Archive pour la catégorie ‘Tournois oubliés’
Posté le 2 décembre 2020 - par dbclosc
1932, le Sparta à Lille : les Tchèques aboient
En novembre 1932, l’Olympique Lillois, en tête du premier championnat de France professionnel de l’histoire, s’offre une parenthèse amicale en recevant au stade Victor-Boucquey le champion de Tchécoslovaquie : le Sparta Prague, qui offre une exhibition digne de ce qui est considéré à l’époque comme le meilleur football d’Europe.
Nous sommes le 20 novembre 1932 : alors que la France découvre avec émoi le nationalisme breton, qui revendique en ce dimanche l’attentat contre le train du chef du gouvernement, Edouard Herriot, l’Olympique Lillois (OL) joue aussi les séparatistes en se détachant en tête de sa poule du championnat grâce à une nouvelle victoire, cette fois à Hyères (1-0, but du Britannique William Barret). C’est la huitième victoire consécutive pour les Dogues qui, après une défaite inaugurale contre Marseille à domicile (1-2), n’ont fait que gagner. Avec 16 points en 9 matches, l’OL termine donc les matches aller avec une avance confortable sur ses poursuivants. Le championnat fait désormais une pause de 3 semaines et on voit bien que les Lillois, à l’approche de l’hiver, ne risquent pas de se retrouver comme certains Tchèques : sans provisions.
Cette saison 1932/1933 marque la première édition d’un championnat de football professionnel en France. L’idée, qui était en débat depuis plusieurs années, se concrétise lors d’un vote du conseil national de la Fédération Française de Football le 17 janvier 1931. À la surprise générale, le Sporting Club de Fives (SCF) s’y engage, débauchant même quelques vedettes de l’OL… ce qui incite dès lors les dirigeants de l’OL, dans la précipitation au cours de l’été 1932, à s’y engager aussi ! Ce premier championnat est divisé en deux poules, dont les vainqueurs doivent s’affronter en fin de saison pour désigner le champion : l’OL se retrouve dans la poule A et le SCF dans la poule B.
Un OL flandrio-anglo-hongrois
Bien évidemment, la satisfaction est de mise du côté lillois. Le président Gabriel Caullet, qui a succédé depuis quelques mois à Henri Jooris (qui reste président d’honneur et garde probablement une grande influence) se félicite dans Le Grand Echo du Nord de la France de l’adaptation de l’OL aux exigences du championnat professionnel : « c’est là évidemment le résultat d’un travail patient, d’une observation continuelle, d’une bonne volonté collective qui enchante le comité de l’OL. Nous avons cultivé la camaraderie et c’est ce qui nous a permis d’obtenir, de nous joueurs, ce « fondu », cette sympathie réciproque, cette réconfortante atmosphère d’intimité qui n’est pas autre chose qu’une autre forme de l’esprit de club le plus pur » (26 novembre). Pour le président, la force de l’OL est d« avoir gardé l’ossature de l’ancienne équipe et avoir eu beaucoup de chance en complétant cette ossature ». En l’occurrence, on le disait plus haut, une partie de l’ossature (Berry, Cheuva, et le gardien Vandeputte) est parti chez le voisin fivois. Pour la remplacer « nous avons fait un cocktail : un peu du jeu anglais d’attaque en pointe par les trois hommes du centre, une once de jeu hongrois pour éclairer les phases confuses et gagner un peu de terrain, le tout imprégné de la manière rude et forte chère aux Flandriens, dont les qualités de cran et de vitesse ne demandent qu’à être utilisées ». Pour ce qui est des Britanniques, Caullet parle des milieux Jock McGowan et William Barrett (ce dernier est à Lille depuis 1930), et l’attaquant Bert Lutterloch. Les Hongrois évoqués sont les dénommés Zoltan Varga et Zoltan Opata. Dans les buts, l’OL est allé chercher un gardien à Bully-les-Mines : Robert Défossé, qui ne tardera pas à être sélectionné en Bleu. Avec, en plus, Urbain Decottignies et Georges Winckelmans devant, l’OL, sous la houlette de son entraîneur Belge Robert De Veen, présente un beau visage. Mais « le championnat n’est pas terminé. Nous ne sommes pas au bout de nos peines et de nos soucis. La forme est capricieuse » tempère le président.
Le Grand Echo, 26 novembre 1932
L’OL garde ainsi ses influences historiques (du côté des Britanniques et de la Belgique) tout en allant puiser en Europe centrale, dans un football en pleine émergence et qui s’est d’ailleurs en partie construit contre le jeu direct et réputé rétif à l’intellectualisme tel qu’on le trouvait outre-Manche. L’ouvrage La Pyramide inversée revient en détail sur la manière dont, dans l’entre-deux-guerre, à Vienne, Budapest ou Prague, un public « artistique et bohème » s’est pris de passion pour les discussions autour de football, élevé au même rang que le théâtre, la littérature ou la politique.
Trêve internationale
8 victoires, 1 défaite, le « plus grand nombre de points dans les deux poules », un goal-average « incomparable », une défense « hors pair » (7 buts encaissés) : le Grand Echo ne trouve que des qualités à l’OL. Elles risquent de ne pas être de trop pour affronter le Sparta Prague.
La plupart des clubs de l’élite mettent en effet à profit la trêve pour organiser des matches internationaux. Pendant que, au stade Virnot récemment réaménagé, le SCF recevra Nuremberg, l’Olympique Lillois, au stade Victor-Boucquey (baptisé ainsi depuis 1930) va se frotter au champion de Tchécoslovaquie 1932, qui est enfin parvenu à détrôner son rival, le Slavia Prague, champion depuis 1929. Le Sparta, encore en tête de son championnat 1932/1933, est actuellement en tournée : le 23 novembre, quelques jours avant de jouer à Lille, il s’est incliné au stade du Heysel contre l’équipe nationale de Belgique (1-4) devant 15 000 personnes. L’Auto (24 novembre) relève qu’à Bruxelles, « les Tchèques furent pris souvent de vitesse, mais ils ripostèrent vaillamment par de petites passes à terre très précises ». Ce Belgique/Sparta est l’un des premiers matches de l’histoire joués en nocturne : les Tchèques se sont d’ailleurs plaints de ne pas s’être adaptés à la lumière artificielle. Il n’y aura pas ce souci pour le match prévu à Lille le 27 novembre, en plein après-midi (14h15).
« Il n’est bruit, dans la ville, que de la sensationnelle venue du Sparta, la fameuse équipe tchèque » souligne le Grand Echo, qui évoque la « valeur remarquable » du Sparta « ce grand club tchèque à la réputation mondiale », qui « compte des succès sur les meilleures équipes du continent » et « qui peut être classé dans les 4 ou 5 meilleures équipes du continent ». Est dès lors attendu un « spectacle de toute beauté », au cours duquel les Dogues vont avoir fort à faire : « en termes familiers, on peut se demander, sans exagérer, si les Dogues se feront vraiment « avaler » et à quelle « sauce » ils seront accommodés (…) Que fera l’Olympique Lillois contre une si redoutable formation ? Nous sommes persuadés qu’il fera mieux que se défendre (…) devant une formation où brille Raymond Braine d’un éclat particulier ».
Raymond Braine, un Diable Rouge-marron
Raymond Braine, c’est l’avant-centre du Sparta. Il est probablement le joueur belge le plus doué de son époque mais n’a pourtant pas revêtu la vareuse des Diables Rouges depuis 1929. Il est en effet suspendu par sa fédération pour « fait de professionnalisme ». Dans un football belge encore totalement amateur (et officiellement, ce sera le cas jusqu’en 1974, hormis quelques exceptions « semi-professionnelles » après la seconde guerre mondiale), la Belgique, comme la France à la même époque, traque l’« amateurisme marron », à savoir ces footballeurs officiellement amateurs mais qui, d’une manière ou d’une autre, tirent tout de même un revenu de leur activité sportive. En France, les années 1920 ont vu nombre de « scandales » éclater pour cette raison, et notamment à Lille en 1924, quand on se rend compte qu’Henri Jooris rémunère certains de ses joueurs. Disons que le président de l’OL a plutôt eu le malheur de s’être fait prendre. Le cas de Raymond Braine est assez particulier et illustre l’inflexibilité de la fédé belge : son tort est d’avoir ouvert un café à Anvers et d’avoir un chiffre d’affaire potentiellement élevé en raison de sa célébrité acquise grâce au football… « Un subterfuge » pour la fédération qui y voit une utilisation lucrative du football amateur : suspendu, Raymond Braine quitte alors la Belgique et signe en Tchécoslovaquie en 1929. Il manquera les coupes du monde 1930 et 1934 avant d’être de nouveau sélectionné à partir de 1935. C’est donc dans de curieuses circonstances symptomatiques des problématiques footballistiques de l’époque qu’il affronte sa propre sélection nationale, avant de se rendre à Lille.
Les Tchèques nous matent
Devant une « très nombreuse assistance » (l’Auto) estimée à « 5 à 6 000 personnes » (La Croix du Nord) et sur un terrain « gras et glissant », voici les équipes alignées :
OL : Robert Desfossé ; Jean Théry, Jules Vandooren ; Georges Beaucourt, John MacGowan, Georges Meuris ; Georges Winckelmans, Zoltan Varga, Zoltan Opata, Bert Lutterlock, Urbain Decottignies.
William Barrett et Fernand Amand complètent le groupe.
Sparta : Ledina ; Josef Ctyroky, Jaroslav Burgr (cap) ; Josef Kostalek, Jan Knobloch-Madelon, Erich Srbek ; Frantisek Pelcner, Josef Silny, Raymond Braine, Oldrich Nejedly, Karel Sokolar.
Après un début du match « un peu lent et comme craintif de la part des Lillois, le jeu s’équilibra et atteignit immédiatement une classe élevée » selon l’Auto (28 novembre). Dès la 19e minute, les visiteurs ouvrent la marque par Nejedly. Mais les Lillois reviennent rapidement grâce à Decottignies « à la suite d’une mêlée devant le but tchèque » (1-1, 25e). « La rencontre est équilibrée, les phases de jeu splendides soulèvent continuellement les applaudissements d’un public enchanté » ; à la pause, les équipes se quittent sur le score de 1-1. À la reprise, l’OL prend l’avantage par son Hongrois Varga : « les Dogues descendent et forcent Ledina à s’employer. Une fois, deux fois, le gardien tchèque renvoie, mais Varga reprenant la balle en dernier la loge dans les filets » (2-1, 50e). Alors « le match redouble d’intensité si possible et les attaques se succèdent à une cadence accélérée ». Les Tchèques arrachent l’égalisation sur un corner repris par Nejedly, qui signe un doublé (2-2, 64e). Le match tourne alors en faveur du Sparta : « pendant la dernière demi-heure de jeu, les demis lillois faiblissent un peu et comme le Sparta redouble d’ardeur, les visiteurs prennent un léger ascendant » qui se traduit par un nouveau but de Nejedly (2-3, 80e). Enfin, six minutes plus tard, « une succession de passes entre les attaquants tchèques fournit la balle à Pelcner qui marque un quatrième but » (2-4, 86e)
Match l’intran, 29 novembre 1932. Une petite erreur de légende sur le score.
Pour l’Auto, ce fut une « partie magnifique » et « la défaite de l’OL a été subie dans des conditions qui lui font honneur car l’exhibition de Sparta fut digne de la réputation de ce grand club ». La Croix du Nord abonde dans ce sens en rappelant que « les Tchèques sont certainement nos maîtres en football et la passe est faite à l’homme démarqué sans qu’elle soit annoncée comme chez nous par certains demis servant leurs avants » (28 novembre). Le journal a toutefois un reproche à faire au Sparta : « nous regrettons, néanmoins, certains truquages qui ne sont pas à leur honneur. En effet, le demi droit et l’arrière droit surtout, écartaient l’adversaire attaquant avec les coudes ou même avec le bras écarté du corps, sous l’oeil de l’arbitre impassible. À part cette légère critique, nous avons assisté, à certains moments, à de superbes phases de jeu de la part des deux équipes ». Du côté du Sparta, « l’équipe forme un tout parfait : la défense s’avéra excellente, principalement le gardien, qui réceptionna des bottés dans toutes les positions, dans le haut des buts aussi bien que dans ses plongeons. Les demis servirent à merveille une attaque vive et précise, surtout lorsqu’ils pratiquaient par leurs ailiers qui furent, par leurs centres, les organisateurs de la victoire ». Et, du côté des Dogues lillois, « la défense se montra très sûre ; Défossé fut battu chaque fois de très près et par des reprises de demi-volée ; Vandooren fut le briseur d’attaques habituel, bien secondé par Théry qui se place bien ; Mac Govan, en défense, fut le roi du terrain, mais moins précis dans ses passes aux avants ; Beaucourt fut aussi bon en défense qu’en attaque et marqua bien l’ailier droit, excellent dribbleur ; Meuris, courageux comme d’habitude ; Decottignies, Lutterlock formèrent une excellente aile droite ; Winckelmans, à l’extrême gauche, centra souventes fois trop tard ; Varga et Opata ne furent pas dans la course, sans doute en raison du terrain lourd qui les handicapa sérieusement ».
Les Tchèques aboient, les Dogues passent
Dans la soirée, après le match, une réception est organisée dans les salons de l’hôtel Bellevue : « une simple mais très cordiale manifestation destinée à fêter les splendides résultats acquis par l’OL au cours des matches aller du championnat professionnel » (Le Grand Echo, 29 novembre). Dans une ambiance conviviale, le comité du club, les joueurs et leur famille, et Henri Jooris président d’honneur, célèbrent le virage réussi vers le monde du football professionnel : « au moment des toasts, M. Caullet félicita les vaillants équipiers et leur entraîneur des résultats remarquables (…) Il souligna le redressement aussi profond que spontané qui permet aux Dogues lillois de sortir de difficultés sportives sans précédent. Il fit appel au remarquable esprit de camaraderie qui anime tous les joueurs du club et demanda au Dogues de « serrer les crocs » pour se préparer au dur choc des rencontres futures ». Et en effet, l’OL se rendra très prochainement à Marseille et s’inclinera dans des conditions rocambolesques, dont on a parlé ici. Ce faux pas n’empêche pas les Dogues de ravir le premier titre de champion professionnel au printemps 1933. Le Sparta laisse quant à lui son éternel rival du Slavia lui repasser devant jusqu’en 1936.
L’Olympique Lillois 1932/1933, premier champion de France de football professionnel
Debout : Défossé, M. Hochart (membre du comité), Meuris, Vandooren, Beaucourt, McGowan, Théry
Accroupis : Decottignies, Lutterloch, Barrett, Varga, Winckelmans
Posté le 24 novembre 2020 - par dbclosc
1919 : Milan, une si longue attente
En septembre 1919, après plus de 5 ans sans match officiel, l’Olympique Lillois, champion de France 1914, est en pleine préparation de la saison 1919/1920. Encore tout auréolé de son aura acquise avant-guerre, l’OL organise une série de rencontres amicales contre de prestigieux adversaires. Parmi eux, le Milan FC.
Après sa création en 1902, L’Olympique Lillois (OL) monte progressivement en puissance à partir de 1906 sous l’impulsion de son président André Billy, raflant quelques titres régionaux et obtenant des succès de prestige lors de rencontres amicales contre des clubs Belges et parisiens. L’année 1914 apparaît comme l’aboutissement du travail des années précédentes : c’est le triomphe du football lillois d’avant-guerre. L’Olympique Lillois (désormais dirigé par Henri Jooris), après avoir remporté le championnat du Nord, puis le championnat de France USFSA (fédération à laquelle le championnat du Nord est rattaché), remporte le Trophée de France, qui met aux prises les vainqueurs des 4 fédérations. Ce 26 avril 1914, Lille est au sommet, et rien ne semblait devoir résister à la domination lilloise sur le football français : « il est à craindre que le trophée national ne revienne de sitôt à Paris », écrit l’Auto au lendemain du triomphe de l’OL, une crainte « parisienne » qui sonne comme la promesse d’un avenir radieux pour le football nordiste. Et au-delà des succès de l’OL, l’équipe du Nord, à travers ses « Lions de Flandres », a largement triomphé de la sélection parisienne en janvier 1914 ; durant ce même mois, l’équipe de France s’est pour la première fois déplacée hors de Paris : au stade de l’avenue de Dunkerque, la France a battu la Belgique 4-3. Le football nordiste, représenté par Henri Jooris, est au faîte de sa gloire nationale.
26 avril 1914 : l’équipe lilloise vainqueur du Trophée de France
Mais la guerre met un coup d’arrêt à cette domination durable annoncée. Dès le mois d’août 1914, les jeunes hommes, parmi lesquels bon nombre de footballeurs, sont mobilisés, et les compétitions sont arrêtées. Sur les différents champs de bataille, de nombreux footballeurs trouvent la mort, parmi lesquels les Lillois Alphonse Six, redoutable avant-centre Belge, le gardien Elie Carpentier, ou le milieu Jacques Mollet ; d’autres, comme le défenseur Jean Degouve, ont été amputés et sont donc désormais inaptes au football.
Durant la période de conflit, dans le Nord (constamment occupé), on note seulement l’organisation du « challenge Deffrennes » en 1917, avec notamment le RC Roubaix, et ce même RC Roubaix parvient à organiser un tournoi à Pâques 1917. Du côté maritime, à Boulogne, le « challenge de l’Entente cordiale » permet de voir triompher durant 4 ans des équipes composées de militaires britanniques. Alors que d’autres régions françaises sont parvenues à faire revenir le football dès 1916, ce n’est qu’après la Libération du Nord en octobre 1918 que l’Olympique Lillois retrouve les terrains. L’OL n’a ainsi pas pu participer (de même que les clubs d’Alsace-lorraine) à la nouvelle « coupe Charles Simon » dite « coupe de France », dont la première édition en 1917/1918 a vu la victoire de Pantin. En raison de la libération tardive de la région, les nordistes n’y sont pas davantage présents en 1918/1919, et le championnat du Nord n’a pas non plus repris. Les principales équipes nordistes (OL, Roubaix, Tourcoing) organisent quelques rencontres amicales contre les garnisons militaires britanniques encore présentes.
Mais cette fois, la reprise est proche ! Le football français est en cours d’unification, avec la création de la Fédération Française de Football Association en avril 1919, et la nouvelle Ligue du Nord s’est réunie pour la première fois en juillet. Le 9 août, un éditorial de la Vie Sportive du Nord et du Pas-de-Calais se réjouit du retour imminent des compétitions : « comme les dimanches nous semblent vides et ennuyeux sans notre régal hebdomadaire : la bonne partie de football disputée avec un acharnement courtois par des équipes de presque égale force! Que d’heures émouvantes vécues autour des divers terrains de la région ! Quand les revivrons-nous ? Bientôt, mes amis ! Bientôt, mes amies ! (…) L’impatience de retourner aux matchs de football est d’autant plus vive que la saison prochaine s’annonce particulièrement brillante. Tous nos grands clubs de Lille, Roubaix, Tourcoing, Boulogne, Calais et Dunkerque se préparent avec fièvre. Des équipes plus formidables les unes que les autres sont constituées. Des Parisiens, des Belges, et des Anglais viennent les renforcer ». Bien entendu, l’ombre des disparus plane : « Hélas ! Il y a des trous à boucher : nous ne reverrons plus les Dujardin, Carpentier, Deffrennes. Matisse, Denis, Six, Mollet, Morin, Chassaing, François Dussart, et tant d’autres dont les noms m’échappent, morts au terrain d’honneur. Les glorieux mutilés (sic) tels que Moigneu et Degouve devront rester sur la touche ».
Le football nordiste d’après-guerre tente donc de se reconstruire, et fait même du lourd tribut qu’il a payé un argument pour souligner son rôle social, ce à quoi Henri Jooris, notamment, s’emploiera, en cherchant à obtenir des réparation pour les veuves des sportifs, et en arguant de la contribution du football nordiste à la victoire de 1918. Sur le terrain, les inconnues restent nombreuses : l’OL parviendra-t-il à maintenir son rang ? Comment remplacer les joueurs disparus ? Le football nordiste a-t-il pris un retard difficilement rattrapable sur les autres régions qui ont repris le football plus précocement ? Comment se comporteront les Lions de Flandres ?
L’OL remet son titre en jeu
« À tout seigneur, tout honneur », la Vie Sportive débute sa « revue des clubs » le 16 août par la présentation de l’OL, « champion de France en titre » : en effet, les quelques compétitions organisées durant le conflit, y compris la nouvelle coupe de France, censée remplacer le « Trophée de France », sont des compétitions dites « de guerre » : elles ne sauraient donc ravir à l’OL son titre acquis avant-guerre dans des circonstances « régulières ». Même si les formats ont changé, l’OL remet donc officiellement son titre en jeu en cette saison 1919/1920. Quelques nouveautés en cette rentrée : d’abord, l’OL a absorbé le Club Lillois ; dès lors, selon l’hebdomadaire sportif régional, « l’Olympique Lillois prenait déjà les allures d’un grand club avant la guerre. Sa fusion avec le club lillois lui permet maintenant d’avoir quelques prétentions (…) D’abord, il prétend rester champion de France » ; ensuite, le terrain de l’avenue de Dunkerque est officieusement rebaptisé « terrain d’honneur », tandis que le terrain du Club Lillois, à la Laiterie (aujourd’hui stade Guy-Lefort à Lambersart), accueillera les équipes de jeunes de l’OL ; enfin, au niveau de l’effectif, Chandelier, Jonvel, Graveline, Montagne, H. Vignoli, Douchet et Lebrun sont toujours là. Loir, qui était déjà au club, est intégré à l’équipe première, tandis que des jeunes tels que Courquin, Betrencourt, Marcel Vignoli, Delneste, Duponchelle sont appelés à avoir un rôle grandissant dans l’équipe première. Eloy, lui, s’estime trop âgé et arrête le foot : il s’installe en tant que médecin à Anor. Le club a par ailleurs recruté le Britannique Buzza (dont l’amateurisme marron fera tomber Henri Jooris dans les années 1920), Duvilier, Favart. Même si « jamais l’issue de la lutte n’a paru moins certaine », sur le papier, cet OL a fière allure : « vous concevrez que l’OL peut défendre son titre dans la coupe de France et en tout cas représenter honorablement le Nord dans toutes les compétitions ».
En l’occurrence, ces compétitions sont les suivantes : le championnat du Nord, bien entendu ; la coupe de France ; et quelques rencontres amicales interligues et internationales. Les matches amicaux d’avant-saison vont bien refléter cette diversité d’oppositions.
D’ici la reprise du championnat, le 12 octobre 1919 contre Roubaix, 6 rencontres sont prévues car « ce serait mal connaître les dirigeants de l’Olympique Lillois que de croire qu’ils vont s’endormir sur leurs lauriers. Ils travaillent en silence à l‘élaboration d’un magnifique calendrier » (La Vie Sportive, 5 septembre) : le 7 septembre contre la base anglaise de Calais, une équipe de militaires écossais ; le 14 septembre contre le Daring de Bruxelles, champion de Belgique ; le 18 septembre contre le Milan FC ; le 21 septembre à Paris contre le Cercle Athlétique ; le 28 septembre contre la base anglaise de Dunkerque, une équipe de militaires anglais ; et enfin le 5 octobre contre le Club Athlétique de la Société Générale de Paris, vainqueur de la coupe de France 1919. Ce dernier match sera finalement remplacé par un match au Havre, champion de guerre 1918, le championnat parisien reprenant finalement le même jour que la date initialement fixée pour le match contre Lille.
Milan, le Tourcoing de Lombardie
Après deux défaites initiales (victoires de la base anglaise de Calais 3-1 et du Daring 2-0), l’OL reçoit une troisième équipe : le Milan FC. Le club italien vient de changer de nom : il s’appelait jusqu’alors le Milan Football and Cricket Club, puis se transformera en Milan Associazione Sportiva (1936) avant de prendre son nom actuel Associazione Calcio Milano en 1939. La Vie sportive se réjouit de la venue des Italiens : « pour la première fois, nous verrons dans le Nord une grande équipe d’Italie ». À cette époque, comme en France, le championnat d’Italie est amateur et n’est pas unifié. Lors du dernier championnat, interrompu en 1915, le Milan, champion de Lombardie centrale et d’Emilie, était en train de disputer la finale du tournoi principal, équivalent italien du Trophée de France, avec Le Torino, l’Inter Milan et le Genoa. En outre, le Milan a participé à la Coppa Federale en 1915, qui concernait les villes italiennes « non directement touchées par la guerre », tournoi que Milan a remporté. Avec ces données et le palmarès italien des années 1910, on peut raisonnablement estimer que le Milan FC, s’il n’a pas le prestige de l’Inter, du Genoa ou de Pro Vercelli, est en déclin (après des titres en 1901, 1906 et 1907) mais constitue encore en effet une des meilleures équipes italiennes. C’est en quelque sorte l’US Tourcoing d’Italie. Mais les mêmes questions que pour l’OL se posent : quel est désormais le niveau du Milan après ces années d’inactivité ? Les Italiens reviennent d’une tournée en Belgique où ils ne se sont inclinés que d’un but contre l’Union Saint-Gilloise, ce qui semble là aussi situer une bonne équipe.
Le match OL/FC Milan, comme tous les matches de préparation de Lille à domicile, est joué au profit « du monument à édifier aux athlètes lilllois morts pour la France ». Symbole de l’union des pays vainqueurs de la guerre – et raison toute pratique au moment où les effectifs ne sont pas constitués -, les Milanais alignent dans leur équipe Louis Van Hege, qui vient de resigner à l’Union Saint-Gilloise après 9 ans au Milan1. Contre les Ecossais, les Lillois comptaient dans leur rang le capitaine Bell, avant-centre de Woolwich Arsenal. Pour ce match contre Milan, l’OL aura le concours du Roubaisien Raymond Dubly présenté comme « notre petit prodige nordiste » (La Vie Sportive, 29 août)
Les Italiens ont été accueillis en mairie où la bienvenue a été lancée à « nos amis latins ». Signe de la domination du football belge et britannique à l’époque, le match contre le Milan ne suscite pas autant d’enthousiasme et de couverture dans la presse régionale que les confrontations contre le Daring ou les militaires. On trouve cependant un bref compte-rendu du match dans le quotidien national L’Auto. Voici la composition de l’OL :
Lebrun ; Duvillier, Leclercq ; Montagne, Duponchelle, Douchet ; Dubly, Chandelier, H Vignoli, Delnest, Petit.
Contre une « équipe italienne de première force », « les joueurs [lillois] se montrèrent surtout vifs et très adroits sur la balle » (La Vie Sportive, 19 septembre). À la pause, l’OL mène 2-0, grâce à des buts de Maurice Douchet, reprenant un corner de Dubly, puis de ce même Dubly : « comme toujours notre phénomène fut très brillant ». En seconde période, les Lillois reculent progressivement : « dans les dernières 20 minutes, la défense lilloise, très à l’ouvrage, faiblit » (L’Auto, 20 septembre) et finit par encaisser un but de la tête sur corner. À l’issue d’une « superbe partie » (L’Auto), l’OL bat Milan 2-1. Le Grand Echo du Nord de la France souligne que « en dépit du score, les Milanais ont assurément été à la hauteur de l’équipe que nous leur opposions (…) on peut seulement leur reprocher un manque de « finish » devant les buts. Sans cela, ils eussent marqué à plusieurs reprises surtout à la fin ». La Vie Sportive concède qu ‘« un match nul aurait plus fidèlement rendu la physionomie de la partie ». Le Grand Echo fait enfin part d’une action qui nous paraît bien mystérieuse sans explication supplémentaire, mais ça a l’air très gentil : « soulignons en outre un beau geste de la part [des Italiens] : ils n’ont pas voulu profiter d’un pénalty dans la première mi-temps ».
L’équipe de l’Olympique Lillois le 1er février 1920 à Paris pour son 8e de finale de coupe de France contre l’Olympique de Paris (2-1)
Alors, où en est l’OL ?
Cette première victoire en match de préparation, la première depuis tant d’années dans un contexte « normal » semble convaincante : le Grand Echo souligne que « le onze lillois fut homogène » ; la Vie Sportive note que « l’Olympique Lillois se met progressivement en forme et a opposé une belle résistance », et l’Auto prédit que Lille « s’annonce redoutable cette saison ». Cette victoire prend d’autant plus de valeur après que les Italiens, 3 jours plus tard, battent l’Association Sportive Française à Paris (1-0). La suite des matches amicaux de l’OL laisse une impression incertaine : si le nul obtenu contre le CA Paris (1-1) fait « excellente impression » pour le Grand Echo, si Lille bat facilement les Britanniques de Dunkerque (4-0) puis obtient le nul face au Havre (1-1), se plaçant ainsi dans les meilleures conditions avant le début du championnat, l’équipe ne semble pas avoir l’éclat qu’elle s’était construit avant-guerre : « les champions de France ont à présent une défense capable de sauvegarder le trophée. On ne saurait en dire autant de la ligne d’attaque » (La Vie Sportive)
Et en effet, même si l’OL cartonne pour la reprise du championnat contre Roubaix (victoire 6-2 ; « un score très flatteur qu’ils doivent à la faiblesse du goalkeeper roubaisien Messien, lequel aurait dû parer 3 des buts rentrés contre son équipe », Le Grand Echo, 14 septembre), le club termine deuxième et ne parvient donc pas à conserver son titre nordiste, en dépit de deux victoires contre le champion du Nord (US Tourcoing). Sur le plan national, la période marque également le déclin du football nordiste en général : la coupe de France, qui permet désormais d’évaluer les rapports de force nationaux, sourit peu aux Nordistes : Roubaix et Boulogne sont éliminés en 16e, et l’OL, dernier survivant, en quart.
Dans le Nord, en football aussi, l’heure est à la reconstruction.
L’équipe de l’Olympique Lillois le 7 mars 1920 à Paris pour son quart de finale de coupe de France contre Cannes (1-2)
Note :
1 Ce retour en Belgique est un soulagement pour Louis Van Hege. En effet, ses compatriotes cesseront désormais de lui faire la blague :
_ « Alors, t’habites à Milan ?
_Oui !
_Eh bien, bon anniversaire ! »
Posté le 31 octobre 2020 - par dbclosc
Lille, 1935 : la Ligue du Nord affronte le FC Clyde of Glasgow
Le 31 mars 1935, au stade Victor-Boucquey de Lille, la sélection de la « Ligue du Nord », principalement composée de Lillois et de Roubaisiens, affronte amicalement le club écossais de Clyde of Glasgow. Cette sélection nordiste était considérée comme la vitrine footballistique de la région.
Nous avons évoqué dans un précédent article l’importance et le prestige de ces rencontres internationales qui, loin de relever du seul divertissement ou même du folklore, ont une importance considérable : d’une part par la sélection des joueurs nordistes, car les sélections régionales constituent à l’époque un tremplin officieux vers la sélection nationale ; d’autre part ces matches sont considérés comme étant d’un meilleur niveau que ceux du championnat national, même professionnel (à partir de 1932), et permettent en outre de présenter au public un football considéré comme très marqué par des spécificités nationales. Signe de leur réussite, ces oppositions bénéficient d’une importante couverture médiatique et font venir au stade un public nombreux.
Depuis les années 1900, le Nord de la France a connu diverses sélections pour le représenter, la plus connue étant la redoutable équipe des « Lions de Flandres » dont les victoires avant-guerre contre la sélection parisienne marquaient la domination du football nordiste en France (avec, bien entendu, les succès de l’Olympique Lillois). Mais la guerre a coupé cet élan sportif et, sur le plan institutionnel, le football s’est « nationalisé », en s’organisant sous l’égide de la seule FFF.
15 février 1920 : la toute nouvelle équipe du Nord affronte Paris. Debout, 3e en partant de la droite, José Fonte est déjà déterminé
Via la Ligue du Nord, créée, en 1919, cette sélection vise à regrouper les meilleurs joueurs du Nord et du Pas-de-Calais (voire de Picardie puisqu’on y trouve des Amiénois), là où les Lions de Flandres n’ont longtemps sélectionné que des joueurs de Lille, Roubaix et Tourcoing (ce qui correspondait au rapport des forces sportives de l’époque). La « Ligue des Flandres », en outre, semble favoriser des garçons du cru, Français nés dans le Nord, là où on a vu que « l’Entente » de 1934, sélectionnait pour moitié des Français et pour moitié des étrangers, le critère de sélection étant qu’ils jouent effectivement dans le Nord. Cela faisait regretter à une partie de la presse qu’on ne puisse pas réellement évaluer le niveau du football « nordiste » (en supposant que de telles considérations ne soient que d’ordre sportif…). La sélection du Nord n’est toutefois pas dépourvue complètement de joueurs étrangers ; mais on y trouve bien moins d’Anglais ! On y trouve en revanche quelques joueurs de l’Est (qui souvent, seront ensuite naturalisés), comme si cette sélection devait aussi refléter les mouvements migratoires du Nord, là où les Anglais n’étaient que de passage.
À intervalles réguliers, cette « équipe du Nord » affronte donc d’autres sélections françaises du même type ; cependant, les affrontements interrégionaux (qui étaient aussi des affrontement interligues) ont perdu de leur conflictualité. En revanche, les rencontres internationales n’ont rien perdu de leur saveur et de leur intérêt. Ainsi, dans le Nord, les plus grands succès concernent des matches opposant l’équipe du Nord à des équipes étrangères, voire à des sélections nationales.
L’équipe du Nord, le 20 février 1927 au stade Buffalo à Montrouge. Debout, à côté du gardien, un type qui ressemble à Arnaud Duncker, mais ça doit pas être lui
Faisons un saut temporel et retrouvons-nous à la fin des années 1920. Pour la première fois, l’équipe de la Ligue du Nord joue au stade Victor-Boucquey (ex-stade de l’avenue de Dunkerque et futur stade Henri-Jooris). En novembre 1929, le Nord a battu l’équipe du Kent 6-1 au stade Jean-Dubrulle de Roubaix. Un mois plus tard, elle tient en échec les Diables Rouges (3-3). La presse nordiste, bien que toujours emballée par ces rencontres, regrette que le football nordiste n’ait plus son lustre d’avant-guerre : « nous ne pouvons oublier que le football nordiste occupait, en 1914, le premier rang du football régional et nous caressons toujours l’espoir de reconquérir une suprématie que seule la guerre nous enleva” (Le Grand écho, 9 décembre 1929). Allons ! L’OL remporte le premier championnat professionnel, tandis que Fives y fait excellente figure ! Mais si les performances des clubs nordistes en première division (jusque 6 en 1937/1938 !) offrent un fil rouge bienvenu, l’emballement autour de la sélection régionale est incomparable.
Intéressons-nous donc particulièrement à un match joué le 31 mars 1935 à Victor-Boucquey, à Lille. Les Nordistes affrontent un club écossais, de Glasgow : le FC Clyde, venu sans Bonnie. Après les venues du Celtic en 1921 et 1934, il s’agit de la troisième venue d’un club de Glasgow dans le Nord. La presse tant nationale que régionale souligne que le FC Clyde n’a pas le prestige du Celtic, des Rangers ou de Motherwell ; il n’empêche : Clyde, en championnat, vient de battre le leader St Johnstone, le Celtic, les Rangers, et Motherwell ! Et il a tenu en échec Aberdeen, finaliste de la coupe d’Ecosse. Surtout, en tant qu’ambassadeurs du football écossais, les joueurs du FC Clyde représentent ce qui se fait de mieux en football. L’Auto souligne ainsi que « le football écossais est généralement considéré comme le plus complet et le plus beau, surtout en ce qui concerne le jeu offensif » (28 mars 1935) ; pour le Grand Echo, « les pros de Grande Bretagne, quand ils le veulent, sont des footballeurs de tout premier plan (…) Ce qui fait la caractéristique du jeu écossais en regard du football d’Angleterre, du pays de Galles et de l’Irlande : une plus grande habileté sur la balle et un dribbling plus poussé ; de la technique,de la fantaisie, du brio » (31 mars). En outre, les Ecossais sont pionniers puisque « le fameux système en W fut innové par Motherwell et non pas, comme on l’a déclaré, par Arsenal » (L’Auto, 28 mars).
Pour ce match, la Ligue du Nord a pris l’initiative de placarder dans Lille des affiches qui assurent que cette confrontation est « le clou de la saison ». En novembre, l’AIK Stockholm était également venu affronter le Nord à Lille (le Nord s’est imposé 1-0), mais c’était une équipe d’amateurs. De plus, la date est ici plus favorable et on peut espérer un « temps printanier » avant que le public ne se démobilise : il paraît qu’après le 15 avril, « les champs de football sont un peu désertés par les spectateurs » (Le Grand Echo, 28 mars). Ah bon.
Au-delà de cette confrontation, bon nombre de matches en France permettent à des sélections nationales ou à des clubs de se frotter à des adversaires étrangers. En effet, la FFFA1 a laissé aux ligues la journée de ce dimanche. Lesdites ligues se sont alors empressées de mettre sur pied ces « grands matches internationaux de football » comme l’indique L’Auto : outre Nord/FC Clyde, on aura Paris/Vienne, Marseille/Allemagne du Sud, Belgique B/Normandie, Differdange/Lens ou Red Star/Motherwell, avec pas moins de 10 internationaux écossais. Dans le Nord, les matches des divisions amateurs et de promotion d’honneur ont été remis « afin de permettre aux centaines d’équipes amateurs de la Ligue du Nord de venir prendre une excellente leçon de football au terrain de l’Olympique Lillois » (Le Grand Echo, 28 mars). À 3 jours du match, les places, de 6 à 25 francs, s’arrachent et le « record de location par correspondance est battu ». La compagnie des chemins de fer du Nord annonce des trajets à prix réduit, et la mise à disposition d’autocars car on attend des spectateurs venant « des mines et de Valenciennes ». Alors qu’au même moment, Les Cigares du pharaon viennent de paraître, et qu’on aurait pu croire que la présence d’Ecossais à Lille inspire à Hergé le scénario de l’Île Noire, c’est finalement le sceptre d’autocars qui se présente.
Autre illustration de l’ampleur du match : on y trouvera quelques-unes des grosses légumes du coin, comme « le plus haut fonctionnaire de l’éducation physique en France, le directeur de cabinet de M. le ministre Queuille », M. Pierre Leroi, le sénateur Delesalle, ancien sous-secrétaire d’Etat et président d’honneur de la ligue du Nord.
Les Ecossais arrivent d’abord par la mer, à Calais, où ils sont accueillis entre autres par Henri Jooris (fils). Ils arrivent à Lille samedi 30 mars à 16h19 où les attend une délégation de la Ligue du Nord : « les Ecossais, que l’on croyait voir surgir en tenue sportive et casquette à carreaux et qui arboraient de vénérables pardessus très longs et des chapeaux ronds, laissèrent à leur manager le soin de rompre la glace. Ils s’acheminèrent, très dignes, vers l’autocar qui les guettait à la sortie, pour les amener à l’hôtel où, selon l’usage, ils se mirent en devoir de secouer la poussière du voyage avant de prendre un repos réparateur, en écrivant des cartes postales » (Le Grand Echo, 31 mars).
Une première large sélection nordiste a été annoncée dans Paris Soir daté du 22 mars, de laquelle seront finalement retirés après une dernière réunion le 27 dans le local de la Ligue tous les joueurs Fivois, qui ont une demi-finale de coupe de France à jouer la semaine suivante : on craint une blessure, et les dirigeants du SCF privilégient un match amical au Mans. Dès lors, Joseph Gonzalès, Karl Dalheimer, Ernest Liberati et Robert Saint-Pé, initialement sélectionnés, et André Cheuva, pressenti, ne sont pas de la partie ; Marcel Desrousseaux (Excelsior Roubaix) disparaît également de cette première sélection. Seul le gardien remplaçant (Dalheimer) est remplacé, par François Encontre, le gardien du Racing Club de Roubaix. Voici donc la composition des équipes :
Si ce n’est pas bien lisible, voici quelques précisions côté nordiste : dans les buts, Robert Defossé ; derrière : Jules Vandooren et Georges Beaucourt. Ces trois hommes forment habituellement la défense de l’Olympique Lillois. Au milieu, une ligne Paul Delassus (OL), Georges Verriest (Racing Club Roubaix), Noël Liétaer (Excelsior Roubaix) ; devant, « le prestigieux [Edmond] Novicki à qui Lens doit beaucoup de ses succès de la présente saison », Henri Hiltl « la coqueluche des roubaisiens » (Excelsior), André Simonyi « le manieur de balles prestigieux » (OL), Ignace Kowalczyk dit « Ignace » (Valenciennes) et Georges Winckelmans (OL), qui était blessé depuis quelques semaines mais « qui a fait savoir spontanément qu’il serait complètement remis pour le match » !
Remplaçants : Ernest Payne (Excelsior Roubaix), François Encontre (Racing Club Roubaix), Célestin Delmer (Excelsior Roubaix), Beeringer (OL), Marcel Ourdouillié (Association Sportive de Raismes)
Le coup d’envoi est fixé à 15h et, dès 14h, le Grand Echo rapporte que le stade se remplit. Il faut dire que, pour patienter, un concert est donné par « la brillante harmonie Excelsior, sous la direction de M. Pruvost ».
Le quotidien régional précise que ce n’est « pas la même cohue » que lorsque l’Allemagne de l’Ouest (en février 1934) ou Sunderland (en avril 1934) sont venues à Victor-Boucquey, mais on compte tout de même près de 8 000 personnes, tandis que L’Auto table même sur 10 000. Peut-être que la concurrence avec le concours carnavalesque de l’Union des commerçants pour la mi-carême en centre-ville a joué. Les joueurs sont présentés à M. Delessalle, Leroi, et Jooris (père cette fois, président de la Ligue). En tribune, tous les membres du conseil de La ligue sont présents, ainsi que les dirigeants de nombreux clubs de la région : Caullet (OL), Henno (SCF), Marquilly (RCL), Boulton (RCR) Flenniau et Van de Vegaete (UST). Officiellement, l’Ecosse n’a pas d’hymne national2 : on joue donc l’hymne anglais, puis La Marseillaise. Après un échange de fleurs et de fanion, l’arbitre roubaisien Jules Baert donne le coup d’envoi.
Dès la 2e minute, les Ecossais marquent grâce à une reprise de volée de Johnstone, « un but dû plutôt à la mésentente des éléments nordistes qu’à une descente irrésistible, et encore faut-il dire que Vandooren venait de recevoir un coup de pied à la figure l’empêchant de se lancer à la poursuite de l’attaquant possesseur de la balle » (L’Auto, 1er avril). Durant la première période, les visiteurs dominent : « les Ecossais pratiquèrent un jeu sobre et direct, dépouillé de toute fioriture », tandis que « les Français sont lents ». Toutefois, du côté nordiste, « les exploits d’un Hiltl et d’un Simonyi soulevaient maints applaudissements ». En seconde période, les Nordistes dominent cette fois largement (« la seconde mi-temps est celle des Nordistes dont l’équipe, bien soudée, donne à fond ») et égalisent à la 65e grâce à Ignace « malgré un plongeon desespéré de Stevenson » (Le Grand Echo, 1er avril), après un relais entre Novicki et Simonyi : « le but fut follement acclamé » (L’Auto). Le Nord pousse mais plus rien ne sera marqué, et ce match s’achève sur un « match nul flatteur pour les visiteurs », qui auraient dû repartir défaits si l’équipe du Nord n’avait pas mis du temps à trouver ses marques.
Tout le monde s’accorde pour souligner la qualité du spectacle proposé, notamment parce qu’il était équilibré. Ainsi, le Grand Echo insiste sur un adversaire « d’une classe assez voisine » à celle des Nordistes : « devant des artistes comme Sunderland ou le Celtic, le spectateur ressent rapidement une impression de malaise qui est provoquée par l’écrasante supériorité d’un adversaire qui nous ménage et qui se ménage, ce qui est correct pour les relations entre les deux équipes, mais qui est humiliant pour les débutants professionnels que sont les Français ». L’Auto embraye : « si la pureté du football pratiqué fut moins grande , la lutte fut plus égale, plus vite, et l’équilibre des forces en présence donna à la rencontre un piment qui fait défaut quand l’écart de classe est par trop considérable ». Ouest-Eclair voit en Hiltl « l’âme de l’équipe du Nord » : Henri Hiltl, né Heinrich, Autrichien naturalisé Français, a même compté une sélection en équipe d’Autriche avant de jouer pour la France. La performance de Simonyi, le Hongrois, est également saluée.
Bref, « le public se retira enchanté et les dirigeants de la ligue du Nord, disons-le, furent bien inspirés en invitant cette belle formation » (L’Auto). Et comme un étalon de la valeur du football français, les victoires des ligues françaises sur la plupart de leurs adversaires étrangers semble refléter un football national en excellente santé, qui sait organiser de grands événements : un argument de poids, notamment pour la ville de Lille, au moment où la France envisage de déposer sa candidature pour accueillir la coupe du monde 1938.
FC Notes :
1 C’est dans les années 1970 qu’au cours de compétitions internationales en rugby et en football Flower of Scotland s’est imposé, mais sans être l’hymne officiel.
2 « A » pour « Association ».
Posté le 29 octobre 2020 - par dbclosc
Les deux premiers déplacements du Celtic Glasgow dans le Nord (1921, 1934)
Si le LOSC affronte pour la première fois en compétition officielle le Celtic Glasgow en octobre 2020, le club écossais s’est déjà rendu dans le Nord à 2 reprises, pour y affronter des sélections régionales, en 1921 à Roubaix puis en 1934 à Fives.
Pourquoi donc une équipe si prestigieuse que le Celtic Glasgow va-t-elle se retrouver à deux reprises, dans les années 1920 et 1930, dans le Nord de la France pour y affronter des sélections régionales ? Il convient d’abord de revenir sur la valeur de ces confrontations à l’époque, dans un football bien différent de celui que l’on connaît de nos jours.
A la recherche de matches de prestige
Après le premier conflit mondial, dans un football national pas encore unifié en raison de la concurrence entre fédérations, et pas encore professionnel, ce qui conduit notamment à des scores de forte ampleur entre confrontations interligues ou même au sein d’une même ligue, les clubs français les plus en vue tentent d’accroître leur popularité et leur prestige par le biais de matches et de tournois internationaux. Si l’on prend le cas de l’Olympique lillois, ancêtre du LOSC, le club a été pionnier, dès l’avant-guerre, dans l’organisation de matches contre des adversaires Belges et Anglais, réputés plus forts. Il faut dire le championnat régional, hormis les confrontations contre Tourcoing ou Roubaix, n’offre guère la possibilité de rencontres de haut niveau ; dès lors, à l’heure où la lente institutionnalisation du football français n’apporte pas aux compétitions régionales un grand prestige, les matches contre des équipes étrangères constituent de beaux trophées, d’un point de vue symbolique. En outre, la création de sélections régionales participe aussi à rendre le football plus palpitant, ainsi que l’illustre la classique confrontation Paris/Nord à partir de 1904. Henri Jooris, successeur d’André Billy à l’Olympique Lillois, confirme et amplifie cette dynamique en institutionnalisant l’équipe des Lions de Flandres, sélection des meilleurs joueurs nordistes. Avant que ne survienne la guerre, l’OL et les Lions de Flandres symbolisent la domination du football nordiste en France.
Le Celtic, « la plus belle équipe du monde » à Roubaix
L’équipe des Lions de Flandres retrouve les terrains en février 1918. Amputée de quelques joueurs, morts à la guerre (pensons notamment aux Lillois Six et Carpentier), elle reprend son activité de promotion du football nordiste et dépend désormais de la Ligue du Nord et du Pas-de-Calais, créée en 1919 en lieu et place du comité régional, signe de l’unification du football national. En 1921, les Lions de Flandres vont, pour la première fois, rencontrer le Celtic Glasgow, qui fut le premier club écossais à faire des tournées en Europe, dès 1904. Champion national en 1914, 1915, 1916, 1917 et 1919, le Celtic connaît aussi de nombreuses pertes liées à la guerre. Ce 22 mai 1921, vont donc s’affronter à Roubaix, au parc Jean-Dubrulle, deux équipes relativement reléguées par le conflit mondial. Il n’empêche : le match reste un grand événement, ne serait que parce qu’il s’agit de la première visite d’une équipe professionnelle de football dans le Nord (en Écosse, la professionnalisation du football a débuté dès les années 1890). Les Écossais ont ensuite prévu quelques rencontres en région parisienne. Le Grand écho du Nord souligne ainsi que cette opposition entre professionnels écossais et amateurs nordistes est une « rencontre qui fera époque dans les Annales du Sport Nordiste : jamais nous n’avions vu de professionnels et c’est l’équipe la plus réputée qui sera dans le Nord dimanche prochain » (22 mai 1921). À l’appui de cette promesse, le quotidien régional interroge le journaliste Achille Duchenne, présenté comme un « spécialiste parisien bien connu » : « je sais que c’est la plus belle équipe du monde. De mémoire, je me rappelle de certains joueurs exceptionnellement réputés tels : Gilchrist, Cassidy, M’Lean, M’Farlane, Gallagher, qui sont des merveilles. Le mot Celtic, outre-Manche, dit tout ce qu’il y a de plus parfait en football ». Pour information, les places sont réservables chez M. Jonville, 34-36 rue de Paris, qui ne s’appelait pas encore « rue Pierre Mauroy ».
Devant 10 000 spectateurs et un « temps superbe », les dirigeants du Celtic ont d’abord pris l’initiative de déposer « une gerbe de fleurs naturelles » au pied du monument aux morts du Racing Club de Roubaix. Voici les compositions des deux équipes :
La presse nordiste semble assez confiante avant le match. En cause, le « tournoi de l’Olympique de Paris », qui a eu lieu quelques jours avant, auquel ont participé des clubs anglais : il est souligné que si les clubs parisiens ont perdu la plupart de leurs matches, ils s’en seraient mieux tirés avec davantage de « désir de vaincre ». Autrement dit, l’écart entre footballs français et anglo-saxon serait faible, et ce serait surtout une question d’envie. Hélas : « nous devons déchanter. Le Celtic a fait montre d’une virtuosisité telle que, tout en paraissant se livrer à une simple exhibition, il n’en a pas moins percé par 5 fois la belle défense des nôtres et ce, avec une aisance qui nous stupéfia (…) Si le Celtic l’avait voulu, il eût pu doubler le score obtenu » (24 mai 1921). Le Celtic tarde à s’organiser, ce qui semble confirmer d’abord les espoirs nordistes : « le début nous donne quelque espoir » ; « le nord peut faire illusion ». Mais la machine écossaise se met en marche : le Celtic marque à la 24e par Gallagher, d’une frappe à 20 mètres ; dans la foulée, l’ailier gauche Pratt marque un but « à la Dubly », le joueur roubaisien d’en face, qui a marqué le but vainqueur des Français contre l’Angleterre 15 jours avant. Cela ne nous renseigne pas sur ce qu’est un but « à la Dubly », mais bon, ça fait une info. Juste avant la pause, les Nordistes pointent le nez mais le gardien, Shaw, « pare de justesse : la balle lui échappe des mains et passe le long de la ligne de but, mais sans la franchir (…) C’est la seule fois où nous avons frisé le but ». À la pause, les Nordistes sont menés 0-2.
Le suspense, s’il y en avait un, disparaît dès la 49e minute : Gallagher, à 18 mètres, fait 0-3. Le Celtic déroule et McInally marque les deux derniers buts de Glasgow ; sur le 5e, « il feinte, passe Parsys et pénètre tout doucement dans les filets en compagnie de la sphère de cuir ».
C’est implacable : « les Lions sont domptés ». L’Echo du Nord souligne notamment les performances de Gallagher et de McStay, mais salue aussi la « tenue somme toute très satisfaisante des Nordistes eu égard à la virtuosité des professionnels qui leur faisaient face ». Finalement, « à chacun son métier » conclut le quotidien, impressionné par l’avance d’un football écossais qu’il attribue à son professionnalisme.
« L’Entente Nordiste » en attendant la « Ligue du Nord »
Dans l’entre-deux-guerres, de nombreuses évolutions marquent le déclin de l’équipe des Lions des Flandres, qui disparaît progressivement dans les années 1920. Les confrontations nationales se développent dans un championnat enfin unifié ; elles s’équilibrent, gagnent en intérêt et se professionnalisent à partir de 1932 ; les affrontements interrégionaux, désormais effectifs dans un « vrai » championnat national, n’ont plus le prestige d’antan. Mais la Ligue du Nord fait perdurer l’existence d’une sélection nordiste, qui prend ses contours définitifs au milieu des années 1930 sous le nom de… « Ligue du Nord », qui rassemble les meilleurs footballeurs nordistes (comprendre : meilleurs nordistes – Français – qui jouent dans des clubs nordistes). Entre la fin des « Lions de Flandres » et l’avènement de la « Ligue du Nord » apparaît une sélection baptisée « entente nordiste » ou « entente professionnelle », sélection de footballeurs jouant dans le Nord, mais pas basée sur la nationalité.
En 1934, alors que l’équipe de la Ligue du Nord commence à multiplier les matches, apparaît donc une « entente nordiste » qui, le 27 mai, s’apprête à affronter le Celtic Glasgow, de retour dans le Nord de la France après son passage en 1921.
L’OL absent
Pour ce premier match, « l’Entente nordiste » est composée de joueurs du RC Roubaix, de l’Excelsior Roubaix, et du SC Fives. Mais pas de l’OL qui, ayant placé un match amical à Valenciennes dans le même temps, n’a pas souhaité envoyer de représentants. Cela illustre le prestige moindre de cette équipe par rapport aux « Lions de Flandres », pour qui il eût été inconcevable de refuser une sélection.
Voici la sélection :
Encontre (Racing Club de Roubaix), Cernicky (Sporting Club de Fives), Boatman (RCR), Cottenier (RCR), Eastman (SCF),Kalmar (Excelsior Athlétic Club), Liberati (SCF), Cheuva (SCF), Vancaneghem (EAC), Hiltl (EAC), Buge (EAC), Gianelloni (EAC), Payne (EAC), Tison (RCR), Sartorius (RCR).
Dès lors, ce sont les représentants des clubs nordistes en question qui accueillent la délégation écossaise en gare de Calais le 25 mai : on trouve par exemple M. Chas Boulton, président de l’Entente nordiste du Groupement spécial ; M. Henno, président du SCF, MM. Lemaire et Geillon, vice-présidents du SCF ; M. Dubar, vice président des Amis du Sporting ; ou M. Isbecque du RCR. Ils accueillent notamment M. Flemming, président de la Fédération écossaise de football ; M. Graham, secrétaire de la fédération ; le colonel Shadnessay, ex-président du Celtic ; M. White, président du Celtic ; et donc l’équipe du Celtic : la presse nordiste souligne que le Celtic compte 6 internationaux, parmi lesquels John Divers, le « joueur le plus en vue actuellement, considéré comme la grande révélation de la saison ». Tout ce petit monde arrive à 18h39 en gare de Saint-André lez-Lille, avant que des voitures particulières et des autocars ne les emmènent au grand café Bellevue où « M. Flemming remercia de l’accueil chaleureux qui était réservé et souligna que ses joueurs étaient heureux de venir à Lille faire une exhibition de propagande ».
La revanche des « Nordistes »
Le match a lieu sur le terrain du SCF, au stade Virnot. En lever de rideau a lieu une rencontre « de sous-minimes » entre d’un côté des jeunes (14 ans) de l’Iris et de Fives, et de l’autre de l’Excelsior et du Racing. Notons que parmi les jeunes du SCF, on trouve un certain Walter De Cecco. Entre les deux matches, « la grande société « les Ecossais de l’Escaut » de Tournai, se produira et fera entendre les meilleurs morceaux de son répertoire ».
Voici les équipes alignées :
ça démarre très fort puisque dès la 10e minute,Van Caeneghem, blessé, est contraint de sortir, ce qui entraîne une incompréhension : le Nord est à 10 et, pendant près de 20 minutes, le public proteste constatant qu’aucun changement n’est effectué. Oui mais voilà : « la fédération écossaise n’autorise pas le remplacement d’un homme blessé. C’est ce que tente d’annoncer un crieur public dont la voix est couverte par les clameurs d’une foule qui n’est pas précisément fascinée par le spectacle qui lui est offert ». Malgré leur infériorité numérique, les Nordistes ouvrent la marque par Hiltl qui, « d’un shoot splendide » à 15 mètres après une combinaison Liberati/Cheuva, bat Shevelin. Suite à ce but, Tison entre du côté nordiste, le manager du Celtic ayant donné son accord pour un remplacement. La mi-temps est sifflée sur ce score de 1-0. Durant l’entracte, nos amis tournaisiens, en kilt, sont rejoints par la « grande fanfare de Fives » dans une chaude ambiance : « les minutes de repos nous semblèrent ridiculement courtes » souligne Le Grand Echo.
Dès la reprise, un corner de Cheuva est repris par Kalmar (2-0, 51e) : « la supériorité du football anglais est menacée. En y réfléchissant bien, cependant, le football britannique n’est pas si mal représenté dans la sélection des pros du Nord… ». Alors que l’on croit la sélection du Nord se diriger vers un facile succès, le Celtic revient (McDonald, 71e), puis égalise (Donel, 73e). Les Écossais poussent mais Encontre sauve son camp « avec un sang-froid que les plus téméraires hésiteraient à qualifier de chance ». Finalement, Liberati (79e, 89e) assure le succès à « l’Entente professionnelle ».
Une belle fête
Ce match permet à l’Echo du Nord de s’attarder sur quelques considérations tactiques du football écossais : « le Celtic emploie à la perfection la méthode en « W » qui a de chauds partisans et aussi d’innombrables adversaires. Il semble que les Ecossais poussent très loin, trop loin même, le retrait des Inters, ce qui a pour conséquence d’isoler le centre-avant, dont le pouvoir d’attaque se trouve fortement diminué (les inters, à notre avis, ne comprennent bien leur rôle que s’ils soutiennent constamment le centre-avant, d’assez près, au point de pouvoir permuter rapidement, avec lui, quand les circonstances s’y prêtent (…) Au Celtic, le retrait accentué des Inters confine les demis à un rôle assez passif ». Du côté du Nord, on souligne notamment la belle prestation du gardien Encontre, qui a débuté le match par « 5 ou 6 arrêts du meilleur aloi. Par la suite, il se comporta toujours très bien et ce sont ses deux arrières – Pagne surtout – qui doivent être tenus pour responsables des deux buts qui furent marqués contre lui ».
Après le match, comme il se doit, tout le monde est allé boire un coup, et apparemment ça n’a pas été triste. Le Grand Echo indique que, au café Bellevue, « les francs et joyeux gaillards des Highlands ont fêté le sport-roi (…) le premier toast, lancé par M. Flemming, président de la fédération écosssaise, fut porté à la santé du président Lebrun ; tout aussitôt l’on but au roi d’Angleterrre. Et alternativement, dès le dessert, on célébra dans les deux camps l’amitié franco-anglaise, tant en français qu’en anglais (…) M. Levy, adjoint au maire, représentant la ville, fit, entre le rumsteack et le poulet, un éloge sensible des visiteurs qui leur fut traduit et provoqua de joyeuses réactions chez les Johnie, Jimmie and all others de l’assistance (…) M. J-K Dible, consul d’Angleterre, conta avec humour de délicieuses histoires écossaises (…) puis ce furent les chansons, les vieilles mélodies écossaises, et les refrains modernes furent repris en choeur par de vigoureux jeunes gens qui pratiquent le fair-play aussi bien à table que sur les terrains de jeu ».
Le football du Nord aux Nordistes
La victoire du Nord permet au quotidien régional de souligner les progrès du football nordiste, même si un doute subsiste sur ce que désigne « football nordiste » : faut-il considérer comme tel le football pratiqué dans le Nord, ou le football pratiqué par les Nordistes ? Et pourquoi ceux-ci ne seraient-ils pas les mêmes que ceux-là ? En intégrant des étrangers évoluant à Roubaix et à Fives, c’est comme si cette « Entente » ne permettait pas d’évaluer pleinement la valeur d’un football qu’on souhaiterait pratiqué par des Nordistes : « l’écart entre les meilleurs professionnels du Continent et les nôtres a sensiblement diminué. Il est même comblé lorsque nous incorporons dans une sélection dite régionale cinquante pour cent d’étrangers de très grande classe ». Le quotidien est encore plus clair quand il conclut : « terminons par des regrets : il n’y avait que 5 joueurs français dans l’équipe de l’Entente ». C’est précisément l’équipe de la Ligue du Nord qui, renouant avec la tradition des « Lions de Flandres » (exception faite du Belge Alphonse Six avant-guerre), s’emploiera à limiter les sélections d’étrangers, tout en s’ouvrant à d’autres clubs que ceux de la métropole lilloise (arrivent ainsi des Lensois, Valenciennois, et Raismois). Et, dès 1935, cette sélection affronte à Lille une autre équipe de Glasgow. Nous y reviendrons très prochainement.
Posté le 3 octobre 2020 - par dbclosc
Au Stadium, Bosman à l’arrêt
En mai 1998, est annoncé au Stadium-Nord de Villeneuve d’Ascq un match de gala au profit du footballeur belge Jean-Marc Bosman, opposant deux équipes de « stars internationales », l’une « entraînée » par Thierry Froger, entraîneur du LOSC, l’autre par Michel Docquiert, entraîneur de l’ESW. L’événement se transforme en un fiasco épouvantable qui souligne le manque de popularité et l’isolement de celui par qui le football a été transformé.
« Soirée de gala », « rencontre de prestige » : la Voix du Nord s’emballe pour ce qui s’annonce en effet grandiose. Voici venir le « Bosman Benefit Match », qui devrait amener au Stadium Nord « quelques stars du ballon rond fraîchement retraitées ou en fin de carrière » comme « Cantona, Higuita, Scifo, Donadoni et bien d’autres stars du football ». Le match est organisé par un tout neuf syndicat de footballeurs, l’Association internationale des footballeurs professionnels (AIFP), créé à l’initiative notamment de Diego Maradona, et de Didier Roustan si l’on en croit Didier Roustan. Le journaliste souligne ainsi que « Maradona avait cette idée en tête depuis 1986 et le Mondial mexicain. Avec l’altitude et la chaleur, les conditions n’étaient pas idéales, mais les matches se sont quand même joués aux heures où le soleil tapait le plus, pour que les retransmissions aient lieu en prime time. Maradona a alors jugé qu’il fallait faire évoluer les choses, que les joueurs devaient avoir leur mot à dire et ne pas être manipulés comme des objets ». Une rencontre décisive entre les deux hommes aurait eu lieu en janvier 1995 puis, en septembre de la même année, naissait l’AIFP. Ses membres fondateurs sont : Diego Maradona, Thomas Brolin, Raï, Laurent Blanc, Ciro Ferrara, Gianluca Vialli, Gianfranco Zola, George Weah, Neno, Michael Rummenigge, Eric Cantona, Mohammed Chaouch, Abedi Pelé et Michel Preud’homme. S’y joignent rapidement Ruud Gullit ou encore Hristo Stoïchkov.
Le syndicat prend rapidement les airs d’une internationale quasi-révolutionnaire : lors de son lancement officiel le 18 septembre 1995, Diego Maradona annonce vouloir « changer les choses, participer à tout ce qui se prépare dans le monde du football sans que les joueurs ne soient jamais consultés (…) Ce syndicat mondial est un rêve que je voulais partager avec d’autres joueurs, pour que nous soyons solidaires de tous les footballeurs qui ont besoin de nous ». Le programme tient en quelques principes-clés : « défense des principes fondamentaux du sport, du football et sauvegarde des droits moraux et sociaux des footballeurs ; réalisation du principe que le footballeur est l’élément central du monde du football ; aide aux footballeurs des pays du tiers monde ». Concrètement, aucun dossier ne semble à l’étude et on se demande quelle consistance se trouve derrière ces déclarations d’intention mais, à ce stade, on peut saluer une forme de prise de conscience collective et un début de réflexion sur un répertoire d’action qui consisterait par exemple à « retarder le début d’un match pour faire pression ». Il semble que l’AIFP soit mue par la volonté d’apporter un contrepoids à la FIFA, sans toutefois prétendre la renverser. En somme, l’association prend une posture de poil à gratter « anti-système ». Le jeu de questions/réponses avec les journalistes révèle une ligne directrice encore floue : Maradona regrette que des joueurs « doivent mendier après avoir consacré leur vie au foot » ; George Weah déplore qu’« on a parfois moins de vingt-quatre heures entre un match en Europe et un autre en Afrique » ; Abedi Pelé aimerait que les footballeurs soient représentés pour, par exemple faire en sorte que « Cantona ne prenne pas autant » après sa suspension de 8 mois pour avoir agressé un spectateur ; enfin, Michel Preud’homme, interpellé sur la situation de Jean-Marc Bosman, déclare à propos de son compatriote : « on ne traite pas encore de cas particulier, mais il a tout notre soutien ».
Jean-Marc Bosman, nous y voilà. L’histoire est connue : jeune footballeur brillant (il fut même capitaine des Espoirs en Belgique), Bosman poursuit une carrière plus modeste de footballeur professionnel en Belgique. En 1990, alors que son contrat au FC Liège arrive à son terme et qu’il souhaite rejoindre Dunkerque, son club réclame une indemnité de transfert. Il saisit alors la justice, arguant d’une part que le FC Liège n’est pas légitime à demander cette indemnité, et d’autre part que le quota empêchant les clubs européens d’avoir plus de 3 joueurs étrangers ressortissants de l’UE est une entrave à la libre circulation des travailleurs. Un long combat judiciaire commence et, pendant ce temps, Bosman ne peut exercer son métier : les règlements permettent au FC Liège de l’empêcher de partir, quand bien même le contrat est expiré. Le 15 décembre 1995, la Cour de Justice des Communautés Européennes lui donne raison en instituant la libre circulation des joueurs professionnels dans l’espace européen. Très concrètement, les clubs les plus riches peuvent désormais s’appuyer sur cette manne pour s’attacher les services des meilleurs joueurs du monde, et sans être limités par leur nationalité. Une décision qui change la face du football mais dont Bosman, à 31 ans et après ces 5 années, ne profitera jamais.
C’est là que l’AIFP et le combat de Bosman se rencontrent. Une lecture rapide de l’arrêt et de ses enseignements semble aller dans le sens de l’intérêt des footballeurs, désormais libérés de contraintes réglementaires, et libres de jouer où ils le souhaitent, notamment à l’étranger. Au vu de la feuille de route qu’elle a énoncée, l’AIFP semble se saisir du combat et apporte son soutien à Bosman. Cela sort l’association de son sommeil car on ne compte en tout et pour tout pour le moment que l’organisation de deux matches amicaux dont les buts restent flous, hormis embêter la FIFA : un premier à Barcelone le 27 avril 1997, « en dépit des pressions exercées par les instances du football » souligne Roustan ; puis un second « contre le racisme » le 12 octobre 1997 à Madrid, devant 80 000 spectateurs, un match retransmis dans 40 pays. Voici donc le 3e match amical organisé par l’AIFP : ce « Bosman Benefit Match » est une sorte de remerciement des organisateurs qui ont vu leurs salaires exploser suite à « l’arrêt Bosman », tandis que Jean-Marc Bosman connaît ses premières galères financières.
Un beau plateau est annoncé et « les stars seront bien là ! » promet la Voix du Nord. On annonce d’un côté l’équipe des « anciens » composée de : Higuita (COL), Preud’homme (BEL), Montova (ARG), Bruce (GB), Barco (PER), Basulado (ARG), Glassmann (FRA), Cyprien (FRA), Grün (BEL), Kombouaré (FRA), Aldana (ESP), Donadoni (ITA), Hagi (ROU), Del Solar (PER), Scifo (BEL), Pelé (GHA), Brolin (SUE), Cantona (FRA), Butragueno (ESP), Cascarino (IRL), Bosman (BEL), Usuriaga (COL) et Jakobsen (NOR).
De l’autre, l’équipe des « jeunes » composée de : Gillet (BEL), Frey (FRA), Remacle (BEL), Ferdinand (GB), Tudor (CRO), Muller (SUI), Beto (POR), Gerad (ESP), Stoica (ROU), Ducrocq (FRA), Coubadja-Toué (TOG), Belozoglu (TUR), Nanato (BRE), Olivera (URU), Preciado (COL), Pantelic (YOU), Ch. Kanu (NIG)
Pour ajouter une dimension régionale à l’événement, les coachs du jour, qui auront bien sûr un rôle tout symbolique, seront, pour les « jeunes », Michel Doquiert, qui vient de parvenir à maintenir l’Entente Sportive de Wasquehal en deuxième division et, pour les « anciens », Thierry Froger, qui a réussi la même performance avec le LOSC.
Problème : une bonne partie des stars annoncées et le public ne viennent pas.
« On attendait une énorme fête, on a eu droit à un flop retentissant » regrette la Voix du Nord. Alors certes, les joueurs présents au Stadium-Nord n’étaient pas des joueurs de district, mais « entre l’affiche annoncée et les joueurs réellement présents, il y avait un monde ». La principale attraction de ce match, Eric Cantona, était finalement retenue au Mexique pour le tournage d’une publicité ; manquaient également à l’appel Higuita, Careca, Butragueno ou Abedi Pelé : « une liste de forfaits plus que nuisible à la crédibilité de ce gala », « les esprits chagrins affirmeront qu’ils ont été trompés sur la marchandise, les plus optimistes se seront consolés en se disant qu’il y avait quand même quelques beaux noms sur la pelouse ». Parmi eux, le Roumain Hagi, les Belges Scifo, Grün et Preud’homme, ou l’Argentin Basulado, finaliste de la coupe du monde 1990. Résultat, « on ne nous enlèvera pas de l’idée que la fête a été gâchée » et les spectateurs « qui avaient sans doute flairé l’embrouille » n’était que 3 000. Sur le terrain, les « anciens », grâce au « talent exceptionnel de Georghe Hagi » (et probablement au coaching de Froger) ont battu les jeunes par 3 à 1 (Hagi, Hagi, Usuriaga contre Pantelic).
Dans un entretien donné au Figaro en 2006, Jean-Marc Bosman est revenu avec amertume sur ce match organisé par l’AIFP : « Maradona et quelques autres grandes stars qui devaient jouer un match organisé en ma faveur à Lille n’ont jamais pu trouver l’adresse du stade et, croyez-moi, on a peiné ce jour-là pour trouver 22 joueurs et disputer ce fameux match ». Comment expliquer que si peu de joueurs aient participé à ce match au profit d’un homme auquel ils doivent tant ?
Au début de son combat judiciaire, Jean-Marc Bosman est d’abord privé de football, sans même pouvoir toucher des indemnités de chômage. Il trouve finalement un club à la Réunion en 1992, avant de terminer sa carrière à Visé (D4 belge) en 1996. Ces années restent les « meilleures » dans la mesure où son combat puis sa victoire judiciaires, ainsi qu’un documentaire pour Canal+, qui co-organise d’ailleurs le match au Stadium, lui rapportent, outre quelques soutiens et une attention médiatique, près d’un million d’euro. Il roule en Porsche et achète plusieurs maisons. Il est sollicité et l’avenir lui semble radieux : il s’imagine ambassadeur du football moderne et se dit qu’il est désormais protégé à vie. Mais il se rend vite compte de son isolement et du manque de reconnaissance de ses « collègues », qui ne l’associent pas forcément à l’inflation des transferts et des salaires à laquelle il a contribué. Si l’AIFP l’a nommé président d’honneur, le manque d’activité du syndicat, la concurrence qu’il introduit avec le principal syndicat existant, la FIFpro, ne lui apportent rien et tendent même à le décrédibiliser : « j’ai été nommé président d’honneur d’un syndicat international de joueurs (AIFP) qui n’existe plus, j’ai serré mille mains, posé pour des photos officielles, je pensais que ma vie de galère était derrière moi. Je me disais : finis les soucis, la vie dans le garage de mes parents, les privations, les humiliations » (Le Figaro, 2006). Mais au-delà de la période immédiate de « l’après-arrêt », les portes se ferment, et l’organisation de ce « Bosman Benefit Day », évoqué depuis 1996, traîne en longeur. Tout à la négociation de leurs nouveaux contrats en or, les joueurs oublient leur promesse de solidarité, et cet isolement éclate ce jour de mai 1998 : « les grands noms se sont décommandés. J’ai découvert leur égoïsme ». Il déclare même que beaucoup d’entre eux refusent de se laisser photographier en sa compagnie, « comme si je sentais mauvais » : « une fois les réflecteurs éteints, les invités sont partis, et je me suis retrouvé seul. Encore une fois. On m’a beaucoup promis, et j’ai eu le tort d’y croire. Tout le monde parlait de moi comme d’un héros. Gianluca Vialli par exemple, qui, grâce à l’arrêt, avait pu quitter librement la Juventus pour Chelsea en multipliant son salaire par quatre ou cinq, certainement pas parce qu’il était devenu quatre fois meilleur, avait déclaré : « Je dois tout cela à Bosman… Si je suis riche, maintenant, c’est grâce à lui ». Je n’ai depuis aucune nouvelle de lui ».
Le seul soutien dont il bénéficie est celui des membres de l’équipe nationale des Pays-Bas qui, avant un match d’éliminatoires pour la coupe du monde 1998 contre la Belgique en septembre 1997, lui donnent chacun 2 500€ en signe de reconnaissance : les jumeaux Frank et Ronald De Boer (Ajax), Edwin van der Sar (Ajax), Giovanni van Bronckhorst (Feyenoord) et Arthur Numan (PSV Eindhoven), représentants du « Team Holland », qui gère l’image de marque des internationaux indépendamment de la fédé, se rendent chez Bosman : « sans faire de discours compliqué, ils m’ont offert leurs primes en me disant simplement : « Voilà… Sans toi, nous ne gagnerions pas autant aujourd’hui » ». Pour Frank De Boer, « notre geste n’a rien à voir avec le match contre la Belgique. Nous sommes venus ici pour rencontrer Jean-Marc et rien d’autre. Nous voulions rappeler à quiconque qu’un certain Jean-Marc Bosman a permis à de nombreux footballeurs d’être aujourd’hui libres et mieux rémunérés ». Arthur Numan approuve : « nous avons tous profité de l’action entreprise par Jean-Marc, sauf lui en définitive. Il est normal, avons-nous estimé, de lui témoigner notre reconnaissance ». L’occasion pour les Oranje de mettre la pression sur les Belges avant le match en leur demandant d’avoir la même générosité… ce à quoi la fédération belge s’est opposée au motif que cela « déstabiliserait » les Diables : la fédé évoque même une « machination ». Le sélectionneur national, Georges Leekens, réagit : « ce n’est pas, en ce qui nous concerne, à l’ordre du jour. Je ne veux pas discuter d’une démarche qui ne regarde que les Néerlandais. Si mes joueurs veulent en faire autant, qu’ils le fassent, mais en temps opportun. Cela ne doit pas les déconcentrer avant le match ». Les Diables peuvent donc aider Bosman… à titre individuel. Cette démarche a également permis aux Néerlandais de remettre sur la table l’idée d’un « Bosman Benefit Match ».
Aujourd’hui, après avoir connu de nombreuses galères personnelles, Jean Marc Bosman jette un œil amer sur ce qu’il reste de « l’arrêt Bosman », qui a entraîné un flux d’argent qui a d’abord profité aux championnats les mieux dotés en droits TV, qui ont pu attirer les meilleurs joueurs au détriment des autres pays, affaiblissant par là même les championnats plus modestes. Si les joueurs sont plus « libres », ils restent en partie des marchandises négociées aux plus offrants, tandis que les refus de prolongation de contrat s’accompagnent aujourd’hui de sanctions pour les joueurs telles que l’exclusion du groupe professionnel ou la rétrogradation en équipe B. Dans Ouest-France en 2015, Bosman déplorait que l’arrêt : « [ait] été un peu été détourné de son objet de départ, car il était tourné vers les joueurs et clubs les moins riches. Il était propre. Mais les vingt-cinq plus grands clubs européens se sont regroupés pour gagner encore plus d’argent, au lieu de redistribuer. Donc, on pourrait dire que l’arrêt Bosman a été à moitié tué, à part sur le chapitre de la libre circulation. Il a été détricoté, au point que les gens n’y comprennent plus rien ». Sur un plan plus personnel, les nombreuses interviewes qu’il a données ces dernières années révèlent le sentiment de solitude et de dénuement et parfois d’aigreur qu’il éprouve (« Aujourd’hui, certains joueurs brassent des dizaines de milliers d’euros par semaine et moi, je n’ai rien eu d’autres en retour que quelques mercis. Tout le monde est passé à la caisse, sauf moi. Quelque part, les stars du foot mondial flambent un peu toutes mon pognon » dans Le Soir en 2015 ; « En nonante-cinq, si j’avais réclamé un euro ou un mini-pourcentage pour chaque mouvement de joueur sans demander des dommages et intérêts, maintenant je pourrais racheter la ville de Liège, le Standard, Bruges et Anderlecht, avec le nombre de transferts qu’il y a eus depuis » dans Le Monde en 2015)
Une belle photo de La Voix du Nord dont la légende a dû booster le moral de Jean-Marc Bosman
Cerise sur l’Hitoto : dans Ouest-France en 2015, Jean-Marc Bosman, au détour d’un entretien, disait un mot sur ce match au Stadium qui, en plus de son échec au niveau de l’organisation et ce dont il était le symptôme, lui a coûté de l’argent quelques années plus tard : « mes avocats, Me Misson et Me Dupont, que je ne devrais même pas appeler maître eu égard à la façon dont il s’est comporté, se sont disputés pour l’argent. Moi, je terminais le procès. On attendait les dédommagements de FIFpro qui m’a aidé avec Theo Van Seggelen (Néerlandais) et Philippe Piat. Ils m’avaient versé 300 000 €. Mais Misson, lui, retirait 30 % de la somme d’un côté. Et Dupont, alors stagiaire devenu avocat, m’a entraîné dans un match avec Canal + (organisé par Didier Roustan, à Lille) plutôt qu’avec la FIFpro, qui a tourné au fiasco mais sur la recette duquel j’ai dû payer des impôts dix ans plus tard. Au final, eux se sont disputés pour l’argent, et moi, je me suis retrouvé sans rien, après avoir donné beaucoup de libertés et beaucoup d’amour à beaucoup de personnes ».
Aux dernières nouvelles, Jean-Marc Bosman réside du côté de Liège et vit de diverses aides ou de quelques dons. Tous les 15 décembre, la presse rappelle l’anniversaire de « son » arrêt, qui aura 25 ans fin 2020. L’an dernier, l’INA proposait ce portrait :
Posté le 3 septembre 2020 - par dbclosc
1989, la coupe du monde passe par Grimonprez-Jooris
Le 1er juin 1989, dans le cadre des éliminatoires de la coupe du monde 1990, le Luxembourg « reçoit » la Belgique au stade Grimonprez-Jooris. Une aubaine pour les Belges, qui n’avaient pas forcément besoin de l’avantage de jouer presque à domicile pour écarter leurs modestes adversaires et filer vers l’Italie.
À peine le championnat 1988/1989 s’achève sur un carton du LOSC contre Laval (8-0) pour la dernière de Georges Heylens que les éliminatoires pour la coupe du monde 1990 en Italie reprennent. Dès le lendemain de ce mémorable 8-0, le stade Grimonprez-Jooris accueille un de ces matches qualificatifs. Mais étonnamment, ce n’est pas l’équipe nationale française qui joue à Lille : en effet, les Bleus ne reprendront leurs qualifications qu’en septembre, après avoir été tenus en échec par la Yougoslavie fin avril au Parc des Princes. Si Grimonprez-Jooris est sollicité, c’est pour accueillir Luxembourg/Belgique, pour la 5e journée du groupe 7 des qualifications de la zone européenne. En voilà la raison : le seul stade du Luxembourg homologué par la FIFA est en travaux… La fédération luxembourgeoise devait donc trouver une solution de repli à proximité et avait le choix entre Aix-la-Chapelle, Metz et Lille. C’est Lille qui a été choisie, tandis que le Luxembourg « recevra » à Metz en octobre.
« Rijsel-sur-Deûle »
Le sélectionneur luxembourgeois, Philipp, présente ce match comme « un match à la maison transplanté à l’étranger ». À quelques kilomètres de la frontière belge, il ressemble plutôt, pour le Luxembourg, à un match à l’extérieur ! Mais, ont dû penser les dirigeants luxembourgeois, quitte à prendre une branlée, autant que ce soit dans une ambiance festive. En effet, même si la Voix du Nord titre que « les Flandres [sont] province luxembourgeoise d’un soir », c’est plutôt la Belgique qui joue à domicile, avec une forte présence des belges aux abords du stade avant le match : dans un article intitulé Rijsel-sur-Deûle, ont lit que l’« ambiance [est] particulière autour de Grimonprez-Jooris aux alentours de 20h. Du noir, du jaune, du rouge… La Belgique est à Lille ! Les baraques à frites font de l’or (…) Lille est Rijsel pour un soir. Ce qui du reste fait bondir les Suisses, adversaires de la Belgique dans ce groupe 7 ». Les Suisses ont en effet émis une protestation officielle auprès de la FIFA, estimant que ce match joué à Lille, fût-il joué contre le Luxembourg, était un avantage considérable pour les Belges, à qui on offre un cinquième match à domicile dans ces éliminatoires. Leur appel n’a pas été entendu.
Le LOSC a invité ses abonnés soit, à l’époque, 1 500 personnes, qui d’ailleurs ne sont certainement pas toutes venues. Pour être précis, ne souhaitant pas en faire une affaire financière, le LOSC a acheté ces places à la fédération luxembourgeoise, le stade a été « cédé » à titre gracieux, et la recette du match revient à la fédé luxembourgeoise. L’affluence est estimée à 10 000 personnes avec, on peut le supposer, une majorité de Belges.
Une première pour Grimonprez-Jooris… mais pas pour Lille
Si la pelouse a déjà accueilli des clubs étrangers, lors de matches amicaux du LOSC (comme lors de l’inauguration du stade contre le Feyenoord), c’est la première fois que le stade Grimonprez-Jooris accueille une rencontre entre deux équipes nationales. En revanche, la ville de Lille a déjà accueilli une telle rencontre : c’était le 12 juin 1938, au stade Victor-Boucquey (qui ne s’appelait pas encore Henri-Jooris), pour le match de coupe du monde Suisse/Hongrie.
Avant ce match, la Belgique est invaincue dans ce groupe. Chacun s’accorde à dire qu’elle aura un pied en Italie si elle le gagne, mais les Luxembourgeois ont l’intention de se défendre et leur entraîneur met en garde : « en deuxième mi-temps de notre match au Portugal [perdu 0-1], les Portugais n’en menaient pas large ! ». Paul Philipp ne pourra malheureusement pas encourager ses troupes au plus près, car il est suspendu après avoir été expulsé en Tchécoslovaquie pour une obscure raison, ou alors la Voix du Nord n’a pas toutes les pièces du puzzle : « je suis allé donné des consignes à mes joueurs après une demi-heure de jeu. Je ne comprends pas ce qui a motivé la sanction ». Sur le terrain, les Luxembourgeois ont pris 0-4 à Prague, et abordent ce match contre les Belges « sans complexe, ni angoisse. Rien à perdre, évidemment ». Selon la VDN, s’ils sont « habitués aux défaites cuisantes », leur principal atout est avant-centre : Roby Langers, joueur d’Orléans (alors en D2), « celui-là même qui avait fait peur à Monaco et pulvérisé le PSG en coupe de France1 et devrait jouer l’an prochain en D1 ».
Côté belge, le week-end précédent à Bruxelles, les Diables Rouges se sont imposés en amical face à la Yougoslavie, puis ont effectué un stage à Courtrai avant de rejoindre Lille. Alors que le « bordelais » Enzo Scifo est écarté, et Gerets et De Mol sont de retour en défense par rapport au match précédent. En attaque, Guy Thys, qui va fêter sa 100e sur le banc belge en 13 ans, espère soigner la différence de buts en alignant 3 attaquants : Degryse (FC Bruges), Ceulemans (FC Bruges) et Vanderlinden (Antwerp).
Le Luxembourg grandement et froidement dûché
La Belgique ne tarde pas à marquer : après, déjà, quelques petites occasions pour Ceulemans, Vanderlinden ouvre le score de la tête, reprenant une longue touche qui avait rebondi dans la surface (12e). La Belgique domine mais « elle tardait à enfoncer le clou. Soit parce qu’à l’exception de Demol ou de Vervoort, elle n’usait pas suffisamment des tirs à 15-20 mètres, soit parce que Van Rijswijck manifestait une réelle vigilance. Mais il est vrai que le nom de ce dernier signifiant ‘De Lille’, il devait se sentir tout à fait à l’aise sur la pelouse de Grimonprez ! ». Le gardien luxembourgeois se montre ainsi à l’aise alors que sa défense « sans doute sponsorisée par un fabricant d’élastiques » laisse des boulevards. Il est enfin battu sur une frappe de Vervoort, qui heurte la transversale.
Et dans la foulée, le Luxembourg est proche d’égaliser « en profitant d’un magistral loupé de Demol à hauteur de la ligne médiane. Mais si Langers détala comme un lapin, il perdit son face-à-face avec Preud’homme en poussant trop loin son ballon. Où était donc l’avant-centre qui avait donné tant de fil à retordre à Monaco ? »
L’avantage est court à la pause, mais les Diables se détachent en seconde période. Un centre de Vervoort, dévié par Ceulemans, est conclu par Vanderlinden pour un doublé (0-2, 52e). Le futur anderlechtois coupduchapeaute 10 minutes plus tard en transformant un pénalty obtenu par Degryse (0-3, 62e). Le but de la soirée est signé Vervoort, qui envoie un coup-franc en lucarne (0-4, 64e). Vanderlinden y va de son quadruplé pour conclure la soirée (0-5, 89e).
Un résumé du match (RTBF) :
Avec ce carton, la Belgique peut désormais raisonnablement envisager de participer à la coupe du monde 1990, après avoir manqué l’Euro 1988, et tenter de confirmer son excellente quatrième place en 1986.
Après ce match, Guy Thys souhaite « prendre du recul » et se retire. La sélection est confiée à Walter Meeus. Dès la rentrée en septembre, la Belgique bat le Portugal (3-0), et il ne manque alors que 2 points pour terminer le travail. Un premier point est d’abord laborieusement arraché en Suisse (2-2). Puis arrive le match retour contre le Luxembourg, à domicile. La presse est assez critique à l’égard de Meeuws, qui écarte Enzo Scifo au profit de Marc Degryse, estimant que les deux joueurs ne peuvent pas évoluer ensemble. Dans la semaine précédant le match, un festival de buts est annoncé. Mais rien ne va et, malgré l’association Degryse/Scifo, la Belgique cafouille et le Luxembourg domine ! Les Diables ne marquent que par Bruno Versavel à 84ème minute… mais le Luxembourg égalise 2 minutes plus tard ! C’est le premier but luxembourgeois contre la Belgique depuis 1945. Qualifiés sous les huées, les « Diables Rouges de honte » (RTBF) regagnent le vestiaire sur ce score de 1-1.
Au début de l’année 1990, l’équipe nationale perd en Grèce (0-2) et ne peut faire mieux qu’un nul contre la Suède à Liège (0-0). Les résultats et surtout la manière inquiètent et l’Union Belge, craignant de mal figurer au « Mondiale », rappelle Guy Thys. Ce reportage de la RTBF en avril 1990, dans lequel on trouve quelques images de Grimonprez, revient sur le retour de Guy Thys (posté sur la page Les archives du football belge)
En Italie, les Belges passeront le premier tour sans encombre avant de se faire sortir par les Anglais en 8e à cause d’un but marqué à la 119e minute.
Lille, dernière
Si l’on s’en tient strictement à la ville de Lille, ce Luxembourg/Belgique est à ce jour le dernier match international A joué dans la ville, puisque France/Arménie en 1996, des matches de l’Euro 2016, et quelques amicaux joués à Pierre-Mauroy, se sont joués à Villeneuve d’Ascq.
Note :
1 Lors de la coupe de France 1989, Orléans élimine le PSG en 8e en gagnant 4-0 à l’aller au Parc ; 3-3 au retour), puis passe près d’éliminer Monaco (défaite 1-2 à domicile puis 3-3 à Monaco en ayant mené 0-2 puis 2-3).
Posté le 2 avril 2020 - par dbclosc
1899, le premier complot contre le football lillois
En 1899, un enchaînement d’événements farfelus transforme la première participation de l’Iris Club Lillois au championnat de France en gigantesque fiasco, non seulement pour l’ICL, mais aussi pour le football national. Une généalogie du complotisme anti-lillois qu’il fallait raconter.
Imaginez : les joueurs sont venus, se sont équipés et sont désormais prêts : on va faire une belle partie de foot. Sauf… qu’il n’y a pas de ballon : personne n’a songé à en amener un. Fort heureusement, après quelques temps, un ballon arrive, mais le temps est désormais très limité car le terrain doit être libéré pour d’autres sportifs qui jouent après. On joue la première mi-temps et, en dépit d’âpres négociations, il faudra s’arrêter là : l’heure, c’est l’heure, et hors de question de sacrifier ses loisirs sur l’autel de l’étourderie des autres.
Voici décrite une scène que tous les footballeurs du dimanche ou de cour de récréation ont connue un jour. Sauf que nous évoquons ici un épisode du 19 février 1899 : nous sommes au Parc des Princes, et pour la première édition du championnat de France ouvert aux clubs « de province », ni les Lillois ni les Havrais n’ont pensé à prendre un ballon. On ne peut pas jouer. Et quand, après l’arrivée tardive du ballon, la mi-temps est sifflée, des hockeyeurs squattent le terrain et refusent de le rendre. Il faudra rejouer un autre jour… Mais on ne jouera jamais car les Lillois vont être frappés par une épidémie de grippe, délaissant ainsi la possibilité d’obtenir le titre.
Revenons sur ces faits, qui montrent combien le complotisme contre le football lillois a des racines historiques profondes.
Comme on n’a pas trop d’illustrations footballistiques de l’époque, on va mettre autre chose : ici, un plan de la ville de Lille (1898)
La création d’un championnat de France de football
Un détour par l’organisation du championnat de France est tout d’abord nécessaire. La période est relativement peu documentée, mais des lectures de la presse de l’époque nous ont permis de comprendre à grands traits comment cela se passait.
Jusqu’alors, il n’existe pas réellement de championnat de France au niveau national : il existe des championnats régionaux dits « comités régionaux » (et donc il existe des champions régionaux), et un championnat dit « de France » mais qui ne concerne en réalité que des clubs parisiens, et ce depuis 1893, année au cours de laquelle l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA), prend le football sous son aile, comme tous les autres sports. Jusque là, elle y était plutôt réticente car, attachée à l’amateurisme, elle constatait la professionnalisation du football en Angleterre depuis 1888, et sa pratique en France est le fait de beaucoup de Britanniques, comme l’indiquent les noms des équipes (club, racing, athletic…). Mais le développement du football en région parisienne (où elle est implantée) et la menace de certains clubs parisiens de créer une fédération concurrente convainquent l’USFSA, qui ne veut pas perdre son monopole sur les activités sportives, d’intégrer en son sein le football. C’est désormais la porte ouverte à un « championnat de France », qui, comme on l’a écrit précédemment, ne concerne en réalité que Paris. Le premier est organisé en 1895.
L’Iris Club Lillois champion du Nord
Dès lors, le champion de France est en réalité le champion du championnat parisien. Cela ne veut pas dire que ce champion parisien ne soit pas réellement la meilleure équipe nationale : régulièrement, des confrontations amicales montrent effectivement la supériorité, en France, du football parisien, suivi de près par le football nordiste, représenté notamment par le Sporting Club Tourquennois le Racing Club de Roubaix, et l’Iris Club Lillois. En 1898/1899, l’Iris Club Lillois remporte le comité régional du Nord. Comme on peut le constater ci-dessous, c’est un championnat très embryonnaire, réduit à 5 équipes, et le championnat n’est d’ailleurs pas l’activité principale des équipes, toutes amateures, qui jouent bien davantage des confrontations amicales.
Voilà donc l’Iris Club Lillois champion régional. Or, en 1898, l’USFSA a décidé de réformer le championnat et a annoncé que pour que la compétition soit vraiment « nationale », elle ne doit pas se jouer uniquement entre parisiens et doit donc s’ouvrir à la province. Les équipes non-parisiennes sont donc invitées à participer à ce nouveau championnat dont les modalités ne sont pas très précises, mais il semble que ce « championnat » (qui ressemble en fait davantage à un tournoi final), qui doit se dérouler à Paris, consiste en des matches à élimination directe, et une confrontation finale entre le champion parisien et le champion des provinces.
Seuls l’Iris Club Lillois et le Havre Athlétic Club répondent à l’appel de l’USFSA : le premier championnat de France national se fera donc à 3, avec une équipe parisienne qui doit encore valider son billet. Voici donc comment cela va se dérouler : Lille et Le Havre vont s’affronter à Paris ; le vainqueur de cette confrontation affrontera le champion parisien.
Un football en quête de crédibilité et de reconnaissance
Le match entre Nordistes et Normands est fixé au 19 février 1899. Le nouveau championnat de France intéresse particulièrement deux journaux, dont nous tirons les extraits qui vont suivre : La Presse, quotidien généraliste du soir, et Le Vélo, « journal quotidien de vélocipédie ». Dès le 8 février, La Presse annonce comme un événement la venue de « la province à Paris » : « les deux teams en présence sont très renommées ». En effet, le quotidien rappelle que, pas plus tard que la semaine dernière, les Lillois ont battu les parisiens du Racing Club de France en match amical, tandis que toutes les équipes parisiennes qui se sont jusqu’alors mesurées au HAC ont été battues. En attendant le 19, l’ICL va se mesurer à une autre équipe parisienne : United Sports Club, qui a récemment triomphé du Standard Athletic Club, champion de France 1898 (donc en fait champion de Paris si vous avez bien suivi). La multiplication de ces confrontations et la concrétisation prochaine de ce championnat national réjouissent les amateurs de football, qui y voient là le signe indéniable de son envol, alors qu’il est encore dans l’ombre du rugby et du football-rugby. Ainsi, on peut lire dans La Presse du 14 février : « jamais saison de football ne fut, en France, aussi brillante que la présente. Tandis que le Stade Français est occupé outre-Manche à jouer contre les Irlandais et les Anglais, les équipes de provinces et les équipes parisiennes effectuent un véritable quadrille en allant jouer les unes chez les autres et réciproquement. Et il ne s’agit pas ici – comme pour le cyclisme et la lutte – d’un engouement subit et sans chance de durée. Le football a progressé très lentement mais sûrement, et il est loin d’être à l’apogée du succès ! »
Lille, le théâtre rue des Manneliers, photographie d’Alphonse Le Blondel vers 1870
Premier complot : un odieux contre-feu venant de l’Elysée
Et alors qu’à l’approche du match ICL/HAC, La Presse semble bien décidée à couvrir quotidiennement l’actualité footballistique, très marginale dans ses colonnes, survient un épisode majeur : le 16 février 1899, Félix Faure, président de la République, meurt. Et voilà que la couverture de l’événement monopolise le travail journalistique ! D’autant que les circonstances supposées du décès provoquent de nombreuses supputations et moqueries, dont nous ne piperons mot ici. Résultat, on apprend en seulement 3 lignes que Lille et United Sports Club ont fait match nul 1-1 et que « les deux équipes ont fait une très jolie partie ». Si on avait voulu taire la participation du football lillois à l’élite du football, on ne s’y serait pas pris autrement.
Le Jour J, pendant que la presse généraliste s’en donne à coeur joie sur Faure, la presse sportive, qui sait rappeler où est l’essentiel, rappelle les enjeux du match, et pronostique que « Le HAC doit gagner, mais de bien peu ». Le match se déroule au Parc des Princes, qui n’est évidemment pas le stade que l’on connaît aujourd’hui : d’une capacité de 3 200 places, il s’y passe pas mal de choses, et ce sont les hockeyeurs du Racing Club de France qui en ont la jouissance en hiver. Sinon, le sport vedette y est le cyclisme sur piste ; d’ailleurs, le Parc est systématiquement nommé « vélodrome » dans la presse. Sont également donnés dans Le Vélo quelques détails pratiques qui, comme on va le voir, seront d’une importance cruciale : le coup d’envoi sera donné à 13h30, « le terrain devant être libre à 15h pour le match de championnat de hockey entre Racing Club de France et Hockey club de Paris »
Voici les compositions alignées :
Iris Club Lillois
But : C. Favier ;
Arrières : H. Heyes, A. Favier ;
Demis : Basquin, Bramwell, Grimonprez ;
Avants : P. Heyes, Veilletet, Fowler, Barbour, Ch-A Wuillaume (cap)
Havre Athletic Club
But : Meyer ;
Arrières : A. Wilkes, Parmentier ;
Demis : C. Wilkes, Frank Mason (cap), Ferris ;
Avants : Muir, J. Carré, Lewis, Guignard, W. Taylor
Alors, qu’a donné ce match, qui allait révéler la grandeur naissante du football national ? Comme nous l’indiquions plus haut, La Presse étant un journal du soir, c’est lui qui va offrir un premier aperçu de cette mémorable rencontre, sans encore pouvoir entrer dans les détails : « on n’a pu jouer que la première partie. À la seconde partie, le terrain était occupé par un match de hockey. Les joueurs de hockey n’ont pas voulu céder leur tour de sorte que les équipes provinciales ont dû se retirer sans terminer la partie. Dans la première manche, l’équipe du HAC avait marqué un point ». Avant d’évoquer le fond, signalons que, sur la forme, l’écriture révèle soit la relative distance qu’entretient le journaliste au football, soit le fait que le football n’est pas encore bien différencié d’autres sports, dont on reprend le vocabulaire : est-ce parce que le football n’est pas encore autonomisé « sur le terrain », ou n’est-ce qu’un problème de langage ? Quoi qu’il en soit, il faut bien entendu comprendre que « première partie » et « première manche » signifient « première période », et le « point » est un « but ».
Bon, et sur le fond, même si les faits rapportés sont parcellaires, ils ont déjà de quoi interpeller : comment est-ce possible ? La presse du lendemain va achever de livrer les détails d’une histoire qui dépasse l’entendement.
Même si la légende est en partie erronée, il est fort probable qu’on ait là l’équipe du Havre du 19 février 1899. Grand merci au compte twitter Tic et T’Hac, archiviste du Havre, de nous avoir fourni cette image issue d’un ouvrage sur le 80e anniversaire du club Normand (1952)
À fond les ballons
Le 20 février 1899, Le vélo annonce qu’il est « inutile de faire un compte-rendu de cette rencontre manquée » marquée par de « regrettables incidents » aboutissant à un « désastreux résultat ». Comme La Presse l’annonçait dès la veille, on a en effet joué seulement la première période. Voici le déroulé des événements : le match devait avoir lieu à 13h30 et « à l’heure exacte, les deux équipes étaient là mais ni l’une ni l’autre n’avaient pensé à apporter un ballon comptant, on ne sait pourquoi, qu’il serait fourni par l’Union ». Le dévoué M. Moignard, président de la commission de football association, saute alors dans une voiture et file chercher un ballon à Billancourt, où réside le Standard Athletic Club. À son retour, à 14h40, le match Lille/Le Havre commence. Sur le terrain, les Havrais sont plutôt dominateurs et, après s’être vu refuser un but, ils marquent par Guignard. Mais, dans le même temps, sur le bord du terrain, « les joueurs de hockey du RCF et du HCP, qui devaient disputer un match de championnat à 15 heures précises, s’agitent et réclament le terrain. C’est avec peine qu’ils consentent à attendre la mi-temps pour l’envahir ». Sont présents quelques membres de la commission football de l’USFSA qui tentent vainement d’obtenir des clubs de hockey « que leur match soit reculé d’une heure ou remis à une autre date. Ils ne veulent rien entendre. Après avoir perdu 10 minutes en pourparlers inutiles, le match de hockey commence au milieu de l’indifférence générale ». Et le match Lille/Le Havre est donc terminé après 45 minutes !
À qui la faute ?
Bien évidemment, la presse est unanime pour dénoncer ce fiasco. En revanche, il n’y a pas de consensus sur les responsables. On rappelle tout de même que s’il y avait eu un ballon à l’origine, il n’y aurait pas eu d’incident (Le Vélo : « les Havrais et les Lillois étaient furieux, il y avait de quoi ! Mais aussi pourquoi n’avaient-ils pas de ballon ? Tout le mal vient de là » ; La Presse : « certes, s’ils avaient apporté leur ballon l’incident aurait été clos »). Mais tantôt ce sont les hockeyeurs du RCF qui ont fait « acte de mauvaise camaraderie » (Le Petit Parisien), tantôt les hockeyeurs des deux équipes pour Le Vélo : « voilà deux équipes parisiennes qui laissent inutilement deux clubs venir l’un de Lille, l’autre du Havre, et fortes d’un droit que nous ne nions pas, ne veulent faire aucune concession pour faciliter la rencontre ! C’est au point de vue sportif d’une courtoisie discutable ! (…) Voilà un mauvais vouloir peu digne de sportsmen », espérons que l’USFSA leur infligera un blâme » ; pour Le Soleil, « le match a piteusement échoué par suite d’un manque de bonne volonté et de courtoisie qu’on ne saurait reprocher trop à ceux qui en ont fait preuve ».
Tout cela est probablement vrai mais, surtout, on souligne aussi le manque d’organisation de la commission de football, qui a initialement manqué de la plus élémentaire courtoisie en n’accueillant pas les équipes du Havre et de Lille à leur arrivée en gare à Paris ; ensuite, il semble que la commission n’ait pas alerté le RCF que son stade était réquisitionné pour une rencontre de football : « quand on songe que M. Raymond, secrétaire général du RCF, n’a pas été prévenu, et que c’est par hasard qu’averti il a donné des ordres pour que des poteaux d’association fussent plantés, c’est faire preuve d’une incurie par trop grande (…) Comment ! Deux équipes provinciales viennent à Paris et aucune publicité n’est faite, rien n’est préparé et c’est le secrétaire général du Racing qui est obligé, le matin même, de faire aménager le terrain ! »
Bref, à l’arrivée Lillois et Havrais repartent sans avoir réalisé ce pour quoi ils étaient venus : « mais que les Lillois et les Havrais vont donc avoir une excellente opinion de l’hospitalité parisienne après le peu de courtoisie qu’on a montré vis-à-vis d’eux ! ». Seul point positif de cet après-midi, et on trouve cette info dans The New York Herald, preuve de la gravité de l’affaire : « le public a fortement protesté et a demandé le remboursement du prix d’entrée ou la fin du match. Mais le Racing club n’a rien voulu entendre. Cependant, il a été annoncé que la recette serait versée au bureau de bienfaisance, ce à quoi le public a consenti ».
Une parenthèse en pleine affaire Dreyfus
Le surlendemain des événements, soit le 21 février, ce qui est désormais nommé « l’incident du Parc des Princes » occupe une grande place, notamment dans Le Vélo, journal par ailleurs réputé pour sa défense d’Alfred Dreyfus, et qui a trouvé là un combat d’une autre envergure, celui contre la commission de football de l’USFSA : « il y avait plusieurs membres présents, pourquoi ne se sont-ils pas réunis et pourquoi n’ont-ils pas tout simplement décidé que le match de hockey était remis ? Ils avaient le droit de le faire. S’ils ne l’ont pas fait, c’est probablement que personne n’a songé à cette solution ou que personne n’a voulu prendre la responsabilité d’un acte d’autorité ». Dans La Presse, un édito de Gustave de Lafreté sobrement intitulé « Les incidents d’hier – défaut d’organisation – il faut agir » se permet également quelques critiques car, comme il l’écrit si bien, « on rend un mauvais service au gens – et aux sociétés – que l’on aime en ne leur signalant pas leurs défauts et en ne les adjurant pas de s’en corriger ». Sans omettre de souligner l’absurdité de ne pas prendre un ballon quand on veut jouer au foot, il s’en prend donc aux mêmes et pointe l’« incurie parfaite dont la commission de football association doit assumer en partie la responsabilité (…) J’eusse applaudi à la générosité des équipiers parisiens s’ils eussent cédé la place à leurs collègues de province. Mais j’estime que la faute première incombe à l’USFSA en général et à la commission de football association en particulier qui auraient dû prendre leurs dispositions à l’avance et faire commencer le match à temps (…) Non seulement la commission est coupable de ne pas avoir prévu le cas du ballon (il devrait y en avoir toujours sur le terrain ces jours-là), mais on doit surtout lui reprocher de n’avoir pas reçu, comme c’était son devoir, les équipes de province qui s’étaient dérangées pour venir jouer à Paris ». Ce bon vieux Gustave en profite pour dénoncer tout ce qu’il peut, comme le fait que les résultats de foot ne sont jamais annoncés à temps1, qu’il n’y a pas de programme prévu pour spécifier les couleurs des équipes ou pour marquer les joueurs « au moyen d’une numérotation qu’on pourrait restituer sur les programmes ». En somme, « l’USFSA ressemble un peu aux gouvernements parlementaires : personne ne semble y être responsable des actes accomplis (…) Il ne faudrait pas tomber dans le gâchis de l’anarchisme où gît actuellement le sport vélocipédique. Le principal ennemi de l’USFSA est le je-m-en-fichisme », une version ancienne du je-m’en-foutisme.
Au-delà des faits qui nous semblent improbables aujourd’hui, cet événement a le mérite de nous exposer un état du football, avec des équipes qui se déplacent manifestement sans avoir l’intention de s’entraîner ou de s’échauffer avec le principal outil de leur sport.
L’hypothèse du complot
Et qu’en pensent les Nordistes, et les joueurs eux-mêmes ? L’affaire prend encore une autre tournure quand le Nord Sportif écrit un violent article intitulé « Free Kick », dans lequel l’Union est accusée d’avoir volontairement fait foirer le match pour « barrer la route à la province ». On devine que derrière le texte s’expriment des dirigeants régionaux, qui menacent l’union d’une scission des clubs du Nord ! Cet article provoque un réflexe de défense de l’Union par la même presse qui l’accusait de tous les maux la veille. Ainsi, Le Vélo s’étonne de l’interprétation du Nord Sportif et de sa volonté de scission , « tout ça parce que deux équipes ont oublié d’apporter un ballon et que deux équipes de hockey ont manqué de la plus élémentaire courtoisie ! Car il n’y a rien de plus dans l’incident de dimanche dernier. C’est déjà assez raide comme cela, sans qu’on y voit on ne sait quels machiavéliques projets contre les clubs provinciaux ».
Quant aux joueurs de l’ICL, ils prennent l’initiative, via leur capitaine Wuillaume, d’envoyer une longue lettre au Vélo, dans laquelle on lit que les joueurs ne rejettent pas la faute sur les hockeyeurs du RCF (comprendre : c’est donc la faute à l’Union). Ils rappellent ensuite qu’ils n’ont pas déclaré forfait et qu’ils étudient en ce moment, avec les Havrais, la possibilité de rejouer le match. Enfin, ils ont saisi l’USFSA d’une « énergique protestation ».
Changement de formule : voici le « championnat des départements »
L’affaire se tasse un peu et on réfléchit désormais à la meilleure solution à trouver : en effet, « il serait navrant qu’à la suite de cet incident, l’ICL et le HAC ne puissent participer au championnat ». Le bureau du conseil de l’USFSA se réunit le 25 février et affirme qu’il faut absolument jouer les matches à Paris. Pour quelle raison ? Parce que le généreux donateur du trophée (qui officiellement s’appelle challenge Gordon-Bennett) serait embêté d’abîmer ledit trophée en le déplaçant. Donc voilà l’idée : les équipes provinciales s’arrangent entre elles pour jouer dans leur campagne, et on appelle ça le « championnat des départements » ; puis, si elles le souhaitent, elles montent à la capitale pour affronter le vainqueur du championnat parisien. La Presse estime que cette décision est en mesure de satisfaire tout le monde, et notamment l’(les?) auteur(s) de la tribune « Free Kick », « qui doit être un honorable sportsman, qui devrait faire sienne la devise de la Belgique « l’union fait la force » ». À croire que, vu de Paris, Lille est en Belgique, mais bon. Selon le journal, en agissant de la sorte, le conseil de l’Union réaffirme son soutien au développement du football en France, en plus des challenges qu’il crée et des « médailles et diplômes » qu’il donne. Pas sûr que le Nord Sportif apprécie la condescendance !
Deuxième manche
« Les Provinciaux » se sont donc arrangés et ont fixé un nouveau match le 25 mars, au vélodrome d’Amiens, qui est grossièrement à équidistance du Havre et de Lille. Nous n’avons pas trouvé de précision à ce sujet, mais à défaut on suppose qu’on redémarre un nouveau match à 0-0, ce qui est tout à fait digne de « sportsmen ». On annonce étonnamment un arbitre havrais, M. D’Estremont, et la composition lilloise suivante :
Favier, Wattine, Basquin, H. Heyes, Bramwell, Grimonprez, P. Heyes, Veilletet, Fowler, Smith, Vuillaume (cap)
En fait, non
Quelle n’est donc pas notre impatience pour savoir, enfin, qui va remporter cette confrontation ! Eh bien cette confrontation n’a pas eu lieu. Le 26 mars, Le Vélo, qui a pris contact avec l’USFSA, indique : « l’Iris Club n’ayant pas une équipe complète se voit obligée de déclarer forfait ». Alors, après les ballons, on a cette fois oublié les joueurs ? En fait, les joueurs lillois ont été victimes « d’une épidémie d’influenza », autrement dit de la grippe. Mais un ouvrage de Patrick Robert et de Jacques Verhaeghe2 évoque une autre hypothèse : les joueurs lillois n’auraient pas été libérés par leurs employeurs respectifs pour jouer ce match. Les Havrais se sont-ils retrouvés seuls à Amiens ? À défaut de faits précisément établis, nous posons des questions et restituons les différents versions, qui par ailleurs se cumulent peut-être.
Dans un premier temps, le match est remis à une date ultérieure. Sauf qu’on a beau parcourir la presse, on ne trouve plus de nouvelles du match… jusqu’au 2 avril, où l’on apprend dans Le Vélo que « le match ICL/HAC est définitivement abandonné pour cause de forfait ; Le Havre est donc titulaire du championnat départemental, et jouera contre le champion parisien le 23 ou le 30 avril ». Ah bon, d’accord. Nous n’avons pas compris pourquoi les Lillois ont déclaré forfait et pourquoi il n’a pas été possible de fixer le match à une date ultérieure, mais on peut en déduire, sans juger de la légitimité de cette décision, que les Lillois ont été considérés comme fautifs. C’est ainsi : l’aventure des Lillois dans le championnat de France est terminée.
Le 16 avril, à Paris, le Club Français bat le Standard Athlétic Club 3-2 et remporte le championnat parisien. La première finale du championnat de « France national » opposera donc le Club Français au Havre, le 30 avril. Enfin, un dénouement sportif à cette histoire ?
Bouquet finale
Non, bien sûr. Le 28 avril, Le Vélo relate les premiers doutes : « on ne sait pas encore si la partie sera disputée ». Ça faisait longtemps ! Après l’absence de ballon, le match de hockey, la grippe, les employeurs-geôliers, à quoi va-t-on avoir droit ? Une tempête de neige, l’intervention d’Emile Zola, une attaque martienne ?
Cette fois, ce sont les Parisiens qui refusent de jouer, et la première raison avancée dans le journal est effectivement celle que retiennent les quelques sites qui évoquent cette grandiose aventure : les joueurs du Club Français arguent du fait qu’ils ont disputé un nombre important de matches pour avoir le droit de disputer cette « finale », alors que les Havrais n’ont eu pour seul « mérite » que de s’inscrire à ce championnat de France. Ce n’est pas complètement faux : les Parisiens ont joué et remporté le championnat de Paris. Oui mais vous allez dire : les Havrais ont dû gagner le championnat de Normandie. Eh bien non : le championnat de Normandie n’existe pas encore, ce qui est là aussi le symptôme d’un football qui n’en est qu’à ses balbutiements et connaît une institutionnalisation différenciée selon les territoires. Même si on peut supposer que Le Havre est la meilleure équipe normande, rien ne vient l’étayer objectivement par un classement. Donc Le Havre a candidaté au championnat de France sur sa réputation (on évoqué plus haut les matches amicaux remportés contre des Parisiens), mais sans se prévaloir d’aucun titre officiel (ce qui laisse d’ailleurs penser que Rouen, Caen, Bayeux ou n’importe quel trou normand aurait pu candidater, même si la réputation du Havre les a peut-être découragés de le faire). Donc l’argument des Parisiens, résumé par Le Vélo, est le suivant : « ils disent qu’ils ont joué nombre de matches pour réussir à être en tête du classement du championnat tandis que les Havrais n’auraient qu’un match à disputer pour gagner le titre de champion s’ils en sortaient vainqueurs ». On entre donc dans une nouvelle phase de négociation.
Le 30 avril, jour théorique du match, et alors que les rumeurs d’annulation du match vont bon train, Le Vélo publie une lettre de Lucien Huteau, capitaine du Club Français. Il y confirme que le CF ne souhaite pas disputer le match, avec tout d’abord l’argument avancé l’avant-veille dans la presse, comme le rappel d’une évidence : « c’est en effet une raison puisque le nombre des points doit faire foi pour établir un classement ». Mais, et il nous semble ici apporter un élément que nous n’avons pas vu ailleurs, ce n’est pas l’argument principal des clubistes, qui avancent également ceci : « permettez-moi de vous dire qu’il en est une [raison] que personne ne pourra loyalement contester : l’engagement du HAC a été fait arbitrairement par l’Union seule un mois après la clôture officielle, alors que la commission avait refusé celui du Red Star pour un retard de 24h. De plus, le jour du match entre le SAC et le CF, les capitaines des deux équipes ont déclaré à M. Fabens, délégué officiel de l’USFSA, que quelle que fût l’issue du match, le gagnant s’engageait formellement à ne pas jouer contre le HAC, qui n’était pas dans les conditions du règlement ».
Voilà donc ce que reprochent les Parisiens : non seulement les Havrais ne sont issus d’aucun championnat, mais en plus leur inclusion dans la compétition aurait été tardive, beaucoup plus tardive que le Red Star, à qui on a pourtant fermé la porte. De là à y voir, tout de même, un réflexe de défense et de solidarité des intérêts parisiens, forcément contre la « province », il n’y a qu’un pas que nous franchissons allégrement. De là à y voir une tentative de sabotage du championnat pour tenter d’en conserver le titre, il n’y a aussi qu’un pas. Avec cet argument, il y a fort à parier que le CF aurait alors eu la même attitude à l’égard de l’ICL, si celui-ci avait gagné contre Le Havre, quand bien même l’ICL était issu d’un « vrai » championnat.
Quoi qu’il en soit, un certain M. Fabens, de l’Union, est interpellé dans ce courrier, et voici sa réponse, en 3 points, car l’important c’est les 3 points :
_Le HAC s’est engagé en même temps que l’ICL quand le règlement a été changé pour permettre aux clubs de province de participer au championnat de France ;
_On lui a parlé de l’entente conclue entre les deux capitaines parisiens APRÈS le match du 16 avril ;
_Il a reçu cette semaine le forfait du CF.
Le Vélo s’indigne de l’attitude des footballeurs parisiens qui ne daignent pas se déplacer à Bécon-les-Bruyères pour jouer ce match, et en profite pour louer à l’inverse les valeurs des joueurs de rugby (déjà!) : dans une configuration similaire et au même moment, le Stade Français, champion parisien, ne rechigne pas à aller affronter le champion des départements à Bordeaux !
Le dénouement est donc le suivant : pour avoir eu la bonne idée de s’inscrire à une compétition qu’il n’a pas jouée, le HAC, sur tapis vert, remporte le premier championnat de France « national » de football. Félicitations aux vainqueurs !
Les champions de France de football 1899, apparemment entraînés par Landru
Pas trop fatigués les gars ?
1 La coupure de presse précédente avec le classement du Nord est issue du Vélo du 2 mai, alors que le championnat est terminé depuis janvier.
2 La grande histoire du LOSC, Hugo Sport, 2012
Posté le 16 décembre 2019 - par dbclosc
Quand le LOSC servait à promouvoir le football belge et la fraternité alliée
Que faire quand, en Belgique, on veut promouvoir son équipe nationale B et qu’on trouve que les Pays-Bas sont un adversaire trop peu prestigieux ? On appelle l’équipe qui cartonne de l’autre côté de la frontière : le LOSC. Le 3 avril 1946, les Dogues se déplacent donc pour le premier déplacement international de leur histoire.
Le LOSC, champion de Belgique ? Pourquoi pas. Rappelons d’abord que Lille est aussi une ville belge de la province d’Anvers, dont le club n’a jamais été plus haut que le 4e niveau national, mais comme « tout va très vite dans le football », le titre lui reviendra peut-être sous peu. Ensuite, quand la Belgique aura annexé les Hauts-de-France, il y a fort à parier que le LOSC devienne le club-phare du Royaume, et devienne aussi, au même titre que Derry, champion de deux pays.
En attendant que ces scénarios se réalisent, Lille a déjà brillé en Belgique, et pas seulement la fois où Nicolas Fauvergue a inscrit un but au Parc Astrid ou quand Pierre-Alain Frau a marqué à La Gantoise. Plus exactement, le LOSC a servi à faire briller un football Belge en quête de reconnaissance et, au-delà, à symboliser la normalisation des relations entre Etats après le conflit mondial. C’était en 1946, peu après la Libération du pays qui, comme en France, s’est étendue d’août 1944 à mai 1945.
La politique et le football incarnées par le célèbre natif de Lille Charles 2 Goal
En cette période de reconstruction, le sport est lui-même en pleine résurgence. Il a bien entendu lui aussi subi le chaos de la guerre et, au-delà des difficultés pratiques (problèmes de déplacements, territoires interdits, équipes disloquées), il compte aussi ses prisonniers, ses déportés et ses morts, comme ce champion de hockey tué lors du siège de Calais en mai 1940 et qui donnera son nom au futur stade de Lille : Félix Grimonprez. Alors que le football international est mis entre parenthèses durant 4 ans, au niveau national, la Belgique et la France connaissent un processus similaire de reprise en main du football, où celui-ci est au service de la propagande nationaliste1. Fin 1944, le football revient donc progressivement, délesté de son ancrage idéologique, mais demeurent des difficultés. En France, un dernier championnat dit « de guerre » est organisé en 1944/1945 : il n’est pas encore national mais en divisé en zones Nord et Sud. Officiellement, il n’est pas pris en considération étant donné les difficultés organisationnelles et la poursuite des combats sur certains pans du territoire. Même situation en Belgique, où une compétition (la « coupe de la Libération ») reprend en novembre 1944, mais est interrompue par de nouveaux bombardements sur les Ardennes en décembre. On tente de reprendre un championnat en janvier, mais là aussi le merdier est tel qu’on s’arrête avant la fin. C’est seulement après la capitulation allemande du 8 mai 1945 que les compétitions nationales vont reprendre normalement.
Sur le plan international, Français et Belges reprennent exactement au même moment, puisqu’ils s’affrontent pour la première confrontation d’après-guerre : c’est à Paris, en décembre 1944 (avec Bigot et Baratte chez les Bleus, qui s’imposent 3-1).
L’année suivante (1945), la France joue 4 fois, et la Belgique une fois : à Molenbeek, les Diables battent cette fois les Bleus 2-1.
Ainsi, le football se normalise, et les matches se multiplient. Après les années de privation, il offre une distraction bienvenue, tout en restant teinté d’arrière-pensées politiques, puisqu’il est désormais un outil au service de la réconciliation nationale et de la fraternité entre les peuples (alliés). Après la Libération, en France comme en Belgique, les autorités civiles se servent du football pour symboliser le rassemblement. L’Union Belge – équivalent belge de la FFF – met le paquet sur son équipe B, composée de jeunes joueurs censés constituer la future équipe des Diables Rouges. Cette équipe (aussi appelée « A’ » ou « équipe officieuse » dans la presse de l’époque) a été créée en 1924, à l’occasion d’un match contre la France B. Ensuite, jusqu’à la guerre, elle n’a affronté que le Luxembourg A, avec 2 ou 3 confrontations par an en moyenne (et ce jusqu’en 1976, pour un total de 75 Belgique B/Luxembourg A en 50 ans). Changement de politique à la Libération : les adversaires se diversifient. Cela s’explique en partie par la volonté, d’un côté, de faire de l’équipe B, à travers sa jeunesse, une vitrine de la future Belgique, et donc de regarder vers l’avant ; et, de l’autre, d’affronter des adversaires parmi les « alliés2 » de la guerre et de rappeler que la Belgique a été du bon côté. Dès lors, en 1945, l’équipe B affronte des équipes britanniques, qui ont la particularité d’être privées de compétitions officielles jusqu’en septembre 1946 : l’Ecosse le 6 janvier 1945 ; puis, plus tard dans l’année, 4 matches contre des militaires britanniques, dont certains internationaux (à l’image du match joué le 25 septembre 1944 entre le LOSC et une sélection britannique composée de soldats stationnés dans la région).
Début 1946, l’Union Belge souhaite organiser une nouvelle rencontre de son équipe B. Les Pays-Bas (B) sont contactés, et donnent leur accord. Mais, courant mars, changement d’avis : les dirigeants Belges ont un œil sur ce qui se passe en France. Très près de là, à la frontière, le LOSC s’est installé en tête du championnat de France, après notamment un remarquable mois de février (victoires 3-1 contre Lens ; 7-0 contre Metz ; 5-1 à Bordeaux). Parallèlement, les Dogues avancent en coupe de France, dont ils ont déjà atteint la finale en 1945 : les voilà déjà cette fois en quarts de finale. Enfin, mi-mars, à Bordeaux, la sélection des « Flandres » a battu celle du « Sud-Ouest » par 7 buts à 1, et le buteur lillois Jean Baratte a inscrit un triplé. Si l’on en croit les raisons, sans doutes un peu partiales, avancées par la Voix du Nord, les Belges ont alors gentiment décommandé les Oranje au profit des Dogues « en raison du rôle de premier plan que joue l’équipe lilloise dans le championnat de France ».
Le 3 avril 1946, au surlendemain d’une qualification losciste en demi-finale de coupe de France (2-1 contre le Racing Paris à Bordeaux), le LOSC se déplace donc Bruxelles, et plus précisément à Saint-Gilles, pour y affronter l’équipe B des Diables Rouges. Après le match contre les militaires Anglais en septembre 1944, on peut considérer que c’est le deuxième match international des Dogues, et leur premier déplacement international. La Voix du Nord met en garde : « les Belges ont composé une équipe robuste, formée de joueurs extrêmement rapides ». En guise de « jeunes », des joueurs nés majoritairement en 1922, et qui ont donc en moyenne autour de 23 ans. On trouve parmi eux :
_des joueurs qui ont déjà quelques sélections en A : Maurice Berloo, arrière de La Gantoise, qui a joué la confrontation France/Belgique de 1945, au cours de laquelle Julien Darui gardait le but français ; Jules Henriet, défenseur de Charleroi ; Désiré Van Den Audenaerde, attaquant de l’Antwerp, qui a joué contre la France en 1944 et en 1945 ; Arsène Vaillant, à l’époque attaquant du White Star puis défenseur (!) d’Anderlecht. Il est par ailleurs connu pour s’être reconverti journaliste pour la RTBF jusque dans les années 1980, où il commentait d’ailleurs la catastrophe du Heysel.
_d’autres qui en obtiendront plus tard : le gardien Ferdinand Boogaerts, du White Star, qui gardera les cages belges 6 fois en 1952 ; Michel Van Vaerenbergh, futur triple champion de Belgique avec Anderlecht ; De Buck, qui répond au doux prénom d’Adolf, défenseur d’Alost ; Henri Govard, du FC Liège ; René Thirifays, de Charleroi ; ou Anould, qui marquera ensuite 20 buts en 48 sélections avec l’équipe première des Diables : belle récompense pour celui qui fait fort dans la belgitude en se prénommant Léopold et en étant né à Saint-Nicolas.
_Enfin, avec nos quelques recherches, d’autres joueurs semblent ne pas avoir percé de manière durable au haut niveau : c’est le cas de Léon Aernoudts (Bechem), de Staf Van den Bergh (Lyra).
Du côté du LOSC, George Berry a emmené 15 joueurs pour ce déplacment court mais transfrontalier : Georges Hatz, Joseph Jadrejak, Emilien Méresse, François Bourbotte, Jean-Marie Prévost, Roger Carré, Jules Bigot, Marceau Somerlynck, Henri Tessier, René Bihel, Jean-Jacques Kretzschmar, Jean Baratte, Jean Lechantre (Belge de naissance mais fraîchement naturalisé Français), Roger Vandooren et Bolek Tempowski.
En perspective, selon le quotidien régional, le football comme diplomatie officieuse : « une belle manifestation d’amitié franco-belge. Ce match marquera de manière tangible la reprise des relations entre la Belgique et nos régions du Nord. Il est probable qu’il sera le prélude à d’autres rencontres. La venue d’une grande équipe Belge à Lille serait, en effet, unanimement appréciée par les sportifs de notre région ».
La rencontre se déroule dans le superbe stade Joseph-Marien, dans le parc Duden, là où joue habituellement l’Union Saint-Gilloise. Du nom d’un ancien président du club, le stade a pris sa forme actuelle en 1926, où il a été inauguré en présence du Prince Charles (de Belgique hein). Il reste de nos jours un étonnant monument architectural, classé comme monument historique par la région de Bruxelles-capitale : sa façade longue de 101 mètres, qui abrite la tribune principale, est de style « Art-déco » et est agrémentée de sept panneaux sculptés, représentant les deux disciplines qui ont fait la gloire de l’Union : l’athlétisme et le football (en l’occurrence, pour le foot, c’est surtout dans l’entre-deux-guerres).
Le temps est radieux et l’envoyé spécial de la Voix du Nord, Augustin Charlet, estime l’affluence à 10 000 personnes, dont quelques dizaines de supporters du LOSC. Les Lillois présentent un « magnifique jeu d’ensemble », et le journaliste ne s’inquiète pas trop de l’issue heureuse du match. Pourtant, à la 35e minute, une mésentente derrière entre Hatz et Prévost permet à Govart d’ouvrir la marque pour les Diables Rouges (1-0) et d’arriver à la pause avec cet avantage. À la reprise, le capitaine François Bourbotte sonne la charge en expédiant un « coup de pied retourné » (?) vers l’avant à Roger Vandooren, qui égalise (1-1). Mais sur le coup d’envoi, Vaillant échappe à Prévost, qui est mystérieusement tombé, et s’en va battre le gardien lillois (2-1). Et Prévost se tient le bras : « on le croit légèrement atteint, mas on apprend bientôt qu’il souffre d’une fracture de la clavicule « non confirmée » ». On imagine que depuis le temps, le diagnostic a été affiné. Il faut se réorganiser chez les Lillois : Bourbotte passe demi-centre, et Jadrejak demi-droit. Pas de réussite : dès la 53e minute, les Belges marquent de nouveau, par Thirifays (3-1). « Est-ce la défaite sévère en perspective ? Non pas ! Le brave François fait feu des quatre fers et les attaques belges sont enrayées », tandis que Somerlynck multiplie les attaques « dans le style belge » (?). Il reste un quart d’heure, et les Dogues poussent : Vandooren marque de nouveau (3-2) puis, 3 minutes plus tard, Baratte égalise (3-3). A l’arrivée, les Belges arrachent « un match nul heureux » car « si le LOSC ne s’était pas trouvé dans l’obligation de modifier complètement la formation de ses lignes suite à une blessure assez sérieuse de Prévost, il est probable que la victoire lui serait revenue ». Petite déception pour les dirigeants de l’Union Belge, et grande satisfaction dans la délégation lilloise qui s’est déplacée : MM. Thellier de Poncheville, Kretzschmar, Dufaux, et Lemaire.
Selon A. Charlet, aucun doute sur la « supériorité incontestable du jeu lillois ». Seulement, les Dogues ont pêché par suffisance et ont « préféré faire de la démonstration » : ainsi, Tessier et Lechantre se sont beaucoup amusé à dribbler, suscitant d’ailleurs « maintes fois les applaudissements d’une foule aimable et cordiale ». « Certains hommes se comportèrent en dilettantes : Hatz, Bourbotte, Carré, qui fut notre meilleur homme, méritent des éloges. Vandooren, effacé en première mi-temps, n’en marqua pas moins de 2 buts par la suite, tandis que Somerlynck se distinguait sans cesse par son allant ». Du côté belge, le correspondant salue la pugnacité de joueurs qui visaient à se faire remarquer pour intégrer l’équipe A : « De Buck et Thirifays jouèrent de façon remarquable, la défense fut solide, mais la ligne d’avants joua trop souvent en ordre dispersé ». Quant à l’arbitre, « il avantagea, parfois, l’équipe de Belgique ».
Voilà comment les performances du LOSC lui ont permis de jouer un match de gala, à la fois pour mettre en avant l’équipe B de Belgique tout en symbolisant le retour à la normale après la guerre. Les Diables B rencontreront dans les années suivantes les équipes B de différentes nations, avant que cette équipe ne soit moins utilisée à partir des années 1970. Elle renaît en 1996 en tant qu’équipe « A’ », avec cette même fonction d’antichambre de l’équipe A, sans son aspect plus idéologique. Outre des rencontres internationales, elle permet de boucher les trous du calendrier en proposant des rencontres amicales contre des clubs nationaux : ainsi, en 2003, à Avion a lieu un Belgique A’/Lens, que les Sang & Or remportent 3-1. Probablement une idée inspirée d’une initiative prise 57 ans auparavant. Par la suite, ce sont les équipes Espoirs puis U21 qu’on peut considérer comme les héritières de cette équipe « B ».
Après ce déplacement bruxellois, les Lillois retournent à leurs compétitions nationales. Dans quelques semaines, ils remporteront haut la main le premier championnat de France d’après-guerre, ainsi que la coupe de France. Ils n’affronteront plus l’équipe nationale de Belgique, ni d’ailleurs aucune autre, mais la proximité frontalière maintient l’avantage d’organiser régulièrement des confrontations amicales entre le LOSC et des club belges.
FC Notes
1 Comment ça « c’est pareil aujourd’hui » ?
2 On met entre guillemets car, officiellement, la Belgique est neutre au début du conflit, l’attitude du roi l’est moins, et le pays est entièrement occupé, avec un gouvernement en exil et des colonies du côté des alliés. Quant à la France, elle est officiellement parmi les pays vainqueurs de la guerre.
Posté le 29 novembre 2018 - par dbclosc
The Sochaux must go on ! L’Olympique Lillois, finaliste de la première « Coupe Sochaux » (1931)
En 1932/1933 a lieu la première édition du championnat de France professionnel. Pourtant, deux ans auparavant, était née la « Coupe Sochaux », trophée créé à l’initiative de Jean-Pierre Peugeot et qui est parfois présenté comme l’ancêtre du championnat qui allait naître. Pour la première édition, l’Olympique lillois termine finaliste.
En 1928, le FC Sochaux-Montbéliard est créé à l’initiative de salariés du groupe Peugeot, principal industrie et employeur de la région doubiste. Jean-Pierre Peugeot se saisit alors du projet et recrute à grands frais parmi les meilleurs joueurs du pays et de l’étranger. En cette belle époque de l’amateurisme marron, Peugeot est un fervent défenseur du professionnalisme. Il revendique d’ailleurs publiquement que les joueurs recrutés pour Sochaux ne sont payés qu’à jouer au football et à rien d’autre.
Grâce à Peugeot, Sochaux est alors une commune en pleine expansion : en quinze ans, elle a plus que quintuplé sa population. Elle n’en demeure pas moins un village : lors du recensement de 1926, Sochaux ne compte en effet que 2186 habitants (427 en 1911). Elle en comptera 3641 en 1931. C’est donc de ce village que Jean-Pierre Peugeot veut faire l’un des principaux fiefs du football français. Dans son optique paternaliste, Peugeot voit d’un bon œil que ses ouvriers se divertissent à travers le football, la professionnalisation du football constituant à cet égard un investissement pour lui. Au printemps 1930, il est alors à l’initiative d’une nouvelle compétition qui attire alors le gratin (1) du football hexagonal : la Coupe Sochaux.
There is only one JPP
A une époque, le LOSC aurait été en mesure de faire signer un certain JPP, en l’occurrence Jean-Pierre Papin. Sans suite. Plus tôt, un autre JPP avait également fréquenté Lille : les anciens professeurs de l’ESJ, pour ceux qui ont survécu au traumatisme, sont en effet encore hantés par le souvenir d’un jeune étudiant nommé Jean-Pierre Pernaut. Mais l’histoire de Lille avec JPP avait en réalité débuté bien avant. En effet, quand Jean-Pierre Peugeot crée la Coupe Sochaux, son ambition est de solliciter les principaux clubs français favorables au professionnalisme et donc l’Olympique Lillois d’Henri Jooris. En plus de Lille et Sochaux, six autres équipes participeront à ce qui n’est pas loin d’être le premier championnat de France professionnel.
La compétition est organisée de la manière suivante : chaque club est intégré à une poule de quatre équipes et affronte chaque adversaire en matchs aller-retour. A l’issue de cette phase de poules, les premiers de chaque groupe s’affrontent pour une finale à Paris. L’OL est dans le groupe du Club Français, de Sète et de Mulhouse tandis que Sochaux joue dans le groupe de Roubaix, Marseille et du Red Star.
Lille, premier finaliste de la Coupe Sochaux
Il est difficile de trouver des informations précises sur le déroulement de la compétition. Ainsi, on sait que Lille débute par une victoire à domicile contre Sète avant de battre Mulhouse pour sa deuxième rencontre. Les « Dogues » – car un extrait de presse de l’époque nous confirme que les joueurs de l’OL ont déjà ce surnom – affrontent ensuite à nouveau Mulhouse puis reçoit le Club Français (sans que l’on ait retrouvé les résultats de ces rencontres), s’inclinent à Sète (3-1) puis terminent la phase de poule par une dernière victoire sur le terrain du Club Français (2-1).
A l’affût, Barrett l’avant-centre britannique de l’OL
Dans l’autre groupe, c’est Sochaux qui termine en tête. La compétition est l’occasion pour les nordistes de briller puisque le dauphin de Sochaux dans son groupe n’est autre que le RC Roubaix. On n’est donc pas passés très loin d’une finale nordisto-nordiste. Finalement, le 17 mai 1931 à Paris, la finale de la première « Coupe Sochaux » opposera bien l’OL de Jooris au FC Sochaux-Montbéliard de Peugeot.
La boucherie du 17 mai 1931
En ces temps troublés, l’OL affronte donc le FC Sochaux au Parc des Princes. Las, ce jour-là, les Sochaliens semblent avoir mangé du lionceau et nos Dogues ne font guère illusion. Le Petit Parisien du 18 mai 1931 relate en détail cette finale ayant eu lieu la veille. « La première mi-temps se termina à l’avantage des joueurs francs-comtois [...]. Plus à l’aise que leurs adversaires, ils menèrent le jeu à peu près à leur guise. Les Lillois furent souvent décontenancés par l’imprévu des attaques des équipiers de Sochaux, les situations les plus dangereuses pour les Nordistes étant créées par l’ailier gauche Leslie qui montra en maintes occasions sa grande classe. Cropper, Maschinot et Leslie réussirent chacun une fois à tromper Van de Putte, qui ne parut pas aussi sûr que de coutume dans ses arrêts. » Trois à zéro après une demi-heure de jeu environ, voilà qui est mignon.
Cheuva entretint bien un maigre espoir en réduisant la marque peu avant la pause (3-1). Lille domina ensuite copieusement la deuxième mi-temps, notamment grâce au jeune et talentueux Jacques Delannoy, mais se heurta à la défense doubiste. A un quart d’heure de la fin, le quatrième but sochalien enterra définitivement les espoirs lillois et, surtout, leurs velléités de révoltes. Le Petit Parisien nous rappelle cette fin tragique « Dès lors, Lille ne réagit plus et, tout à la fin du match, deux buts superbes, marqués par Lucien Laurent et Cropper accentuèrent sa défaite. ». Six à un, le score est trop sévère, mais il est vrai que les Sochaliens étaient supérieurs ce jour-là.
L’OL qui dispute cette compétition est déjà constituée d’une bonne partie de l’ossature de l’équipe qui remportera le premier championnat de France professionnel deux ans plus tard. William Barrett, Zoltan Varga, Georges Winckelmans, Jacques Delannoy, titulaires à Paris on effet ensuite été champions avec Lille en 1933. Mais d’autres membres de cette équipe ne sont pas très loin lors du premier championnat professionnel : c’est notamment le cas d’André Cheuva, de l’Anglais George Berry et du gardien Louis Vandeputte qui jouent alors au SC Fives et allaient terminer deuxièmes du championnat lors de l’édition de 1934.
Mulhouse vainqueur en 1932
Pour la seconde édition, vingt équipes participent à la compétition et sont divisées en quatre groupes de cinq équipes pour chacun d’entre eux (on remarque là une certaine cohérence, là où d’autres auraient fait un groupe de 12 équipes et quatre groupes de 2), les premiers de chaque groupe disputant ensuite les demi-finales (là encore, on constate une certaine cohérence). Le SC Fives n’y participe pas, mais la région est bien représentée : le RC Roubaix participe encore et l’Excelsior (de Roubaix, hein) et Tourcoing connaissent leur première participation. L’Olympique Lillois, pour sa part, se retrouve dans le groupe du Stade Havrais (et donc non dans celui du HAC), du Red Star, de l’AS Cannes et d’Amiens.
Les Dogues connaissent un parcours inégal. Ils font d’abord la course en tête avec en point d’orgue une victoire sur le terrain du Red Star (4-3) après avoir mené 4-1 à la mi-temps. Ils battent également Cannes (3-2), font match nul à Amiens (4-4) et contre le Red Star (2-2). Mais ils s’écrasèrent également au Havre (2-0) et, surtout, à Cannes (5-0). Ne nous demandez pas ce qu’ils ont fait lors des matchs à domicile contre Le Havre et Amiens : on n’a pas trouvé. Ceci étant, on pense que Lille a gagné.
Place désormais au premier championnat de France professionnel. A l’origine, l’OL ne devait pas y participer, Jooris, le chantre du professionnalisme, préférant finalement jouer la stratégie du championnat régional. Piqués par l’inscription du SC Fives, qui jouait alors en Promotion, c’est-à-dire la deuxième division régionales, les Dogues allaient changer d’avis. Bonne idée : l’OL allait devenir le premier champion de France.
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Il est vrai que Sochaux n’est pas loin du Dauphiné.
Posté le 18 juin 2018 - par dbclosc
Victoire à la papy russe pour les Bleus. Retour sur quelques débuts foirés de CDM qui finissent bien.
Souvent, on entend parler de « victoire à la Pyrrhus »ce qui désigne le fait de remporter un succès mais à un prix démesuré. Se faisant un devoir d’instruire nos concitoyens (et, plus généralement, de leurs conférer des moyens de briller en société à bas prix), rappelons l’origine de cette expression. En l’occurrence, Pyrrhus Ier était le roi des Molosses, peuplade grecque d’Epire (qui, on l’oublie souvent, était gouvernée par les Eacides). Défiant, les Romains, ce qui n’est jamais une partie de plaisir (les Barcelonais ne diront pas le contraire), Pyrrhus perdait à chaque bataille trop d’hommes, si bien que son armée s’affaiblissait tandis que celle des Romains parvenait à chaque fois à recruter suffisamment pour compenser ses pertes. En filant l’analogie avec le football, c’est un peu comme si une équipe organisait sa préparation physique de telle manière à être au top pour les premières journées quitte à risquer de voir ses joueurs se blesser rapidement au points d’être obligée, très vite, d’aligner Marvin Martin, Junior Tallo et les rédacteurs de DBC, assurant un échec aussi dramatique que certain.
Ici, dans le cas des Bleus, point de « victoire à la Pyrrhus », mais plutôt une victoire à la « papy russe », expression qui vaut plus pour le jeu de mot (facilité par le fait que le tournoi se joue en Russie) que pour sa pertinence analytique. D’ailleurs, on ne se permettra pas ici d’analyser le match des Bleus (suffisamment d’analyses médiocres sont faites ici et là (1)). Alors, l’assimilation du match des Bleus comme relevant d’une performance « de papys » est-elle pertinente ? On ne sait pas, mais elle a au moins ce mérite d’être rigolote. C’est toujours ça de pris.
Allégorie de la victoire à la papy russe
Non, l’objet de cet article c’est simplement de revenir sur d’autres débuts de coupe du Monde pour rappeler que, à défaut d’être emballant, ce premier match n’augure en rien d’un parcours dégueulasse. Depuis le début des années 1980, les Bleus sont parvenus à quatre reprises au stade des demi-finales sans jamais avoir été rassurants lors du match inaugural. On revient sur ces quatre cas de figure.
1982 : Angleterre-France 3-1
Le 16 juin, à San Mamès, la France débute difficilement son Mondial. C’est en tout cas l’impression que l’on a en voyant Robson ouvrir le score pour la perfide Albion au bout de 27 secondes de jeu. Le futur lillois Soler égalisera bien (24è) mais ce sont biens les Anglais qui l’emportent au final (3-1). Alors, mal barrés les Français ? C’était sans compter sur la médiocrité des Tchécoslovaques, lesquels échouent à battre le petit Koweït (1-1) que la France atomisera (4-1) dans un contexte particulier.
Qualifiés pour le tour de poules suivant (2) la France, sérieuse, obtient sa qualification en battant l’Autriche (1-0) et l’Irlande du Nord (4-1). Ils échouent en demi-finale contre la RFA, mais écrivent dans le fameux « match de Séville » une page essentielle de leur légende sur fond d’injustice et de violence de la part d’un Schumacher sous cocaïne et rappelant les heures les plus sombres de l’Histoire.
1986 : France-Canada 1-0
Pour commencer le tournoi de 1986, l’équipe de France, championne d’Europe en titre affronte le plus petit morceau de son groupe : un Canada aux moyens limités. Certes, la domination française est outrageuse, mais cela semble bien le minimum vu les moyens de l’adversaire en face. Et pourtant, ça bloque à 0-0 jusqu’à ce que Jean-Pierre Papin ne débloque la situation à la 79ème minute. Soit dit en passant, ce but ne confère alors pas à JPP le statut de sauveur : jusque là, c’est à sa maladresse que les Bleus devaient de ne pas avoir ouvert le score plus tôt.
La suite sera plus réjouissante. Solide contre l’URSS (1-1), sérieuse contre la Hongrie (3-0), cette équipe de France s’ancre définitivement comme une référence de l’histoire de l’EDF en éliminant les champions du Monde italiens (2-0) puis, surtout, en éliminant le Brésil de Zico et Socrates (1-1, 4 tab à 3). Sortis par la RFA (2-0), les Français finiront bien contre la Belgique (4-2) pour un bilan réussi.
1998 : France-Afrique du Sud 3-0
Chez eux, les Bleus débutent la Coupe du Monde par une large victoire inaugurale contre les modestes Sud-Africains (3-0). Rassurant ? Oui et non. Si l’équipe maîtrise globalement son sujet, l’équipe de France a tardé à faire le break grâce à un CSC de ce bon vieux Pierre Issa (2-0, 78è). Allez, admettons-le, des quatre matches dont nous parlons ici, ce fut probablement celui qui laissa l’impression la plus positive, sans doute aussi en contraste avec l’ampleur des critiques faites à l’équipe d’Aimé Jacquet dans les mois qui avaient précédé la compétition. En somme, un match dont on ressort plus rassurés qu’emballés.
D’ailleurs, le reste de la compétition sera pour beaucoup à l’image de ce match, à l’image des qualifications contre le Paraguay (sur un but en or en à la 113è) et contre l’Italie (aux tirs aux buts), voire, suivant un scénario un peu différent, contre la Croatie (2-1 après l’ouverture du score croate). La fin sera bien sûr différente avec une victoire en apothéose contre le Brésil de Ronaldo (3-0).
2006 : France-Suisse 0-0
Il est de bon ton en société de présenter le bilan de Raymond Domenech à la tête de l’équipe de France comme un échec total, Bixente Lizarazu, se plaisant par exemple à ironiser sur le fait que ce sélectionneur « n’a rien gagné » avec l’équipe de France, argument récurrent qui confine au ridicule à partir du moment où l’on admet qu’un jugement un minimum sérieux sur la réussite d’un sélectionneur implique de juger de ses résultats à l’aune du contexte, c’est à dire notamment des moyens à sa disposition et de la concurrence. Bixente, nous ne sommes pas dupes : si tu portes ce jugement, on sait que ça n’est pas une analyse, mais une pseudo-justification visant à casser un bonhomme avec lequel tu n’as pas de bon rapports.
Les débuts sont pourtant poussifs et un peu inquiétants. Face à la Suisse, la France demeure d’une prudence excessive, se créant très peu d’occasions pour un résultat final assez logique en définitive. Le deuxième match, contre la Corée du Sud, confirme l’inquiétude avec un match nul (1-1) bien que les Bleus aient été devant pendant 72 minutes au total. Elle se qualifiera finalement après une victoire, certes attendue (mais quand-même) face au Togo d’Olufadé (2-0). Il aura quand-même fallu attendre 55 minutes pour voir l’ouverture du score.
La suite sera d’un tout autre acabit. Lors des huitièmes, l’équipe de France donne la leçon à la Roja (3-1) qui avait pourtant remporté ses trois matchs de poule. En quarts de finale, la France réalise son match de référence en maîtrisant le Brésil (1-0) qui restait sur 11 victoires de suite en phase finale de Coupe du Monde, le dernier match qu’elle n’avait pas remporté étant … la finale de 1998, contre la France déjà. La bande à Zidane se qualifie ensuite logiquement pour la finale en battant le Portugal (1-0). Si la défaite aux tirs aux buts laisse un goût d’inachevé, la France réalise là l’une de ses plus belles performances en Coupe du Monde.
L’Italie 1982, le modèle de toutes les équipes qui font des débuts poussifs
Débuter péniblement une coupe du Monde, il n’y a pas de quoi en faire tout un plat. Nombreux sont les champions du Monde à avoir galéré en phase de poules. Le modèle en la matière est incontestablement l’Italie de 1982. Cette année-là, la Squadra azzura réussit le tour de force de remporter la plus grande compétition internationale sans gagner un seul match de poule et en étant l’équipe qui a eu les moins bons résultats des douze équipes qualifiées pour le tour suivant !
Plus généralement, ce tournoi est la plus belle illustration du fait qu’un début difficile n’engage en rien la suite (sauf si bien sûr on se fait éliminer dès le premier tour ce qui, forcément, engage d’un coup vachement plus la suite). Ainsi, aucune des quatre nations ayant terminé dans le dernier carré n’a remporté son match inaugural, avec un effort tout particulier de la RFA, futur finaliste : elle s’était inclinée d’entrée de jeu contre l’Algérie que tout le monde présentait comme le « petit » du groupe. Il n’en fut rien, l’Algérie échouant d’un rien en raison d’un arrangement entre la RFA et son « petit frère » autrichien lors d’un fameux match de la honte. Le voici, si vous ne le connaissez pas (et même si vous le connaissez) :
http://www.dailymotion.com/video/x2elvdy
Ah oui, au fait, peut-être vous êtes vous étonné en mode « Tiens, y a pas de complot contre le LOSC, là ? ». Ben si, justement, parce que dans l’équipe d’Algérie, il y avait justement Nordine Kourichi, l’ancien solide défenseur des Dogues. Et il ne leur a toujours pas pardonné …
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En général, quand nous voulons un exemple d’analyse médiocre sur un match, une procédure efficace consiste à faire la requête « Pierre Ménès » sur Google Actualités.
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En 1982, les deux premiers de chaque groupe se qualifient pour un tour de poules à trois équipes dont les premiers se qualifient en demi-finale.