moyens. Les buts d’ « anciens » sonnent comme un rappel de la relégation relative du LOSC depuis l’époque Garcia ou la 2e place avec Girard.
- Où en est le LOSC à cette époque ? Ça ne va pas fort. Malgré une fin d’exercice 2015/2016 en boulet de canon, le club a été piteusement éliminé de la coupe d’Europe par Qabala durant l’été. Le début de saison est poussif : après 3 journées, Lille est 13e, avec une défaite (à Metz) une victoire (poussive, contre Dijon) et un nul. Une morosité ambiante qui n’aide pas à inscrire ce but dans un contexte festif.
- L’identité du buteur : sans vouloir faire offense à Julian Palmieri, on ne peut pas dire qu’il ait laissé une grande trace au club. En outre, la rumeur publique lui a prêté des relations tendues avec Patrick Collot, dont il devait ignorer qu’il était à peu près intouchable dans le coeur des supporters. Or, quand on se rappelle l’origine du clash présumé (Collot remplace Palmieri lors d’un match de coupe contre une DH car Palmieri, déjà averti, avait un comportement très limite sur le terrain), difficile de donner tort à l’entraîneur lillois.
En résumé, cet exemple vient conforter notre idée que la « beauté » du but n’est pas suffisante en elle-même. En quelque sorte, on peut aussi prévoir qu’un but sera « moche » ou qu’il ne fera pas date avant même qu’il ne soit marqué. Un but que nous marquerait Lens, par exemple, est toujours moche.
Le vote, une histoire collective
Ces éléments accréditent la thèse selon laquelle, contrairement à l’image que l’on se fait d’un vote (supposément produit d’un choix individuel rationnel, symbolisé par l’isoloir, conformément à l’idéologie démocratique du « bon » citoyen qui fait son choix de manière raisonnée et comparée), le vote est plutôt « une expérience de groupe » comme l’ont montré bien des chercheurs en science politique, et cela vaut aussi pour le foot. S’il se matérialise en effet par une voix, cette voix est équivoque, c’est-à-dire que ses motivations sont plurielles. Les électeurs et électrices ne votent pas selon le même degré d’information, selon le même rapport affectif à la question posée. « L’électeur idéal » n’existe pas : on ne peut se délester (complètement) de son ancrage social, de ses déterminismes, de ses affects.. quand on vote.
Dès lors, l’expression du suffrage de l’un.e n’a pas forcément la même signification que l’expression du suffrage de l’autre : une élection est donc le produit d’une rencontre entre une offre (électorale) et une « demande » (quoique..) en tout cas un public, divers, qui lit l’élection à travers les lunettes de ses propres références et préférences (culturelles, personnelles, politiques…) et interprète les messages en fonction de celles-ci. Autrement dit, pour comprendre le sens d’un vote, il est nécessaire de comprendre ce qui l’a motivé : et ce qui l’a motivé est rarement la seule offre, qui peut être interprétée de différentes manières, précisément en fonction des perceptions et du vécu de chacun.e. Comme le résumait de façon un peu caricaturale Michel Rocard, « un référendum, c’est une excitation nationale où on met tout dans le pot. On pose une question, les gens s’en posent d’autres et viennent voter en fonction de raisons qui n’ont plus rien à voir avec la question ».
Appliquée au foot et à l’élection qui nous intéresse, cela signifie que la perception que l’on a d’un but doit beaucoup au subjectif, au-delà de la définition de ce qui est « beau » ou non : notre manière de qualifier la beauté d’un but est éminemment corrélée à notre rapport au club et, davantage que la résultante d’une analyse visant à démontrer de manière absolue la beauté d’un but, elle semble davantage relever du produit de la rencontre entre des éléments objectivables et d’autres plus subjectifs.
À ce titre, un but n’est pas un objet froid sans valeur que l’on ne regarderait que d’un air désintéressé : il dépend de notre « état » de supporter : depuis quand supporte-t-on le club ? De quels éléments de comparaison dispose-t-on pour juger la beauté de ce but par rapport à un précédent ? Est-ce une période où on se sent très impliqué ? Qu’est-ce que ce but a réveillé comme émotions, elles-mêmes produites par des facteurs tellement pluriels, et parfois difficilement étayables ?
Même si l’intégralité des buts proposés par le LOSC pour cette élection étaient accompagnés de vidéos pour les voir, notre rapport à ces buts est différent selon, par exemple, que l’on découvre ce but (pour les plus jeunes) ou qu’on l’ait vécu en direct. À la limite, si l’on cherchait à déterminer la « beauté » d’un but uniquement sur ses qualités techniques, chacun.e serait plus disposé.e à le faire à propos d’un but totalement inconnu, soit surgi du passé, soit surgi d’un championnat étranger que l’on ne suit pas, histoire de ne pas convoquer les affects en tous genres qu’il a suscités sur le moment : comme si la postérité ou l’étrangeté étaient en quelque sorte meilleurs juges de la qualité technique du but.
Cela n’invalide bien sûr pas que le but d’Hazard à Marseille puisse légitimement être « le but du LOSC » du XXIe siècle. Nous souhaitons seulement complexifier la grille de lecture du but et questionner l’opération magique qui consiste à agréger des motivations diverses en une seule signification, pour ne pas occulter une grande part de ce qui fonde notre lien au football : le jeu bien sûr, mais surtout tout ce qu’il y autour, et qui appartient à chacun.